Conseil d'État
N° 492346
ECLI:FR:CECHR:2024:492346.20240516
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Christophe Chantepy, président
M. Alexandre Trémolière, rapporteur
Mme Dorothée Pradines, rapporteur public
SCP GURY & MAITRE, avocats
Lecture du jeudi 16 mai 2024
Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 11 janvier 2024 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et du ministre de l'intérieur et des outre-mer prononçant pour une durée de six mois une mesure de gel des fonds et ressources économiques lui appartenant et interdisant la mise à disposition directe ou indirecte ou l'utilisation de fonds ou de ressources à son profit.
Par une ordonnance n° 2403428 du 16 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, prononcé la suspension de l'exécution de l'arrêté du 11 janvier 2024.
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 et 20 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 16 février 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande formée par M. A... devant le juge des référés de première instance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001 ;
- la position commune 2001/931/PESC du Conseil du 27 décembre 2001 ;
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gury et Maitre, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ". Eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission provisoire de M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur le cadre juridique du litige :
3. Aux termes de l'article L. 562-1 du code monétaire et financier : " Pour l'application du présent chapitre, on entend par : " 1° " Acte de terrorisme " : les actes définis au 4° de l'article 1er du règlement (UE) n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001 concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ; / 2° " Fonds " : les actifs financiers et les avantages économiques de toute nature, notamment : / a) Le numéraire, les créances en numéraire, les traites, les ordres de paiement et autres instruments ou moyens de paiement ; / b) Les dépôts de fonds auprès des personnes mentionnées à l'article L. 562-4 tels que les fonds remboursables du public détenus ou versés sur des comptes de dépôts, les fonds versés sur un compte de paiement, les fonds investis dans des produits d'épargne tels que ceux régis par le titre II du livre II, les fonds versés dans le cadre de contrat individuel ou collectif de gestion d'actifs, les soldes de ces comptes ou contrats ; (...) ". Selon l'article L. 562-2 du même code : " Le ministre chargé de l'économie et le ministre de l'intérieur peuvent décider, conjointement, pour une durée de six mois, renouvelable, le gel des fonds et ressources économiques : / 1° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent ; (...) ". L'article L 562-11 du même code dispose : " Le ministre chargé de l'économie et le ministre de l'intérieur peuvent conjointement autoriser le déblocage et la mise à disposition d'une partie des fonds ou ressources économiques faisant l'objet d'une mesure de gel en vertu de l'article L. 562-2 si leur utilisation est compatible avec la sauvegarde de l'ordre public. / (...) Ces autorisations peuvent être accordées par les ministres compétents à leur initiative ou à la demande de toute personne physique ou morale ou autre entité visée par cette décision ou de tout tiers pouvant exciper d'un droit sur les fonds et ressources économiques ayant fait l'objet d'une décision de gel. / Elles sont accordées si la personne faisant l'objet d'une mesure de gel justifie : / 1° De besoins matériels particuliers intéressant sa vie personnelle ou familiale pour une personne physique (...) ; / 2° Ou de décisions de nature à assurer la conservation de son patrimoine ".
4. D'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier citées au point précédent qu'une mesure de police administrative de gel des fonds et ressources économiques peut être légalement mise en oeuvre à l'égard d'une personne qui commet, tente de commettre, facilite ou finance des actes de terrorisme, incite ou participe à de tels actes. En application des dispositions l'article L. 562-1 du même code, qui renvoient au règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001 concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, faisant lui-même référence, au 4° de son article 1er, à la position commune 2001/931/PESC du Conseil du même jour relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, de tels actes sont ceux mentionnés au paragraphe 3 de l'article 1er de cette position commune, à la condition que ces faits soient susceptibles de constituer une infraction en droit national. Dans ce cadre, lorsqu'elle prononce une mesure de gel en application de l'article L. 562-2, les motifs retenus par l'autorité administrative doivent être fondés sur des informations précises ou des preuves ou des indices sérieux et crédibles, qui peuvent être contenus dans des notes des services de renseignement, dès lors qu'elles sont précises et circonstanciées.
5. D'autre part, il résulte des dispositions citées au point 3 qu'il appartient aux ministres chargés de l'économie et de l'intérieur d'autoriser, en application de l'article L. 562-11 du code monétaire et financier, le déblocage et la mise à disposition des fonds dont il apparaît, au regard des justifications apportées, qu'ils sont nécessaires, s'agissant d'une personne physique, à la satisfaction des besoins matériels particuliers intéressant sa vie personnelle et familiale et à la conservation de son patrimoine. En application des dispositions des articles R. 562-8 et R. 562-9 du même code, le silence gardé par l'administration sur une telle demande d'autorisation vaut rejet au terme d'un délai de 15 jours. A l'issue de ce délai, la personne concernée peut contester cette décision devant le juge administratif, le cas en échéant en référé.
Sur l'appel du ministre de l'intérieur et des outre-mer :
6. Il résulte de l'instruction que M. A..., ressortissant franco-marocain, a été condamné le 30 septembre 2013 par le tribunal correctionnel de Paris à une peine de cinq années d'emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, puis à deux autres peines de prison pour des faits de recel de biens provenant d'un délit. L'intéressé a fait l'objet, à sa sortie de prison le 30 septembre 2018, d'un arrêté ministériel portant mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) renouvelé jusqu'en janvier 2019. Mis en cause dans le cadre d'une enquête pour des faits d'apologie du terrorisme commis en avril 2022 et menace de mort sur personnes dépositaires de l'autorité publique, M. A... a été condamné le 16 janvier 2023 par le tribunal judiciaire de Versailles à une peine d'un an d'emprisonnement dont six mois avec sursis pour ces menaces, mais relaxé des faits d'apologie du terrorisme. Par ailleurs, à la suite d'une fiche d'incident concernant des gestes d'intimidation et de menaces de mort qu'il aurait proférées à l'encontre d'un avocat des parties civiles dans le cadre du procès de l'attentat commis à Magnanville, qui s'est tenu en octobre 2023, dans lequel son frère était impliqué, M. A..., après avoir été placé en détention provisoire, est soumis, depuis l'ouverture d'une information judiciaire concernant ces faits le 27 novembre 2023, à un contrôle judiciaire et une MICAS.
7. Les faits qui se sont produits en avril 2022 et en octobre 2023 ont conduit le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et le ministre de l'intérieur et des outre-mer à prendre le 11 janvier 2024 un arrêté prononçant, en application de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier, pour une durée de six mois, une mesure de gel des fonds et ressources économiques appartenant à M. A... et interdisant la mise à disposition directe ou indirecte ou l'utilisation de fonds ou de ressources à son profit, dont l'intéressé a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris de prononcer la suspension de l'exécution. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de l'ordonnance du 16 février 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de cet arrêté du 11 janvier 2024.
8. La condition d'urgence posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative s'apprécie objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce. En particulier, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. La circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale, portée par une mesure administrative, serait avérée n'est pas de nature à caractériser, à elle seule, l'existence d'une situation d'urgence au sens de cet article.
9. Pour juger que l'exécution de l'arrêté du 11 janvier 2024 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et du ministre de l'intérieur et des outre-mer porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à la situation de M. A..., nécessitant l'intervention du juge dans un délai très bref au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés de première instance a relevé que l'intéressé est père de quatre enfants mineurs et que la mesure de gel des fonds et ressources mise en place par l'arrêté en litige a pour effet de le priver de la possibilité de disposer de son salaire mensuel, qui s'élève à environ 2 000 euros, ainsi que d'une partie des prestations versées par la caisse d'allocations familiales pour un montant s'élevant, au total, à environ 780 euros mensuels.
10. A l'appui des conclusions dirigées contre l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris qu'il attaque, le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient qu'il est loisible à l'intéressé de s'adresser aux services de la direction générale du Trésor pour obtenir, en application de l'article L. 562-11 du code monétaire et financier, le déblocage partiel des fonds gelés dès lors qu'il est en mesure de justifier de leur emploi et qu'il a, à ce titre, bénéficié au mois de février 2024 d'une somme de 700 euros pour couvrir ses dépenses courantes, fixée en considération, d'une part, d'un retrait en espèces de 900 euros qu'il a effectué la veille de l'entrée en vigueur de la mesure de gel et, d'autre part, du montant des dépenses courantes du foyer dont il assume mensuellement la charge. Il soutient également, sans être contredit sur ce point, que la direction générale du Trésor a pris l'attache, d'une part, de la régie municipale de la commune dans laquelle réside M. A... afin de mettre en place un prélèvement automatique des sommes dues au titre du paiement de la cantine scolaire de ses enfants et, d'autre part, d'un centre automobile chargé de la réparation de son véhicule, afin de permettre le règlement par virement bancaire de la facture afférente à cette réparation. Il résulte également de l'instruction que si M. A... a fait valoir qu'il n'aurait pas obtenu le déblocage de fonds destinés au paiement de frais d'un huissier de justice, l'intéressé n'a pas donné suite à une demande des services compétents l'invitant à fournir un complément d'information sur l'objet et la date à laquelle cette procédure a été engagée. Le ministre soutient enfin, sans davantage être contredit, que la direction générale du Trésor a précisé à M. A... les modalités selon lesquelles sa compagne pourrait bénéficier elle-même du versement des prestations servies par la caisse d'allocations familiales, sans que l'intéressé ou sa compagne n'aient effectué les démarches nécessaires à cette fin. Au regard de ces éléments, qui ne sont pas sérieusement contestés par M. A... et dont il ressort qu'en l'état de l'instruction, les autorisations accordées en application de l'article L. 562-11 du code précité ou que l'autorité administrative compétente a proposé d'accorder sont de nature à répondre aux besoins matériels particuliers intéressant sa vie personnelle et familiale et aux nécessités de la conservation de son patrimoine, le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés de première instance a estimé que la condition d'urgence particulière posée par les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative pouvait être regardée comme satisfaite.
11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tenant à l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, qu'en l'absence de la condition d'urgence particulière requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative, il y a lieu, d'une part, d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 16 février 2024 et, d'autre part, de rejeter la demande formée sur le fondement du même article devant ce tribunal par M. A..., ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du même code.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : M. A... est admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 16 février 2024 est annulée.
Article 3 : Les conclusions de la demande présentée par M. A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
N° 492346
ECLI:FR:CECHR:2024:492346.20240516
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Christophe Chantepy, président
M. Alexandre Trémolière, rapporteur
Mme Dorothée Pradines, rapporteur public
SCP GURY & MAITRE, avocats
Lecture du jeudi 16 mai 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 11 janvier 2024 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et du ministre de l'intérieur et des outre-mer prononçant pour une durée de six mois une mesure de gel des fonds et ressources économiques lui appartenant et interdisant la mise à disposition directe ou indirecte ou l'utilisation de fonds ou de ressources à son profit.
Par une ordonnance n° 2403428 du 16 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, prononcé la suspension de l'exécution de l'arrêté du 11 janvier 2024.
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 et 20 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 16 février 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande formée par M. A... devant le juge des référés de première instance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001 ;
- la position commune 2001/931/PESC du Conseil du 27 décembre 2001 ;
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gury et Maitre, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ". Eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission provisoire de M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur le cadre juridique du litige :
3. Aux termes de l'article L. 562-1 du code monétaire et financier : " Pour l'application du présent chapitre, on entend par : " 1° " Acte de terrorisme " : les actes définis au 4° de l'article 1er du règlement (UE) n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001 concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ; / 2° " Fonds " : les actifs financiers et les avantages économiques de toute nature, notamment : / a) Le numéraire, les créances en numéraire, les traites, les ordres de paiement et autres instruments ou moyens de paiement ; / b) Les dépôts de fonds auprès des personnes mentionnées à l'article L. 562-4 tels que les fonds remboursables du public détenus ou versés sur des comptes de dépôts, les fonds versés sur un compte de paiement, les fonds investis dans des produits d'épargne tels que ceux régis par le titre II du livre II, les fonds versés dans le cadre de contrat individuel ou collectif de gestion d'actifs, les soldes de ces comptes ou contrats ; (...) ". Selon l'article L. 562-2 du même code : " Le ministre chargé de l'économie et le ministre de l'intérieur peuvent décider, conjointement, pour une durée de six mois, renouvelable, le gel des fonds et ressources économiques : / 1° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent ; (...) ". L'article L 562-11 du même code dispose : " Le ministre chargé de l'économie et le ministre de l'intérieur peuvent conjointement autoriser le déblocage et la mise à disposition d'une partie des fonds ou ressources économiques faisant l'objet d'une mesure de gel en vertu de l'article L. 562-2 si leur utilisation est compatible avec la sauvegarde de l'ordre public. / (...) Ces autorisations peuvent être accordées par les ministres compétents à leur initiative ou à la demande de toute personne physique ou morale ou autre entité visée par cette décision ou de tout tiers pouvant exciper d'un droit sur les fonds et ressources économiques ayant fait l'objet d'une décision de gel. / Elles sont accordées si la personne faisant l'objet d'une mesure de gel justifie : / 1° De besoins matériels particuliers intéressant sa vie personnelle ou familiale pour une personne physique (...) ; / 2° Ou de décisions de nature à assurer la conservation de son patrimoine ".
4. D'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier citées au point précédent qu'une mesure de police administrative de gel des fonds et ressources économiques peut être légalement mise en oeuvre à l'égard d'une personne qui commet, tente de commettre, facilite ou finance des actes de terrorisme, incite ou participe à de tels actes. En application des dispositions l'article L. 562-1 du même code, qui renvoient au règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001 concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, faisant lui-même référence, au 4° de son article 1er, à la position commune 2001/931/PESC du Conseil du même jour relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, de tels actes sont ceux mentionnés au paragraphe 3 de l'article 1er de cette position commune, à la condition que ces faits soient susceptibles de constituer une infraction en droit national. Dans ce cadre, lorsqu'elle prononce une mesure de gel en application de l'article L. 562-2, les motifs retenus par l'autorité administrative doivent être fondés sur des informations précises ou des preuves ou des indices sérieux et crédibles, qui peuvent être contenus dans des notes des services de renseignement, dès lors qu'elles sont précises et circonstanciées.
5. D'autre part, il résulte des dispositions citées au point 3 qu'il appartient aux ministres chargés de l'économie et de l'intérieur d'autoriser, en application de l'article L. 562-11 du code monétaire et financier, le déblocage et la mise à disposition des fonds dont il apparaît, au regard des justifications apportées, qu'ils sont nécessaires, s'agissant d'une personne physique, à la satisfaction des besoins matériels particuliers intéressant sa vie personnelle et familiale et à la conservation de son patrimoine. En application des dispositions des articles R. 562-8 et R. 562-9 du même code, le silence gardé par l'administration sur une telle demande d'autorisation vaut rejet au terme d'un délai de 15 jours. A l'issue de ce délai, la personne concernée peut contester cette décision devant le juge administratif, le cas en échéant en référé.
Sur l'appel du ministre de l'intérieur et des outre-mer :
6. Il résulte de l'instruction que M. A..., ressortissant franco-marocain, a été condamné le 30 septembre 2013 par le tribunal correctionnel de Paris à une peine de cinq années d'emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, puis à deux autres peines de prison pour des faits de recel de biens provenant d'un délit. L'intéressé a fait l'objet, à sa sortie de prison le 30 septembre 2018, d'un arrêté ministériel portant mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) renouvelé jusqu'en janvier 2019. Mis en cause dans le cadre d'une enquête pour des faits d'apologie du terrorisme commis en avril 2022 et menace de mort sur personnes dépositaires de l'autorité publique, M. A... a été condamné le 16 janvier 2023 par le tribunal judiciaire de Versailles à une peine d'un an d'emprisonnement dont six mois avec sursis pour ces menaces, mais relaxé des faits d'apologie du terrorisme. Par ailleurs, à la suite d'une fiche d'incident concernant des gestes d'intimidation et de menaces de mort qu'il aurait proférées à l'encontre d'un avocat des parties civiles dans le cadre du procès de l'attentat commis à Magnanville, qui s'est tenu en octobre 2023, dans lequel son frère était impliqué, M. A..., après avoir été placé en détention provisoire, est soumis, depuis l'ouverture d'une information judiciaire concernant ces faits le 27 novembre 2023, à un contrôle judiciaire et une MICAS.
7. Les faits qui se sont produits en avril 2022 et en octobre 2023 ont conduit le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et le ministre de l'intérieur et des outre-mer à prendre le 11 janvier 2024 un arrêté prononçant, en application de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier, pour une durée de six mois, une mesure de gel des fonds et ressources économiques appartenant à M. A... et interdisant la mise à disposition directe ou indirecte ou l'utilisation de fonds ou de ressources à son profit, dont l'intéressé a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris de prononcer la suspension de l'exécution. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de l'ordonnance du 16 février 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de cet arrêté du 11 janvier 2024.
8. La condition d'urgence posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative s'apprécie objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce. En particulier, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. La circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale, portée par une mesure administrative, serait avérée n'est pas de nature à caractériser, à elle seule, l'existence d'une situation d'urgence au sens de cet article.
9. Pour juger que l'exécution de l'arrêté du 11 janvier 2024 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et du ministre de l'intérieur et des outre-mer porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à la situation de M. A..., nécessitant l'intervention du juge dans un délai très bref au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés de première instance a relevé que l'intéressé est père de quatre enfants mineurs et que la mesure de gel des fonds et ressources mise en place par l'arrêté en litige a pour effet de le priver de la possibilité de disposer de son salaire mensuel, qui s'élève à environ 2 000 euros, ainsi que d'une partie des prestations versées par la caisse d'allocations familiales pour un montant s'élevant, au total, à environ 780 euros mensuels.
10. A l'appui des conclusions dirigées contre l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris qu'il attaque, le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient qu'il est loisible à l'intéressé de s'adresser aux services de la direction générale du Trésor pour obtenir, en application de l'article L. 562-11 du code monétaire et financier, le déblocage partiel des fonds gelés dès lors qu'il est en mesure de justifier de leur emploi et qu'il a, à ce titre, bénéficié au mois de février 2024 d'une somme de 700 euros pour couvrir ses dépenses courantes, fixée en considération, d'une part, d'un retrait en espèces de 900 euros qu'il a effectué la veille de l'entrée en vigueur de la mesure de gel et, d'autre part, du montant des dépenses courantes du foyer dont il assume mensuellement la charge. Il soutient également, sans être contredit sur ce point, que la direction générale du Trésor a pris l'attache, d'une part, de la régie municipale de la commune dans laquelle réside M. A... afin de mettre en place un prélèvement automatique des sommes dues au titre du paiement de la cantine scolaire de ses enfants et, d'autre part, d'un centre automobile chargé de la réparation de son véhicule, afin de permettre le règlement par virement bancaire de la facture afférente à cette réparation. Il résulte également de l'instruction que si M. A... a fait valoir qu'il n'aurait pas obtenu le déblocage de fonds destinés au paiement de frais d'un huissier de justice, l'intéressé n'a pas donné suite à une demande des services compétents l'invitant à fournir un complément d'information sur l'objet et la date à laquelle cette procédure a été engagée. Le ministre soutient enfin, sans davantage être contredit, que la direction générale du Trésor a précisé à M. A... les modalités selon lesquelles sa compagne pourrait bénéficier elle-même du versement des prestations servies par la caisse d'allocations familiales, sans que l'intéressé ou sa compagne n'aient effectué les démarches nécessaires à cette fin. Au regard de ces éléments, qui ne sont pas sérieusement contestés par M. A... et dont il ressort qu'en l'état de l'instruction, les autorisations accordées en application de l'article L. 562-11 du code précité ou que l'autorité administrative compétente a proposé d'accorder sont de nature à répondre aux besoins matériels particuliers intéressant sa vie personnelle et familiale et aux nécessités de la conservation de son patrimoine, le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés de première instance a estimé que la condition d'urgence particulière posée par les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative pouvait être regardée comme satisfaite.
11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tenant à l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, qu'en l'absence de la condition d'urgence particulière requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative, il y a lieu, d'une part, d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 16 février 2024 et, d'autre part, de rejeter la demande formée sur le fondement du même article devant ce tribunal par M. A..., ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du même code.
D E C I D E :
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Article 1er : M. A... est admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 16 février 2024 est annulée.
Article 3 : Les conclusions de la demande présentée par M. A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.