Conseil d'État
N° 472887
ECLI:FR:CECHR:2024:472887.20240506
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Amel Hafid, rapporteure
M. Florian Roussel, rapporteur public
SCP DUHAMEL, avocats
Lecture du lundi 6 mai 2024
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire distinct et un nouveau mémoire enregistrés les 7 février et 10 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société C8 demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision n° 2023-63 du 9 février 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 1er, 3-1, 15, 28, 42, 42-1 et 42-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
- la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société C8 et à la SCP Gury et Maître, avocat de l'Arcom.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Si la société C8 soutient que les articles 1er, 3-1, 15, 28, 42, 42-1 et 42-2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, l'ensemble de son argumentation porte sur l'insuffisance des garanties et limites applicables à l'exercice par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de son pouvoir d'infliger une sanction pécuniaire aux éditeurs de services de télévision au titre de la tenue à l'antenne de propos injurieux. Eu égard à la teneur de cette argumentation, sa question prioritaire de constitutionnalité doit dès lors être regardée comme dirigée contre le trente-quatrième alinéa de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986, le premier alinéa de l'article 42 ainsi que les premier, quatrième et sixième alinéas de l'article 42-1 et les premier et troisième à cinquième alinéas de l'article 42-2 de la même loi.
3. Aux termes du trente-quatrième alinéa de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " La convention mentionnée au premier alinéa définit également les prérogatives et notamment les pénalités contractuelles dont dispose l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique pour assurer le respect des obligations conventionnelles. Ces pénalités ne peuvent être supérieures aux sanctions prévues aux 1°, 2° et 3° de l'article 42-1 de la présente loi ; elles sont notifiées au titulaire de l'autorisation qui peut, dans les deux mois, former un recours devant le Conseil d'Etat ". Aux termes du premier alinéa de l'article 42 de la même loi : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 ". Aux termes des premier, quatrième et sixième alinéas de l'article 42-1 de la même loi: " Si la personne faisant l'objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, et à la condition que celui-ci repose sur des faits distincts ou couvre une période distincte de ceux ayant déjà fait l'objet d'une mise en demeure, une des sanctions suivantes : /(...) 3° Une sanction pécuniaire assortie éventuellement d'une suspension de l'édition ou de la distribution du ou des services ou d'une partie du programme ;/ (...) A titre complémentaire, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut décider, sous réserve des secrets protégés par la loi, de publier, soit au Journal officiel, soit sur un service de communication au public par voie électronique édité par ses soins, soit par ces deux moyens, la sanction qu'elle a prononcée. Elle détermine dans sa décision les modalités de cette publication, qui sont proportionnées à la gravité du manquement ". Aux termes des premier et troisième à cinquième alinéas de l'article 42-2 de la même loi : " Le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages tirés du manquement, sans pouvoir excéder 3 % du chiffre d'affaires hors taxes, réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois. Ce maximum est porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation. (...) / Lorsque le manquement est constitutif d'une infraction pénale, le montant de la sanction pécuniaire ne peut excéder celui prévu pour l'amende pénale. / Lorsque l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique a prononcé une sanction pécuniaire devenue définitive avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes, celui-ci peut ordonner que la sanction pécuniaire s'impute sur l'amende qu'il prononce. / Pour l'application du présent article, sont agrégées au montant du chiffre d'affaires l'ensemble des recettes publicitaires provenant de l'activité du service ". Ces dispositions confient à l'Arcom un pouvoir de sanction qui s'exerce sans préjudice des poursuites que le ministère public ou les particuliers peuvent intenter, le cas échéant, devant les tribunaux répressifs dans les termes du droit commun, pour tout fait en relation avec le manquement sanctionné.
4. En premier lieu, la société requérante soutient que les dispositions contestées seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions de nature à affecter la liberté d'expression et de communication, le principe de légalité des peines et le principe de séparation des pouvoirs garantis par les articles 11, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 en ce qu'elles permettent à l'Arcom de prononcer une sanction à l'encontre d'un éditeur de services à raison de la méconnaissance de toute obligation fixée par sa convention, y compris l'obligation de ne pas porter atteinte aux droits des personnes, sans exclure que puisse être prononcée une sanction en raison de la tenue de propos constitutifs d'un délit commis par la voie de la presse ni définir les atteintes susceptibles d'être ainsi prises en compte.
5. Toutefois, d'une part, le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou aucune règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse se voir confier un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.
6. D'autre part, se prononçant sur la conformité à la Constitution du texte adopté par le Parlement, qui allait devenir la loi du 17 janvier 1989 modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 88248 DC du 17 janvier 1989, a estimé que les pouvoirs de sanction conférés par le législateur au Conseil supérieur de l'audiovisuel, auquel s'est substituée l'Arcom, ne sont susceptibles de s'exercer qu'après mise en demeure des titulaires d'autorisation de respecter leurs obligations, et faute pour les intéressés de respecter ces obligations ou de se conformer aux mises en demeure qui leur ont été adressées. C'est sous réserve de cette interprétation que les articles en cause ont été déclarés conformes à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et à l'article 34 de la Constitution. Cette réserve d'interprétation assure notamment le respect du principe de légalité des délits et des peines, consacré par l'article 8 de la Déclaration du 26 août 1789 et qui s'applique notamment devant les organismes administratifs dotés d'un pouvoir de sanction, une sanction ne pouvant être prononcée contre le titulaire de l'autorisation qu'en cas de réitération d'un comportement ayant fait auparavant l'objet d'une mise en demeure par laquelle il a été au besoin éclairé sur ses obligations.
7. Enfin, il découle des dispositions contestées que l'Arcom a la faculté d'infliger une des sanctions administratives qu'elles énumèrent à un éditeur de services qui ne s'est pas conformé à la mise en demeure qui lui a été faite de respecter une obligation qui lui est imposée par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 ou une obligation imposée par la convention qui lui est applicable. Ces dispositions n'ont ainsi ni pour objet ni pour effet de donner compétence à l'Arcom pour se prononcer sur la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse au sens et pour l'application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, y compris l'injure définie par l'article 29 de cette loi comme " toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait ", la circonstance que le contenu d'un programme diffusé par un éditeur de services puisse donner lieu tant à cette répression pénale, dans les conditions définies par la loi du 29 juillet 1881, qu'à l'exercice par l'Arcom de son pouvoir de sanction restant à cet égard sans incidence.
8. Il résulte de ce qui précède que le grief d'incompétence négative, qui n'est pas nouveau, ne présente pas de caractère sérieux.
9. En deuxième lieu, la société requérante soutient que les dispositions législatives contestées, en ce qu'elles permettraient que soit infligée à un éditeur de services une sanction à raison de faits constitutifs d'un délit commis par la voie de la presse, portent atteinte aux règles qui découlent du principe de nécessité des délits et des peines et qui imposent qu'une même personne ne peut faire l'objet de plusieurs poursuites tendant à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux.
10. Toutefois, aux termes de l'article 93-4 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, les dispositions de l'article 121-2 du code pénal relatives à la responsabilité pénale des personnes morales " ne sont pas applicables aux infractions pour lesquelles les dispositions de l'article 93-3 de la présente loi sont applicables ", c'est-à-dire dans les " cas où l'une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse [y compris le délit d'injure publique] est commise par un moyen de communication au public par voie électronique ". Il en résulte qu'aucune poursuite pénale ne peut être engagée à l'encontre des éditeurs de services visés à l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 pour un délit d'injure public commise par un moyen de communication au public par voie électronique. Par ailleurs, les dispositions contestées, en tout état de cause, ne confient pas à l'Arcom le pouvoir d'engager des poursuites ayant vocation à protéger les mêmes intérêts sociaux que les dispositions mentionnées de la loi du 29 juillet 1881 et ne conduisent pas non plus à sanctionner les mêmes personnes. Elles ne sauraient, dès lors, méconnaître le principe mentionné au point 9.
11. En troisième lieu, la société requérante soutient que les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi en ce qu'elles ont pour effet de priver les éditeurs de services, lorsqu'ils sont sanctionnés par l'Arcom en raison de la tenue à l'antenne de propos constitutifs d'injures, des garanties prévues par la loi du 29 juillet 1881 et applicables à d'autres personnes, telles que les éditeurs de presse. Il résulte cependant de ce qui a été dit ci-dessus que le moyen, qui n'est pas nouveau, ne soulève aucune question sérieuse, un éditeur de services susceptible de faire l'objet d'une sanction infligée par l'Arcom se trouvant dans une situation différente de celle de toute autre personne susceptible de faire l'objet de la répression pénale des crimes et délits commis par la voie de la presse.
12. En quatrième lieu, si la société requérante soutient que les dispositions contestées sont contraires au principe d'intelligibilité de la loi, ce principe n'est pas, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution.
13. En cinquième lieu, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient les droits de la défense n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.
14. Enfin, la société requérante soutient que les dispositions de l'article 42-2 méconnaissent le principe de proportionnalité des peines issu de l'article 8 de la Déclaration du 26 août 1789 et applicable aux sanctions administratives en ce qu'elles prévoient, en cas de nouvelle violation par un éditeur de service de la même obligation, que le maximum de la sanction susceptible de lui être infligée est porté de 3 % à 5 % du chiffre d'affaires hors taxes, réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois, sans que soient précisées les conditions du constat de récidive.
15. Toutefois, eu égard à l'ensemble des conditions et garanties applicables à l'édiction par l'Arcom des sanctions prévues par les dispositions contestées, ainsi qu'à la limitation, en cas de récidive, à 5 % du chiffre d'affaires de l'éditeur de services en cause du plafond de la sanction susceptible d'être prononcée, le grief tiré de ce que le législateur aurait retenu une sanction manifestement disproportionnée, qui n'est pas nouveau, ne présente pas de caractère sérieux.
16. Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des griefs présentés par la société requérante ne soulève de question nouvelle ou ne présente de caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société C8.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société C8 et à la ministre de la culture.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 24 avril 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat, M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 6 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Amel Hafid
La secrétaire :
Signé : Mme Anne-Lise Calvaire
N° 472887
ECLI:FR:CECHR:2024:472887.20240506
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Amel Hafid, rapporteure
M. Florian Roussel, rapporteur public
SCP DUHAMEL, avocats
Lecture du lundi 6 mai 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire distinct et un nouveau mémoire enregistrés les 7 février et 10 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société C8 demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision n° 2023-63 du 9 février 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 1er, 3-1, 15, 28, 42, 42-1 et 42-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
- la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société C8 et à la SCP Gury et Maître, avocat de l'Arcom.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Si la société C8 soutient que les articles 1er, 3-1, 15, 28, 42, 42-1 et 42-2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, l'ensemble de son argumentation porte sur l'insuffisance des garanties et limites applicables à l'exercice par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de son pouvoir d'infliger une sanction pécuniaire aux éditeurs de services de télévision au titre de la tenue à l'antenne de propos injurieux. Eu égard à la teneur de cette argumentation, sa question prioritaire de constitutionnalité doit dès lors être regardée comme dirigée contre le trente-quatrième alinéa de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986, le premier alinéa de l'article 42 ainsi que les premier, quatrième et sixième alinéas de l'article 42-1 et les premier et troisième à cinquième alinéas de l'article 42-2 de la même loi.
3. Aux termes du trente-quatrième alinéa de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " La convention mentionnée au premier alinéa définit également les prérogatives et notamment les pénalités contractuelles dont dispose l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique pour assurer le respect des obligations conventionnelles. Ces pénalités ne peuvent être supérieures aux sanctions prévues aux 1°, 2° et 3° de l'article 42-1 de la présente loi ; elles sont notifiées au titulaire de l'autorisation qui peut, dans les deux mois, former un recours devant le Conseil d'Etat ". Aux termes du premier alinéa de l'article 42 de la même loi : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 ". Aux termes des premier, quatrième et sixième alinéas de l'article 42-1 de la même loi: " Si la personne faisant l'objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, et à la condition que celui-ci repose sur des faits distincts ou couvre une période distincte de ceux ayant déjà fait l'objet d'une mise en demeure, une des sanctions suivantes : /(...) 3° Une sanction pécuniaire assortie éventuellement d'une suspension de l'édition ou de la distribution du ou des services ou d'une partie du programme ;/ (...) A titre complémentaire, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut décider, sous réserve des secrets protégés par la loi, de publier, soit au Journal officiel, soit sur un service de communication au public par voie électronique édité par ses soins, soit par ces deux moyens, la sanction qu'elle a prononcée. Elle détermine dans sa décision les modalités de cette publication, qui sont proportionnées à la gravité du manquement ". Aux termes des premier et troisième à cinquième alinéas de l'article 42-2 de la même loi : " Le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages tirés du manquement, sans pouvoir excéder 3 % du chiffre d'affaires hors taxes, réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois. Ce maximum est porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation. (...) / Lorsque le manquement est constitutif d'une infraction pénale, le montant de la sanction pécuniaire ne peut excéder celui prévu pour l'amende pénale. / Lorsque l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique a prononcé une sanction pécuniaire devenue définitive avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes, celui-ci peut ordonner que la sanction pécuniaire s'impute sur l'amende qu'il prononce. / Pour l'application du présent article, sont agrégées au montant du chiffre d'affaires l'ensemble des recettes publicitaires provenant de l'activité du service ". Ces dispositions confient à l'Arcom un pouvoir de sanction qui s'exerce sans préjudice des poursuites que le ministère public ou les particuliers peuvent intenter, le cas échéant, devant les tribunaux répressifs dans les termes du droit commun, pour tout fait en relation avec le manquement sanctionné.
4. En premier lieu, la société requérante soutient que les dispositions contestées seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions de nature à affecter la liberté d'expression et de communication, le principe de légalité des peines et le principe de séparation des pouvoirs garantis par les articles 11, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 en ce qu'elles permettent à l'Arcom de prononcer une sanction à l'encontre d'un éditeur de services à raison de la méconnaissance de toute obligation fixée par sa convention, y compris l'obligation de ne pas porter atteinte aux droits des personnes, sans exclure que puisse être prononcée une sanction en raison de la tenue de propos constitutifs d'un délit commis par la voie de la presse ni définir les atteintes susceptibles d'être ainsi prises en compte.
5. Toutefois, d'une part, le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou aucune règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse se voir confier un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.
6. D'autre part, se prononçant sur la conformité à la Constitution du texte adopté par le Parlement, qui allait devenir la loi du 17 janvier 1989 modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 88248 DC du 17 janvier 1989, a estimé que les pouvoirs de sanction conférés par le législateur au Conseil supérieur de l'audiovisuel, auquel s'est substituée l'Arcom, ne sont susceptibles de s'exercer qu'après mise en demeure des titulaires d'autorisation de respecter leurs obligations, et faute pour les intéressés de respecter ces obligations ou de se conformer aux mises en demeure qui leur ont été adressées. C'est sous réserve de cette interprétation que les articles en cause ont été déclarés conformes à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et à l'article 34 de la Constitution. Cette réserve d'interprétation assure notamment le respect du principe de légalité des délits et des peines, consacré par l'article 8 de la Déclaration du 26 août 1789 et qui s'applique notamment devant les organismes administratifs dotés d'un pouvoir de sanction, une sanction ne pouvant être prononcée contre le titulaire de l'autorisation qu'en cas de réitération d'un comportement ayant fait auparavant l'objet d'une mise en demeure par laquelle il a été au besoin éclairé sur ses obligations.
7. Enfin, il découle des dispositions contestées que l'Arcom a la faculté d'infliger une des sanctions administratives qu'elles énumèrent à un éditeur de services qui ne s'est pas conformé à la mise en demeure qui lui a été faite de respecter une obligation qui lui est imposée par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 ou une obligation imposée par la convention qui lui est applicable. Ces dispositions n'ont ainsi ni pour objet ni pour effet de donner compétence à l'Arcom pour se prononcer sur la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse au sens et pour l'application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, y compris l'injure définie par l'article 29 de cette loi comme " toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait ", la circonstance que le contenu d'un programme diffusé par un éditeur de services puisse donner lieu tant à cette répression pénale, dans les conditions définies par la loi du 29 juillet 1881, qu'à l'exercice par l'Arcom de son pouvoir de sanction restant à cet égard sans incidence.
8. Il résulte de ce qui précède que le grief d'incompétence négative, qui n'est pas nouveau, ne présente pas de caractère sérieux.
9. En deuxième lieu, la société requérante soutient que les dispositions législatives contestées, en ce qu'elles permettraient que soit infligée à un éditeur de services une sanction à raison de faits constitutifs d'un délit commis par la voie de la presse, portent atteinte aux règles qui découlent du principe de nécessité des délits et des peines et qui imposent qu'une même personne ne peut faire l'objet de plusieurs poursuites tendant à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux.
10. Toutefois, aux termes de l'article 93-4 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, les dispositions de l'article 121-2 du code pénal relatives à la responsabilité pénale des personnes morales " ne sont pas applicables aux infractions pour lesquelles les dispositions de l'article 93-3 de la présente loi sont applicables ", c'est-à-dire dans les " cas où l'une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse [y compris le délit d'injure publique] est commise par un moyen de communication au public par voie électronique ". Il en résulte qu'aucune poursuite pénale ne peut être engagée à l'encontre des éditeurs de services visés à l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 pour un délit d'injure public commise par un moyen de communication au public par voie électronique. Par ailleurs, les dispositions contestées, en tout état de cause, ne confient pas à l'Arcom le pouvoir d'engager des poursuites ayant vocation à protéger les mêmes intérêts sociaux que les dispositions mentionnées de la loi du 29 juillet 1881 et ne conduisent pas non plus à sanctionner les mêmes personnes. Elles ne sauraient, dès lors, méconnaître le principe mentionné au point 9.
11. En troisième lieu, la société requérante soutient que les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi en ce qu'elles ont pour effet de priver les éditeurs de services, lorsqu'ils sont sanctionnés par l'Arcom en raison de la tenue à l'antenne de propos constitutifs d'injures, des garanties prévues par la loi du 29 juillet 1881 et applicables à d'autres personnes, telles que les éditeurs de presse. Il résulte cependant de ce qui a été dit ci-dessus que le moyen, qui n'est pas nouveau, ne soulève aucune question sérieuse, un éditeur de services susceptible de faire l'objet d'une sanction infligée par l'Arcom se trouvant dans une situation différente de celle de toute autre personne susceptible de faire l'objet de la répression pénale des crimes et délits commis par la voie de la presse.
12. En quatrième lieu, si la société requérante soutient que les dispositions contestées sont contraires au principe d'intelligibilité de la loi, ce principe n'est pas, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution.
13. En cinquième lieu, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient les droits de la défense n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.
14. Enfin, la société requérante soutient que les dispositions de l'article 42-2 méconnaissent le principe de proportionnalité des peines issu de l'article 8 de la Déclaration du 26 août 1789 et applicable aux sanctions administratives en ce qu'elles prévoient, en cas de nouvelle violation par un éditeur de service de la même obligation, que le maximum de la sanction susceptible de lui être infligée est porté de 3 % à 5 % du chiffre d'affaires hors taxes, réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois, sans que soient précisées les conditions du constat de récidive.
15. Toutefois, eu égard à l'ensemble des conditions et garanties applicables à l'édiction par l'Arcom des sanctions prévues par les dispositions contestées, ainsi qu'à la limitation, en cas de récidive, à 5 % du chiffre d'affaires de l'éditeur de services en cause du plafond de la sanction susceptible d'être prononcée, le grief tiré de ce que le législateur aurait retenu une sanction manifestement disproportionnée, qui n'est pas nouveau, ne présente pas de caractère sérieux.
16. Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des griefs présentés par la société requérante ne soulève de question nouvelle ou ne présente de caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société C8.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société C8 et à la ministre de la culture.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 24 avril 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat, M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 6 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Amel Hafid
La secrétaire :
Signé : Mme Anne-Lise Calvaire