Conseil d'État
N° 495365
ECLI:FR:CEORD:2024:495365.20240625
Publié au recueil Lebon
Juge des référés
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Jacques-Henri Stahl, rapporteur
SARL CABINET BRIARD, avocats
Lecture du mardi 25 juin 2024
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 24 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... I..., se présentant comme secrétaire générale du parti politique Les Républicains, demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) du 21 juin 2024 refusant de mettre en demeure la société TF1 d'inviter un représentant du parti Les Républicains au débat télévisé du 25 juin 2024 ;
2°) d'enjoindre à l'Arcom de mettre en demeure la société TF1 d'inviter un représentant du parti Les Républicains au débat télévisé du 25 juin 2024.
Elle soutient que :
- elle justifie d'un intérêt à agir en qualité de secrétaire générale du parti Les Républicains ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que le débat télévisé organisé par TF1 aura lieu le 25 juin 2024 ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion en période électorale ;
- la décision attaquée porte une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale, dès lors que l'Arcom n'a pas recherché si la chaîne TF1 avait bien respecté le principe de pluralisme politique et d'équité de traitement des candidats dans le cadre des émissions passées et dans l'organisation du débat du 25 juin, en méconnaissance de l'article 13 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- cette décision compromet de façon irrémédiable le principe d'équité entre les formations politiques eu égard à l'incidence d'un tel débat dans la campagne électorale et à la représentativité du parti Les Républicains au vu des critères retenus par l'Arcom ;
- il convient, pour garantir l'équité en matière de débats télévisés, d'y inviter l'ensemble des principales formations concourant à l'élection et que l'absence au débat du parti Les Républicains contrevient à une présentation sincère et réaliste des forces politiques en présence et méconnaît le principe d'équité ;
- il est nécessaire de prendre en compte la spécificité du débat télévisé et du contexte particulier des élections législatives de juin 2024.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2024, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 24 juin 2024, la société TF1 conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de Mme I... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle fait valoir que la requête n'est pas recevable, pour défaut de qualité et d'intérêt pour agir, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code électoral ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le décret du 9 juin 2024 portant dissolution de l'Assemblée nationale ;
- le décret n° 2024-527 du 9 juin 2024 ;
- la délibération n° 2011-1 du 4 janvier 2011 du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
- la recommandation n° 2024-02 du 10 juin 2024 de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme I... et, d'autre part, l'Arcom et la société TF1 ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 25 juin 2024, à 10 heures :
- Me Valdelièvre, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme I... ;
- la représentante de Mme I... ;
- les représentants de l'Arcom ;
- les représentants de la société TF1 ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de Mme A... I... et à la SARL cabinet Briard, avocat de la société Television française 1 (tf1) ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ".
2. Après que le Président de la République eut prononcé la dissolution de l'Assemblée nationale par décret du 9 juin 2024, les électeurs ont été convoqués, en vue de l'élection des députés à l'Assemblée nationale, le dimanche 30 juin 2024 pour le premier tour de scrutin et, s'il y a lieu d'y procéder, le dimanche 7 juillet 2024 pour le second tour, par le décret n° 2024-527 du 9 juin 2024. En vertu de l'article 3 de ce décret, la campagne électorale a été ouverte le 17 juin 2024.
3. Pendant cette campagne, la société TF1 a décidé d'organiser un débat télévisé sur la chaîne TF1 le mardi 25 juin 2024 à 21h et d'y convier trois personnalités politiques, M. D... F..., M. G... B... et M. C... H.... Après avoir vainement sollicité la chaîne pour pouvoir participer à ce débat, des représentants du parti Les Républicains ont saisi l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) le 20 juin 2024 afin que l'Autorité mette en demeure la société TF1 d'inviter au débat un représentant de leur sensibilité politique. Par décision du 21 juin 2024, l'Autorité n'a pas donné suite à cette demande. Par une requête enregistrée le 24 juin 2024, Mme I..., se présentant comme secrétaire générale du parti Les Républicains, a saisi de ce refus le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
Sur le cadre juridique applicable :
4. D'une part, l'article L. 167-1 du code électoral détermine les conditions dans lesquelles, pendant la campagne électorale, les émissions du service public de la communication audiovisuelle sont mises à la disposition des partis et groupements politiques. Ses modalités de mise en oeuvre ont été précisées, pour les présentes élections législatives, par l'article 8 du décret n° 2024-257 du 9 juin 2024, par dérogation aux articles R. 103-1 à R. 103-4 du code électoral.
5. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 sur la communication audiovisuelle : " La communication au public par voie électronique est libre. / L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d'une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d'autrui, du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion et, d'autre part, par la protection de l'enfance et de l'adolescence, par la sauvegarde de l'ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle ". Il appartient, en vertu de l'article 3-1 de la même loi, à l'Arcom de garantir l'exercice de la liberté de communication au public par voie électronique ainsi que " l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent ". En vertu de l'article 13 de la loi, l'Arcom " assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d'information politique et générale ". Aux termes de l'article 16 de la même loi : " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique fixe les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives aux campagnes électorales que les sociétés mentionnées à l'article 44 sont tenues de produire et de programmer. Les prestations fournies à ce titre font l'objet de dispositions insérées dans les cahiers des charges. / Pour la durée des campagnes électorales, l'autorité adresse des recommandations aux éditeurs des services de radio et de télévision autorisés ou ayant conclu une convention en vertu de la présente loi (...) ". En vertu de l'article 42 de la même loi, les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle peuvent être mis en demeure par l'Arcom de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 de cette loi.
6. Par délibération du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a adopté les recommandations aux éditeurs de services de radio et de télévision destinées, en principe, à s'appliquer à toutes les élections. Par délibération du 10 juin 2024, l'Arcom a adopté une recommandation particulière, pour compléter la délibération du 4 janvier 2011, en vue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024. Selon le 1 de cette recommandation particulière, pour le cas où le traitement de l'élection par un service de radio ou de télévision dépasse le cadre d'une seule circonscription législative, " les éditeurs veillent à ce que les partis et groupements politiques présentant des candidats et leurs soutiens bénéficient d'une présentation et d'un accès équitables à l'antenne. / L'Autorité tient compte, dans son appréciation du respect du principe d'équité, de la représentativité des candidats, appréciée, en particulier, en fonction des résultats obtenus lors de la dernière élection des députés à l'Assemblée nationale et aux plus récentes élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent et en fonction des indications de sondages d'opinion ; l'Autorité tient également compte de la contribution de chacun des candidats et des partis ou groupements politiques qui les soutiennent à l'animation du débat électoral ".
7. Indépendamment de l'exercice des pouvoirs que la loi lui confie s'agissant des conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives à la campagne électorale que les sociétés mentionnées à l'article 44 de la loi du 30 septembre 1986, principalement France Télévisions et Radio France, sont tenues de produire et de programmer, il appartient à l'Arcom, afin de garantir dans la période précédant des élections législatives le respect du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, de veiller, en vertu des articles 1er, 3-1 et 13 de la même loi, à ce que les services de radio et de télévision respectent le principe d'équité de traitement des candidats et des formations politiques qui les soutiennent.
8. Il revient ainsi à l'Autorité, au vu des recensements des temps de parole des candidats, des partis et groupements politiques et de leurs soutiens, de veiller au respect du principe d'équité en adressant, le cas échéant, en temps utile, des recommandations, des mises en garde, voire des mises en demeure, lorsqu'il apparaît, eu égard notamment aux déséquilibres déjà constatés et aux projets annoncés par les chaînes de radio et de télévision, que ce principe ne pourra pas être respecté pendant la période au cours de laquelle son respect doit être apprécié, l'exercice de ces pouvoirs devant cependant être concilié avec le respect de la liberté de la communication audiovisuelle.
Sur la demande en référé :
9. Si la loi du 30 septembre 1986 impose ainsi, comme il vient d'être dit, aux éditeurs de service de télévision, comme la société TF1, d'assurer, au cours de la période précédant les élections législatives, sous le contrôle de l'Arcom, une équité de traitement entre les candidats ainsi qu'un traitement équitable des partis et groupements politiques présentant des candidats à ces élections, cette loi garantit la liberté de communication, et notamment la liberté éditoriale de ces éditeurs. Ni la loi, ni les termes des recommandations de l'Arcom n'ont pour effet de leur imposer d'inviter aux débats qu'ils organisent dans la période électorale, en dépit du retentissement particulier que ces événements peuvent avoir, des représentants de l'ensemble des partis et groupements politiques qui présentent des candidats aux suffrages des électeurs. Les dispositions applicables aux élections législatives n'ont pas davantage pour conséquence d'imposer une égalité de traitement entre toutes les formations politiques. Il appartient aux éditeurs de service, dans le régime de liberté garanti par la loi et dans l'exercice de leur responsabilité éditoriale, sous le contrôle de l'Arcom, de concevoir et d'organiser les émissions participant au débat démocratique dans le respect d'un traitement équitable de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion. Le juge administratif des référés, s'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'une décision prise dans ce cadre par l'Arcom, ne saurait remettre en cause cette décision que dans le cas où elle porterait une atteinte grave et manifestement illégale au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, qui constitue une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 de ce code.
10. Il résulte de l'instruction que la société TF1 a décidé d'organiser, au cours de la brève période de campagne électorale consécutive à la dissolution de l'Assemblée nationale prononcée le 9 juin 2024, un débat télévisé le mardi 25 juin 2024 à 21h et d'y inviter trois personnalités politiques, M. D... F... au titre des candidats présentés par différents partis de gauche, M. G... B... au titre des candidats présentés par des mouvements se revendiquant de la majorité présidentielle et M. C... H... au titre des candidats présentés avec le soutien du Rassemblement national. Au cours de ce débat, chacun des participants devrait bénéficier d'un temps de parole de 30 minutes. Il résulte également de l'instruction qu'au cours de la période courant du 11 au 23 juin 2024, TF1 a accordé, selon les décomptes établis par l'Arcom des temps de parole accordés au plan national aux différentes formations politiques, près de 29% du temps global au Rassemblement national, soit environ 55 minutes, un peu plus de 29% aux partis appartenant à la majorité présidentielle, 25% aux principales formations de gauche et 13,5% au parti Les Républicains, soit près de 26 minutes. Si ont été inclus, dans ce dernier décompte jusqu'au 16 juin, les temps de parole des deux lignes politiques exprimées par des personnalités se réclamant de ce parti, il résulte des éléments indiqués lors de l'audience de référé que le temps de parole des personnalités relevant de la ligne politique revendiquée par la requérante serait de l'ordre de 7%, soit 13 minutes. Il résulte enfin de l'instruction que TF1 a proposé à M. E..., pour Les Républicains, de participer au journal de 20h du jeudi 27 juin pour une durée de 7 minutes environ.
11. D'une part, en appréciant l'équité des temps de parole des différentes formations politiques non sur un événement particulier, même susceptible d'avoir un certain retentissement, mais de manière globale sur la période et en se fondant, pour apprécier la représentativité des candidats et formations politiques pour ces élections législatives comme pour les autres élections, sur des critères tenant aux résultats obtenus lors de la dernière élection des députés à l'Assemblée nationale, aux résultats des plus récentes élections, aux indications des sondages d'opinion et à la contribution à l'animation du débat électoral, l'Arcom n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion.
12. D'autre part, il résulte de l'instruction que les candidats soutenus par le parti Les Républicains ont obtenu 10,4% des suffrages exprimés au premier tour des élections législatives de 2022 et 61 députés dans l'Assemblée nationale dissoute, que Mme J..., soutenue par ce mouvement, avait recueilli moins de 5% des voix au premier tour de l'élection présidentielle de 2022, que la liste conduite par M. E... aux élections européennes du 9 juin 2024 a obtenu 7,25% des suffrages et que les sondages estiment, en l'état de l'instruction, que les candidats soutenus par cette formation politique pourraient obtenir entre 7 et 10 % des voix. Dans ces conditions, compte tenu de ces éléments et des résultats obtenus aux mêmes élections par les candidats soutenus par les partis représentés au débat organisé le 25 juin 2024 et des estimations retenues par les sondages, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en refusant de mettre en demeure la société TF1 de l'inviter à participer à ce débat l'Arcom aurait, en dépit de la contribution originale que la ligne politique qu'elle représente peut apporter au débat électoral, porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
13. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête non plus que sur la condition d'urgence, la requête en référé, fondée sur les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, doit être rejetée.
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la requérante la somme demandée par la société TF1 au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de Mme I... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société TF1 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... I..., à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et à la société TF1.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la ministre de la culture.
Fait à Paris, le 25 juin 2024
Signé : Jacques-Henri Stahl
N° 495365
ECLI:FR:CEORD:2024:495365.20240625
Publié au recueil Lebon
Juge des référés
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Jacques-Henri Stahl, rapporteur
SARL CABINET BRIARD, avocats
Lecture du mardi 25 juin 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 24 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... I..., se présentant comme secrétaire générale du parti politique Les Républicains, demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) du 21 juin 2024 refusant de mettre en demeure la société TF1 d'inviter un représentant du parti Les Républicains au débat télévisé du 25 juin 2024 ;
2°) d'enjoindre à l'Arcom de mettre en demeure la société TF1 d'inviter un représentant du parti Les Républicains au débat télévisé du 25 juin 2024.
Elle soutient que :
- elle justifie d'un intérêt à agir en qualité de secrétaire générale du parti Les Républicains ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que le débat télévisé organisé par TF1 aura lieu le 25 juin 2024 ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion en période électorale ;
- la décision attaquée porte une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale, dès lors que l'Arcom n'a pas recherché si la chaîne TF1 avait bien respecté le principe de pluralisme politique et d'équité de traitement des candidats dans le cadre des émissions passées et dans l'organisation du débat du 25 juin, en méconnaissance de l'article 13 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- cette décision compromet de façon irrémédiable le principe d'équité entre les formations politiques eu égard à l'incidence d'un tel débat dans la campagne électorale et à la représentativité du parti Les Républicains au vu des critères retenus par l'Arcom ;
- il convient, pour garantir l'équité en matière de débats télévisés, d'y inviter l'ensemble des principales formations concourant à l'élection et que l'absence au débat du parti Les Républicains contrevient à une présentation sincère et réaliste des forces politiques en présence et méconnaît le principe d'équité ;
- il est nécessaire de prendre en compte la spécificité du débat télévisé et du contexte particulier des élections législatives de juin 2024.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2024, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 24 juin 2024, la société TF1 conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de Mme I... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle fait valoir que la requête n'est pas recevable, pour défaut de qualité et d'intérêt pour agir, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code électoral ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le décret du 9 juin 2024 portant dissolution de l'Assemblée nationale ;
- le décret n° 2024-527 du 9 juin 2024 ;
- la délibération n° 2011-1 du 4 janvier 2011 du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
- la recommandation n° 2024-02 du 10 juin 2024 de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme I... et, d'autre part, l'Arcom et la société TF1 ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 25 juin 2024, à 10 heures :
- Me Valdelièvre, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme I... ;
- la représentante de Mme I... ;
- les représentants de l'Arcom ;
- les représentants de la société TF1 ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de Mme A... I... et à la SARL cabinet Briard, avocat de la société Television française 1 (tf1) ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ".
2. Après que le Président de la République eut prononcé la dissolution de l'Assemblée nationale par décret du 9 juin 2024, les électeurs ont été convoqués, en vue de l'élection des députés à l'Assemblée nationale, le dimanche 30 juin 2024 pour le premier tour de scrutin et, s'il y a lieu d'y procéder, le dimanche 7 juillet 2024 pour le second tour, par le décret n° 2024-527 du 9 juin 2024. En vertu de l'article 3 de ce décret, la campagne électorale a été ouverte le 17 juin 2024.
3. Pendant cette campagne, la société TF1 a décidé d'organiser un débat télévisé sur la chaîne TF1 le mardi 25 juin 2024 à 21h et d'y convier trois personnalités politiques, M. D... F..., M. G... B... et M. C... H.... Après avoir vainement sollicité la chaîne pour pouvoir participer à ce débat, des représentants du parti Les Républicains ont saisi l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) le 20 juin 2024 afin que l'Autorité mette en demeure la société TF1 d'inviter au débat un représentant de leur sensibilité politique. Par décision du 21 juin 2024, l'Autorité n'a pas donné suite à cette demande. Par une requête enregistrée le 24 juin 2024, Mme I..., se présentant comme secrétaire générale du parti Les Républicains, a saisi de ce refus le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
Sur le cadre juridique applicable :
4. D'une part, l'article L. 167-1 du code électoral détermine les conditions dans lesquelles, pendant la campagne électorale, les émissions du service public de la communication audiovisuelle sont mises à la disposition des partis et groupements politiques. Ses modalités de mise en oeuvre ont été précisées, pour les présentes élections législatives, par l'article 8 du décret n° 2024-257 du 9 juin 2024, par dérogation aux articles R. 103-1 à R. 103-4 du code électoral.
5. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 sur la communication audiovisuelle : " La communication au public par voie électronique est libre. / L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d'une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d'autrui, du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion et, d'autre part, par la protection de l'enfance et de l'adolescence, par la sauvegarde de l'ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle ". Il appartient, en vertu de l'article 3-1 de la même loi, à l'Arcom de garantir l'exercice de la liberté de communication au public par voie électronique ainsi que " l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent ". En vertu de l'article 13 de la loi, l'Arcom " assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d'information politique et générale ". Aux termes de l'article 16 de la même loi : " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique fixe les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives aux campagnes électorales que les sociétés mentionnées à l'article 44 sont tenues de produire et de programmer. Les prestations fournies à ce titre font l'objet de dispositions insérées dans les cahiers des charges. / Pour la durée des campagnes électorales, l'autorité adresse des recommandations aux éditeurs des services de radio et de télévision autorisés ou ayant conclu une convention en vertu de la présente loi (...) ". En vertu de l'article 42 de la même loi, les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle peuvent être mis en demeure par l'Arcom de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 de cette loi.
6. Par délibération du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a adopté les recommandations aux éditeurs de services de radio et de télévision destinées, en principe, à s'appliquer à toutes les élections. Par délibération du 10 juin 2024, l'Arcom a adopté une recommandation particulière, pour compléter la délibération du 4 janvier 2011, en vue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024. Selon le 1 de cette recommandation particulière, pour le cas où le traitement de l'élection par un service de radio ou de télévision dépasse le cadre d'une seule circonscription législative, " les éditeurs veillent à ce que les partis et groupements politiques présentant des candidats et leurs soutiens bénéficient d'une présentation et d'un accès équitables à l'antenne. / L'Autorité tient compte, dans son appréciation du respect du principe d'équité, de la représentativité des candidats, appréciée, en particulier, en fonction des résultats obtenus lors de la dernière élection des députés à l'Assemblée nationale et aux plus récentes élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent et en fonction des indications de sondages d'opinion ; l'Autorité tient également compte de la contribution de chacun des candidats et des partis ou groupements politiques qui les soutiennent à l'animation du débat électoral ".
7. Indépendamment de l'exercice des pouvoirs que la loi lui confie s'agissant des conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives à la campagne électorale que les sociétés mentionnées à l'article 44 de la loi du 30 septembre 1986, principalement France Télévisions et Radio France, sont tenues de produire et de programmer, il appartient à l'Arcom, afin de garantir dans la période précédant des élections législatives le respect du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, de veiller, en vertu des articles 1er, 3-1 et 13 de la même loi, à ce que les services de radio et de télévision respectent le principe d'équité de traitement des candidats et des formations politiques qui les soutiennent.
8. Il revient ainsi à l'Autorité, au vu des recensements des temps de parole des candidats, des partis et groupements politiques et de leurs soutiens, de veiller au respect du principe d'équité en adressant, le cas échéant, en temps utile, des recommandations, des mises en garde, voire des mises en demeure, lorsqu'il apparaît, eu égard notamment aux déséquilibres déjà constatés et aux projets annoncés par les chaînes de radio et de télévision, que ce principe ne pourra pas être respecté pendant la période au cours de laquelle son respect doit être apprécié, l'exercice de ces pouvoirs devant cependant être concilié avec le respect de la liberté de la communication audiovisuelle.
Sur la demande en référé :
9. Si la loi du 30 septembre 1986 impose ainsi, comme il vient d'être dit, aux éditeurs de service de télévision, comme la société TF1, d'assurer, au cours de la période précédant les élections législatives, sous le contrôle de l'Arcom, une équité de traitement entre les candidats ainsi qu'un traitement équitable des partis et groupements politiques présentant des candidats à ces élections, cette loi garantit la liberté de communication, et notamment la liberté éditoriale de ces éditeurs. Ni la loi, ni les termes des recommandations de l'Arcom n'ont pour effet de leur imposer d'inviter aux débats qu'ils organisent dans la période électorale, en dépit du retentissement particulier que ces événements peuvent avoir, des représentants de l'ensemble des partis et groupements politiques qui présentent des candidats aux suffrages des électeurs. Les dispositions applicables aux élections législatives n'ont pas davantage pour conséquence d'imposer une égalité de traitement entre toutes les formations politiques. Il appartient aux éditeurs de service, dans le régime de liberté garanti par la loi et dans l'exercice de leur responsabilité éditoriale, sous le contrôle de l'Arcom, de concevoir et d'organiser les émissions participant au débat démocratique dans le respect d'un traitement équitable de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion. Le juge administratif des référés, s'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'une décision prise dans ce cadre par l'Arcom, ne saurait remettre en cause cette décision que dans le cas où elle porterait une atteinte grave et manifestement illégale au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, qui constitue une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 de ce code.
10. Il résulte de l'instruction que la société TF1 a décidé d'organiser, au cours de la brève période de campagne électorale consécutive à la dissolution de l'Assemblée nationale prononcée le 9 juin 2024, un débat télévisé le mardi 25 juin 2024 à 21h et d'y inviter trois personnalités politiques, M. D... F... au titre des candidats présentés par différents partis de gauche, M. G... B... au titre des candidats présentés par des mouvements se revendiquant de la majorité présidentielle et M. C... H... au titre des candidats présentés avec le soutien du Rassemblement national. Au cours de ce débat, chacun des participants devrait bénéficier d'un temps de parole de 30 minutes. Il résulte également de l'instruction qu'au cours de la période courant du 11 au 23 juin 2024, TF1 a accordé, selon les décomptes établis par l'Arcom des temps de parole accordés au plan national aux différentes formations politiques, près de 29% du temps global au Rassemblement national, soit environ 55 minutes, un peu plus de 29% aux partis appartenant à la majorité présidentielle, 25% aux principales formations de gauche et 13,5% au parti Les Républicains, soit près de 26 minutes. Si ont été inclus, dans ce dernier décompte jusqu'au 16 juin, les temps de parole des deux lignes politiques exprimées par des personnalités se réclamant de ce parti, il résulte des éléments indiqués lors de l'audience de référé que le temps de parole des personnalités relevant de la ligne politique revendiquée par la requérante serait de l'ordre de 7%, soit 13 minutes. Il résulte enfin de l'instruction que TF1 a proposé à M. E..., pour Les Républicains, de participer au journal de 20h du jeudi 27 juin pour une durée de 7 minutes environ.
11. D'une part, en appréciant l'équité des temps de parole des différentes formations politiques non sur un événement particulier, même susceptible d'avoir un certain retentissement, mais de manière globale sur la période et en se fondant, pour apprécier la représentativité des candidats et formations politiques pour ces élections législatives comme pour les autres élections, sur des critères tenant aux résultats obtenus lors de la dernière élection des députés à l'Assemblée nationale, aux résultats des plus récentes élections, aux indications des sondages d'opinion et à la contribution à l'animation du débat électoral, l'Arcom n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion.
12. D'autre part, il résulte de l'instruction que les candidats soutenus par le parti Les Républicains ont obtenu 10,4% des suffrages exprimés au premier tour des élections législatives de 2022 et 61 députés dans l'Assemblée nationale dissoute, que Mme J..., soutenue par ce mouvement, avait recueilli moins de 5% des voix au premier tour de l'élection présidentielle de 2022, que la liste conduite par M. E... aux élections européennes du 9 juin 2024 a obtenu 7,25% des suffrages et que les sondages estiment, en l'état de l'instruction, que les candidats soutenus par cette formation politique pourraient obtenir entre 7 et 10 % des voix. Dans ces conditions, compte tenu de ces éléments et des résultats obtenus aux mêmes élections par les candidats soutenus par les partis représentés au débat organisé le 25 juin 2024 et des estimations retenues par les sondages, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en refusant de mettre en demeure la société TF1 de l'inviter à participer à ce débat l'Arcom aurait, en dépit de la contribution originale que la ligne politique qu'elle représente peut apporter au débat électoral, porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
13. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête non plus que sur la condition d'urgence, la requête en référé, fondée sur les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, doit être rejetée.
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la requérante la somme demandée par la société TF1 au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de Mme I... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société TF1 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... I..., à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et à la société TF1.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la ministre de la culture.
Fait à Paris, le 25 juin 2024
Signé : Jacques-Henri Stahl