Conseil d'État
N° 476102
ECLI:FR:CECHR:2024:476102.20240209
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Ariane Piana-Rogez , rapporteur
M. Mathieu Le Coq, rapporteur public
SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du vendredi 9 février 2024
Vu la procédure suivante :
L'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision implicite par laquelle le ministre de la santé et de la prévention a rejeté sa demande tendant à ce que soit mis en place " un moratoire sur la vaccination contre les papillomavirus humains dans les collèges ", à ce que soient mises en oeuvre des " études indépendantes par des équipes d'experts incluant notamment des spécialistes de la toxicité des adjuvants aluminiques afin de lever les doutes sur la toxicité du Gardasil " et à ce que " la levée du secret industriel sur la composition exacte du Gardasil 9 " soit ordonnée et, d'autre part, d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention " de mettre en place un moratoire sur la vaccination contre les papillomavirus dans les collèges ", dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de cent euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2315538 du 4 juillet 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et trois mémoires en réplique, enregistrés les 19 juillet, 3 août et 11 novembre 2023 et les 12 et 26 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- l'arrêté du 5 décembre 2005 relatif à la forme et au mode d'utilisation du carnet de santé ;
- l'arrêté du 28 février 2018 relatif à la forme et au mode d'utilisation du carnet de santé ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif qu'à la suite de l'annonce publique le 28 février 2023 de l'organisation d'une campagne nationale de vaccination contre les papillomavirus humains dans les collèges pour les élèves de la classe de cinquième, l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages a demandé au ministre de la santé et de la prévention, par courrier du 25 avril 2023, de mettre en place un " moratoire " sur cette campagne et d'ordonner " la mise en oeuvre d'études indépendantes par des équipes d'experts incluant notamment des spécialistes de la toxicité des adjuvants aluminiques afin de lever les doutes sur la toxicité du Gardasil ", ainsi que " la levée du secret industriel sur la composition exacte " du Gardasil 9. L'association requérante se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 4 juillet 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du même code, à ce que soit suspendue l'exécution de la décision implicite de rejet née du silence gardé sur sa demande.
3. L'article R. 311-1 du code de justice administrative dispose que : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (...) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale. (...) "
4. La demande présentée par l'association requérante doit être regardée, ainsi qu'elle l'a confirmé lors de la séance d'orale d'instruction tenue le 20 décembre 2023 par la 1ère chambre de la section du contentieux, comme dirigée contre l'instruction du 19 juin 2023, à caractère réglementaire, par laquelle le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et le ministre de la santé et de la prévention ont précisé les modalités d'organisation et de suivi de la campagne nationale de vaccination contre les papillomavirus humains, dans tous les collèges publics relevant du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et dans tous les collèges privés volontaires pour accueillir cette campagne. Par suite, les conclusions de l'association requérante se rapportent à un litige qui relève de la compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort et le juge des référés du tribunal administratif n'était pas compétent pour la rejeter comme mal fondée ainsi qu'il l'a fait. Son ordonnance doit dès lors être annulée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens soulevés par l'association requérante.
5. Il y a lieu de statuer immédiatement sur la requête en référé.
6. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) ".
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que les infections à papillomavirus humains touchent la moitié des jeunes entre quinze et vingt-quatre ans et que plus des deux tiers des femmes et des hommes sont contaminés au cours de leur vie. Selon un rapport de la Haute autorité de santé établi en 2019, environ 1 750 nouveaux cas de cancer provoqués par des papillomavirus humains surviennent chaque année en France chez l'homme et 4 580 nouveaux cas chez la femme, à l'origine de 1 117 morts évitables par an. Alors que le seul dépistage ne permet pas, contrairement à ce que soutient l'association requérante, de détecter tous les cancers et lésions précancéreuses provoqués par des papillomavirus humains, plusieurs études internationales ont en outre démontré l'efficacité de la vaccination pour réduire significativement l'incidence de ces cancers. Ainsi, la Haute autorité de santé a recommandé en décembre 2019 l'élargissement de la vaccination contre les papillomavirus humains, qui concernait d'ores et déjà les filles, à tous les garçons âgés de onze à quatorze ans révolus et l'amélioration de la couverture vaccinale en s'appuyant sur les expériences étrangères en milieu scolaire. La couverture vaccinale s'élevant, au 31 décembre 2022, à 41,5 % chez les filles de seize ans et à 8,5 % chez les garçons du même âge, elle demeure en-deçà de l'objectif de 80 % à l'horizon 2030 fixé dans le cadre de la stratégie décennale de lutte contre les cancers. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'organisation d'une campagne de vaccination contre les papillomavirus humains dans les collèges, qui est susceptible d'augmenter cette couverture vaccinale et dont le bénéfice qui en est attendu doit, au regard du risque éventuellement susceptible d'être présenté par la vaccination pour chaque personne vaccinée, s'apprécier tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter, constitue, contrairement à ce qu'affirme l'association requérante, en complément du dépistage, un moyen de lutter contre les pathologies engendrées par ces papillomavirus.
8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que les vaccins contre les infections à papillomavirus humains, qui sont utilisés depuis plus de quinze ans dans de nombreux pays et dont plus de 300 millions de doses ont été administrées, présentent un bon profil de sécurité. Si l'association requérante fait valoir que le vaccin Gardasil 9 utilisé dans le cadre de la campagne de vaccination dans les collèges comporte un adjuvant aluminique, couvert par un brevet, qui ne serait pas susceptible de faire l'objet d'évaluations indépendantes, celui-ci est utilisé depuis 2001 dans le vaccin HBvaxpro, depuis 2007 dans le vaccin Gardasil et depuis 2015 dans le vaccin Gardasil 9, de sorte que, contrairement à ce qu'elle affirme, il ne peut être regardé comme nouveau. Le vaccin Gardasil 9 a obtenu une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence européenne des médicaments le 10 juin 2015 au titre de laquelle aucun signal de sécurité n'a été détecté à ce jour. Selon l'enquête nationale de pharmacovigilance réalisée par l'Agence nationale de sécurité du médicament en 2023 et portant sur le Gardasil 9, le bilan du suivi national portant sur la période du 1er juillet 2020 au 31 décembre 2022 n'a pas fait apparaître de nouveau signal de sécurité, par rapport aux données antérieures de notification spontanée.
9. En outre, alors que le recours à des adjuvants aluminiques est indispensable à la stimulation de la réponse immunitaire aux antigènes vaccinaux inactivés ou purifiés et donc à l'efficacité de la vaccination elle-même, aucun lien de causalité n'a pu être établi entre adjuvants aluminiques et maladies auto-immunes, auxquelles l'association rattache la lésion histologique de myofasciite à macrophages, les nombreuses études pharmaco-épidémiologiques portant sur les vaccins contre les papillomavirus humains n'ayant pas davantage mis en évidence d'augmentation du risque de telles maladies. Ces adjuvants, utilisés depuis 1926, sont bien tolérés et très efficaces et ne pourraient être remplacés dans l'immédiat.
10. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'en l'état des connaissances scientifiques et en l'état de l'instruction, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que le moyen tiré de ce que la décision litigieuse méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, en ce que la vaccination contre les papillomavirus humains ne serait pas nécessaire et présenterait des risques pour la santé humaine et en ce que " la balance entre les bénéfices et les risques serait négative ", serait propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
11. En second lieu, l'article L. 1111-2 du code de la santé publique dispose que : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) ". Selon l'article L. 1111-4 du même code : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. (...) Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ". Aux termes de l'article L. 2132-1 du même code, toutes les constatations importantes concernant la santé d'un enfant doivent être notées, au fur et à mesure, dans son carnet de santé. L'arrêté du 5 décembre 2005 relatif à la forme et au mode d'utilisation du carnet de santé, en vigueur lors de la délivrance de carnets de santé aux collégiens aujourd'hui scolarisés en classe de cinquième, tout comme l'arrêté du 28 février 2018 ayant le même objet, désormais en vigueur, prévoient que celui-ci comporte une page consacrée aux allergies sur laquelle le médecin reporte, avec l'accord des parents, les éventuelles allergies de l'enfant.
12. Il résulte des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique que toute vaccination doit être précédée, auprès des personnes qui sont titulaires de l'autorité parentale ou qui assurent la tutelle de l'enfant, d'une information portant sur l'utilité, l'urgence éventuelle, les conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles que comporte cette vaccination ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus, de sorte que leur consentement libre et éclairé, garanti par les dispositions de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, puisse être recueilli.
13. En l'espèce, par un premier courrier du 6 juin 2023, un second courrier diffusé au moment de la rentrée scolaire 2023 et un dépliant communiqué aux familles concernées, ces documents renvoyant vers les sites internet de l'Institut national du cancer et de Santé publique France et invitant les représentants légaux des enfants à se rapprocher de leur médecin traitant, ceux-ci ont bénéficié, avant que ne soit recueilli leur consentement, d'une information sur la campagne de vaccination en cours, sur les papillomavirus humains et leurs dangers ainsi que sur les effets secondaires de la vaccination. L'hypersensibilité aux substances actives ou à l'un des excipients du vaccin, dont l'occurrence est particulièrement rare, constituant la seule contre-indication aux vaccins contre les papillomavirus humains, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'information donnée à ce propos aurait dû être plus développée.
14. Enfin, l'instruction attaquée prévoit que la vaccination n'est réalisée que pour les élèves qui présentent, outre l'autorisation recueillie auprès des deux parents, leur carnet de santé, lequel, conformément aux dispositions précitées du code de la santé publique, mentionne, lorsqu'elles sont connues, les éventuelles allergies du patient. L'identification d'une éventuelle contre-indication ou l'absence de présentation du carnet de santé faisant obstacle à toute vaccination, l'absence d'entretien individualisé entre le professionnel de santé effectuant la vaccination et les représentants légaux de l'élève ne peut être regardée, eu égard aux conditions dans lesquelles leur autorisation a préalablement été recueillie, aux contre-indications identifiées pour ce vaccin et aux informations figurant dans le carnet de santé, comme portant atteinte à leur droit à l'information et à un consentement libre et éclairé.
15. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 1111-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique n'est pas propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'instruction en litige.
16. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages n'est pas fondée à demander la suspension de l'exécution de cette instruction. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 4 juillet 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : La requête de l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques.
Délibéré à l'issue de la séance du 31 janvier 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, Mme Célia Vérot, M. Jean-Dominique Langlais, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.
Rendu le 9 février 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber
N° 476102
ECLI:FR:CECHR:2024:476102.20240209
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Ariane Piana-Rogez , rapporteur
M. Mathieu Le Coq, rapporteur public
SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du vendredi 9 février 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
L'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision implicite par laquelle le ministre de la santé et de la prévention a rejeté sa demande tendant à ce que soit mis en place " un moratoire sur la vaccination contre les papillomavirus humains dans les collèges ", à ce que soient mises en oeuvre des " études indépendantes par des équipes d'experts incluant notamment des spécialistes de la toxicité des adjuvants aluminiques afin de lever les doutes sur la toxicité du Gardasil " et à ce que " la levée du secret industriel sur la composition exacte du Gardasil 9 " soit ordonnée et, d'autre part, d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention " de mettre en place un moratoire sur la vaccination contre les papillomavirus dans les collèges ", dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de cent euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2315538 du 4 juillet 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et trois mémoires en réplique, enregistrés les 19 juillet, 3 août et 11 novembre 2023 et les 12 et 26 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- l'arrêté du 5 décembre 2005 relatif à la forme et au mode d'utilisation du carnet de santé ;
- l'arrêté du 28 février 2018 relatif à la forme et au mode d'utilisation du carnet de santé ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif qu'à la suite de l'annonce publique le 28 février 2023 de l'organisation d'une campagne nationale de vaccination contre les papillomavirus humains dans les collèges pour les élèves de la classe de cinquième, l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages a demandé au ministre de la santé et de la prévention, par courrier du 25 avril 2023, de mettre en place un " moratoire " sur cette campagne et d'ordonner " la mise en oeuvre d'études indépendantes par des équipes d'experts incluant notamment des spécialistes de la toxicité des adjuvants aluminiques afin de lever les doutes sur la toxicité du Gardasil ", ainsi que " la levée du secret industriel sur la composition exacte " du Gardasil 9. L'association requérante se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 4 juillet 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du même code, à ce que soit suspendue l'exécution de la décision implicite de rejet née du silence gardé sur sa demande.
3. L'article R. 311-1 du code de justice administrative dispose que : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (...) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale. (...) "
4. La demande présentée par l'association requérante doit être regardée, ainsi qu'elle l'a confirmé lors de la séance d'orale d'instruction tenue le 20 décembre 2023 par la 1ère chambre de la section du contentieux, comme dirigée contre l'instruction du 19 juin 2023, à caractère réglementaire, par laquelle le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et le ministre de la santé et de la prévention ont précisé les modalités d'organisation et de suivi de la campagne nationale de vaccination contre les papillomavirus humains, dans tous les collèges publics relevant du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et dans tous les collèges privés volontaires pour accueillir cette campagne. Par suite, les conclusions de l'association requérante se rapportent à un litige qui relève de la compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort et le juge des référés du tribunal administratif n'était pas compétent pour la rejeter comme mal fondée ainsi qu'il l'a fait. Son ordonnance doit dès lors être annulée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens soulevés par l'association requérante.
5. Il y a lieu de statuer immédiatement sur la requête en référé.
6. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) ".
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que les infections à papillomavirus humains touchent la moitié des jeunes entre quinze et vingt-quatre ans et que plus des deux tiers des femmes et des hommes sont contaminés au cours de leur vie. Selon un rapport de la Haute autorité de santé établi en 2019, environ 1 750 nouveaux cas de cancer provoqués par des papillomavirus humains surviennent chaque année en France chez l'homme et 4 580 nouveaux cas chez la femme, à l'origine de 1 117 morts évitables par an. Alors que le seul dépistage ne permet pas, contrairement à ce que soutient l'association requérante, de détecter tous les cancers et lésions précancéreuses provoqués par des papillomavirus humains, plusieurs études internationales ont en outre démontré l'efficacité de la vaccination pour réduire significativement l'incidence de ces cancers. Ainsi, la Haute autorité de santé a recommandé en décembre 2019 l'élargissement de la vaccination contre les papillomavirus humains, qui concernait d'ores et déjà les filles, à tous les garçons âgés de onze à quatorze ans révolus et l'amélioration de la couverture vaccinale en s'appuyant sur les expériences étrangères en milieu scolaire. La couverture vaccinale s'élevant, au 31 décembre 2022, à 41,5 % chez les filles de seize ans et à 8,5 % chez les garçons du même âge, elle demeure en-deçà de l'objectif de 80 % à l'horizon 2030 fixé dans le cadre de la stratégie décennale de lutte contre les cancers. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'organisation d'une campagne de vaccination contre les papillomavirus humains dans les collèges, qui est susceptible d'augmenter cette couverture vaccinale et dont le bénéfice qui en est attendu doit, au regard du risque éventuellement susceptible d'être présenté par la vaccination pour chaque personne vaccinée, s'apprécier tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter, constitue, contrairement à ce qu'affirme l'association requérante, en complément du dépistage, un moyen de lutter contre les pathologies engendrées par ces papillomavirus.
8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que les vaccins contre les infections à papillomavirus humains, qui sont utilisés depuis plus de quinze ans dans de nombreux pays et dont plus de 300 millions de doses ont été administrées, présentent un bon profil de sécurité. Si l'association requérante fait valoir que le vaccin Gardasil 9 utilisé dans le cadre de la campagne de vaccination dans les collèges comporte un adjuvant aluminique, couvert par un brevet, qui ne serait pas susceptible de faire l'objet d'évaluations indépendantes, celui-ci est utilisé depuis 2001 dans le vaccin HBvaxpro, depuis 2007 dans le vaccin Gardasil et depuis 2015 dans le vaccin Gardasil 9, de sorte que, contrairement à ce qu'elle affirme, il ne peut être regardé comme nouveau. Le vaccin Gardasil 9 a obtenu une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence européenne des médicaments le 10 juin 2015 au titre de laquelle aucun signal de sécurité n'a été détecté à ce jour. Selon l'enquête nationale de pharmacovigilance réalisée par l'Agence nationale de sécurité du médicament en 2023 et portant sur le Gardasil 9, le bilan du suivi national portant sur la période du 1er juillet 2020 au 31 décembre 2022 n'a pas fait apparaître de nouveau signal de sécurité, par rapport aux données antérieures de notification spontanée.
9. En outre, alors que le recours à des adjuvants aluminiques est indispensable à la stimulation de la réponse immunitaire aux antigènes vaccinaux inactivés ou purifiés et donc à l'efficacité de la vaccination elle-même, aucun lien de causalité n'a pu être établi entre adjuvants aluminiques et maladies auto-immunes, auxquelles l'association rattache la lésion histologique de myofasciite à macrophages, les nombreuses études pharmaco-épidémiologiques portant sur les vaccins contre les papillomavirus humains n'ayant pas davantage mis en évidence d'augmentation du risque de telles maladies. Ces adjuvants, utilisés depuis 1926, sont bien tolérés et très efficaces et ne pourraient être remplacés dans l'immédiat.
10. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'en l'état des connaissances scientifiques et en l'état de l'instruction, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que le moyen tiré de ce que la décision litigieuse méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, en ce que la vaccination contre les papillomavirus humains ne serait pas nécessaire et présenterait des risques pour la santé humaine et en ce que " la balance entre les bénéfices et les risques serait négative ", serait propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
11. En second lieu, l'article L. 1111-2 du code de la santé publique dispose que : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) ". Selon l'article L. 1111-4 du même code : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. (...) Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ". Aux termes de l'article L. 2132-1 du même code, toutes les constatations importantes concernant la santé d'un enfant doivent être notées, au fur et à mesure, dans son carnet de santé. L'arrêté du 5 décembre 2005 relatif à la forme et au mode d'utilisation du carnet de santé, en vigueur lors de la délivrance de carnets de santé aux collégiens aujourd'hui scolarisés en classe de cinquième, tout comme l'arrêté du 28 février 2018 ayant le même objet, désormais en vigueur, prévoient que celui-ci comporte une page consacrée aux allergies sur laquelle le médecin reporte, avec l'accord des parents, les éventuelles allergies de l'enfant.
12. Il résulte des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique que toute vaccination doit être précédée, auprès des personnes qui sont titulaires de l'autorité parentale ou qui assurent la tutelle de l'enfant, d'une information portant sur l'utilité, l'urgence éventuelle, les conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles que comporte cette vaccination ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus, de sorte que leur consentement libre et éclairé, garanti par les dispositions de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, puisse être recueilli.
13. En l'espèce, par un premier courrier du 6 juin 2023, un second courrier diffusé au moment de la rentrée scolaire 2023 et un dépliant communiqué aux familles concernées, ces documents renvoyant vers les sites internet de l'Institut national du cancer et de Santé publique France et invitant les représentants légaux des enfants à se rapprocher de leur médecin traitant, ceux-ci ont bénéficié, avant que ne soit recueilli leur consentement, d'une information sur la campagne de vaccination en cours, sur les papillomavirus humains et leurs dangers ainsi que sur les effets secondaires de la vaccination. L'hypersensibilité aux substances actives ou à l'un des excipients du vaccin, dont l'occurrence est particulièrement rare, constituant la seule contre-indication aux vaccins contre les papillomavirus humains, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'information donnée à ce propos aurait dû être plus développée.
14. Enfin, l'instruction attaquée prévoit que la vaccination n'est réalisée que pour les élèves qui présentent, outre l'autorisation recueillie auprès des deux parents, leur carnet de santé, lequel, conformément aux dispositions précitées du code de la santé publique, mentionne, lorsqu'elles sont connues, les éventuelles allergies du patient. L'identification d'une éventuelle contre-indication ou l'absence de présentation du carnet de santé faisant obstacle à toute vaccination, l'absence d'entretien individualisé entre le professionnel de santé effectuant la vaccination et les représentants légaux de l'élève ne peut être regardée, eu égard aux conditions dans lesquelles leur autorisation a préalablement été recueillie, aux contre-indications identifiées pour ce vaccin et aux informations figurant dans le carnet de santé, comme portant atteinte à leur droit à l'information et à un consentement libre et éclairé.
15. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 1111-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique n'est pas propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'instruction en litige.
16. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages n'est pas fondée à demander la suspension de l'exécution de cette instruction. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 4 juillet 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : La requête de l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques.
Délibéré à l'issue de la séance du 31 janvier 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, Mme Célia Vérot, M. Jean-Dominique Langlais, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.
Rendu le 9 février 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber