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Ariane Web: Conseil d'État 475128, lecture du 17 juin 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:475128.20240617

Décision n° 475128
17 juin 2024
Conseil d'État

N° 475128
ECLI:FR:CECHR:2024:475128.20240617
Publié au recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Cécile Fraval, rapporteur
M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET, avocats


Lecture du lundi 17 juin 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Le Syndicat indépendant des artistes interprètes (SIA-UNSA) et l'Union nationale des syndicats autonomes Spectacle et communication (UNSA Spectacle et Communication) ont demandé à la cour administrative d'appel de Paris, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du 16 août 2021 par laquelle la ministre du travail a refusé de prendre un arrêté fixant pour 2021 la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la convention collective nationale des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequins (IDCC n° 2397) et, d'autre part, d'enjoindre à la ministre du travail de prendre un tel arrêté dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt de la cour administrative d'appel.

Par un arrêt n° 21PA05017 du 13 avril 2023, la cour administrative d'appel de Paris a annulé la décision implicite de rejet de la ministre du travail et lui a enjoint d'édicter un arrêté de représentativité des organisations syndicales dans le champ de la convention collective des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequins (IDCC n° 2397) dans un délai de deux mois à compter de la mise à disposition de son arrêt.

Par un pourvoi, enregistré le 15 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
- la décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du Syndicat indépendant des artistes interprètes (SIA-UNSA)et de l'Union nationale des syndicats autonomes Spectacle et communication ;

Vu les deux notes en délibéré, enregistrées le 27 mai 2024, présentées par le Syndicat indépendant des artistes interprètes (SIA-UNSA) et l'Union nationale des syndicats autonomes Spectacle et communication (UNSA Spectacle et Communication) ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 10 juillet 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a étendu, sous certaines réserves, l'accord du 4 décembre 2018 relatif à la fusion des branches professionnelles des entreprises techniques au service de la création et de l'événement (n° 2717) et des propriétaires exploitants de chapiteaux (n° 2519). Par un autre arrêté du 10 juillet 2020, la ministre chargée du travail a étendu, sous certaines réserves, l'accord du 8 février 2019 relatif au regroupement des branches professionnelles des entreprises techniques au service de la création et de l'événement (n° 2717) et des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequins (n° 2397). La ministre a par ailleurs, à l'issue du cycle électoral, fixé, par un arrêté du 13 décembre 2021, la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la nouvelle branche issue de ces regroupements. Par un courrier daté du 14 juin 2021, l'Union nationale des syndicats autonomes Spectacle et communication (UNSA-Spectacle et communication) lui a demandé de prendre également un arrêté fixant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la convention collective nationale des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequins (n° 2397). Par un arrêt du 13 avril 2023, la cour administrative d'appel de Paris a, sur requête présentée par l'UNSA Spectacle et Communication et le Syndicat indépendant des artistes interprètes (SIA-UNSA), annulé la décision implicite par laquelle la ministre chargée du travail a rejeté cette demande et lui a enjoint d'édicter un tel arrêté dans un délai de deux mois à compter de la mise à disposition de son arrêt. La ministre chargée du travail se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Sur le pourvoi :

2. Aux termes de l'article L. 2261-33 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels : " En cas de fusion des champs d'application de plusieurs conventions collectives en application du I de l'article L. 2261-32 ou en cas de conclusion d'un accord collectif regroupant le champ de plusieurs conventions existantes, les stipulations conventionnelles applicables avant la fusion ou le regroupement, lorsqu'elles régissent des situations équivalentes, sont remplacées par des stipulations communes, dans un délai de cinq ans à compter de la date d'effet de la fusion ou du regroupement. Pendant ce délai, la branche issue du regroupement ou de la fusion peut maintenir plusieurs conventions collectives. / Eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles, les différences temporaires de traitement entre salariés résultant de la fusion ou du regroupement ne peuvent être utilement invoquées pendant le délai mentionné au premier alinéa du présent article. / A défaut d'accord conclu dans ce délai, les stipulations de la convention collective de la branche de rattachement s'appliquent. ". A ceux de l'article L. 2261-34 du même code, dans sa rédaction issue de cette même loi : " Jusqu'à la mesure de la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs qui suit la fusion de champs conventionnels prononcée en application du I de l'article L. 2261-32 ou de la conclusion d'un accord collectif regroupant le champ de plusieurs conventions préexistantes, sont admises à négocier les organisations professionnelles d'employeurs représentatives dans le champ d'au moins une branche préexistant à la fusion ou au regroupement. / La même règle s'applique aux organisations syndicales de salariés. / Les taux mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 2261-19 et à l'article L. 2232-6 sont appréciés au niveau de la branche issue de la fusion ou du regroupement ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'en cas de fusion des champs d'application de plusieurs conventions collectives, par décision du ministre chargé du travail ou par accord collectif, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs représentatives dans le champ d'au moins une des branches faisant l'objet de cette fusion ou de ce regroupement sont, jusqu'à ce que leur représentativité soit, à l'issue d'un nouveau cycle électoral, mesurée sur le périmètre de la nouvelle branche, admises à négocier l'accord qui a vocation à se substituer, dans un délai de cinq ans à compter de la date d'effet de la fusion ou du regroupement, aux stipulations conventionnelles applicables dans chacune des branches fusionnées ou regroupées, leur audience étant toutefois appréciée au niveau de la nouvelle branche. Lorsqu'elles ont, dans ces conditions, commencé à négocier l'accord de remplacement et qu'à l'issue de cette mesure de représentativité, elles perdent leur caractère représentatif à l'échelle de la nouvelle branche, ces organisations conservent, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019, la possibilité de continuer à participer aux discussions relatives à l'accord de remplacement, à l'exclusion de la faculté de signer cet accord, de s'y opposer ou de s'opposer à son éventuelle extension, qui n'appartient qu'aux organisations syndicales et aux organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives sur le périmètre de la nouvelle branche au titre de la nouvelle mesure de représentativité. Durant cette même période transitoire, à l'issue du cycle électoral dont résulte la nouvelle mesure de la représentativité, la négociation d'accords de révision des stipulations conventionnelles résultant des conventions collectives faisant l'objet de la fusion ou du regroupement n'incombe qu'aux organisations syndicales de salariés et aux organisations professionnelles d'employeurs reconnues représentatives dans le champ de la nouvelle branche. Il s'ensuit que les dispositions citées au point 2 font en principe obstacle à ce que le ministre chargé du travail puisse édicter, au cours de la période transitoire, un arrêté de représentativité sur le périmètre d'une seule des branches préexistantes à la fusion ou au regroupement.

4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour annuler la décision contestée, la cour a estimé qu'il résulte de la décision du Conseil constitutionnel n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019 que les dispositions de l'article L. 2261-34 du code du travail doivent être interprétées en ce sens qu'elle ne régissent que les règles de représentativité dans le cadre des négociations relatives à l'accord de remplacement après fusion ou regroupement des branches et en a déduit que la ministre chargée du travail, en rejetant la demande de l'UNSA Spectacle et communication tendant à ce qu'elle édicte, pendant la période transitoire postérieure à la fusion des branches en cause, au titre de la nouvelle mesure de représentativité, un arrêté de représentativité des organisations syndicales dans le champ de la convention collective des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequins au motif qu'une telle demande n'avait plus d'objet compte tenu de la fusion des branches, a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 2261-34 du code du travail. En statuant ainsi, alors que, comme cela est dit au point 3, en cas de fusion ou regroupement de branches, la représentativité des organisations syndicales de salariés s'apprécie, dès la nouvelle mesure de représentativité suivant la fusion ou le regroupement, à l'échelle de la seule nouvelle branche issue de la fusion ou du regroupement s'agissant tant de la négociation collective portant sur l'accord qui a vocation à se substituer aux conventions collectives préexistantes au regroupement que de celle portant sur la révision des stipulations conventionnelles provisoirement maintenues, la cour a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce tout ce qui précède que la ministre chargée du travail est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

6. En vertu de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie. En l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond.

Sur le règlement au fond :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. (...) ".

8. La décision par laquelle la ministre chargée du travail n'a pas donné suite à la demande d'édiction d'un arrêté fixant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la convention collective nationale des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequins n'est pas au nombre des décisions visées par les dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision, faute pour la ministre chargée du travail d'avoir répondu à la demande de communication des motifs qui lui avait été adressée, ne peut dès lors qu'être écarté comme inopérant.

9. En second lieu, il résulte de ce qui est dit aux points 3 et 4 que la ministre chargée du travail a pu, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 2261-34 du code du travail ni aucune autre disposition du même code, rejeter, par une décision implicite, la demande de l'UNSA Spectacle et Communication tendant à la publication, à l'issue du cycle électoral 2017-2021, de la mesure d'audience dans le champ de la convention collective IDCC 2397 en vue de l'édiction d'un arrêté de représentativité des organisations syndicales dans la branche des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequins.

10. Il résulte de ce qui précède que le syndicat SIA-UNSA et l'UNSA Spectacle et Communication ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision qu'ils attaquent. Par suite, leur requête ne peut qu'être rejetée. Les conclusions à fin d'injonction ne peuvent, dès lors, qu'être également rejetées.

Sur les conclusions fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, tant en première instance qu'en cassation.





D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 13 avril 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : La requête du Syndicat indépendant des artistes interprètes et de l'Union nationale des syndicats autonomes Spectacle et communication est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées tant en première instance qu'en cassation par le Syndicat indépendant des artistes interprètes et l'Union nationale des syndicats autonomes Spectacle et communication au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au Syndicat indépendant des artistes interprètes, à l'Union nationale des syndicats autonomes Spectacle et communication et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 mai 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Madame Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire ; Mme Julia Beurton, maîtresse des requêtes et Mme Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure



Rendu le 17 juin 2024.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Cécile Fraval
Le secrétaire :
Signé : M. Christophe Bouba


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