Conseil d'État
N° 488161
ECLI:FR:CECHR:2024:488161.20240719
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Marie Prévot, rapporteure
Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX, avocats
Lecture du vendredi 19 juillet 2024
Vu la procédure suivante :
La commune de Saint-Aubin a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant de 1 473 731 euros en réparation du préjudice subi par elle du fait de l'insuffisance de recouvrement des taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties dues par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, ainsi que par la société civile Synchrotron soleil, au titre des années 2016 et 2017 à raison de leurs propriétés situées sur son territoire. Par un jugement n° 1902909 du 28 octobre 2021, ce tribunal a reconnu la responsabilité de l'Etat et renvoyé la commune de Saint-Aubin devant l'administration fiscale pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnisation de son préjudice.
Par un arrêt n° 21VE03463 du 11 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Versailles a fait droit à l'appel formé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique contre les articles 2 à 4 de ce jugement, et rejeté la demande de la commune de Saint-Aubin.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 septembre et 8 décembre 2023 et le 27 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Saint-Aubin demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de rejeter l'appel du ministre, de faire droit à ses conclusions d'appel et de condamner l'Etat au paiement de la somme de 1 473 731 euros au titre de la réparation des préjudices subis ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la recherche ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la commune de Saint-Aubin ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui dispose sur le territoire de la commune de Saint-Aubin de propriétés bâties et non bâties, a bénéficié, au titre des années 2016 et 2017, d'une exonération de cotisations de taxes foncières sur les parties de ces propriétés qui n'étaient pas productives de revenus. Estimant cette exonération constitutive d'une faute dans l'établissement de l'assiette de l'impôt, la commune de Saint-Aubin a demandé à l'Etat, par réclamation du 14 décembre 2018, le versement d'une indemnité en réparation du préjudice résultant de l'insuffisance des cotisations établies au titre de ces deux années. Par un jugement du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser à la commune de Saint-Aubin une indemnité dont il a déterminé les modalités de calcul et renvoyé celle-ci devant l'administration fiscale pour qu'il en soit procédé à la liquidation. La commune de Saint-Aubin se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 juillet 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a annulé les articles 2 à 4 de ce jugement et rejeté la demande de la commune.
2. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice. Un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir versé à cette collectivité ou à cette personne des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement à son profit. L'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.
3. Le 1° de l'article 1382 du code général des impôts dispose que sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties " les immeubles nationaux, les immeubles régionaux, les immeubles départementaux pour les taxes perçues par les communes et par le département auquel ils appartiennent et les immeubles communaux pour les taxes perçues par les départements et par la commune à laquelle ils appartiennent, lorsqu'ils sont affectés à un service public ou d'utilité générale et non productifs de revenus (...) / (...) cette exonération n'est pas applicable aux immeubles qui appartiennent à des établissements publics autres que (...) les établissements publics scientifiques, d'enseignement et d'assistance (...) ni aux organismes de l'Etat, des départements ou des communes ayant un caractère industriel ou commercial". En vertu du septième alinéa du 2° de l'article 1394 du code général des impôts, n'est pas applicable l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties que prévoit cet article, " aux propriétés des établissements publics autres que les établissements scientifiques, d'enseignement et d'assistance, ni à celles des organismes de l'Etat, des départements ou des communes, ayant un caractère industriel ou commercial (...) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 332-1 du code de la recherche : " Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives est un établissement à caractère scientifique, technique et industriel, doté de la personnalité morale ainsi que de l'autonomie administrative et financière ". Cet établissement, qui appartient à la catégorie des établissements publics à caractère industriel et commercial, n'entre pas dans le champ de ceux qui bénéficient, en application des articles 1382 et 1394 du code général des impôts, d'une exonération de taxe foncière de leurs propriétés bâties et non bâties affectées à un service public ou d'utilité générale et non productives de revenus.
4. La cour s'est fondée, pour juger que la circonstance que les services fiscaux n'avaient pas spontanément procédé à l'assujettissement à la taxe foncière du CEA à raison des immeubles et propriétés non productifs de revenus avant l'expiration du délai de reprise n'était pas, à elle seule, de nature à caractériser une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, sur l'absence de circonstances particulières qui auraient dû nécessairement conduire l'administration à réexaminer la situation de cet organisme.
5. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la faute invoquée procédait non d'une abstention des services fiscaux à contrôler les éléments déclarés par le CEA, mais de l'application erronée par l'administration fiscale, au regard des textes cités au point 3, d'une exonération tenant au seul statut de cet établissement public. La cour, qui n'avait alors à rechercher ni si la commune avait signalé cette erreur dans le délai de reprise, ni s'il existait des circonstances particulières devant conduire à une rectification spontanée des bases d'imposition de l'assujetti, s'est fondée, pour écarter l'existence de cette faute, sur des circonstances inopérantes et a, par suite, entaché son arrêt d'une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que la commune de Saint-Aubin est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la commune de Saint-Aubin de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les articles 2 et 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 11 juillet 2023 sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera à la commune de Saint-Aubin la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Aubin et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 19 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Marie Prévot
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle
N° 488161
ECLI:FR:CECHR:2024:488161.20240719
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Marie Prévot, rapporteure
Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX, avocats
Lecture du vendredi 19 juillet 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La commune de Saint-Aubin a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant de 1 473 731 euros en réparation du préjudice subi par elle du fait de l'insuffisance de recouvrement des taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties dues par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, ainsi que par la société civile Synchrotron soleil, au titre des années 2016 et 2017 à raison de leurs propriétés situées sur son territoire. Par un jugement n° 1902909 du 28 octobre 2021, ce tribunal a reconnu la responsabilité de l'Etat et renvoyé la commune de Saint-Aubin devant l'administration fiscale pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnisation de son préjudice.
Par un arrêt n° 21VE03463 du 11 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Versailles a fait droit à l'appel formé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique contre les articles 2 à 4 de ce jugement, et rejeté la demande de la commune de Saint-Aubin.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 septembre et 8 décembre 2023 et le 27 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Saint-Aubin demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de rejeter l'appel du ministre, de faire droit à ses conclusions d'appel et de condamner l'Etat au paiement de la somme de 1 473 731 euros au titre de la réparation des préjudices subis ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la recherche ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la commune de Saint-Aubin ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui dispose sur le territoire de la commune de Saint-Aubin de propriétés bâties et non bâties, a bénéficié, au titre des années 2016 et 2017, d'une exonération de cotisations de taxes foncières sur les parties de ces propriétés qui n'étaient pas productives de revenus. Estimant cette exonération constitutive d'une faute dans l'établissement de l'assiette de l'impôt, la commune de Saint-Aubin a demandé à l'Etat, par réclamation du 14 décembre 2018, le versement d'une indemnité en réparation du préjudice résultant de l'insuffisance des cotisations établies au titre de ces deux années. Par un jugement du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser à la commune de Saint-Aubin une indemnité dont il a déterminé les modalités de calcul et renvoyé celle-ci devant l'administration fiscale pour qu'il en soit procédé à la liquidation. La commune de Saint-Aubin se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 juillet 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a annulé les articles 2 à 4 de ce jugement et rejeté la demande de la commune.
2. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice. Un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir versé à cette collectivité ou à cette personne des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement à son profit. L'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.
3. Le 1° de l'article 1382 du code général des impôts dispose que sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties " les immeubles nationaux, les immeubles régionaux, les immeubles départementaux pour les taxes perçues par les communes et par le département auquel ils appartiennent et les immeubles communaux pour les taxes perçues par les départements et par la commune à laquelle ils appartiennent, lorsqu'ils sont affectés à un service public ou d'utilité générale et non productifs de revenus (...) / (...) cette exonération n'est pas applicable aux immeubles qui appartiennent à des établissements publics autres que (...) les établissements publics scientifiques, d'enseignement et d'assistance (...) ni aux organismes de l'Etat, des départements ou des communes ayant un caractère industriel ou commercial". En vertu du septième alinéa du 2° de l'article 1394 du code général des impôts, n'est pas applicable l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties que prévoit cet article, " aux propriétés des établissements publics autres que les établissements scientifiques, d'enseignement et d'assistance, ni à celles des organismes de l'Etat, des départements ou des communes, ayant un caractère industriel ou commercial (...) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 332-1 du code de la recherche : " Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives est un établissement à caractère scientifique, technique et industriel, doté de la personnalité morale ainsi que de l'autonomie administrative et financière ". Cet établissement, qui appartient à la catégorie des établissements publics à caractère industriel et commercial, n'entre pas dans le champ de ceux qui bénéficient, en application des articles 1382 et 1394 du code général des impôts, d'une exonération de taxe foncière de leurs propriétés bâties et non bâties affectées à un service public ou d'utilité générale et non productives de revenus.
4. La cour s'est fondée, pour juger que la circonstance que les services fiscaux n'avaient pas spontanément procédé à l'assujettissement à la taxe foncière du CEA à raison des immeubles et propriétés non productifs de revenus avant l'expiration du délai de reprise n'était pas, à elle seule, de nature à caractériser une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, sur l'absence de circonstances particulières qui auraient dû nécessairement conduire l'administration à réexaminer la situation de cet organisme.
5. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la faute invoquée procédait non d'une abstention des services fiscaux à contrôler les éléments déclarés par le CEA, mais de l'application erronée par l'administration fiscale, au regard des textes cités au point 3, d'une exonération tenant au seul statut de cet établissement public. La cour, qui n'avait alors à rechercher ni si la commune avait signalé cette erreur dans le délai de reprise, ni s'il existait des circonstances particulières devant conduire à une rectification spontanée des bases d'imposition de l'assujetti, s'est fondée, pour écarter l'existence de cette faute, sur des circonstances inopérantes et a, par suite, entaché son arrêt d'une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que la commune de Saint-Aubin est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la commune de Saint-Aubin de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les articles 2 et 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 11 juillet 2023 sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera à la commune de Saint-Aubin la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Aubin et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 19 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Marie Prévot
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle