Conseil d'État
N° 479613
ECLI:FR:CECHR:2024:479613.20240710
Publié au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Cyrille Beaufils, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public
SAS HANNOTIN AVOCATS, avocats
Lecture du mercredi 10 juillet 2024
Vu la procédure suivante :
Mme C... et M. A... B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes à leur verser respectivement et à titre provisionnel les sommes de 50 372,25 euros et de 3 000 euros en réparation des préjudices que leur a causé l'intervention chirurgicale subie par Mme B... le 2 février 2006. Par une ordonnance n° 1902158 du 26 novembre 2019, le président du tribunal administratif a condamné le CHU de Rennes à verser les sommes provisionnelles de 50 372,25 euros à Mme B... et de 1 000 euros à M. B.... Il a également condamné la société Zimmer GMBH à garantir le CHU de Rennes de ces condamnations.
Par un arrêt n° 20NT00460 du 6 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de la société Zimmer GMBH, annulé cette ordonnance en tant qu'elle condamne cette société à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre.
Par une décision n° 446692 du 25 mai 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il omet de statuer sur la responsabilité pour faute de la société Zimmer GMBH et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nantes.
Par un arrêt n° 22NT01608 du 21 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Nantes, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a annulé l'ordonnance du 26 novembre 2019 en tant qu'elle condamne la société Zimmer GMBH à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 et 22 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le CHU de Rennes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé-provision, de condamner la société Zimmer GMBH à le garantir des sommes mises, à titre provisionnel, à sa charge par l'ordonnance du 26 novembre 2019 ;
3°) de mettre à la charge de la société Zimmer GMBH la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ;
- le code civil ;
- la code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier régional universitaire de Rennes et à la SAS Hannotin avocats, avocat de la société Zimmer GMBH.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... a subi en 2006 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes une intervention chirurgicale consistant en la pose d'une prothèse totale du genou droit. Faisant état de douleurs résiduelles importantes et de troubles fonctionnels, qui ont conduit au remplacement de sa prothèse en juin 2013, elle a, ainsi que son époux, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier au versement d'une provision. Par une ordonnance du 26 novembre 2019, le président du tribunal administratif de Rennes a condamné le CHU de Rennes à verser aux requérants diverses sommes et a, en outre, condamné la société Zimmer GMBH, venant aux droits de la société fabricante de la prothèse, à garantir le centre hospitalier de cette condamnation. Par l'arrêt du 21 juillet 2023 contre lequel le CHU de Rennes se pourvoit en cassation, la cour a annulé l'ordonnance du 26 novembre 2019 en tant qu'elle condamne cette société à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre.
Sur le droit applicable :
2. D'une part, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise, y compris lorsqu'il implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient.
3. D'autre part, aux termes de l'article 1245-3 du code civil, issu de la transposition de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux : " Un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. / Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation. (...) ". Aux termes de l'article 1245-15 du même code : " Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent chapitre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice ". Aux termes de l'article 1245-17 du même code, également issu de cette transposition : " Les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. / Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond ".
4. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un établissement de santé a, en raison de ce que sa responsabilité était engagée, en vertu de la règle rappelée au point 2, indemnisé un patient des dommages ayant résulté de l'utilisation, lors de soins pratiqués dans l'établissement, d'un produit de santé défectueux, il a la possibilité de rechercher, à titre récursoire, la responsabilité du producteur de ce produit sur le fondement particulier des dispositions des articles 1245 à 1245-17 du code civil. Il est par ailleurs loisible à l'établissement de santé, s'il s'y croit fondé, d'engager une action récursoire contre le producteur de ce produit en invoquant la responsabilité pour faute de ce dernier.
5. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité du producteur peut être mise en cause sur un fondement distinct de celui prévu aux articles 1245 à 1245-17 du code civil si, indépendamment de la circonstance que le produit n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, ses agissements présentent un caractère fautif. Il peut en aller ainsi, notamment, du fait du maintien en circulation d'un produit dont le producteur connaît le défaut ou encore d'un manquement de celui-ci à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit. Une telle faute peut également être caractérisée en cas de manquement du producteur à son devoir d'information ou de négligence dans l'élaboration du produit faute de respecter les règles de l'art ou une norme technique applicable.
Sur le litige :
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour estimer que la créance qui naîtrait, en application du principe exposé au point 5 ci-dessus, d'une faute de la société Zimmer GMBH, ne présentait pas, en l'état de l'instruction, un caractère non sérieusement contestable, la cour s'est fondée sur les circonstances tenant à ce que, d'une part, le défaut du produit n'était pas connu à la date à laquelle la prothèse a été implantée à Mme B... en 2006 et à ce que, d'autre part, après avoir été informée du problème par la société Zimmer GMBH lors de sa découverte en 2010, l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé, à laquelle il incombait d'assurer la mise en oeuvre des systèmes de vigilance et d'informer les professionnels de santé du problème de sécurité sur lequel elle avait été alertée, a estimé que ce défaut ne représentait pas un risque suffisamment important d'usure prématurée pour justifier la diffusion de cette information auprès des chirurgiens français.
7. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'usure prématurée de la prothèse tibiale de type Wallaby I implantée à Mme B... trouve son origine dans le choix, par son fabricant, d'un conditionnement inapproprié, perméable à l'oxygène et causant ainsi, pendant le stockage, la dégradation et l'usure prématurée du polyéthylène dont est constituée la prothèse en cause. Il en résulte également que ce défaut ne présente pas un caractère isolé mais a affecté, pendant plusieurs années, l'ensemble des prothèses qu'il a commercialisées. Par suite, en estimant que de tels agissements, constitutifs d'une négligence fautive du producteur, ne caractérisaient pas une créance non sérieusement contestable, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen du pourvoi, que le CHU de Rennes est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
10. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que le producteur de la prothèse implantée à Mme B..., aux droits duquel vient la société Zimmer GMBH, doit être regardé comme ayant commis, dans le choix de l'emballage dans lequel était commercialisée cette prothèse, une négligence constitutive d'une faute susceptible d'engager sa responsabilité sur un fondement distinct de celui prévu aux articles 1245 à 1245-17 du code civil, sans que la société Zimmer GMBH puisse utilement se prévaloir des agissements de son sous-traitant.
11. D'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Rennes que, si Mme B... a présenté des douleurs au genou droit dès 2004, ces douleurs ont persisté et se sont intensifiées à la suite de l'intervention chirurgicale de 2006 et que, par ailleurs, des épanchements récidivants, s'expliquant par des réactions à des corps étrangers, se sont manifestés. Il en résulte également que la mauvaise qualité du polyéthylène de la prothèse, reconnue par la société Zimmer GMBH, en est la cause principale et que la révision précoce de la prothèse en juin 2013 a conduit au constat d'une usure prématurée résultant de la stérilisation dans des sachets non appropriés.
12. Par suite, la faute du producteur, dont l'invocation en appel n'est pas nouvelle, présente un lien direct et certain avec les dommages subis par Mme B... et au titre desquels le CHU de Rennes a été condamné, par l'ordonnance du 26 novembre 2019 du tribunal administratif de Rennes, à verser une provision à M. et Mme B....
13. Il résulte de ce qui précède que la société Zimmer GMBH n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son ordonnance du 26 novembre 2019, le tribunal administratif l'a condamnée à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du CHU de Rennes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Zimmer GMBH la somme de 3 000 euros à verser au CHU de Rennes au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 21 juillet 2023 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : La requête de la société Zimmer GMBH dirigée contre l'ordonnance du 26 novembre 2019 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'elle la condamne à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre est rejetée.
Article 3 : La société Zimmer GMBH versera au CHU de Rennes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Zimmer GMBH au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier universitaire de Rennes et à la société Zimmer GMBH.
Délibéré à l'issue de la séance du 24 mai 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 10 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Cyrille Beaufils
La secrétaire :
Signé : Mme Anne-Lise Calvaire
N° 479613
ECLI:FR:CECHR:2024:479613.20240710
Publié au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Cyrille Beaufils, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public
SAS HANNOTIN AVOCATS, avocats
Lecture du mercredi 10 juillet 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme C... et M. A... B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes à leur verser respectivement et à titre provisionnel les sommes de 50 372,25 euros et de 3 000 euros en réparation des préjudices que leur a causé l'intervention chirurgicale subie par Mme B... le 2 février 2006. Par une ordonnance n° 1902158 du 26 novembre 2019, le président du tribunal administratif a condamné le CHU de Rennes à verser les sommes provisionnelles de 50 372,25 euros à Mme B... et de 1 000 euros à M. B.... Il a également condamné la société Zimmer GMBH à garantir le CHU de Rennes de ces condamnations.
Par un arrêt n° 20NT00460 du 6 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de la société Zimmer GMBH, annulé cette ordonnance en tant qu'elle condamne cette société à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre.
Par une décision n° 446692 du 25 mai 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il omet de statuer sur la responsabilité pour faute de la société Zimmer GMBH et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nantes.
Par un arrêt n° 22NT01608 du 21 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Nantes, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a annulé l'ordonnance du 26 novembre 2019 en tant qu'elle condamne la société Zimmer GMBH à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 et 22 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le CHU de Rennes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé-provision, de condamner la société Zimmer GMBH à le garantir des sommes mises, à titre provisionnel, à sa charge par l'ordonnance du 26 novembre 2019 ;
3°) de mettre à la charge de la société Zimmer GMBH la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ;
- le code civil ;
- la code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier régional universitaire de Rennes et à la SAS Hannotin avocats, avocat de la société Zimmer GMBH.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... a subi en 2006 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes une intervention chirurgicale consistant en la pose d'une prothèse totale du genou droit. Faisant état de douleurs résiduelles importantes et de troubles fonctionnels, qui ont conduit au remplacement de sa prothèse en juin 2013, elle a, ainsi que son époux, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier au versement d'une provision. Par une ordonnance du 26 novembre 2019, le président du tribunal administratif de Rennes a condamné le CHU de Rennes à verser aux requérants diverses sommes et a, en outre, condamné la société Zimmer GMBH, venant aux droits de la société fabricante de la prothèse, à garantir le centre hospitalier de cette condamnation. Par l'arrêt du 21 juillet 2023 contre lequel le CHU de Rennes se pourvoit en cassation, la cour a annulé l'ordonnance du 26 novembre 2019 en tant qu'elle condamne cette société à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre.
Sur le droit applicable :
2. D'une part, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise, y compris lorsqu'il implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient.
3. D'autre part, aux termes de l'article 1245-3 du code civil, issu de la transposition de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux : " Un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. / Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation. (...) ". Aux termes de l'article 1245-15 du même code : " Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent chapitre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice ". Aux termes de l'article 1245-17 du même code, également issu de cette transposition : " Les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. / Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond ".
4. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un établissement de santé a, en raison de ce que sa responsabilité était engagée, en vertu de la règle rappelée au point 2, indemnisé un patient des dommages ayant résulté de l'utilisation, lors de soins pratiqués dans l'établissement, d'un produit de santé défectueux, il a la possibilité de rechercher, à titre récursoire, la responsabilité du producteur de ce produit sur le fondement particulier des dispositions des articles 1245 à 1245-17 du code civil. Il est par ailleurs loisible à l'établissement de santé, s'il s'y croit fondé, d'engager une action récursoire contre le producteur de ce produit en invoquant la responsabilité pour faute de ce dernier.
5. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité du producteur peut être mise en cause sur un fondement distinct de celui prévu aux articles 1245 à 1245-17 du code civil si, indépendamment de la circonstance que le produit n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, ses agissements présentent un caractère fautif. Il peut en aller ainsi, notamment, du fait du maintien en circulation d'un produit dont le producteur connaît le défaut ou encore d'un manquement de celui-ci à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit. Une telle faute peut également être caractérisée en cas de manquement du producteur à son devoir d'information ou de négligence dans l'élaboration du produit faute de respecter les règles de l'art ou une norme technique applicable.
Sur le litige :
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour estimer que la créance qui naîtrait, en application du principe exposé au point 5 ci-dessus, d'une faute de la société Zimmer GMBH, ne présentait pas, en l'état de l'instruction, un caractère non sérieusement contestable, la cour s'est fondée sur les circonstances tenant à ce que, d'une part, le défaut du produit n'était pas connu à la date à laquelle la prothèse a été implantée à Mme B... en 2006 et à ce que, d'autre part, après avoir été informée du problème par la société Zimmer GMBH lors de sa découverte en 2010, l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé, à laquelle il incombait d'assurer la mise en oeuvre des systèmes de vigilance et d'informer les professionnels de santé du problème de sécurité sur lequel elle avait été alertée, a estimé que ce défaut ne représentait pas un risque suffisamment important d'usure prématurée pour justifier la diffusion de cette information auprès des chirurgiens français.
7. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'usure prématurée de la prothèse tibiale de type Wallaby I implantée à Mme B... trouve son origine dans le choix, par son fabricant, d'un conditionnement inapproprié, perméable à l'oxygène et causant ainsi, pendant le stockage, la dégradation et l'usure prématurée du polyéthylène dont est constituée la prothèse en cause. Il en résulte également que ce défaut ne présente pas un caractère isolé mais a affecté, pendant plusieurs années, l'ensemble des prothèses qu'il a commercialisées. Par suite, en estimant que de tels agissements, constitutifs d'une négligence fautive du producteur, ne caractérisaient pas une créance non sérieusement contestable, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen du pourvoi, que le CHU de Rennes est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
10. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que le producteur de la prothèse implantée à Mme B..., aux droits duquel vient la société Zimmer GMBH, doit être regardé comme ayant commis, dans le choix de l'emballage dans lequel était commercialisée cette prothèse, une négligence constitutive d'une faute susceptible d'engager sa responsabilité sur un fondement distinct de celui prévu aux articles 1245 à 1245-17 du code civil, sans que la société Zimmer GMBH puisse utilement se prévaloir des agissements de son sous-traitant.
11. D'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Rennes que, si Mme B... a présenté des douleurs au genou droit dès 2004, ces douleurs ont persisté et se sont intensifiées à la suite de l'intervention chirurgicale de 2006 et que, par ailleurs, des épanchements récidivants, s'expliquant par des réactions à des corps étrangers, se sont manifestés. Il en résulte également que la mauvaise qualité du polyéthylène de la prothèse, reconnue par la société Zimmer GMBH, en est la cause principale et que la révision précoce de la prothèse en juin 2013 a conduit au constat d'une usure prématurée résultant de la stérilisation dans des sachets non appropriés.
12. Par suite, la faute du producteur, dont l'invocation en appel n'est pas nouvelle, présente un lien direct et certain avec les dommages subis par Mme B... et au titre desquels le CHU de Rennes a été condamné, par l'ordonnance du 26 novembre 2019 du tribunal administratif de Rennes, à verser une provision à M. et Mme B....
13. Il résulte de ce qui précède que la société Zimmer GMBH n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son ordonnance du 26 novembre 2019, le tribunal administratif l'a condamnée à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du CHU de Rennes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Zimmer GMBH la somme de 3 000 euros à verser au CHU de Rennes au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 21 juillet 2023 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : La requête de la société Zimmer GMBH dirigée contre l'ordonnance du 26 novembre 2019 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'elle la condamne à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre est rejetée.
Article 3 : La société Zimmer GMBH versera au CHU de Rennes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Zimmer GMBH au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier universitaire de Rennes et à la société Zimmer GMBH.
Délibéré à l'issue de la séance du 24 mai 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 10 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Cyrille Beaufils
La secrétaire :
Signé : Mme Anne-Lise Calvaire