Conseil d'État
N° 491312
ECLI:FR:CECHR:2024:491312.20240425
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Hadrien Tissandier, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public
Lecture du jeudi 25 avril 2024
Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 2303836 du 25 janvier 2024, enregistré le 30 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Rouen, avant de statuer sur la demande de M. B... C... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 septembre 2023 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) Lorsque l'autorité administrative assortit une obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre d'un ressortissant étranger d'une interdiction de retour alors que celui-ci a précédemment fait l'objet, concomitamment à une mesure d'éloignement antérieure, d'une interdiction de retour qui n'a pas été exécutée, doit-elle être regardée comme ayant implicitement abrogé la (ou les) interdiction(s) de retour sur le territoire français contenues dans ses précédents arrêtés '
2°) Si tel n'est pas le cas, l'autorité administrative doit-elle être regardée comme ayant prolongé l'interdiction de retour sur le territoire français précédemment prononcée, chaque prolongation ne pouvant alors être prononcée que par durée maximale de deux ans '
3°) Toujours en cas de réponse négative à la première question, si l'autorité administrative peut cumuler les interdictions de retour sur le territoire français successivement prononcées, la durée maximale de cinq ans peut-elle être dépassée en cas de menace grave à l'ordre public alors même qu'elles ne sont pas prononcées par la prolongation prévue à l'article L. 612-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile '
Des observations, enregistrées le 15 mars 2024, ont été présentées par le ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,
REND L'AVIS SUIVANT
1. Selon l'article 11 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, qui fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier : " 1. Les décisions de retour sont assorties d'une interdiction d'entrée : / a) si aucun délai n'a été accordé pour le départ volontaire, ou / b) si l'obligation de retour n'a pas été respectée. / Dans les autres cas, les décisions de retour peuvent être assorties d'une interdiction d'entrée. / 2. La durée de l'interdiction d'entrée est fixée en tenant dûment compte de toutes les circonstances propres à chaque cas et ne dépasse pas cinq ans en principe. Elle peut cependant dépasser cinq ans si le ressortissant d'un pays tiers constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. / Les États membres examinent la possibilité de lever ou de suspendre une interdiction d'entrée lorsqu'un ressortissant d'un pays tiers faisant l'objet d'une telle interdiction décidée conformément au paragraphe 1, deuxième alinéa, peut démontrer qu'il a quitté le territoire d'un État membre en totale conformité avec une décision de retour. / (...) Les États membres peuvent s'abstenir d'imposer, peuvent lever ou peuvent suspendre une interdiction d'entrée, dans des cas particuliers, pour des raisons humanitaires. Les États membres peuvent lever ou suspendre une interdiction d'entrée, dans des cas particuliers ou certaines catégories de cas, pour d'autres raisons (...) ". La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, par son arrêt du 26 juillet 2017 M. I... (C-225/16), que la durée de l'interdiction d'entrée prévue par ces dispositions, qui ne dépasse pas cinq ans en principe, doit être calculée à partir de la date à laquelle l'intéressé a effectivement quitté le territoire de l'Etat membre.
2. Pour assurer la transposition de ces dispositions, les articles L. 612-6 et L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient respectivement que l'autorité administrative édicte une interdiction de retour sur le territoire français, d'une part lorsqu'elle prend une décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, d'autre part lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, des circonstances humanitaires pouvant toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour.
L'article L. 612-8 du même code permet également à l'autorité administrative d'assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour lorsque l'étranger n'est pas dans l'une de ces situations. Les effets de ces interdictions cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui, dans la rédaction des textes antérieure à la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, ne peut excéder trois ans dans le cas prévu à l'article L. 612-6 et deux ans dans les autres cas, ce délai commençant à courir à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français.
L'article L. 612-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permet à l'autorité administrative de prolonger l'interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans lorsque : " 1° L'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français alors qu'il était obligé de le quitter sans délai ; / 2° L'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français au-delà du délai de départ volontaire qui lui avait été accordé (...). / Compte tenu des prolongations éventuellement décidées, la durée totale de l'interdiction de retour ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, sauf menace grave pour l'ordre public ".
3. Il résulte de ces dispositions combinées que lorsqu'un étranger a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français assortie d'une interdiction de retour qui n'a pas été exécutée, l'autorité administrative peut, sur le fondement de l'article L. 612-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans que ne soit intervenue une nouvelle obligation de quitter le territoire, prolonger la durée de cette interdiction dans la limite maximale de cinq ans, limite ne pouvant être dépassée qu'en cas de menace grave pour l'ordre public.
4. Toutefois, si l'autorité administrative prend une nouvelle décision obligeant l'intéressé à quitter le territoire français et décide, à l'issue du réexamen de sa situation, d'assortir à nouveau cette obligation d'une mesure d'interdiction de retour, elle doit être regardée comme ayant prononcé une nouvelle interdiction de retour, en lieu et place des précédentes décisions ayant le même objet, qui sont ainsi implicitement mais nécessairement abrogées.
Compte tenu de la réponse apportée à la première question posée par le tribunal administratif de Rouen, il n'y a pas lieu de répondre aux autres questions figurant dans la demande d'avis.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Rouen, à M. B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 avril 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pascal Trouilly, conseillers d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.
Rendu le 25 avril 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
L'auditeur-rapporteur :
Signé : M. Hadrien Tissandier
La secrétaire :
Signé : Mme D... E...
N° 491312
ECLI:FR:CECHR:2024:491312.20240425
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Hadrien Tissandier, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public
Lecture du jeudi 25 avril 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 2303836 du 25 janvier 2024, enregistré le 30 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Rouen, avant de statuer sur la demande de M. B... C... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 septembre 2023 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) Lorsque l'autorité administrative assortit une obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre d'un ressortissant étranger d'une interdiction de retour alors que celui-ci a précédemment fait l'objet, concomitamment à une mesure d'éloignement antérieure, d'une interdiction de retour qui n'a pas été exécutée, doit-elle être regardée comme ayant implicitement abrogé la (ou les) interdiction(s) de retour sur le territoire français contenues dans ses précédents arrêtés '
2°) Si tel n'est pas le cas, l'autorité administrative doit-elle être regardée comme ayant prolongé l'interdiction de retour sur le territoire français précédemment prononcée, chaque prolongation ne pouvant alors être prononcée que par durée maximale de deux ans '
3°) Toujours en cas de réponse négative à la première question, si l'autorité administrative peut cumuler les interdictions de retour sur le territoire français successivement prononcées, la durée maximale de cinq ans peut-elle être dépassée en cas de menace grave à l'ordre public alors même qu'elles ne sont pas prononcées par la prolongation prévue à l'article L. 612-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile '
Des observations, enregistrées le 15 mars 2024, ont été présentées par le ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,
REND L'AVIS SUIVANT
1. Selon l'article 11 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, qui fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier : " 1. Les décisions de retour sont assorties d'une interdiction d'entrée : / a) si aucun délai n'a été accordé pour le départ volontaire, ou / b) si l'obligation de retour n'a pas été respectée. / Dans les autres cas, les décisions de retour peuvent être assorties d'une interdiction d'entrée. / 2. La durée de l'interdiction d'entrée est fixée en tenant dûment compte de toutes les circonstances propres à chaque cas et ne dépasse pas cinq ans en principe. Elle peut cependant dépasser cinq ans si le ressortissant d'un pays tiers constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. / Les États membres examinent la possibilité de lever ou de suspendre une interdiction d'entrée lorsqu'un ressortissant d'un pays tiers faisant l'objet d'une telle interdiction décidée conformément au paragraphe 1, deuxième alinéa, peut démontrer qu'il a quitté le territoire d'un État membre en totale conformité avec une décision de retour. / (...) Les États membres peuvent s'abstenir d'imposer, peuvent lever ou peuvent suspendre une interdiction d'entrée, dans des cas particuliers, pour des raisons humanitaires. Les États membres peuvent lever ou suspendre une interdiction d'entrée, dans des cas particuliers ou certaines catégories de cas, pour d'autres raisons (...) ". La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, par son arrêt du 26 juillet 2017 M. I... (C-225/16), que la durée de l'interdiction d'entrée prévue par ces dispositions, qui ne dépasse pas cinq ans en principe, doit être calculée à partir de la date à laquelle l'intéressé a effectivement quitté le territoire de l'Etat membre.
2. Pour assurer la transposition de ces dispositions, les articles L. 612-6 et L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient respectivement que l'autorité administrative édicte une interdiction de retour sur le territoire français, d'une part lorsqu'elle prend une décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, d'autre part lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, des circonstances humanitaires pouvant toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour.
L'article L. 612-8 du même code permet également à l'autorité administrative d'assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour lorsque l'étranger n'est pas dans l'une de ces situations. Les effets de ces interdictions cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui, dans la rédaction des textes antérieure à la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, ne peut excéder trois ans dans le cas prévu à l'article L. 612-6 et deux ans dans les autres cas, ce délai commençant à courir à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français.
L'article L. 612-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permet à l'autorité administrative de prolonger l'interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans lorsque : " 1° L'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français alors qu'il était obligé de le quitter sans délai ; / 2° L'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français au-delà du délai de départ volontaire qui lui avait été accordé (...). / Compte tenu des prolongations éventuellement décidées, la durée totale de l'interdiction de retour ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, sauf menace grave pour l'ordre public ".
3. Il résulte de ces dispositions combinées que lorsqu'un étranger a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français assortie d'une interdiction de retour qui n'a pas été exécutée, l'autorité administrative peut, sur le fondement de l'article L. 612-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans que ne soit intervenue une nouvelle obligation de quitter le territoire, prolonger la durée de cette interdiction dans la limite maximale de cinq ans, limite ne pouvant être dépassée qu'en cas de menace grave pour l'ordre public.
4. Toutefois, si l'autorité administrative prend une nouvelle décision obligeant l'intéressé à quitter le territoire français et décide, à l'issue du réexamen de sa situation, d'assortir à nouveau cette obligation d'une mesure d'interdiction de retour, elle doit être regardée comme ayant prononcé une nouvelle interdiction de retour, en lieu et place des précédentes décisions ayant le même objet, qui sont ainsi implicitement mais nécessairement abrogées.
Compte tenu de la réponse apportée à la première question posée par le tribunal administratif de Rouen, il n'y a pas lieu de répondre aux autres questions figurant dans la demande d'avis.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Rouen, à M. B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 avril 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pascal Trouilly, conseillers d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.
Rendu le 25 avril 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
L'auditeur-rapporteur :
Signé : M. Hadrien Tissandier
La secrétaire :
Signé : Mme D... E...