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Ariane Web: Conseil d'État 471048, lecture du 22 mars 2024, ECLI:FR:CESEC:2024:471048.20240322

Décision n° 471048
22 mars 2024
Conseil d'État

N° 471048
ECLI:FR:CESEC:2024:471048.20240322
Publié au recueil Lebon
Section
M. Christophe Chantepy, président
M. Hervé Cassara, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP GUÉRIN - GOUGEON, avocats


Lecture du vendredi 22 mars 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'association Bon sens a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la " clause d'irresponsabilité du fournisseur de vaccins " contenue dans le " bon de commande " passé par l'Agence nationale de santé publique en application du contrat-cadre conclu le 20 novembre 2020 entre la Commission européenne et les sociétés Pfizer et BioNTech Manufacturing GmbH ou, à titre subsidiaire, d'annuler ce " bon de commande ". Par une ordonnance n° 2200673 du 7 mars 2022, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Par un arrêt n° 22PA02057 du 27 janvier 2023, rectifiée par une ordonnance du 8 févier 2023 de la présidente de la cour administrative d'appel de Paris, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par l'association Bon sens contre cette ordonnance.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 3 et 7 février, 2 octobre (rectifié le 3) et 1er décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Bon sens demande au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel et, en outre, d'annuler le contrat-cadre du 20 novembre 2020 et les " bons de commande " des 8 décembre 2020 et 15 janvier 2021 ou, à titre subsidiaire, d'annuler les clauses stipulant que ces contrats sont régis par la loi belge et relèvent de la compétence des tribunaux bruxellois et les clauses par lesquelles l'Etat garantit les sociétés Pfizer et BioNTech Manufacturing GmbH des condamnations qui seraient prononcées à leur encontre ;

3°) de mettre à la charge de l'Agence nationale de santé publique, de la société Pfizer et de la société BioNTech Manufacturing GmbH la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 2016/369 du 15 mars 2016 ;
- le règlement (UE) n° 2020/521 du 14 avril 2020 ;
- le règlement (UE, Euratom) n° 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil du 18 juillet 2018 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de l'association Bon sens, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'Agence nationale de santé publique, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société Pfizer et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société BioNTech Manufacturing GmbH ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour faire face à la pandémie résultant du virus SARS-CoV-2 (Covid-19), les Etats membres de l'Union européenne ont décidé d'agir collectivement pour se procurer des vaccins. A cette fin, ils ont donné mandat à la Commission européenne pour conclure, en leur nom et pour leur compte, des contrats-cadres d'achat par anticipation de doses de vaccin avec des fabricants. Le 20 novembre 2020, la Commission européenne a conclu un contrat-cadre avec la société de droit américain Pfizer et la société de droit allemand BioNTech Manufacturing GmbH. Sur le fondement de ce dernier, l'Agence nationale de santé publique a, le 8 décembre 2020, passé pour le compte de l'Etat avec ces deux sociétés un " bon de commande " de doses du vaccin qu'elles fabriquent. L'association Bon sens a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la " clause d'irresponsabilité du fournisseur de vaccins ", contenue dans ce " bon de commande " et issue du contrat-cadre du 20 novembre 2020, ou, à titre subsidiaire, d'annuler ce " bon de commande ". Par une ordonnance du 7 mars 2022, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative. Par un arrêt du 27 janvier 2023, rectifié par une ordonnance de la présidente de la cour administrative d'appel de Paris du 8 février 2023 et contre lequel l'association Bon sens se pourvoit en cassation, cette cour a rejeté son appel dirigé contre cette ordonnance.

2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 122 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sans préjudice des autres procédures prévues par les traités, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les Etats membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie ". Aux termes de l'article 1er du règlement (UE) n° 2016/369 du 15 mars 2016 relatif à la fourniture d'une aide d'urgence au sein de l'Union, dans sa rédaction résultant du règlement (UE) n° 2020/521 du 14 avril 2020 portant activation de l'aide d'urgence en vertu du règlement (UE) n° 2016/369 et modification des dispositions dudit règlement pour tenir compte de la propagation de la Covid-19, pris tous deux au visa du paragraphe 1 de l'article 122 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne précité : " 1. Le présent règlement établit le cadre dans lequel l'aide d'urgence de l'Union peut être accordée, au moyen de mesures particulières qui cadrent avec la situation économique, en cas de catastrophe d'origine naturelle ou humaine en cours ou potentielle. (...) ". Aux termes de l'article 3 du même règlement : " 1. L'aide d'urgence accordée en vertu du présent règlement apporte une réponse d'urgence fondée sur les besoins, qui complète la réponse des Etats membres touchés visant à préserver des vies, à prévenir et à atténuer la souffrance humaine et à préserver la dignité humaine, chaque fois qu'une catastrophe visée à l'article 1er, paragraphe 1, le justifie. (...) ". Aux termes de son article 4 : " (...) 5. Une aide d'urgence en vertu du présent règlement peut être accordée sous l'une des formes suivantes : (...) / b) une passation de marché menée par la Commission pour le compte d'Etats membres, sur la base d'un accord conclu entre la Commission et des Etats membres ; (...) / 6. Dans le cas où une procédure de passation de marché visée au paragraphe 5, point b), est menée, les contrats qui en découlent sont conclus : (...) / b) soit par les Etats membres participants, lorsque ces derniers achètent, louent ou prennent en crédit-bail directement les capacités acquises pour leur compte par la Commission. / 7. Dans le cas où des procédures de passation de marché telles qu'elles sont visées au paragraphe 5, points b) et c), sont menées, la Commission applique les règles prévues par le règlement (UE, Euratom) n° 2018/1046 à ses propres marchés ". Aux termes des dispositions de l'article 16.4 de l'annexe I de ce règlement (UE, Euratom) n° 2018/1046 du 18 juillet 2018 relatif aux règles financières applicables au budget général de l'Union, les documents de marché contiennent un projet de contrat qui précise " que, lorsque les institutions de l'Union attribuent des marchés pour leur propre compte, la loi applicable au contrat est le droit de l'Union complété, si nécessaire, par le droit national " et " la juridiction compétente en cas de contentieux ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en application des dispositions du b) du 5 de l'article 4 du règlement (UE) n° 2016/369 du 15 mars 2016 citées au point 2, la Commission européenne et les Etats membres ont conclu un accord, annexé à la décision de la Commission C(2020) 4192 final du 18 juin 2020, réglant la procédure de passation de marché en découlant. Aux termes de son article 1er, les Etats membres, dont la France, ont donné mandat à la Commission européenne pour conclure, pour leur compte, des contrats d'achat anticipé de vaccins avec des fabricants pour lutter contre la pandémie de Covid-19 au niveau de l'Union européenne. Il ressort de cet accord que les Etats membres participants ont, d'une part, décidé que chaque contrat-cadre négocié par la Commission européenne pour leur compte avec un fabricant de vaccin comprendra des stipulations clarifiant le droit applicable à la fois à ce contrat-cadre et aux " bons de commande " en résultant et, d'autre part, accepté que chaque contrat-cadre comprenne le même droit applicable pour tous les Etats membres participants et que les juridictions de ce droit applicable soient compétentes pour connaître des litiges résultant de ce contrat-cadre.

4. Sur le fondement des dispositions du b) du 5 de l'article 4 du règlement (UE) n° 2016/369 du 15 mars 2016 citées au point 2 et conformément à l'accord conclu entre la Commission européenne et les Etats membres mentionné au point 3, la Commission européenne a conclu, au nom et pour le compte des Etats membres, un contrat-cadre avec les sociétés Pfizer et BioNTech Manufacturing GmbH le 20 novembre 2020 pour l'achat anticipé de doses du vaccin fabriqué par ces deux sociétés. Il résulte des termes mêmes des stipulations de ce contrat-cadre qu'il est régi par les lois de la Belgique et que tout litige relatif au contrat-cadre lui-même ou à tout " bon de commande " en découlant est soumis à la compétence exclusive des tribunaux situés à Bruxelles, en Belgique.

5. Sur le fondement des dispositions du b) du 6 de l'article 4 du règlement (UE) n° 2016/369 du 15 mars 2016 citées au point 2 et conformément à l'accord conclu entre la Commission européenne et les Etats membres mentionné au point 3 et au contrat-cadre mentionné au point 4, l'Agence nationale de santé publique a passé, pour le compte de l'Etat, un " bon de commande " pour acquérir des doses du vaccin fabriqué par les sociétés Pfizer et BioNTech Manufacturing GmbH. Ce " bon de commande " doit être regardé comme formant un même ensemble contractuel avec les clauses du contrat-cadre du 20 novembre 2020, qui y sont incorporées en vertu du 1 de son article I. Il rappelle à son article V la clause du contrat-cadre relative au droit applicable et au règlement des litiges.

6. Il résulte de la combinaison des dispositions et stipulations mentionnées aux points 2 à 5 que l'ensemble contractuel en litige est entièrement soumis au droit belge et à la compétence exclusive des tribunaux situés à Bruxelles, en Belgique. Dès lors, le juge administratif n'est pas compétent pour connaître du recours de l'association requérante contestant sa validité.

7. Le motif exposé au point précédent, dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu par l'arrêt attaqué pour rejeter comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions présentées par l'association requérante, dont le pourvoi ne peut qu'être rejeté.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Agence nationale de santé publique, de la société Pfizer et de la société BioNTech Manufacturing GmbH qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Bon sens la somme de 1 000 euros à verser respectivement à l'Agence nationale de santé publique, à la société Pfizer et à la société BioNTech Manufacturing GmbH, au titre des mêmes dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l'association Bon sens est rejeté.
Article 2 : L'association Bon sens versera respectivement à l'Agence nationale de santé publique, à la société Pfizer et à la société BioNTech Manufacturing GmbH une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Bon sens, à l'Agence nationale de santé publique, à la société Pfizer et à la société BioNTech Manufacturing GmbH.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.


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