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Ariane Web: Conseil d'État 467001, lecture du 25 septembre 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:467001.20240925

Décision n° 467001
25 septembre 2024
Conseil d'État

N° 467001
ECLI:FR:CECHS:2024:467001.20240925
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
M. Stéphane Verclytte, président
M. Nicolas Jau, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique
SCP LESOURD, avocats


Lecture du mercredi 25 septembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler l'arrêté du 18 février 2015 du maire de Pont-du-Château (Puy-de-Dôme) par lequel ce dernier a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident survenu le 18 avril 2014, les arrêtés du 1er et du 7 septembre 2015 de ce maire la plaçant en congé de maladie ordinaire puis en disponibilité d'office pour raisons de santé, l'arrêté du 17 décembre 2015 par lequel le maire lui a infligé la sanction disciplinaire du blâme ainsi que l'arrêté notifié le 22 février 2016 par lequel le maire l'a nommée au 7ème échelon du grade d'adjoint administratif de deuxième classe à l'ancienneté maximum. Par un jugement nos 1500802, 1502027, 1600343, 1600609 du 13 avril 2017, le tribunal administratif a fait droit à l'ensemble de ses demandes.

Par un arrêt n° 17LY02345 du 25 juin 2019, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de la commune de Pont-du-Château, annulé ce jugement en tant qu'il a annulé l'arrêté du maire de Pont-du-Château du 17 décembre 2015 infligeant un blâme à Mme A... et l'arrêté notifié le 22 février 2016 prononçant l'avancement d'échelon de Mme A... à l'ancienneté maximale, et a rejeté les conclusions de première instance tendant à l'annulation de ces deux arrêtés ainsi que le surplus des conclusions de la requête d'appel.

Par une décision no 433838 du 29 décembre 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt en tant qu'il a statué sur l'arrêté du 17 décembre 2015 prononçant la sanction disciplinaire et sur l'arrêté notifié le 22 février 2016 prononçant l'avancement d'échelon à l'ancienneté maximale, et renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour administrative d'appel de Lyon.

Par un arrêt n° 21LY04293 du 29 juin 2022, la cour administrative d'appel de Lyon, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a annulé le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 13 avril 2017 en tant qu'il a annulé l'arrêté du maire de Pont-du-Château du 17 décembre 2015 infligeant un blâme à Mme A... et l'arrêté notifié le 22 février 2016 prononçant l'avancement d'échelon de Mme A... à l'ancienneté maximale et rejeté les conclusions de première instance tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 août et 23 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la commune de Pont-du-Château ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Pont-du-Château la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Jau, auditeur,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de Mme B... A... et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Pont-du-Château ;


Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 septembre 2024, présentée par la commune de Pont-du-Château ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., adjointe administrative de deuxième classe au sein des services de la commune de Pont-du-Château, a adressé, le 24 novembre 2015, un courrier électronique à des élus de la commune afin de dénoncer des faits de harcèlement moral dont elle s'estimait victime. Par un arrêté du 17 décembre 2015, le maire de Pont-du-Château lui a infligé un blâme au motif que ce courriel constituait un manquement à son devoir de réserve. Par ailleurs, par un arrêté du 22 février 2016, le maire a nommé Mme A... au 7ème échelon du grade d'adjoint administratif de deuxième classe à l'ancienneté maximum. Par un jugement du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a notamment annulé ces deux arrêtés. Mme A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 29 juin 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a annulé ce jugement en ce qu'il prononce l'annulation des arrêtés des 17 décembre 2015 et 22 février 2016 et rejette ses conclusions de première instance tendant à l'annulation de ces mêmes arrêtés.

Sur le pourvoi :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, désormais codifié aux articles L. 133-2 et suivants du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.(...) / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir estimé que Mme A... n'apportait aucun élément laissant présumer le harcèlement moral qu'elle estimait avoir subi, en a déduit, d'une part, que le blâme, infligé à raison de sa dénonciation du prétendu harcèlement moral, n'était pas disproportionné à la faute commise, tenant au manquement à son devoir de réserve, d'autre part, que le maire avait pu, sans erreur manifeste d'appréciation, prononcer son avancement d'échelon à l'ancienneté maximale, dès lors notamment que sa faible présence sur la période concernée, en raison de nombreux arrêts maladie, n'était pas due à un harcèlement moral.

5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., pour soutenir qu'elle avait été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, faisait notamment état de ce qu'elle avait connu, à partir de la fin de l'année 2013, correspondant à l'annonce de sa relation avec un adjoint au maire, une dégradation de ses conditions de travail liée à l'absence de consignes nécessaires à l'exercice de ses missions puis à la suppression de certaines d'entre elles, qu'après sa mutation au service de l'urbanisme à compter du 27 mai 2014, elle était restée sans mission ni accès, pendant plusieurs semaines, au matériel informatique, que la commune, informée de sa réussite au concours d'adjoint administratif de première classe, avait refusé de la nommer sur ce grade le 28 janvier 2015, que le maire avait refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident dont elle a été victime le 18 avril 2014, malgré l'avis favorable de la commission de réforme du 17 octobre 2014, que sa demande de participer, ainsi qu'elle l'avait déjà fait à plusieurs reprises, aux fonctions de secrétariat de bureau de vote pour les élections régionales lui a été refusée sans justification objective et enfin, que son avancement au 7ème échelon du grade d'adjoint administratif de deuxième classe n'a été prononcé qu'à l'ancienneté maximale, en dépit de la qualité de ses évaluations. En estimant que ces éléments de fait n'étaient pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, la cour administrative d'appel de Lyon a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

6. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

7. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond.

Sur la requête d'appel de la commune de Pont-du-Château :

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 5, que les éléments invoqués par Mme A... sont susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. En réponse, la commune soutient que la suppression de certaines des missions de Mme A... au service des ressources humaines tenait à leur caractère temporaire et à ce qu'elle les avait menées à terme et que sa mutation au service de l'urbanisme était justifiée par les besoins de ce service, confronté à un nombre croissant de dossiers à traiter et à plusieurs absences. Toutefois, si ces éléments sont de nature à démontrer que la modification des conditions de travail de l'intéressée était justifiée par des considérations étrangères à tout harcèlement, ils ne permettent pas de justifier qu'elle soit restée durablement sans mission ni accès au matériel informatique, ni le refus de lui permettre de bénéficier de sa réussite au concours d'adjoint administratif de première classe ou le refus de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident dont elle a été victime sur son lieu de travail le 18 avril 2014. Dans ces conditions, la commune ne peut être regardée comme établissant que Mme A... n'était pas victime du harcèlement moral invoqué.

9. En deuxième lieu, les fonctionnaires ne peuvent être sanctionnés lorsqu'ils sont amenés à dénoncer des faits de harcèlement moral dont ils sont victimes ou témoins. Toutefois, l'exercice du droit à dénonciation de ces faits doit être concilié avec le respect de leurs obligations déontologiques, notamment de l'obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et qui leur impose de faire preuve de mesure dans leur expression. Lorsque le juge est saisi d'une contestation de la sanction infligée à un fonctionnaire à raison de cette dénonciation, il lui appartient, pour apprécier l'existence d'un manquement à l'obligation de réserve et, le cas échéant, pour déterminer si la sanction est justifiée et proportionnée, de prendre en compte les agissements de l'administration dont le fonctionnaire s'estime victime ainsi que les conditions dans lesquelles ce dernier a dénoncé les faits, au regard notamment de la teneur des propos tenus, de leurs destinataires et des démarches qu'il aurait préalablement accomplies pour alerter sur sa situation.

10. Par un arrêté du 17 décembre 2015, le maire a infligé à Mme A... un blâme au motif que constituait un manquement à son devoir de réserve le courriel qu'elle lui avait envoyé, le 24 novembre 2015, ainsi qu'à treize élus municipaux, dans lequel elle dénonçait, en termes vifs, la manière injuste dont elle estimait être traitée. Toutefois, les termes employés dans ce message et sa diffusion au-delà de sa seule hiérarchie, qui doivent être appréciés au-regard de la situation de harcèlement moral que subissait Mme A..., agent de catégorie C, et de la circonstance qu'elle avait déjà tenté d'alerter le maire sans succès et que les destinataires de son message connaissaient les difficultés qu'elle rencontrait, ne caractérisent pas, dans les circonstances de l'espèce, un manquement à son devoir de réserve. Dès lors, la commune de Pont-du-Château n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé l'arrêté du 17 décembre 2015.

11. En troisième lieu, il appartient au juge, saisi d'un recours dirigé contre la décision de l'autorité administrative refusant d'accorder au fonctionnaire un avancement d'échelon avant qu'il ait atteint l'ancienneté maximale, de vérifier que cette autorité n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et en particulier de tous les éléments permettant d'apprécier sa valeur professionnelle, y compris lorsqu'il n'a pas été en mesure, au cours de la période courant depuis son accession à l'échelon dont il est titulaire, d'exercer ses fonctions pendant une durée significative.

12. Si Mme A... n'a travaillé, sur la période d'un peu plus de vingt-trois mois ayant couru entre sa promotion au 6ème échelon de son grade et l'arrêté du 22 février 2016 litigieux prononçant son avancement au 7ème échelon à l'ancienneté maximale, qu'une durée totale de quatre mois et demi et pour des durées consécutives inférieures à cinq semaines, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que ses absences sont consécutives à l'accident de travail, imputable au service, dont elle a été victime le 18 avril 2014 et au harcèlement moral qu'elle a subi, d'autre part, que Mme A... avait bénéficié d'un avancement au 6ème échelon à l'ancienneté minimale et d'évaluations antérieures favorables. Dès lors, la commune de Pont-du-Château n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé l'arrêté du 22 février 2016.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Pont-du-Château n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé l'arrêté du 17 décembre 2015 par lequel son maire a infligé un blâme à Mme A... ainsi que l'arrêté, notifié à l'intéressée le 22 février 2016, la promouvant au 7ème échelon à l'ancienneté maximale.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Pont-du-Château, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 4 000 euros à verser à Mme A..., au titre des frais exposés en appel et en cassation. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 29 juin 2022 est annulé.

Article 2 : Les conclusions d'appel de la commune de Pont-du-Château tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en tant qu'il a annulé les arrêtés du maire de Pont-du-Château des 17 décembre 2015 et 22 février 2016, ainsi que ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : La commune de Pont-du-Château versera à Mme A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à la commune de Pont-du-Château.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 septembre 2024 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; M. Philippe Ranquet, conseiller d'Etat et M. Nicolas Jau, auditeur-rapporteur.

Rendu le 25 septembre 2024.

Le président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
Le rapporteur :
Signé : M. Nicolas Jau
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova