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Décision n° 475635
8 juillet 2024
Conseil d'État

N° 475635
ECLI:FR:CECHR:2024:475635.20240708
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Sophie Delaporte, rapporteure
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP JEAN-PHILIPPE CASTON;SCP GURY & MAITRE, avocats


Lecture du lundi 8 juillet 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

Le syndicat des copropriétaires du 133 boulevard Saint-Michel à Paris et Mme E... A... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 10 décembre 2020 par lequel la maire de Paris a accordé un permis de construire à la société civile immobilière (SCI) Mousseau pour la réhabilitation d'un bâtiment et la construction de deux bâtiments boulevard Saint-Michel à Paris (5ème arrondissement), la décision implicite de rejet de leur recours gracieux contre cet arrêté, ainsi que l'arrêté du 12 mai 2021 portant permis de construire modificatif.

M. et Mme B... et D... C... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler le même arrêté du 10 décembre 2020 et la décision implicite de rejet de leur recours gracieux contre celui-ci.

Par deux jugements nos 2112250 et 2112306 du 25 avril 2022, le tribunal administratif a rejeté ces demandes, sauf en ce qui concerne 1'article 1er de l'arrêté du 10 décembre 2020 procédant au retrait d'un refus antérieur de permis de construire et l'article 2 du même arrêté en tant qu'il ne comporte pas la mention prévue à l'article L. 425-3 du code de l'urbanisme sur l'autorisation des établissements recevant du public.

Par un arrêt nos 22PA02950, 22PA02956 du 4 mai 2023, la cour administrative d'appel de Paris, a, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer sur la légalité de l'arrêté de la maire de Paris du 10 décembre 2020 jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois pour permettre à la société Mousseau de lui notifier un permis de construire régularisant les vices tirés de la méconnaissance par le projet des dispositions des articles UG 2.2.1 et UG 13.1.2 du règlement du plan local d'urbanisme de Paris.

1° Sous le n° 475635, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 juillet et 4 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Ville de Paris demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre solidairement à la charge du syndicat des copropriétaires du 133 boulevard Saint-Michel à Paris, de Mme A... et de M. et Mme C... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 475732, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 juillet et 9 octobre 2023 et le 13 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Mousseau demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler le même arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge du syndicat des copropriétaires du 133 boulevard Saint-Michel, de Mme A... et de M. et Mme C... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris, à la SCP Jean-Philippe Caston, avocat du syndicat des copropriétaires du 133 bd Saint-Michel et autres, à la SCP Gury et Maître, avocat de la société Mousseau ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 juin 2024, présentée par la société Mousseau ;



Considérant ce qui suit :

1. Les deux pourvois sont dirigés contre le même arrêt du 4 mai 2023 de la cour administrative d'appel de Paris. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la maire de Paris a, par deux arrêtés du 10 décembre 2020 et du 12 mai 2021, délivré à la société civile immobilière (SCI) Mousseau un permis de construire en vue de la réhabilitation d'un bâtiment existant et de la construction de deux nouveaux bâtiments boulevard Saint-Michel à Paris (5ème arrondissement), ainsi qu'un permis modificatif. La Ville de Paris et la société Mousseau se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 4 mai 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir joint les requêtes d'appel du syndicat des copropriétaires du 133 boulevard Saint-Michel et de Mme A..., d'une part, de M. et Mme C..., d'autre part, contre les jugements du tribunal administratif de Paris en ce qu'ils avaient rejeté leurs conclusions contre les arrêtés du 10 décembre 2020 et du 12 mai 2021 et les rejets de leurs recours gracieux, a, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer sur la légalité de l'arrêté de la maire de Paris du 10 décembre 2020 modifié et imparti à la société Mousseau un délai de six mois pour lui notifier un nouveau permis de construire régularisant les vices tirés de la méconnaissance par le projet des articles UG 2.2.1 et UG 13.1.2 du règlement du plan local d'urbanisme de Paris.

Sur la méconnaissance de l'article UG 2.2 du règlement du plan local d'urbanisme de Paris :

3. Aux termes de l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme : " Le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols, à l'implantation, la destination, la nature, l'architecture, les dimensions, l'assainissement des constructions et à l'aménagement de leurs abords (...) ". L'article R. 435-1 du même code dispose : " La demande de permis de construire précise : / (...) / e) La destination des constructions, (...) ". Aux termes de l'article R. 431-6 du même code : " Lorsque le terrain d'assiette comporte des constructions, la demande précise leur destination, (...), leur surface de plancher et indique si ces constructions sont destinées à être maintenues et si leur destination ou sous-destination est modifiée par le projet ".

4. En vertu du 1° de l'article UG 2.2.1 du règlement du plan local d'urbanisme de Paris, le territoire de la zone UG est divisé en deux secteurs, un secteur de protection de l'habitation et un secteur d'incitation à la mixité habitat-emploi. L'article UG 2.2.1 précise : " La surface de plancher des destinations liées à la fonction résidentielle, notée SPH, est la surface de plancher globalement destinée à l'habitation et aux CINASPIC (...) ". Le 2° de l'article UG 2.2.1 dispose, pour les secteurs de protection de l'habitation : " Sur tout terrain, la SPH après travaux ne doit pas être inférieure à la SPH initiale SPH supérieur ou égal à SPH1 où SPH est la surface de plancher des destinations liées à la fonction résidentielle définie au § 1° ci-avant (...) ". Le chapitre VIII des dispositions générales applicables au territoire couvert par le plan local d'urbanisme définit les CINASPIC comme suit : " CINASPIC (constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif) et Locaux nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif : / Ces constructions et locaux recouvrent les destinations correspondant aux catégories suivantes : (...) / les établissements d'enseignement maternel, primaire, secondaire, technique ou professionnel ; les établissements universitaires, y compris les locaux affectés à la recherche, et les établissements d'enseignement supérieur / (...) ".

5. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, si la cour administrative d'appel de Paris a cité les articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l'urbanisme, elle n'a ensuite analysé la conformité du projet de la société Mousseau à l'article UG 2.2.1 du règlement du plan local d'urbanisme qu'au regard des destinations définies par ce dernier, qui reprennent celles de l'ancien article R. 123-9 du code de l'urbanisme, applicable au litige. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait, à tort, analysé le projet au regard des nouvelles dispositions du code de l'urbanisme, et non des anciennes, doit être écarté.

6. En second lieu, lorsque la destination d'un immeuble ne peut, en raison de son ancienneté, être déterminée par les indications figurant dans une autorisation d'urbanisme ni, à défaut, par des caractéristiques propres ne permettant qu'un seul type d'affectation, il appartient au juge administratif devant lequel la destination en cause est contestée d'apprécier celle-ci en se fondant sur l'ensemble des circonstances de fait de l'espèce.

7. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Paris, après avoir rappelé que les locaux, objets du litige, avaient été construits à la fin du 19ème siècle et initialement utilisés par une imprimerie, a relevé qu'ils ont par la suite notamment été utilisés par l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), qui est un établissement d'enseignement supérieur, entre 1984 et 2015, soit pendant plus de 30 ans, pour y accueillir deux unités de recherche, un service éditions, une bibliothèque, des services administratifs et des espaces de stockage. C'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour administrative d'appel a jugé que ces locaux avaient perdu leur destination industrielle initiale et, compte tenu de leur utilisation suffisamment établie, qu'ils relevaient de la destination des CINASPIC telle que définie par le règlement du plan local d'urbanisme de Paris cité au point 4, ce qui impliquait qu'ils devaient être pris en compte au titre des surfaces liées à la fonction résidentielle pour l'application du 2° de l'article UG 2.2.1 cité au point 4. En statuant ainsi, la cour administrative d'appel de Paris, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit.

Sur la méconnaissance de l'article UG 13.1.2 du règlement du plan local d'urbanisme de Paris :

7. L'article UG 13.1.2 du règlement du plan local d'urbanisme de Paris dispose, la largeur de la bande Z étant fixée à 15 mètres mesurés à partir de l'alignement de la voie publique : " 1°(...) Sur tout terrain dont la profondeur est supérieure à celle de la bande Z, les espaces libres, situés ou non dans la bande Z, doivent présenter une surface au sol au moins égale à 50 pourcents de la superficie S correspondant à la partie du terrain située hors de la bande Z. (...) / Le terrain doit comprendre après travaux : / ? une surface Sa au moins égale à 20 pourcents de la superficie S, obligatoirement en pleine terre ; / ? une surface complémentaire Sb au moins égale à : - 10 pourcents de la superficie S sur les terrains situés dans le Secteur de mise en valeur du végétal / - 15 pourcents de la superficie S sur les terrains situés dans le Secteur de renforcement du végétal / Cette surface complémentaire doit être réalisée prioritairement en pleine terre. A défaut, elle peut être remplacée par une Surface végétalisée pondérée de même valeur minimale. / ? une surface végétalisée pondérée supplémentaire Sc au moins égale à 10 pourcents de la superficie S. (...) ". L'article UG 13.1.1 précise que : " (...) Les surfaces de pleine terre résultant de l'application du présent article UG.13 doivent être plantées d'arbres à grand, moyen ou petit développement, conformément aux modalités énoncées à l'article UG.13.2.2 ci-après. / (...) / Les surfaces de pleine terre et les surfaces comportant une épaisseur d'au moins 0,80 mètre de terre résultant de l'application du présent article UG.13 doivent être traitées naturellement, sans revêtement hormis le stabilisé (...) ". Enfin, en vertu des dispositions générales du règlement du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris : " Un espace est considéré comme de pleine terre lorsque les éventuels ouvrages existants ou projetés dans son tréfonds ne portent pas préjudice à l'équilibre pédologique du sol et permettent notamment le raccordement de son sous-sol à la nappe phréatique. / Les ouvrages d'infrastructure profonds participant à l'équipement urbain (ouvrages ferroviaires, réseaux, canalisations...) ne sont pas de nature à déqualifier un espace de pleine terre. Les locaux souterrains attenants aux constructions en élévation et en dépendant directement, quelle que soit la profondeur desdits locaux ne permettent pas de le qualifier de pleine terre ".

8. Il résulte de ces dispositions du plan local d'urbanisme de Paris qu'une surface de pleine terre suppose une absence d'atteinte à l'équilibre pédologique du sol et une perméabilité permettant le raccordement du sous-sol à la nappe phréatique, mais aussi un traitement naturel de la surface, sans revêtement hormis le stabilisé. Par suite, en retenant, par une appréciation souveraine des pièces du dossier exempte de dénaturation, que le chemin piétonnier, recouvert de pavés béton perméables, que la société Mousseau avait inclus dans les espaces de pleine terre, constituait une surface au sol artificialisée, qui ne pouvait être regardée comme constituant un espace de pleine terre, et que le permis méconnaissait à cet égard l'article UG 13.1.2 du règlement du plan local d'urbanisme, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les pourvois de la Ville de Paris et de la société Mousseau doivent être rejetés.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge du syndicat des copropriétaires du 133 boulevard Saint-Michel et de Mme A..., d'une part, de M. et Mme C..., d'autre part, qui ne sont pas les parties perdantes de la présente instance.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ville de Paris et de la société Mousseau une somme de 1 500 euros chacune, à verser au syndicat des copropriétaires du 133 boulevard Saint-Michel et à Mme A..., d'une part, et une somme de 1 500 euros chacune à verser à M. et Mme C..., d'autre part.


D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de la Ville de Paris et de la société Mousseau sont rejetés.
Article 2 : La Ville de Paris et la société Mousseau verseront, chacune, une somme de 1 500 euros au syndicat des copropriétaires du 133 boulevard Saint-Michel et à Mme A..., d'une part, et une somme de 1 500 euros à M. et Mme C..., d'autre part, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ville de Paris, à la société civile immobilière Mousseau, au syndicat des copropriétaires du 133 bd Saint-Michel à Paris, à Mme E... A..., à M. B... C... et à Mme D... C....
Délibéré à l'issue de la séance du 19 juin 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 8 juillet 2024.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie Delaporte
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber