Conseil d'État
N° 490468
ECLI:FR:CECHR:2024:490468.20240607
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Alexandre Denieul, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS, avocats
Lecture du vendredi 7 juin 2024
Vu la procédure suivante :
La société Entreprise Construction Bâtiment (ECB) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Chessy à lui verser une provision de 317 635,83 euros toutes taxes comprises (TTC) sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts. Par une ordonnance n° 2104718 du 14 avril 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a, d'une part, condamné la commune de Chessy à verser à la société ECB une provision de 317 635,83 euros HT, soit 371 886,50 TTC, assortie des intérêts de retard au taux de 8 % à compter du 2 avril 2021 jusqu'à la date de paiement effectif et à la capitalisation des intérêts et, d'autre part, condamné la société Goudenège Architectes à garantir la commune de Chessy à hauteur de 30 % de cette condamnation.
Par une ordonnance nos 23PA01786, 23PA01794 du 11 décembre 2023, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la commune de Chessy et de la société Goudenège Architectes, annulé l'ordonnance du 14 avril 2023 et rejeté la demande présentée par la société ECB.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 décembre 2023 et 20 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Entreprise Construction Bâtiment demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter l'appel de la commune de Chessy et de la société Goudenège Architectes ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Chessy et de la société Goudenège Architectes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Entreprise Construction Bâtiment, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Chessy et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Gougenège Architectes ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la commune de Chessy a, par un acte d'engagement du 23 septembre 2019, confié à la société Entreprise Construction Bâtiment (ECB) le lot n° 1 d'un marché de travaux ayant pour objet la construction d'ateliers artisanaux dans la zone d'activités de la commune. La maîtrise d'oeuvre était confiée à la société Goudenège Architectes. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 22 décembre 2020. Par un courrier du 14 janvier 2021, la société ECB a adressé à la commune de Chessy et au maitre d'oeuvre un projet de décompte final. Par des courriers en date du 18 février 2021, elle leur a adressé un projet de décompte général. En l'absence de notification par le maitre d'ouvrage du décompte général, la société ECB a sollicité le règlement des sommes dues en exécution du marché par un courrier du 5 mars 2021. La société ECB a alors demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Chessy à lui verser une provision de 317 635,83 euros TTC. Par une ordonnance du 14 avril 2023, le juge des référés de ce tribunal a condamné la commune au versement d'une provision de 371 886,50 euros TTC et a condamné la société Goudenège Architectes à garantir la commune à hauteur de 30 % des condamnations prononcées à son encontre. Par une ordonnance du 11 décembre 2023, contre laquelle la société ECB se pourvoit en cassation, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la commune de Chessy et de la société Goudenège Architectes, annulé l'ordonnance du 14 avril 2023 et rejeté la demande présentée par la société ECB.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".
3. D'une part, aux termes de l'article 13.4.2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics de travaux, dans sa version applicable au marché en litige, issue de l'arrêté du 8 septembre 2009 approuvant ce cahier, modifié par l'arrêté du 3 mars 2014 : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : / -trente jours à compter de la réception par le maître d'oeuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. (...) ". Selon l'article 13.4.4 de ce cahier : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'oeuvre, un projet de décompte général signé (...) / Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. / Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. Le délai de paiement du solde, hors révisions de prix définitives, court à compter du lendemain de l'expiration de ce délai. / Le décompte général et définitif lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde. (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 50 de ce cahier : " 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'oeuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. (...) Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général. / (...) 50.1.2. Après avis du maître d'oeuvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de trente jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation. / 50.1.3. L'absence de notification d'une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire. / (...) 50.3.1. A l'issue de la procédure décrite à l'article 50.1, si le titulaire saisit le tribunal administratif compétent, il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation ".
Sur le pourvoi :
5. Pour juger irrecevables les conclusions de la société ECB, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris s'est fondé sur ce qu'il ne résultait pas de l'instruction que cette société avait, sous quelque forme que ce soit, présenté un mémoire en réclamation relatif au paiement de la créance née du décompte litigieux. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que, par un courrier adressé le 5 mars 2021 à la commune de Chessy et au maître d'oeuvre, cette société avait exposé les raisons pour lesquelles elle estimait pouvoir se prévaloir d'un décompte général et définitif tacite et sollicité le règlement du solde correspondant, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris a dénaturé les pièces du dossier. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, la société ECB est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur les fins de non-recevoir opposées par la société ECB :
7. Aucune disposition ni aucun principe n'ont pour effet de conditionner la recevabilité de l'appel formé contre une décision de première instance à l'exécution préalable de cette décision ou à la présentation d'une requête tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution. Les fins de non-recevoir opposées par la société ECB ne peuvent, par suite, qu'être écartées.
Sur l'existence d'une créance de la société ECB :
8. En premier lieu, ainsi que le soutient la société ECB, en l'absence de contestation possible du montant inscrit au solde du projet de décompte général après que celui-ci est devenu le décompte général et définitif tacite dans les conditions fixées à l'article 13.4.4 du CCAG, la procédure de réclamation prévue à l'article 50 du même cahier ne saurait être applicable au titulaire se prévalant devant le juge d'un décompte général et définitif tacite. Par suite, la commune de Chessy ne peut utilement soutenir que la demande de provision de la société ECB était irrecevable faute pour cette société de s'être conformée à la procédure prévue à l'article 50 du CCAG Travaux.
9. En deuxième lieu, contrairement à ce qu'allègue la société Goudenège Architectes, la société ECB établit avoir notifié son projet de décompte final à la commune de Chessy par un courrier du 14 janvier 2021 et le projet de décompte général transmis le 18 février 2021 par cette même société comprend, conformément à l'article 13.4.4 du CCAG, le décompte final antérieurement transmis, un projet de récapitulation des acomptes mensuels et un projet d'état du solde.
10. En troisième lieu, il résulte des stipulations des articles 13.4.2 et 13.4.4 du CCAG Travaux citées au point 3 que seule la notification au titulaire du marché d'un décompte général, même irrégulier, à laquelle le simple rejet des projets de décompte établis par le titulaire ne saurait être assimilé, fait obstacle à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite à l'initiative du titulaire dans les conditions prévues par l'article 13.4.4 du CCAG.
11. Par suite, l'absence de notification par la commune de Chessy de décompte général dans les délais prévus par les articles 13.4.2 et 13.4.4 du CCAG a fait naître un décompte général et définitif tacite au profit de la société ECB, sans qu'y fasse obstacle le rejet par la commune des projets de décompte final et général transmis par cette société, lesquels, contrairement à ce que soutient la commune, n'avaient pas à être adressés personnellement à son maire.
Sur le montant de la provision accordée par le juge des référés du tribunal administratif de Melun :
12. En condamnant la commune de Chessy à verser à la société ECB une provision de 371 886,50 euros TTC, alors que la somme demandée par cette société s'élevait à 317 635,83 euros TTC, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a statué au-delà des conclusions dont il était saisi.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Chessy est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun l'a condamnée à verser à la société ECB, une provision supérieure à 317 635,83 euros TTC, augmentée des intérêts moratoires.
Sur l'appel en garantie de la commune de Chessy :
14. Si la commune de Chessy soutient, à l'appui de ses conclusions d'appel en garantie de la société Goudenège Architectes, que cette société n'a pas accompli les diligences qui lui incombaient pour faire obstacle à la naissance d'un décompte général et définitif tacite, le préjudice dont elle peut demander réparation de ce fait ne peut être que l'éventuel surcoût induit par ce décompte par rapport à la somme qu'un décompte général et définitif établi contradictoirement aurait mise à sa charge. Dès lors que la commune de Chessy n'établit aucunement l'étendue ni même l'existence d'un tel préjudice, la créance dont elle se prévaut à l'égard de la société Goudenège Architectes ne peut être regardée comme non sérieusement contestable.
15. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen d'appel de la société Goudenège Architectes, que cette société est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun l'a condamnée à garantir la commune de Chessy à hauteur de 30% de la condamnation prononcée à son encontre.
Sur les frais de l'instance :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la commune de Chessy à verser à la société ECB la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société ECB et de la société Goudenège Architectes, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 11 décembre 2023 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris est annulée.
Article 2 : La provision que la commune de Chessy est condamnée à verser à la société ECB est ramenée à la somme de 317 635,83 euros TTC, augmentée des intérêts moratoires.
Article 3 : L'appel en garantie formé par la commune de Chessy contre la société Goudenège Architectes est rejeté.
Article 4 : L'ordonnance du 14 avril 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Melun est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.
Article 5 : La commune de Chessy versera à la société ECB la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la société Entreprise Construction Bâtiment (ECB), à la commune de Chessy et à la société Goudenège Architectes.
N° 490468
ECLI:FR:CECHR:2024:490468.20240607
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Alexandre Denieul, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS, avocats
Lecture du vendredi 7 juin 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Entreprise Construction Bâtiment (ECB) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Chessy à lui verser une provision de 317 635,83 euros toutes taxes comprises (TTC) sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts. Par une ordonnance n° 2104718 du 14 avril 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a, d'une part, condamné la commune de Chessy à verser à la société ECB une provision de 317 635,83 euros HT, soit 371 886,50 TTC, assortie des intérêts de retard au taux de 8 % à compter du 2 avril 2021 jusqu'à la date de paiement effectif et à la capitalisation des intérêts et, d'autre part, condamné la société Goudenège Architectes à garantir la commune de Chessy à hauteur de 30 % de cette condamnation.
Par une ordonnance nos 23PA01786, 23PA01794 du 11 décembre 2023, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la commune de Chessy et de la société Goudenège Architectes, annulé l'ordonnance du 14 avril 2023 et rejeté la demande présentée par la société ECB.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 décembre 2023 et 20 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Entreprise Construction Bâtiment demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter l'appel de la commune de Chessy et de la société Goudenège Architectes ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Chessy et de la société Goudenège Architectes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Entreprise Construction Bâtiment, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Chessy et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Gougenège Architectes ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la commune de Chessy a, par un acte d'engagement du 23 septembre 2019, confié à la société Entreprise Construction Bâtiment (ECB) le lot n° 1 d'un marché de travaux ayant pour objet la construction d'ateliers artisanaux dans la zone d'activités de la commune. La maîtrise d'oeuvre était confiée à la société Goudenège Architectes. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 22 décembre 2020. Par un courrier du 14 janvier 2021, la société ECB a adressé à la commune de Chessy et au maitre d'oeuvre un projet de décompte final. Par des courriers en date du 18 février 2021, elle leur a adressé un projet de décompte général. En l'absence de notification par le maitre d'ouvrage du décompte général, la société ECB a sollicité le règlement des sommes dues en exécution du marché par un courrier du 5 mars 2021. La société ECB a alors demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Chessy à lui verser une provision de 317 635,83 euros TTC. Par une ordonnance du 14 avril 2023, le juge des référés de ce tribunal a condamné la commune au versement d'une provision de 371 886,50 euros TTC et a condamné la société Goudenège Architectes à garantir la commune à hauteur de 30 % des condamnations prononcées à son encontre. Par une ordonnance du 11 décembre 2023, contre laquelle la société ECB se pourvoit en cassation, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la commune de Chessy et de la société Goudenège Architectes, annulé l'ordonnance du 14 avril 2023 et rejeté la demande présentée par la société ECB.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".
3. D'une part, aux termes de l'article 13.4.2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics de travaux, dans sa version applicable au marché en litige, issue de l'arrêté du 8 septembre 2009 approuvant ce cahier, modifié par l'arrêté du 3 mars 2014 : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : / -trente jours à compter de la réception par le maître d'oeuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. (...) ". Selon l'article 13.4.4 de ce cahier : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'oeuvre, un projet de décompte général signé (...) / Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. / Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. Le délai de paiement du solde, hors révisions de prix définitives, court à compter du lendemain de l'expiration de ce délai. / Le décompte général et définitif lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde. (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 50 de ce cahier : " 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'oeuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. (...) Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général. / (...) 50.1.2. Après avis du maître d'oeuvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de trente jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation. / 50.1.3. L'absence de notification d'une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire. / (...) 50.3.1. A l'issue de la procédure décrite à l'article 50.1, si le titulaire saisit le tribunal administratif compétent, il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation ".
Sur le pourvoi :
5. Pour juger irrecevables les conclusions de la société ECB, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris s'est fondé sur ce qu'il ne résultait pas de l'instruction que cette société avait, sous quelque forme que ce soit, présenté un mémoire en réclamation relatif au paiement de la créance née du décompte litigieux. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que, par un courrier adressé le 5 mars 2021 à la commune de Chessy et au maître d'oeuvre, cette société avait exposé les raisons pour lesquelles elle estimait pouvoir se prévaloir d'un décompte général et définitif tacite et sollicité le règlement du solde correspondant, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris a dénaturé les pièces du dossier. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, la société ECB est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur les fins de non-recevoir opposées par la société ECB :
7. Aucune disposition ni aucun principe n'ont pour effet de conditionner la recevabilité de l'appel formé contre une décision de première instance à l'exécution préalable de cette décision ou à la présentation d'une requête tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution. Les fins de non-recevoir opposées par la société ECB ne peuvent, par suite, qu'être écartées.
Sur l'existence d'une créance de la société ECB :
8. En premier lieu, ainsi que le soutient la société ECB, en l'absence de contestation possible du montant inscrit au solde du projet de décompte général après que celui-ci est devenu le décompte général et définitif tacite dans les conditions fixées à l'article 13.4.4 du CCAG, la procédure de réclamation prévue à l'article 50 du même cahier ne saurait être applicable au titulaire se prévalant devant le juge d'un décompte général et définitif tacite. Par suite, la commune de Chessy ne peut utilement soutenir que la demande de provision de la société ECB était irrecevable faute pour cette société de s'être conformée à la procédure prévue à l'article 50 du CCAG Travaux.
9. En deuxième lieu, contrairement à ce qu'allègue la société Goudenège Architectes, la société ECB établit avoir notifié son projet de décompte final à la commune de Chessy par un courrier du 14 janvier 2021 et le projet de décompte général transmis le 18 février 2021 par cette même société comprend, conformément à l'article 13.4.4 du CCAG, le décompte final antérieurement transmis, un projet de récapitulation des acomptes mensuels et un projet d'état du solde.
10. En troisième lieu, il résulte des stipulations des articles 13.4.2 et 13.4.4 du CCAG Travaux citées au point 3 que seule la notification au titulaire du marché d'un décompte général, même irrégulier, à laquelle le simple rejet des projets de décompte établis par le titulaire ne saurait être assimilé, fait obstacle à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite à l'initiative du titulaire dans les conditions prévues par l'article 13.4.4 du CCAG.
11. Par suite, l'absence de notification par la commune de Chessy de décompte général dans les délais prévus par les articles 13.4.2 et 13.4.4 du CCAG a fait naître un décompte général et définitif tacite au profit de la société ECB, sans qu'y fasse obstacle le rejet par la commune des projets de décompte final et général transmis par cette société, lesquels, contrairement à ce que soutient la commune, n'avaient pas à être adressés personnellement à son maire.
Sur le montant de la provision accordée par le juge des référés du tribunal administratif de Melun :
12. En condamnant la commune de Chessy à verser à la société ECB une provision de 371 886,50 euros TTC, alors que la somme demandée par cette société s'élevait à 317 635,83 euros TTC, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a statué au-delà des conclusions dont il était saisi.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Chessy est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun l'a condamnée à verser à la société ECB, une provision supérieure à 317 635,83 euros TTC, augmentée des intérêts moratoires.
Sur l'appel en garantie de la commune de Chessy :
14. Si la commune de Chessy soutient, à l'appui de ses conclusions d'appel en garantie de la société Goudenège Architectes, que cette société n'a pas accompli les diligences qui lui incombaient pour faire obstacle à la naissance d'un décompte général et définitif tacite, le préjudice dont elle peut demander réparation de ce fait ne peut être que l'éventuel surcoût induit par ce décompte par rapport à la somme qu'un décompte général et définitif établi contradictoirement aurait mise à sa charge. Dès lors que la commune de Chessy n'établit aucunement l'étendue ni même l'existence d'un tel préjudice, la créance dont elle se prévaut à l'égard de la société Goudenège Architectes ne peut être regardée comme non sérieusement contestable.
15. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen d'appel de la société Goudenège Architectes, que cette société est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun l'a condamnée à garantir la commune de Chessy à hauteur de 30% de la condamnation prononcée à son encontre.
Sur les frais de l'instance :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la commune de Chessy à verser à la société ECB la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société ECB et de la société Goudenège Architectes, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 11 décembre 2023 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris est annulée.
Article 2 : La provision que la commune de Chessy est condamnée à verser à la société ECB est ramenée à la somme de 317 635,83 euros TTC, augmentée des intérêts moratoires.
Article 3 : L'appel en garantie formé par la commune de Chessy contre la société Goudenège Architectes est rejeté.
Article 4 : L'ordonnance du 14 avril 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Melun est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.
Article 5 : La commune de Chessy versera à la société ECB la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la société Entreprise Construction Bâtiment (ECB), à la commune de Chessy et à la société Goudenège Architectes.