Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 488693, lecture du 1 mars 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:488693.20240301

Décision n° 488693
1 mars 2024
Conseil d'État

N° 488693
ECLI:FR:CECHS:2024:488693.20240301
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre
Mme Maud Vialettes, président
Mme Catherine Fischer-Hirtz, rapporteur
M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public


Lecture du vendredi 1 mars 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 octobre et 11 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de L'Haÿ-les-Roses demande au Conseil d'Etat :

1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 873 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la durée excessive de la procédure engagée devant le tribunal administratif de Melun ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de la commune de L'Haÿ-les-Roses ;


Considérant ce qui suit :

1. La commune de L'Haÿ-les-Roses demande la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subi en raison de la durée excessive de la procédure engagée par l'association Aspect 12 devant le tribunal administratif de Melun contre la délibération du 24 septembre 2020 par laquelle son conseil municipal a prononcé le déclassement immédiat du domaine public de la parcelle O n° 76 et a décidé de sa désaffectation.

2. Il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable. Si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect. Ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours, particulières à chaque instance, et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement. Lorsque la durée globale du jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive.

3. Il résulte de l'instruction que l'association Aspect 12 a saisi, le 30 novembre 2020, le tribunal administratif de Melun d'un recours pour excès de pouvoir contre la délibération du 24 septembre 2020 par laquelle le conseil municipal de la commune de L'Haÿ-les-Roses a prononcé le déclassement immédiat du domaine public de la parcelle O n° 76 et a décidé de sa désaffectation. Le tribunal administratif de Melun ayant, par un jugement du 22 décembre 2023, rejeté cette requête, la durée de la procédure devant cette juridiction s'établit à trois ans et vingt-deux jours. La commune de L'Haÿ-les-Roses est, par suite, fondée à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu devant le tribunal administratif de Melun et que la responsabilité de l'Etat doit être engagée pour ce motif.

4. Si la commune de L'Haÿ-les-Roses fait valoir qu'elle a exposé, du fait de la durée excessive de cette procédure, plusieurs frais et surcoûts consécutifs au prolongement de la concession d'aménagement " Secteur Coeur de Ville ", il résulte de l'instruction que les sommes alléguées ont été inscrites dans le bilan financier prévisionnel annexé à l'avenant autorisant ce prolongement, lequel a été signé par l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre et la société Citallios, le 17 octobre 2022, soit à une date à laquelle la procédure engagée devant le tribunal administratif de Melun n'avait pas excédé le délai raisonnable de jugement. Il s'ensuit que, même à supposer que ces sommes lui soient directement imputables, la commune n'est pas fondée à soutenir qu'il existerait un lien de causalité direct et certain entre le préjudice matériel allégué et le délai excessif de la procédure devant la juridiction administrative.

5. En revanche, la requérante, qui justifie que le délai excessif de la procédure devant la juridiction administrative lui a occasionné un préjudice moral lié à une situation prolongée d'incertitude, alors que la délibération en cause s'inscrit dans le cadre d'un projet d'aménagement destiné à renforcer l'attractivité de son centre-ville, est fondée à demander que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 1 000 euros à ce titre.

6. Il résulte de ce qui précède que le préjudice à indemniser au titre de la durée excessive de la procédure juridictionnelle doit être fixé à 1 000 euros.

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de L'Haÿ-les-Roses au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la commune de L'Haÿ-les-Roses la somme de 1 000 euros.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de L'Haÿ-les-Roses et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée à la présidente de la mission d'inspection de la juridiction administrative.