Conseil d'État
N° 491138
ECLI:FR:CECHR:2024:491138.20240627
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Jérôme Goldenberg, rapporteur
Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique
MAUJEUL, avocats
Lecture du jeudi 27 juin 2024
Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 2314049 du 22 janvier 2024, enregistrée le 24 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Montreuil a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. C... B... et Mme A... B....
Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montreuil le 24 novembre 2023, et un mémoire, enregistré le 7 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B..., agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, M. D... B..., demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la fédération française de badminton (FFBaD) a rejeté leur demande tendant à la modification des règlements de ses compétitions en tant qu'ils interdisent aux joueurs licenciés dans les catégories jeunes, n'ayant pas la nationalité française, de prendre part à certaines d'entre elles ;
2°) d'enjoindre à la FFBaD de modifier le règlement de ses compétitions afin de faire cesser la discrimination fondée sur la nationalité des joueurs mineurs, dans le délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de la FFBaD la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique ;
- le code du sport ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B..., agissant en leur nom et en celui de leur fils mineur, de nationalité britannique, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle la Fédération française de badminton (FFBaD) a rejeté leur demande tendant à la modification des règlements de ses compétitions en tant qu'ils interdisent aux joueurs licenciés dans les catégories jeunes, n'ayant pas la nationalité française, de prendre part à certaines d'entre elles.
Sur le cadre juridique :
2. D'une part, aux termes de l'article 18 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dont peuvent se prévaloir, en application des articles 10 et 12 de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique, les ressortissants britanniques et les membres de leur famille qui, comme les membres de la famille B..., résidaient dans un Etat membre avant la fin de la période de transition intervenue le 31 décembre 2020 et qui continuent d'y résider : " Dans le domaine d'application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu'ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité ". Aux termes du 1. de l'article 21 du même traité : " Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application ". Aux termes de l'article 165 de ce traité : " L'Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures fondées sur le volontariat ainsi que de sa fonction sociale et éducative. / 2. L'action de l'Union vise : (...) / - à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l'équité et l'ouverture dans les compétitions sportives et la coopération entre les organismes responsables du sport, ainsi qu'en protégeant l'intégrité physique et morale des sportifs, notamment des plus jeunes d'entre eux. (...) ". Par son arrêt du 13 juin 2019, TopFit eV et Daniele Biffi c/ Deutscher Leichtathletikverband eV (C-22/18), la Cour de justice de l'Union européenne a retenu qu'un citoyen de l'Union qui réside dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité peut légitimement se prévaloir des articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dans le cadre de sa pratique d'un sport amateur en compétition dans la société de l'État membre d'accueil, que les règles d'une fédération sportive nationale qui régissent l'accès des citoyens de l'Union aux compétitions sportives sont soumises à ces articles et qu'une restriction à la liberté de circulation des citoyens de l'Union, qui peut résulter du refus ou de l'admission partielle à participer à des compétitions de sport amateur en raison de la nationalité, ne peut être justifiée que si elle est fondée sur des considérations objectives et est proportionnée à l'objectif légitimement poursuivi par la réglementation en cause.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 100-1 du code du sport : " Le développement du sport pour tous et le soutien aux sportifs de haut niveau et aux équipes de France dans les compétitions internationales sont d'intérêt général. / (...) Cette pratique fait partie intégrante de l'éducation et de la culture. (...) / Elle constitue une dimension nécessaire des politiques publiques ayant notamment pour but l'égalité des chances, la préservation et la restauration de la santé et du bien-être moral et physique des individus et, plus généralement, l'épanouissement de la personne et le progrès collectif. / La loi favorise un égal accès aux activités physiques et sportives, sans discrimination fondée sur le sexe, l'identité de genre, l'orientation sexuelle, l'âge, le handicap, l'appartenance, vraie ou supposée, à une nation ou à une ethnie, la religion, la langue, la condition sociale, les opinions politiques ou philosophiques ou tout autre statut ". Dans l'exercice de leurs pouvoirs d'organisation et de règlementation des compétitions, dont la définition des règles d'accès et de participation des sportifs, individuellement ou par équipe, à ces compétitions et épreuves, les fédérations sportives délégataires ne peuvent légalement porter atteinte au principe du libre accès aux activités sportives pour tous et à tous les niveaux, qui découle de l'article L. 100-1 du code du sport, et au principe d'égalité, que dans la mesure où ces atteintes ne sont pas excessives au regard des objectifs poursuivis.
Sur le litige :
4. Aux termes de l'article 2.11.2 du règlement général des compétitions de la FFBaD : " Les règlements complémentaires peuvent prévoir des clauses limitant, dans le respect de la réglementation en vigueur, l'accès d'étrangers à une compétition ". Aux termes de l'article 3.1 du règlement sur le statut des joueurs étrangers de la FFBaD : " Seuls les joueurs et joueuses titulaires d'une carte d'identité ou d'un passeport français sont autorisés à participer aux championnats de France individuels et aux étapes des circuits qualificatifs pour ces championnats ".
5. Il ressort de l'article 3.1 du règlement sur le statut des joueurs étrangers de la FFBaD que la participation de joueurs et joueuses qui ne sont pas titulaires d'un passeport ou d'une carte d'identité française n'est interdite que pour les épreuves individuelles des championnats de France et les étapes des circuits qualificatifs pour ces championnats. La restriction ainsi prévue est justifiée par l'objectif de distinguer les meilleurs badistes nationaux en leur décernant les titres de champion de France dans chacune des catégories concernées en individuel et est, au regard de ses effets limités sur la pratique en compétition, nécessaire et proportionnée à cet objectif. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 18 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, du principe d'égalité et du principe de libre accès aux activités sportives doit être écarté.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. et Mme B... doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à leur charge à ce titre.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la fédération française de badminton au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C... B... et Mme A... B... et à la fédération française de badminton.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 juin 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 27 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jérôme Goldenberg
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard
N° 491138
ECLI:FR:CECHR:2024:491138.20240627
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Jérôme Goldenberg, rapporteur
Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique
MAUJEUL, avocats
Lecture du jeudi 27 juin 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 2314049 du 22 janvier 2024, enregistrée le 24 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Montreuil a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. C... B... et Mme A... B....
Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montreuil le 24 novembre 2023, et un mémoire, enregistré le 7 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B..., agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, M. D... B..., demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la fédération française de badminton (FFBaD) a rejeté leur demande tendant à la modification des règlements de ses compétitions en tant qu'ils interdisent aux joueurs licenciés dans les catégories jeunes, n'ayant pas la nationalité française, de prendre part à certaines d'entre elles ;
2°) d'enjoindre à la FFBaD de modifier le règlement de ses compétitions afin de faire cesser la discrimination fondée sur la nationalité des joueurs mineurs, dans le délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de la FFBaD la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique ;
- le code du sport ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B..., agissant en leur nom et en celui de leur fils mineur, de nationalité britannique, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle la Fédération française de badminton (FFBaD) a rejeté leur demande tendant à la modification des règlements de ses compétitions en tant qu'ils interdisent aux joueurs licenciés dans les catégories jeunes, n'ayant pas la nationalité française, de prendre part à certaines d'entre elles.
Sur le cadre juridique :
2. D'une part, aux termes de l'article 18 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dont peuvent se prévaloir, en application des articles 10 et 12 de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique, les ressortissants britanniques et les membres de leur famille qui, comme les membres de la famille B..., résidaient dans un Etat membre avant la fin de la période de transition intervenue le 31 décembre 2020 et qui continuent d'y résider : " Dans le domaine d'application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu'ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité ". Aux termes du 1. de l'article 21 du même traité : " Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application ". Aux termes de l'article 165 de ce traité : " L'Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures fondées sur le volontariat ainsi que de sa fonction sociale et éducative. / 2. L'action de l'Union vise : (...) / - à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l'équité et l'ouverture dans les compétitions sportives et la coopération entre les organismes responsables du sport, ainsi qu'en protégeant l'intégrité physique et morale des sportifs, notamment des plus jeunes d'entre eux. (...) ". Par son arrêt du 13 juin 2019, TopFit eV et Daniele Biffi c/ Deutscher Leichtathletikverband eV (C-22/18), la Cour de justice de l'Union européenne a retenu qu'un citoyen de l'Union qui réside dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité peut légitimement se prévaloir des articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dans le cadre de sa pratique d'un sport amateur en compétition dans la société de l'État membre d'accueil, que les règles d'une fédération sportive nationale qui régissent l'accès des citoyens de l'Union aux compétitions sportives sont soumises à ces articles et qu'une restriction à la liberté de circulation des citoyens de l'Union, qui peut résulter du refus ou de l'admission partielle à participer à des compétitions de sport amateur en raison de la nationalité, ne peut être justifiée que si elle est fondée sur des considérations objectives et est proportionnée à l'objectif légitimement poursuivi par la réglementation en cause.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 100-1 du code du sport : " Le développement du sport pour tous et le soutien aux sportifs de haut niveau et aux équipes de France dans les compétitions internationales sont d'intérêt général. / (...) Cette pratique fait partie intégrante de l'éducation et de la culture. (...) / Elle constitue une dimension nécessaire des politiques publiques ayant notamment pour but l'égalité des chances, la préservation et la restauration de la santé et du bien-être moral et physique des individus et, plus généralement, l'épanouissement de la personne et le progrès collectif. / La loi favorise un égal accès aux activités physiques et sportives, sans discrimination fondée sur le sexe, l'identité de genre, l'orientation sexuelle, l'âge, le handicap, l'appartenance, vraie ou supposée, à une nation ou à une ethnie, la religion, la langue, la condition sociale, les opinions politiques ou philosophiques ou tout autre statut ". Dans l'exercice de leurs pouvoirs d'organisation et de règlementation des compétitions, dont la définition des règles d'accès et de participation des sportifs, individuellement ou par équipe, à ces compétitions et épreuves, les fédérations sportives délégataires ne peuvent légalement porter atteinte au principe du libre accès aux activités sportives pour tous et à tous les niveaux, qui découle de l'article L. 100-1 du code du sport, et au principe d'égalité, que dans la mesure où ces atteintes ne sont pas excessives au regard des objectifs poursuivis.
Sur le litige :
4. Aux termes de l'article 2.11.2 du règlement général des compétitions de la FFBaD : " Les règlements complémentaires peuvent prévoir des clauses limitant, dans le respect de la réglementation en vigueur, l'accès d'étrangers à une compétition ". Aux termes de l'article 3.1 du règlement sur le statut des joueurs étrangers de la FFBaD : " Seuls les joueurs et joueuses titulaires d'une carte d'identité ou d'un passeport français sont autorisés à participer aux championnats de France individuels et aux étapes des circuits qualificatifs pour ces championnats ".
5. Il ressort de l'article 3.1 du règlement sur le statut des joueurs étrangers de la FFBaD que la participation de joueurs et joueuses qui ne sont pas titulaires d'un passeport ou d'une carte d'identité française n'est interdite que pour les épreuves individuelles des championnats de France et les étapes des circuits qualificatifs pour ces championnats. La restriction ainsi prévue est justifiée par l'objectif de distinguer les meilleurs badistes nationaux en leur décernant les titres de champion de France dans chacune des catégories concernées en individuel et est, au regard de ses effets limités sur la pratique en compétition, nécessaire et proportionnée à cet objectif. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 18 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, du principe d'égalité et du principe de libre accès aux activités sportives doit être écarté.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. et Mme B... doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à leur charge à ce titre.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la fédération française de badminton au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C... B... et Mme A... B... et à la fédération française de badminton.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 juin 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 27 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jérôme Goldenberg
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard