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Ariane Web: Conseil d'État 491690, lecture du 19 juillet 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:491690.20240719

Décision n° 491690
19 juillet 2024
Conseil d'État

N° 491690
ECLI:FR:CECHR:2024:491690.20240719
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Christophe Chantepy, président
M. Bastien Lignereux, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique


Lecture du vendredi 19 juillet 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 13 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du
7 novembre 1958, M. et Mme A... demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur pourvoi dirigé contre l'arrêt n° 22PA04951 du 8 décembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur appel formé contre l'ordonnance n° 2214486 du 19 septembre 2022 par laquelle le vice-président de la deuxième section du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2014 et 2015 ainsi que des pénalités correspondantes, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Descorps-Declère, avocat de M. et Mme A... ;



Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. D'une part, aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / (...) 4° (...) les impôts à la charge de l'entreprise, mis en recouvrement au cours de l'exercice (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales : " En cas de vérification simultanée des taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées, de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, le supplément de taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées afférent à un exercice donné est déduit, pour l'assiette de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, des résultats du même exercice, sauf demande expresse des contribuables, formulée dans le délai qui leur est imparti pour répondre à la proposition de rectification. (...) ". Aux termes des troisième et sixième alinéas du même article : " Les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent, dans la mesure où le bénéfice correspondant aux rectifications effectuées est considéré comme distribué, par application des articles 109 et suivants du code général des impôts, à des associés ou actionnaires dont le domicile ou le siège est situé en France, demander que l'impôt sur le revenu supplémentaire dû par les bénéficiaires en raison de cette distribution soit établi sur le montant du rehaussement soumis à l'impôt sur les sociétés diminué du montant de ce dernier impôt. / (...) L'imputation prévue aux troisième et quatrième alinéas est soumise à la condition que les associés ou actionnaires reversent dans la caisse sociale les sommes nécessaires au paiement des taxes sur le chiffre d'affaires et des taxes assimilées, de l'impôt sur les sociétés et de la retenue à la source sur les revenus de capitaux mobiliers se rapportant aux sommes qui leur ont été distribuées ".

2. En application de ces dispositions, pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés, le rappel de taxe sur la valeur ajoutée afférent à la réalisation de recettes dissimulées réalisées au cours d'un exercice donné est en principe, en vertu des dispositions du 4° du 1 de l'article 39 du code général des impôts citées au point 1, déductible des résultats de l'exercice au cours duquel il est mis en recouvrement. Par dérogation, le premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales prévoit qu'en cas de vérification simultanée au regard de l'impôt sur les sociétés et des taxes sur le chiffre d'affaires, ce rappel est déduit des résultats de l'exercice vérifié, sauf à ce que la société s'oppose à l'application des dispositions de ce dernier article.

3. D'autre part, aux termes du 1 de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices. / Les sommes imposables sont déterminées pour chaque période retenue pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés par la comparaison des bilans de clôture de ladite période et de la période précédente selon des modalités fixées par décret en conseil d'Etat ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés. / (...) ".

4. En application des dispositions de l'article 110 du code général des impôts citées au point 3, le montant susceptible d'être regardé comme distribué entre les mains d'un associé sur le fondement des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 de ce code se limite au rehaussement du résultat de l'exercice vérifié retenu pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés de la société distributrice.

5. Il résulte des dispositions citées aux points 1 et 3 que lorsque le rappel de taxe sur la valeur ajoutée n'a pas été déduit des résultats de l'exercice vérifié retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés de la société distributrice par application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales, mais a été déduit de ceux de l'exercice de sa mise en recouvrement par application du 4° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, le montant regardé comme distribué entre les mains de l'associé sur le fondement des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 de ce code s'entend de la totalité des recettes dissimulées, en ce compris le rappel de taxe sur la valeur ajoutée correspondant. Il appartient dans ce cas à l'administration d'établir l'appréhension de ces sommes par l'associé, cette appréhension étant toutefois présumée lorsque ce dernier est le maître de l'affaire.

6. En revanche, lorsque ce rappel a été déduit des résultats de l'exercice vérifié retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés de la société distributrice par application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales, le montant regardé comme distribué sur le fondement des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts se limite au montant calculé hors taxe des recettes dissimulées. Toutefois, le rappel de taxe sur la valeur ajoutée due sur ces recettes est imposable entre les mains de l'associé sur le fondement du 2° du 1 de cet article 109, à condition que l'administration établisse que cette somme a été mise à sa disposition.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

7. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

8. A l'appui de leur pourvoi, M. et Mme A... demandent que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts cité au point 3. Ils soutiennent que ces dispositions méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ainsi que le droit de propriété dès lors qu'en vertu de l'interprétation constante que leur aurait donnée la jurisprudence, elles permettraient à l'administration fiscale de regarder comme distribué non seulement le montant hors taxes des recettes dissimulées par la société, mais également le montant de la taxe sur la valeur ajoutée due sur ces recettes, même lorsque ce second montant a été déduit des résultats de l'exercice vérifié retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés de la société distributrice en application du premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales.

9. En premier lieu, aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". L'exigence de prise en compte des facultés contributives, qui résulte du principe d'égalité devant les charges publiques, implique qu'en principe, lorsque la perception d'un revenu ou d'une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource. S'il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscale, de telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs.

10. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que, lorsque les dispositions du premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales ont été appliquées, le montant correspondant au rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société n'est susceptible d'être regardé comme distribué que sur le fondement des dispositions du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, et non sur le fondement de celles du 1° du même 1 dont M. et Mme A... contestent la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit. Au demeurant, l'imposition susceptible d'être mise à la charge de l'associé à ce titre sur le fondement du 2° du 1 de cet article est en relation avec ses facultés contributives dès lors qu'elle suppose qu'il ait disposé des sommes en cause.

11. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 5, si le montant correspondant au rappel de taxe sur la valeur ajoutée est susceptible d'être regardé comme distribué sur le fondement des dispositions contestées du 1° du 1 de cet article 109 lorsque le premier alinéa de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales n'a pas été appliqué, l'administration ne peut toutefois en principe imposer ces sommes au nom de leur bénéficiaire qu'en démontrant qu'il les a effectivement appréhendées. Si, par exception, cette appréhension est présumée lorsque le bénéficiaire est imposé sur le fondement de ces dispositions en sa qualité de seul maître de l'affaire, n'est toutefois qualifiée comme telle que la personne qui exerce la responsabilité effective de l'ensemble de la gestion administrative, commerciale et financière de la société et dispose sans contrôle de ses fonds. En outre, le maître de l'affaire reste recevable à démontrer que le revenu qu'il est réputé avoir appréhendé n'était pas disponible au titre de l'année de la distribution imposable. Par suite, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme A..., l'interprétation jurisprudentielle des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts ne conduit pas à imposer le bénéficiaire sur une somme dont il ne dispose pas.

12. Ces dispositions ne conférant, par ailleurs, par elles-mêmes, aucun caractère confiscatoire aux impositions prélevées sur leur fondement, il en résulte que le grief tiré d'une méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques ne saurait être regardé comme sérieux.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

14. M. et Mme A... soutiennent que, lorsqu'il a la qualité de seul maître de l'affaire, le bénéficiaire des revenus distribués correspondant au rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société serait, dès lors que ces revenus seraient imposables sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, traité différemment, sans justification, de l'associé entre les mains duquel des distributions sont imposées sur le fondement du 2° du 1 de cet article, pour lequel il incombe à l'administration d'établir que ces distributions ont été mises à sa disposition, la circonstance qu'il soit le maître de l'affaire étant à cet égard sans incidence.

15. Toutefois, les dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts ont pour objet même de permettre l'imposition de tout bénéfice réputé distribué qui n'a pas été mis en réserve ou incorporé au capital de la société, même lorsque l'identité de son bénéficiaire n'est pas connue, alors que celles du 2° du 1 du même article ont pour objet d'imposer des sommes mises à la disposition d'associés ou actionnaires identifiés par l'administration. Ainsi, au regard de l'objet des dispositions contestées, le maître de l'affaire, qui est réputé avoir appréhendé les bénéfices de la société, ne se trouve pas dans la même situation que l'associé à la disposition duquel ont été mises des sommes distribuées par cette société et qui est imposé sur le fondement du 2° de ce 1. Il suit de là que la différence de traitement qui résulte des dispositions contestées n'est pas contraire au principe d'égalité.

16. Enfin, l'imposition du bénéficiaire de sommes réputées distribuées, à raison de recettes dissimulées incluant un montant correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée non acquittée par la société, n'emporte aucune privation de propriété. Dès lors qu'elle s'effectue sur le fondement des règles de liquidation de l'impôt sur le revenu de droit commun et prend ainsi en compte leurs facultés contributives, elle ne porte pas davantage atteinte au droit de propriété des contribuables. Il en résulte que le grief tiré d'une méconnaissance des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne présente pas un caractère sérieux.

17. Il s'ensuit que la question de constitutionnalité soulevée par M. et Mme A..., qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a, par suite, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme A....
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme C... et B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 juin 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Bastien Lignereux, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 19 juillet 2024.


Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Bastien Lignereux
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


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