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Ariane Web: Conseil d'État 474582, lecture du 31 mai 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:474582.20240531

Décision n° 474582
31 mai 2024
Conseil d'État

N° 474582
ECLI:FR:CECHR:2024:474582.20240531
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Amel Hafid, rapporteure
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du vendredi 31 mai 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 30 mai et 29 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 27 mars 2023 par laquelle le Conseil national de l'ordre des pharmaciens, sur recours du conseil régional de l'ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine contre la décision du 7 novembre 2022 du conseil central de la section D de l'ordre des pharmaciens, a refusé son inscription au tableau de la section D de l'ordre ;

2°) d'enjoindre au Conseil national de l'ordre des pharmaciens de procéder au réexamen de sa demande d'inscription dans un délai de trois mois ;

3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des pharmaciens la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas-Feschotte-Desbois-Sebagh, avocat de Mme B... et à la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat du Conseil national de l'ordre des pharmaciens.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que par une décision du 19 juin 2019, la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens a prononcé à l'encontre de Mme B... la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pour une durée de cinq ans, dont deux avec sursis, et que par une décision du 18 mai 2022, la chambre de discipline du conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Aquitaine a infligé à l'intéressée la sanction d'interdiction définitive d'exercer la pharmacie pour d'autres faits. Mme B... a formé contre cette décision un appel, lequel était suspensif, et a sollicité son inscription au tableau de la section D de l'ordre national des pharmaciens, qui regroupe notamment les pharmaciens adjoints d'officine, les pharmaciens remplaçants et les pharmaciens mutualistes, en vue d'exercer en qualité de pharmacienne adjointe au sein de l'officine dans laquelle elle exerçait précédemment en qualité de pharmacienne titulaire. Par ailleurs, Mme B... a notamment été reconnue coupable d'escroquerie au préjudice des organismes sociaux par un jugement du 27 janvier 2020 du tribunal judiciaire de Dax, devenu définitif en sa partie pénale. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 27 mars 2023 par laquelle le Conseil national de l'ordre des pharmaciens, sur le recours formé par le président du conseil régional de l'ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine contre la décision du 7 novembre 2022 du conseil central de la section D de l'ordre des pharmaciens, a refusé son inscription au tableau de la section D.

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 4231-4 du code de la santé publique, relatif à la composition du Conseil national de l'ordre des pharmaciens : " Le Conseil national de l'ordre des pharmaciens est composé de vingt-six membres : (...) / Les représentants du ministre chargé de la santé et du ministre de la défense (...) assistent à toutes les délibérations avec voix consultative, à l'exclusion des séances disciplinaires ". Ces dispositions n'imposent pas de soumettre à la consultation préalable des représentants des ministres chargés de la santé et de la défense les délibérations adoptées par le Conseil national de l'ordre des pharmaciens. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'irrégularité à défaut d'une telle consultation ne peut qu'être écarté.

3. En deuxième lieu, d'une part, la circonstance que deux membres du Conseil national de l'ordre des pharmaciens ayant participé à l'adoption par ce Conseil, siégeant en sa formation administrative, de la décision attaquée refusant d'inscrire Mme B... au tableau de la section D de l'ordre, avaient siégé au sein de la chambre de discipline nationale le 19 juin 2019 lorsque cette juridiction a infligé une sanction disciplinaire à Mme B..., n'était pas, par elle-même, de nature à porter atteinte au principe d'impartialité et ainsi à affecter la régularité de cette décision. D'autre part, l'intéressée ne fait état d'aucune circonstance tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles, qui aurait été de nature à influer sur l'appréciation portée sur sa demande de réinscription au tableau de l'ordre par les deux membres en cause, et aurait ainsi imposé que ces membres s'abstiennent de se prononcer. Il en résulte que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée a été adoptée en méconnaissance du principe d'impartialité.

Sur la légalité interne de la décision :

4. Aux termes de l'article L. 4221-1 du code de la santé publique : " Nul ne peut exercer la profession de pharmacien s'il n'offre toutes garanties de moralité professionnelle (...)". Aux termes de l'article L. 4222-4 du même code : " Après avoir examiné les titres et qualités du demandeur, le conseil régional (...) ou central de la section (...) de l'ordre soit accorde l'inscription au tableau, soit, si les garanties de compétence, de moralité et d'indépendance professionnelle ou les conditions prévues par la loi ne sont pas remplies, la refuse par décision motivée écrite (...)/ Toute inscription ou refus d'inscription au tableau peut faire l'objet d'un appel devant le conseil national de l'ordre. (...) ".

5. En premier lieu, Mme B... soutient que, pour apprécier si elle satisfaisait à la condition de moralité fixée par les articles L. 4221-1 et L. 4222-4 du code de la santé publique, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens s'est illégalement fondé sur la décision de la chambre de discipline du conseil régional du 18 mai 2022 qui, étant frappée d'appel, n'était alors pas définitive. Il ressort toutefois des motifs de la décision attaquée que le Conseil national s'est fondé uniquement sur les faits d'escroqueries au préjudice des organismes sociaux et non sur les sanctions disciplinaires auxquels ces faits ont donné lieu. Le moyen ne peut par suite qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, lorsqu'il est saisi du recours administratif préalable obligatoire prévu par les dispositions de l'article L. 4222-4 du code de la santé publique contre une décision d'un conseil régional de l'ordre des pharmaciens relative à l'inscription au tableau de l'ordre, il appartient au Conseil national de l'ordre des pharmaciens de se prononcer à nouveau lui-même, au vu des circonstances de droit et de fait à la date de sa propre décision, sur le bien-fondé de cette inscription au tableau. Il ressort des termes de la décision attaquée que pour refuser l'inscription de Mme B... au tableau de la section D de l'ordre des pharmaciens, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens a examiné si les faits, commis par l'intéressée, de surfacturation au préjudice des organismes sociaux, d'utilisation de biens ou de crédit de la société dont elle était gérante à des fins personnelles et de délivrance irrégulière de médicaments étaient de nature à justifier un refus d'inscription au tableau, et qu'il a tenu compte des éléments par lesquels Mme B... faisait valoir avoir pris conscience de la gravité de ces faits. En se prononçant ainsi, il n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 4222-4 du code de la santé publique.

7. En troisième lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier que le Conseil national de l'ordre des pharmaciens n'a pas entaché sa décision d'erreur de fait en retenant les actes, commis par Mme B... entre 2013 et 2018, pour lesquels elle a été jugée coupable d'escroqueries au préjudice des organismes sociaux pour un montant de 700 000 euros, ces faits ayant été établis par le jugement du tribunal correctionnel de Dax du 27 janvier 2020, définitif sur ce point. D'autre part, le Conseil national de l'ordre s'étant fondé uniquement sur ces faits et non sur les sanctions disciplinaires auxquelles ceux-ci ont donné lieu, Mme B... n'est, en tout état de cause, pas davantage fondée à soutenir que celui-ci aurait illégalement pris en compte la décision de la chambre de discipline du conseil régional du 18 mai 2022 alors que, étant frappée d'appel, elle n'était pas définitive.

8. En quatrième lieu, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que pour estimer que la condition de moralité n'était pas remplie, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens s'est fondé sur les faits de surfacturations, d'abus de biens et de délivrance sans prescription ou ordonnance de médicaments classés comme stupéfiants, substances vénéneuses ou soumis à prescription restreinte, commis par Mme B... entre 2013 et 2018. Eu égard à la gravité de ces faits, pour lesquels d'ailleurs l'intéressée a été condamnée à deux ans d'emprisonnement dont un avec sursis et à l'interdiction de gérer une société pendant une durée de cinq ans, à leur durée et à leur caractère encore récent à la date de la décision attaquée, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens n'a pas entaché sa décision d'erreur d'appréciation, nonobstant l'absence de réitération de tels faits, la volonté d'amendement manifestée par l'intéressée et l'engagement de démarches tendant au remboursement des sommes dues aux organismes sociaux.

9. En cinquième lieu, si Mme B... soutient que la décision attaquée ne pouvait légalement se fonder sur la circonstance qu'elle détenait plus de 10 % du capital de la société exploitant la pharmacie de Maremne et n'avait pas produit un acte de cession de parts effectif à la date de sa décision pour refuser son inscription au tableau en qualité de pharmacienne adjointe alors qu'aucune disposition, ne fait de la production d'un tel acte une condition préalable à l'inscription au tableau, il résulte de l'instruction, eu égard aux termes mêmes de la décision attaquée, que le Conseil national de l'ordre des pharmaciens aurait en tout état de cause pris la même décision s'il s'était uniquement fondé sur l'autre motif qu'il a retenu, tiré du défaut de moralité. Par suite, la requête de Mme B... ne peut qu'être rejetée.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée doit être annulée et que dès lors, sa requête doit être rejetée.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du Conseil national de l'ordre des pharmaciens qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme de 1500 euros à verser au Conseil national de l'ordre des pharmaciens.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Mme B... versera au Conseil national de l'ordre des pharmaciens une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au Conseil national de l'ordre des pharmaciens.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 mai 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Jean-Dominique Langlais, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 31 mai 2024.


Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Amel Hafid
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras



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