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Ariane Web: Conseil d'État 476137, lecture du 29 décembre 2023, ECLI:FR:CECHS:2023:476137.20231229

Décision n° 476137
29 décembre 2023
Conseil d'État

N° 476137
ECLI:FR:CECHS:2023:476137.20231229
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
Mme Gaëlle Dumortier, président
Mme Anne Redondo, rapporteur
M. Mathieu Le Coq, rapporteur public
SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH, avocats


Lecture du vendredi 29 décembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble de suspendre l'exécution du permis de construire délivré le 22 décembre 2022 par le maire de La Terrasse à M. D... A... et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 15 avril 2023. Par une ordonnance n° 2303577 du 5 juillet 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 juillet, 27 juillet et 25 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la commune de La Terrasse et de M. A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Redondo, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. B..., au cabinet Munier-Apaire, avocat de la commune de La Terrasse et à la SCP Melka, Prigent, Drusch, avocat de M. A... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 décembre 2023, présentée par M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que, par une décision du 22 décembre 2022, le maire de La Terrasse a délivré à M. A... un permis de construire une maison d'habitation. M. B..., voisin du projet attaqué, se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 5 juillet 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de cet arrêté.

3. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 742-2 du code de justice administrative : " Les ordonnances mentionnent le nom des parties, l'analyse des conclusions ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elles font application ". Il appartient au juge des référés qui rejette une demande tendant à la suspension de l'exécution d'une décision administrative au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, d'analyser soit dans les visas de son ordonnance, soit dans les motifs de celle-ci, les moyens développés au soutien de la demande de suspension, afin, notamment, de mettre le juge de cassation en mesure d'exercer son contrôle.

4. Il ressort du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que, dans les différentes écritures qu'il a successivement présentées jusqu'à la clôture de l'instruction, M. B... soutenait que le permis de construire litigieux avait été accordé sur la base d'un dossier de demande incomplet, non seulement au regard du e) du 2°) de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme, mais aussi au regard du 1°) et des a) et c) du 2°) de cet article, en faisant en outre valoir que l'absence de ces éléments n'avait pas permis à l'administration d'apprécier le respect par le projet des prescriptions de l'article UB 13 du règlement du plan local d'urbanisme, qu'il estimait méconnues. L'ordonnance attaquée, qui indique simplement dans ses motifs qu'aucun des moyens soulevés n'est en l'état de l'instruction propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté du 22 décembre 2022, se borne, dans l'analyse des moyens présentés par M. B... au soutien de ses conclusions, à viser ce moyen, qui n'était pas inopérant, comme invoquant l'insuffisance de la notice de présentation au regard du e) du 2° de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme. Dès lors, M. B... est fondé à soutenir que cette ordonnance est insuffisamment motivée et, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à en demander l'annulation pour ce motif.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. En premier lieu, l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'une décision administrative lorsque l'exécution de celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. La construction d'un bâtiment autorisée par un permis de construire présente un caractère difficilement réversible et, par suite, lorsque la suspension d'un permis de construire est demandée sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la condition d'urgence est en principe satisfaite ainsi que le prévoit l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme. Il ne peut en aller autrement que dans le cas où le pétitionnaire ou l'autorité qui a délivré le permis justifie de circonstances particulières. Il appartient alors au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui est soumise.

7. La circonstance que M. B... aurait saisi le juge des référés du tribunal administratif sans attendre que le délai de cristallisation des moyens prévu à l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme ait commencé de courir et alors que les travaux entamés auraient seulement consisté en l'abattage de deux arbres n'est pas de nature à renverser la présomption d'urgence prévue par l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme. Cette condition doit, par suite, être regardée comme satisfaite.

8. En second lieu, l'article R. 431-4 du code de l'urbanisme dispose que : " La demande de permis comprend : / a) Les informations mentionnées aux articles R. 431-5 à R. 431-12 (...) ". L'article R. 431-7 de ce code prévoit que : " Sont joints à la demande de permis de construire : (...) b) Le projet architectural défini par l'article L. 431-2 et comprenant les pièces mentionnées aux articles R. 431-8 à R. 431-12. " et l'article R. 431-8 que : " Le projet architectural comprend une notice précisant : 1° L'état initial du terrain et de ses abords indiquant, s'il y a lieu, les constructions, la végétation et les éléments paysagers existants ; / 2° Les partis retenus pour assurer l'insertion du projet dans son environnement et la prise en compte des paysages, faisant apparaître, en fonction des caractéristiques du projet : / a) L'aménagement du terrain, en indiquant ce qui est modifié ou supprimé ; c) Le traitement des constructions, clôtures, végétations ou aménagements situés en limite de terrain ; (...) e) Le traitement des espaces libres, notamment les plantations à conserver ou à créer (...) ".

9. La circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

10. Il résulte de l'instruction que le dossier de demande de permis de construire est dépourvu d'une information suffisante s'agissant du recensement de la végétation existante et de son traitement par le projet, sans que les autres pièces ou éléments y figurant ne permettent d'y suppléer. Ces insuffisances ont été de nature à fausser l'appréciation de l'administration, qui ne pouvait être en mesure de la porter, sur le respect par le projet des prescriptions de l'article UB 13 du règlement du plan local d'urbanisme, imposant que les espaces libres soient aménagés en maintenant les plantations existantes ou en les remplaçant par des plantations indigènes et que les limites avec les zones naturelles ou agricoles soient obligatoirement constituées par une haie vive d'essences végétales indigènes variées. Il en résulte que le moyen tiré ce que le permis de construire en litige a été délivré au vu d'un dossier de demande de permis de construire lacunaire, n'ayant pas permis à l'administration d'apprécier la conformité du projet à la règlementation applicable, en particulier à l'article UB 13 du règlement du plan local d'urbanisme, est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

11. Les autres moyens soulevés, tirés de la violation des articles UB 7 et UB 12 du règlement du plan local d'urbanisme, de la circonstance que la construction projetée se situerait pour partie en zone rouge du plan de prévention des risques et de ce que le projet serait de nature à porter atteinte à la sécurité publique, en violation de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, en raison de l'instabilité du terrain telle qu'elle était décrite dans le rapport d'enquête du commissaire enquêteur, n'apparaissent pas, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse.

12. Il résulte de tout ce qui précède qu'en l'état de l'instruction, M. B... est fondé à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du 22 décembre 2022 et du rejet de son recours gracieux.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... et de la commune de La Terrasse une somme de 1 500 euros à verser chacun à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par M. A... et par la commune de la Terrasse au titre des mêmes dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 5 juillet 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est annulée.
Article 2 : L'exécution de l'arrêté du 22 décembre 2022 du maire de La Terrasse et de sa décision rejetant le recours gracieux formé à l'encontre de cet arrêté par M. B... est suspendue.
Article 3 : M. A... et la commune de La Terrasse verseront chacun une somme de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... et par la commune de La Terrasse au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. C... B..., à M. D... A... et à la commune de La Terrasse.