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Ariane Web: Conseil d'État 470756, lecture du 30 juillet 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:470756.20240730

Décision n° 470756
30 juillet 2024
Conseil d'État

N° 470756
ECLI:FR:CECHR:2024:470756.20240730
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Didier Ribes, rapporteur
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du mardi 30 juillet 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. E... B..., M. C... F..., la société Batiserf Ingénierie, M. A... D..., la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue ont demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler, ou à défaut de résilier, le marché de maîtrise d'oeuvre conclu le 30 mars 2017 par la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo avec le groupement formé par les sociétés Rudy Ricciotti, mandataire, AA Group, Lasa et BET Certib pour la réhabilitation de l'ancienne caserne militaire de Latour-Maubourg et, d'autre part, de condamner la communauté d'agglomération à leur verser, respectivement, les sommes de 323 500,50 euros, 323 503,50 euros, 156 456 euros, 147 303 euros, 14 035 euros et 132 804 euros, assorties des intérêts moratoires, capitalisés, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de leur éviction de ce marché. Par un jugement nos 1703241, 1801333 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes.

Par un arrêt n° 20LY00105 du 24 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de M. B..., M. F..., la société Batiserf Ingénierie, M. D..., la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue, annulé ce jugement en ce qu'il rejette leurs demandes indemnitaires, condamné la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo à verser les sommes de 53 568 euros à M. B..., 53 569 euros à M. F..., 27 148 euros à la SARL Batiserf Ingénierie, 28 857 euros à M. D..., 2 745 euros à la société Acoustique Vivié et associés et 26 016 euros à la société Bureau Michel Forgue et rejeté le surplus des conclusions de l'appel.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 janvier et 6 avril 2023 et le 5 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. B..., M. F..., la société Batiserf Ingénierie, M. D..., la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue ;

3°) de mettre à la charge solidaire de M. B..., de M. F..., de la société Batiserf Ingénierie, de M. D..., de la société Acoustique Vivié et associés et de la société Bureau Michel Forgue la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de rejeter le pourvoi incident de M. B..., M. F..., la société Batiserf Ingénierie, M. D..., la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la communauté d'agglomération Valence Romans Agglomération et à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de M. B... et autres ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo a, par un avis d'appel public à la concurrence du 4 juillet 2016, lancé un concours restreint sur avant-projet sommaire en vue de la conclusion d'un marché de maîtrise d'oeuvre pour la réhabilitation de l'ancienne caserne militaire de Latour-Maubourg située à Valence et sa reconversion pour accueillir une médiathèque et des archives intercommunales. Ce marché a été attribué le 30 mars 2017 au groupement conjoint formé par la société Rudy Ricciotti, mandataire, et les sociétés AA Group, Certib et Lasa. Le tribunal administratif de Grenoble a été saisi par M. B..., mandataire, M. F..., la société Batiserf Ingénierie, M. D..., la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue, qui avaient formé ensemble un groupement dont l'offre n'a pas été retenue, d'une demande d'annulation ou, à défaut, de résiliation de ce marché et d'indemnisation du préjudice subi du fait de leur éviction. Par un jugement du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes. La communauté d'agglomération Valence Romans Agglo se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 24 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant que cet arrêt a, sur appel de M. B..., de M. F..., de la société Batiserf Ingénierie, de M. D..., de la société Acoustique Vivié et associés et de la société Bureau Michel Forgue, annulé ce jugement en tant qu'il avait rejeté leurs conclusions indemnitaires et fait partiellement droit à ces dernières. Le pourvoi de la communauté d'agglomération doit être regardé comme dirigé contre les articles 1er à 3 de cet arrêt, qui seuls font grief à la requérante. Pour leur part, M. B..., M. F..., la société Batiserf Ingénierie, M. D..., la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue ont formé un pourvoi incident contre cet arrêt.

Sur le pourvoi principal :

2. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation d'un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé ne peut, à l'appui du recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. Aux termes de l'article 8 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée alors en vigueur, relative aux marchés publics : " Le concours est un mode de sélection par lequel l'acheteur choisit, après mise en concurrence et avis d'un jury, (...) un projet, notamment dans le domaine (...) de l'urbanisme, de l'architecture (...) ". Aux termes de l'article 88 du décret du 25 mars 2016 susvisé alors en vigueur, relatif aux marchés publics : " I. - L'acheteur qui organise un concours défini à l'article 8 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée publie un avis de concours (...) II. (...) Lorsque le concours est restreint, l'acheteur établit des critères de sélection clairs et non discriminatoires des participants au concours. (...) III. - Le jury (...) examine les candidatures et formule un avis motivé sur celles-ci. Lorsque le concours est restreint, l'acheteur fixe la liste des candidats admis à concourir (...) Le jury examine les (...) projets présentés par les participants au concours de manière anonyme et en se fondant exclusivement sur les critères d'évaluation des projets définis dans l'avis de concours. Il consigne dans un procès-verbal, signé par ses membres, le classement des projets ainsi que ses observations et, le cas échéant, tout point nécessitant des éclaircissements et les questions qu'il envisage en conséquence de poser aux candidats concernés (...) IV. - L'acheteur choisit le ou les lauréats du concours au vu des procès-verbaux et de l'avis du jury (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'acheteur n'est pas tenu de suivre l'avis émis par le jury du concours et qu'il peut, notamment, porter son choix sur un candidat ayant participé au concours autre que celui classé premier par le jury.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo avait méconnu les dispositions précédemment citées en retenant l'offre du groupement dont la société Rudy Ricciotti était mandataire, qui avait été classée deuxième par le jury, et en écartant en conséquence celle du groupement de M. B... et autres, qui avait été classée première, la cour administrative d'appel, après avoir posé en principe que l'acheteur ne pouvait s'écarter de l'avis du jury qu'à condition d'être en mesure de justifier que les motifs qu'il privilégie " doivent manifestement prévaloir sur le classement établi " par le jury, a jugé que l'inversion du classement du jury n'était " pas manifestement justifiée pour les motifs invoqués par l'autorité adjudicatrice ". En statuant ainsi, alors qu'il ne résulte ni des dispositions précitées ni d'aucun principe général que l'acheteur ne pourrait s'écarter de l'avis du jury qu'à la condition que l'offre qu'il retient soit manifestement meilleure que celle proposée par le jury, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo est fondée à demander l'annulation des articles 1er à 3 de l'arrêt qu'elle attaque.

Sur le pourvoi incident :

7. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent M. B... et autres, la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les pièces du dossier en relevant que le marché avait été entièrement exécuté. Les conclusions de leur pourvoi incident dirigées contre l'article 4 de l'arrêt attaqué en tant qu'il rejette leurs conclusions d'appel tendant à la résiliation du marché ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

8. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que les conclusions du pourvoi incident formé par M. B... et autres dirigées contre les articles 1er à 3 de l'arrêt attaqué sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, dans la mesure de la cassation prononcée.

Sur le règlement au fond du litige :

10. En premier lieu, d'une part, il résulte de l'instruction que le groupement attributaire a proposé un coût global sur dix ans d'un montant de 779 297 euros hors taxes, alors que le groupement de M. B... et autres avait proposé un coût de 1 775 444 euros hors taxes. En se bornant à comparer les montants des deux offres et alors que le jury a estimé que l'ensemble des projets semblaient mal évalués, M. B... et autres ne démontrent pas que le coût global sur dix ans proposé par le groupement attributaire pour un bâtiment d'une surface de plus de 5 000 m2 serait manifestement sous-évalué. Par suite et sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'instruction, M. B... et autres n'établissent pas que l'offre retenue serait irrégulière pour ce motif. D'autre part, il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Grenoble au point 7 de son jugement, d'écarter le moyen tiré de ce que l'offre retenue n'était pas régulière en raison d'une sous-évaluation du coût des travaux.

11. En second lieu, par un courrier en date du 16 février 2017, la communauté d'agglomération a informé le groupement dont M. B... est mandataire que, malgré son classement au premier rang par le jury, sa proposition avait été rejetée au motif que " malgré un parti architectural très respectueux du site et un coût global satisfaisant, le projet dépassait substantiellement l'enveloppe prévisionnelle fixée et nécessiterait de lourdes adaptations fonctionnelles ". Il résulte de l'instruction d'une part que leur offre, d'un montant de 11 239 822 euros hors taxes (HT) dépassait l'enveloppe prévisionnelle des travaux, que le règlement du concours avait fixée au stade de l'offre à 10,6 millions d'euros en précisant qu'elle constituait un plafond, d'autre part que le projet des requérants reposait sur un parti architectural comportant un important percement de la façade Nord en rez-de-chaussée, la suppression totale des murs de refend et la création d'un grand escalier central monumental. En rejetant pour ces motifs l'offre du groupement dont M. B... était mandataire et en choisissant un autre projet présenté au concours, la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation. Les conclusions d'appel de M. B... et autres doivent, par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité, être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B..., de M. F..., de la société Batiserf Ingénierie, de M. D..., de la société Acoustique Vivié et associés et de la société Bureau Michel Forgue une somme de 500 euros chacun à verser à la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour les instances d'appel et de cassation.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt du 24 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Lyon sont annulés.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi incident de M. B..., M. F..., la société Batiserf Ingénierie, M. D..., la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue tendant à l'annulation des articles 1er à 3 de l'arrêt du 24 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Lyon. Les conclusions de ce même pourvoi incident dirigées contre l'article 4 du même arrêt sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions indemnitaires présentées par M. B..., M. F..., la société Batiserf Ingénierie, M. D..., la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue devant la cour administrative d'appel de Lyon sont rejetées.
Article 4 : M. B..., M. F..., la société Batiserf Ingénierie, M. D..., la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue verseront chacun à la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par M B..., M. F..., la société Batiserf Ingénierie, M. D..., la société Acoustique Vivié et associés et la société Bureau Michel Forgue au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la communauté d'agglomération Valence Romans agglomération et à M. E... B..., représentant unique, pour l'ensemble des défendeurs.


Voir aussi