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Ariane Web: Conseil d'État 489787, lecture du 6 juin 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:489787.20240606

Décision n° 489787
6 juin 2024
Conseil d'État

N° 489787
ECLI:FR:CECHS:2024:489787.20240606
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
M. Nicolas Boulouis, président
M. Hadrien Tissandier, rapporteur
Mme Dorothée Pradines, rapporteur public


Lecture du jeudi 6 juin 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 novembre 2023 et 27 mars 2024 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Syntec Conseil demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) a rejeté sa demande tendant à ce qu'elle modifie la décision n° 2018-0881 du 24 juillet 2018 établissant le plan national de numérotation et ses règles de gestion, afin que les systèmes automatisés d'appels ne soient pas soumis, lorsqu'il y est recouru pour réaliser des études statistiques, des enquêtes d'opinion et des sondages, à l'interdiction d'utiliser des numéros territorialisés ;

2°) d'enjoindre à l'ARCEP de modifier sa délibération n° 2022-1583 du 1er septembre 2022 modifiant la décision établissant le plan national de numérotation et ses règles de gestion, afin que les systèmes automatisés d'appels ne soient pas soumis, lorsqu'il y est recouru pour réaliser des études statistiques, des enquêtes d'opinion et des sondages, à l'interdiction d'utiliser des numéros territorialisés ;

3°) de condamner l'ARCEP à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des postes et des communications électroniques ;
- la loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 ;
- le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

Vu la note en délibéré, enregistré le 17 mai 2024, présentée par le syndicat Syntec Conseil ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du II l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques : " Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé des communications électroniques et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse prennent, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées en vue d'atteindre les objectifs suivants : (...) / 5° La protection des consommateurs, conjointement avec le ministre chargé de la consommation, et la satisfaction des besoins de l'ensemble des utilisateurs, y compris les utilisateurs handicapés, âgés ou ayant des besoins sociaux spécifiques, en matière d'accès aux services et aux équipements ". L'article L. 36-7 du même code dispose que : " L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse : / 7° Etablit le plan national de numérotation téléphonique, attribue aux opérateurs les ressources en numérotation nécessaires à leur activité dans les conditions prévues à l'article L. 44 et veille à leur bonne utilisation ". Aux termes de l'article L. 44 du même code : " I. Le plan national de numérotation téléphonique est établi par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et géré sous son contrôle (...) / IV. Les opérateurs sont tenus de s'assurer que, lorsque leurs clients utilisateurs finals utilisent un numéro issu du plan de numérotation établi par l'autorité comme identifiant d'appelant pour les appels et messages qu'ils émettent, ces utilisateurs finals sont bien affectataires dudit numéro ou que l'affectataire dudit numéro a préalablement donné son accord pour cette utilisation. / Les opérateurs sont tenus de veiller à l'authenticité des numéros issus du plan de numérotation établi par l'autorité lorsqu'ils sont utilisés comme identifiant d'appelant pour les appels et messages reçus par leurs clients utilisateurs finals. / Les opérateurs utilisent un dispositif d'authentification permettant de confirmer l'authenticité des appels et messages utilisant un numéro issu du plan de numérotation établi par l'autorité comme identifiant d'appelant (...). / VI. L'autorité peut préciser les catégories de numéros du plan national de numérotation téléphonique qu'il est interdit d'utiliser comme identifiant de l'appelant présenté à l'appelé ou de l'expéditeur présenté au destinataire pour des appels ou des messages émis par des systèmes automatisés d'appels et d'envois de messages, ainsi que les conditions dans lesquelles cette interdiction s'applique. / L'autorité peut préciser les mesures que les opérateurs mettent en oeuvre pour interrompre l'acheminement des appels et des messages émis au départ de leurs réseaux, transitant à travers ceux-ci ou terminés sur ceux-ci qui ne respectent pas cette interdiction ". Aux termes du 32° de l'article L. 32 du même code : " On entend par système automatisé d'appels et d'envois de messages les systèmes émettant des appels ou des messages de manière automatique vers plusieurs utilisateurs finals conformément aux instructions établies pour ce système ".

2. En vertu du 2.3 du plan national de numérotation tel qu'il résulte de la délibération n° 2022-1583 du 1er septembre 2022 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) modifiant la décision établissant le plan national de numérotation et ses règles de gestion, les numéros territorialisés sont rattachés spécifiquement à une partie du territoire national et composés des numéros géographiques, des numéros mobiles, des numéros mobiles de longueur étendue, des numéros polyvalents, des numéros polyvalents vérifiés, des numéros polyvalents de longueur étendue et des numéros polyvalents utilisables pour les échanges avec des plateformes. Aux termes du f) du 2.3.2 du même plan : " Les numéros territorialisés, à l'exception de ceux pour lesquels une dérogation est prévue dans les conditions spécifiques, ne peuvent être utilisés comment identifiant de l'appelant présenté à l'appelé pour des appels ou des messages émis par des systèmes automatisés d'appels et d'envois de messages, au sens de l'article L. 32 du CPCE. / Cette interdiction ne s'applique pas aux systèmes automatisés d'appels et d'envois de messages : / - qui, au regard des caractéristiques du flux d'appels et de messages, émettent des appels ou messages à l'attention de 5 numéros de téléphones différents ou moins, sur une période de 30 jours, ou ; / - pour lesquels, au regard des caractéristiques du flux de messages, le nombre de messages émis est équivalent (à 20 % près) ou inférieur au nombre de messages reçus, sur une période de 30 jours, ou ; / - pour lesquels, au regard des caractéristiques du flux d'appels, le nombre d'appels émis est inférieur ou égal à 20 % du nombre d'appels reçus, sur une période de 30 jours (...) ". En vertu du f) du 2.3.7 du même plan, " Par dérogation aux conditions particulières du paragraphe 2.3.2 f), les numéros polyvalents vérifiés peuvent être utilisés comme identifiant de l'appelant présenté à l'appelé pour des appels ou des messages émis par des systèmes automatisés d'appels et d'envois de messages ".

3. Le syndicat Syntec Conseil demande l'annulation de la décision implicite par laquelle l'ARCEP a rejeté sa demande, présentée par lettre en date du 27 juillet 2023, tendant à ce qu'elle modifie le f) du 2.3.2 du plan national de numérotation afin que les systèmes automatisés d'appel ne soient pas soumis, lorsqu'il y est recouru pour réaliser des études statistiques, des enquêtes d'opinion et des sondages, à l'interdiction d'utiliser des numéros territorialisés.

4. En premier lieu, il résulte des dispositions citées au point 1 que le législateur n'a pas entendu limiter aux seuls appels ou messages émis dans le cadre du démarchage téléphonique la faculté pour l'ARCEP de préciser les catégories de numéros du plan national de numérotation téléphonique qu'il est interdit d'utiliser comme identifiant de l'appelant présenté à l'appelé ou de l'expéditeur présenté au destinataire pour des appels ou des messages émis par des systèmes automatisés d'appels et d'envois de messages, ainsi que les conditions dans lesquelles cette interdiction s'applique. Par suite, le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que ces dispositions faisaient obstacle à ce que l'ARCEP interdise l'utilisation des numéros territorialisés par les systèmes automatisés d'appels lorsqu'il y est recouru pour des études statistiques, des enquêtes d'opinion ou des sondages.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que les dispositions du plan national de numérotation citées au point 2 ont pour objet, au regard de l'objectif de protection des consommateurs prévu par l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques, de rétablir la confiance des utilisateurs dans les appels et messages qu'ils reçoivent en les préservant des appels non sollicités provenant de systèmes automatisés d'appels et d'envois de messages émettant des appels et messages en grand nombre, ciblant un nombre de destinataires important et émettant bien plus d'appels et de messages qu'ils n'en reçoivent. Si le syndicat requérant soutient que les études statistiques, les enquêtes d'opinion et les sondages ne devraient pas, eu égard à leur objet, être soumis à une telle interdiction, il n'établit pas que ces activités se trouveraient, au regard de l'objectif d'intérêt général ainsi poursuivi, dans une situation différente de celle d'autres activités recourant à des systèmes automatisés d'appel. Il n'est, par suite, pas fondé à soutenir que la décision attaquée méconnaîtrait le principe d'égalité, ni le principe de non-discrimination.

6. En dernier lieu, le principe de liberté du commerce et de l'industrie implique que les personnes publiques n'apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. D'une part, ainsi qu'il a été indiqué au point 5, il ressort des pièces du dossier que les dispositions citées au point 2 répondent à un objectif d'intérêt général de protection des consommateurs. D'autre part, l'interdiction d'utilisation des numéros territorialisés par les systèmes automatisés d'appels qu'elles prévoient est assortie de plusieurs dérogations. Il est ainsi notamment prévu que les systèmes automatisés d'appel peuvent recourir aux numéros polyvalents vérifiés, pour lesquels les opérateurs les exploitant doivent être en mesure de vérifier et de garantir que leur utilisation a reçu l'accord explicite préalable de l'affectataire dudit numéro pour être utilisé en tant qu'identifiant d'appelant dans chaque appel ou message où il apparaît. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué porterait une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie ne peut qu'être écarté, alors même que le taux de réponse aux appels téléphoniques provenant de numéros polyvalents vérifiés, que les utilisateurs peuvent reconnaître, serait moindre que celui obtenu avec d'autres numéros territorialisés.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions du syndicat Syntec Conseil tendant à l'annulation de la décision qu'il attaque doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête du syndicat Syntec Conseil est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat Syntec Conseil et à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 mai 2024 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.

Rendu le 6 juin 2024.



Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
Le rapporteur :
Signé : M. Hadrien Tissandier
La secrétaire :
Signé : Mme Sandrine Mendy