Conseil d'État
N° 489942
ECLI:FR:CEORD:2023:489942.20231221
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. Benoît Bohnert, président
M. B Bohnert, rapporteur
DURRLEMAN, avocats
Lecture du jeudi 21 décembre 2023
Vu la procédure suivante :
Le syndicat Jeunes A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) ou à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) de le convier aux " focus thématiques " des négociations conventionnelles. Par une ordonnance n° 2326491 du 22 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint à l'Assurance maladie d'associer le syndicat Jeunes A... aux " focus thématiques " devant prendre place à compter du 22 novembre 2023 inclus, en qualité d'observateur.
Par une requête, enregistrée le 5 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CNAM et l'UNCAM demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 22 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter les conclusions de première instance présentées par le syndicat Jeunes A... ;
3°) de mettre à la charge du syndicat Jeunes A... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- l'ordonnance du 22 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris a été rendue à l'issue d'une procédure entachée d'irrégularité en ce que la demande du syndicat Jeunes A... ne lui a pas été communiquée et qu'elle n'a pas été mise à même d'assister à l'audience et de présenter sa défense ;
- elle est entachée d'irrégularité en ce que le juge des référés a omis de constater un non-lieu à statuer dès lors que la CNAM a proposé au syndicat Jeunes A... d'assister aux " focus thématiques " en qualité d'observateur par un courriel du 16 novembre 2023 et lui a spontanément transmis les codes de connexion à ces réunions prévues le 23 novembre 2023 ;
- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que, d'une part, la CNAM a proposé au syndicat Jeunes A... d'assister aux " focus thématiques " en qualité d'observateur et, d'autre part, ces réunions s'étalent sur une période allant de dix jours à deux mois ;
- il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale ;
- les dispositions du code de la sécurité sociale n'imposent pas à la CNAM de convoquer le syndicat Jeunes A... aux " focus thématiques ", qui ne constituent que des temps d'échange et n'entrent pas dans le cadre des négociations telles que visées par l'article R. 162-54-3-1 du code de la sécurité sociale ;
- en tout état de cause, l'organisation des négociations conventionnelles définies par la CNAM permet au syndicat Jeunes A... d'exprimer ses revendications, en dehors des " focus thématiques ".
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2023, le syndicat Jeunes A... conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la CNAM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que la condition d'urgence est satisfaite et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à l'exercice de sa liberté syndicale.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 7 décembre 2023, le ministre de la santé et de la prévention conclut à ce qu'il soit fait droit à la requête. Il soutient que l'ordonnance du 22 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est entachée d'irrégularité et s'associe aux conclusions présentées par la CNAM.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la CNAM et l'UNCAM et, d'autre part, le syndicat Jeunes A... ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 18 décembre 2023, à 15 heures :
- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la CNAM et de l'UNCAM ;
- les représentantes de la CNAM ;
- les représentants du syndicat Jeunes A... ;
A l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que le ministre de la santé et de la prévention a adressé le 16 octobre 2023 au directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) une lettre de cadrage en vue de la reprise des négociations avec les organisations syndicales représentatives des médecins libéraux, qui avaient échoué au cours de l'hiver 2022, afin de parvenir à la conclusion d'une nouvelle convention médicale. Lors de la séance d'ouverture des négociations qui s'est tenue au siège de la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) le 15 novembre 2023, le directeur général a proposé, en amont des réunions bilatérales et multilatérales avec les organisations syndicales représentées, la tenue de 13 réunions de " focus " sur les différents thèmes devant être pris en compte dans le cadre de ces négociations. Le syndicat Jeunes médecins, qui n'a pu obtenir de participer à ces réunions thématiques en qualité d'observateur, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la CNAM et à l'UNCAM de le convier, en qualité d'observateur, à l'ensemble des " focus thématiques ". Par une ordonnance du 22 novembre 2023 dont la CNAM relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a fait droit à cette demande et enjoint à la CNAM d'associer le syndicat Jeunes A... à ces réunions d'informations.
Sur la régularité de la procédure suivie en première instance :
3. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence ". Aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale (...) ".
4. Les dispositions citées au point 3 font obligation au juge des référés, sauf dans le cas où il est fait application des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, de communiquer aux parties avant la clôture de l'instruction, par tous moyens, notamment en les mettant à même d'en prendre connaissance à l'audience publique, les pièces et mémoires soumis au débat contradictoire qui servent de fondement à sa décision et qui comportent des éléments de fait ou de droit dont il n'a pas été antérieurement fait état au cours de la procédure.
5. Il résulte de l'instruction que la demande présentée par le syndicat Jeunes A... tendait, ainsi qu'il a été dit au point 2, à ce qu'il soit enjoint à la CNAM d'associer cette organisation syndicale aux réunions d'informations thématiques organisées en vue de préparer la négociation d'une nouvelle convention avec les syndicats de médecins libéraux. Il est constant que l'ordonnance dont il est relevé appel, faisant droit à ces conclusions, a été prise sans que la CNAM ait été mise en cause et avertie de la date de l'audience. Elle a ainsi été rendue à la suite d'une procédure entachée d'irrégularité. Par suite, la CNAM est fondée à en demander, pour ce motif, l'annulation.
6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande du syndicat Jeunes A....
Sur le cadre juridique :
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 6156-1 du code de la santé publique : " Le droit syndical est garanti aux personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé mentionnés aux chapitres Ier et II du présent titre. Les intéressés peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer et y exercer des mandats. Ces organisations peuvent ester en justice ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 6156-2 du même code : " Sont appelées à participer aux négociations ouvertes par les autorités compétentes au niveau national les organisations syndicales des médecins, odontologistes et pharmaciens des établissements publics de santé mentionnés aux chapitres Ier et II du présent titre ayant obtenu, aux dernières élections du Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques, au moins 10 % des suffrages exprimés au sein de leur collège électoral respectif ".
8. D'une part, les conventions mentionnées à l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité comprennent, s'agissant des médecins, la ou les conventions prévues à l'article L. 162-5 du même code aux termes desquels : " Les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les médecins sont définis par des conventions nationales conclues séparément pour les médecins généralistes et les médecins spécialistes, par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et une ou plusieurs organisations syndicales les plus représentatives pour l'ensemble du territoire de médecins généralistes ou de médecins spécialistes ou par une convention nationale conclue par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et au moins une organisation syndicale représentative pour l'ensemble du territoire de médecins généralistes et une organisation syndicale représentative pour l'ensemble du territoire de médecins spécialistes ".
9. D'autre part, en vertu des dispositions de l'article L. 162-33 du code de la sécurité sociale, sont habilitées à participer aux négociations des conventions mentionnées notamment à l'article L. 162-14-1, les organisations syndicales reconnues représentatives au niveau national par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale conformément aux critères cumulatifs fixés par l'article R. 162-54-1 du même code. Aux termes de l'article R. 162-54-3-1 de ce code : " I. Les organisations syndicales d'étudiants de premier et deuxième cycle des études médicales, d'étudiants de troisième cycle des études médicales, de chefs de clinique des universités-assistants des hôpitaux, de médecins assistants hospitaliers universitaires, de médecins assistants des hôpitaux et de médecins remplaçants reconnues représentatives au niveau national sont associées en qualité d'observateur aux négociations conduites en vue de conclure, compléter ou modifier la convention mentionnée à l'article L. 162-5. (...) / II. La liste des organisations mentionnées au I de l'article est fixée entre le douzième et le sixième mois précédant l'échéance conventionnelle par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, qui la transmettent au directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. / Cette liste est arrêtée en tenant compte des critères cumulatifs suivants : / 1° L'indépendance, notamment financière ; / 2° Les effectifs d'adhérents, étudiants de premier et deuxième cycle des études médicales, étudiants de troisième cycle des études médicales, chefs de clinique des universités-assistants des hôpitaux, médecins assistants hospitaliers universitaires, médecins assistants des hôpitaux et médecins remplaçants qui n'adhérent pas à la convention mentionnée à l'article L. 162-5, à jour de leur cotisation ; / 3° Une ancienneté minimale de deux ans à compter de la date de dépôt légal des statuts. (...) ; / 4° L'activité réalisée en vue de la défense ou de la représentation des étudiants ou des professionnels auxquels chaque organisation s'adresse ".
10. Il résulte des dispositions citées aux points 7 à 9 que sont, d'une part, habilitées à participer aux négociations conventionnelles avec les organismes de l'assurance maladie, les organisations syndicales reconnues représentatives au niveau national par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale au regard des critères fixés par l'article R. 162-54-1 du même code et que sont, d'autre part, associées en qualité d'observateur à ces négociations, les organisations syndicales d'étudiants, internes, de chefs de clinique, de médecins assistants et de médecins remplaçants qui sont reconnues représentatives au niveau national au regard des quatre critères cumulatifs fixés à l'article R. 162-54-3-1 du code de la sécurité sociale qui sont tirés de l'indépendance notamment financière, des effectifs, de l'ancienneté minimale de deux ans et du niveau d'activités. La liste des organisations syndicales associées en qualité d'observateur est fixée par un arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale avant d'être transmise au directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie.
Sur le litige :
11. En premier lieu, il n'est pas contesté que le syndicat Jeunes A... remplit les conditions de représentativité prévues par l'article L. 6156-2 du code de la santé publique et qu'il doit, dès lors, être appelé à participer aux négociations ouvertes par les autorités compétentes au niveau national.
12. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et en particulier des orientations présentées pat la CNAM lors de la séance d'ouverture de la nouvelle négociation de la convention médicale que les " focus thématiques " auxquels ont été conviées les organisations syndicales représentatives des médecins libéraux entre le 22 novembre 2023 et le 18 janvier 2024 sont destinés à approfondir des points techniques et à recueillir des propositions susceptibles d'être intégrées dans la convention sur des sujets spécifiques tels que la pertinence et la qualité des soins, les conditions d'exercice de certaines spécialités, la possibilité d'instaurer un travail en équipe des praticiens, ou encore la mise en place d'un " forfait prévention ". Dans ces conditions, ces réunions thématiques, bien que distinctes des rencontres bilatérales et multilatérales au cours desquelles seront discutées les clauses de la nouvelle convention médicale, doivent être regardées comme des étapes préparatoires aux négociations ouvertes par les autorités compétentes au niveau national, auxquelles les syndicats représentatifs des médecins libéraux sont appelés à participer en application des dispositions de l'article L. 6156-2 du code de la santé publique. Il s'ensuit que l'absence de convocation du syndicat requérant en vue d'assister à ces réunions est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté syndicale, laquelle présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
13. En troisième lieu, il résulte toutefois également de l'instruction, d'une part, que, postérieurement à l'introduction de leur demande devant le juge des référés de première instance, un courriel des services de la CNAM du 22 novembre 2023 a proposé au syndicat Jeunes A... de prendre part, en sa qualité d'observateur, au " focus " devant se tenir en visioconférence le 23 novembre sur la thématique " pertinence et qualité des soins ", en lui transmettant les codes d'accès à cette réunion organisée en visioconférence. D'autre part, dans le cadre des débats à l'audience, les représentantes de la CNAM ont pris l'engagement de prendre les dispositions nécessaires pour lui permettre d'assister à l'ensemble des autres réunions thématiques qui se dérouleront jusqu'au 18 janvier 2024.
14. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à ce que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative afin d'enjoindre à la CNAM de convier le syndicat Jeunes A... aux " focus thématiques " sont devenues sans objet à la date de la présente ordonnance. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer.
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CNAM la somme de 1 500 euros à verser au syndicat Jeunes A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de ce syndicat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 22 novembre 2023 est annulée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du syndicat Jeunes A... présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
Article 3 : La Caisse nationale d'assurance maladie versera au syndicat Jeunes A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande du syndicat Jeunes A... et de la requête de la CNAM est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la Caisse nationale d'assurance maladie, à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et au syndicat Jeunes A....
Copie en sera adressée au ministre de la santé et de la prévention.
Fait à Paris, le 21 décembre 2023
Signé : Benoît Bohnert
N° 489942
ECLI:FR:CEORD:2023:489942.20231221
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. Benoît Bohnert, président
M. B Bohnert, rapporteur
DURRLEMAN, avocats
Lecture du jeudi 21 décembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Le syndicat Jeunes A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) ou à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) de le convier aux " focus thématiques " des négociations conventionnelles. Par une ordonnance n° 2326491 du 22 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint à l'Assurance maladie d'associer le syndicat Jeunes A... aux " focus thématiques " devant prendre place à compter du 22 novembre 2023 inclus, en qualité d'observateur.
Par une requête, enregistrée le 5 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CNAM et l'UNCAM demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 22 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter les conclusions de première instance présentées par le syndicat Jeunes A... ;
3°) de mettre à la charge du syndicat Jeunes A... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- l'ordonnance du 22 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris a été rendue à l'issue d'une procédure entachée d'irrégularité en ce que la demande du syndicat Jeunes A... ne lui a pas été communiquée et qu'elle n'a pas été mise à même d'assister à l'audience et de présenter sa défense ;
- elle est entachée d'irrégularité en ce que le juge des référés a omis de constater un non-lieu à statuer dès lors que la CNAM a proposé au syndicat Jeunes A... d'assister aux " focus thématiques " en qualité d'observateur par un courriel du 16 novembre 2023 et lui a spontanément transmis les codes de connexion à ces réunions prévues le 23 novembre 2023 ;
- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que, d'une part, la CNAM a proposé au syndicat Jeunes A... d'assister aux " focus thématiques " en qualité d'observateur et, d'autre part, ces réunions s'étalent sur une période allant de dix jours à deux mois ;
- il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale ;
- les dispositions du code de la sécurité sociale n'imposent pas à la CNAM de convoquer le syndicat Jeunes A... aux " focus thématiques ", qui ne constituent que des temps d'échange et n'entrent pas dans le cadre des négociations telles que visées par l'article R. 162-54-3-1 du code de la sécurité sociale ;
- en tout état de cause, l'organisation des négociations conventionnelles définies par la CNAM permet au syndicat Jeunes A... d'exprimer ses revendications, en dehors des " focus thématiques ".
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2023, le syndicat Jeunes A... conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la CNAM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que la condition d'urgence est satisfaite et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à l'exercice de sa liberté syndicale.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 7 décembre 2023, le ministre de la santé et de la prévention conclut à ce qu'il soit fait droit à la requête. Il soutient que l'ordonnance du 22 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est entachée d'irrégularité et s'associe aux conclusions présentées par la CNAM.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la CNAM et l'UNCAM et, d'autre part, le syndicat Jeunes A... ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 18 décembre 2023, à 15 heures :
- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la CNAM et de l'UNCAM ;
- les représentantes de la CNAM ;
- les représentants du syndicat Jeunes A... ;
A l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que le ministre de la santé et de la prévention a adressé le 16 octobre 2023 au directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) une lettre de cadrage en vue de la reprise des négociations avec les organisations syndicales représentatives des médecins libéraux, qui avaient échoué au cours de l'hiver 2022, afin de parvenir à la conclusion d'une nouvelle convention médicale. Lors de la séance d'ouverture des négociations qui s'est tenue au siège de la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) le 15 novembre 2023, le directeur général a proposé, en amont des réunions bilatérales et multilatérales avec les organisations syndicales représentées, la tenue de 13 réunions de " focus " sur les différents thèmes devant être pris en compte dans le cadre de ces négociations. Le syndicat Jeunes médecins, qui n'a pu obtenir de participer à ces réunions thématiques en qualité d'observateur, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la CNAM et à l'UNCAM de le convier, en qualité d'observateur, à l'ensemble des " focus thématiques ". Par une ordonnance du 22 novembre 2023 dont la CNAM relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a fait droit à cette demande et enjoint à la CNAM d'associer le syndicat Jeunes A... à ces réunions d'informations.
Sur la régularité de la procédure suivie en première instance :
3. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence ". Aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale (...) ".
4. Les dispositions citées au point 3 font obligation au juge des référés, sauf dans le cas où il est fait application des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, de communiquer aux parties avant la clôture de l'instruction, par tous moyens, notamment en les mettant à même d'en prendre connaissance à l'audience publique, les pièces et mémoires soumis au débat contradictoire qui servent de fondement à sa décision et qui comportent des éléments de fait ou de droit dont il n'a pas été antérieurement fait état au cours de la procédure.
5. Il résulte de l'instruction que la demande présentée par le syndicat Jeunes A... tendait, ainsi qu'il a été dit au point 2, à ce qu'il soit enjoint à la CNAM d'associer cette organisation syndicale aux réunions d'informations thématiques organisées en vue de préparer la négociation d'une nouvelle convention avec les syndicats de médecins libéraux. Il est constant que l'ordonnance dont il est relevé appel, faisant droit à ces conclusions, a été prise sans que la CNAM ait été mise en cause et avertie de la date de l'audience. Elle a ainsi été rendue à la suite d'une procédure entachée d'irrégularité. Par suite, la CNAM est fondée à en demander, pour ce motif, l'annulation.
6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande du syndicat Jeunes A....
Sur le cadre juridique :
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 6156-1 du code de la santé publique : " Le droit syndical est garanti aux personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé mentionnés aux chapitres Ier et II du présent titre. Les intéressés peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer et y exercer des mandats. Ces organisations peuvent ester en justice ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 6156-2 du même code : " Sont appelées à participer aux négociations ouvertes par les autorités compétentes au niveau national les organisations syndicales des médecins, odontologistes et pharmaciens des établissements publics de santé mentionnés aux chapitres Ier et II du présent titre ayant obtenu, aux dernières élections du Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques, au moins 10 % des suffrages exprimés au sein de leur collège électoral respectif ".
8. D'une part, les conventions mentionnées à l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité comprennent, s'agissant des médecins, la ou les conventions prévues à l'article L. 162-5 du même code aux termes desquels : " Les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les médecins sont définis par des conventions nationales conclues séparément pour les médecins généralistes et les médecins spécialistes, par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et une ou plusieurs organisations syndicales les plus représentatives pour l'ensemble du territoire de médecins généralistes ou de médecins spécialistes ou par une convention nationale conclue par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et au moins une organisation syndicale représentative pour l'ensemble du territoire de médecins généralistes et une organisation syndicale représentative pour l'ensemble du territoire de médecins spécialistes ".
9. D'autre part, en vertu des dispositions de l'article L. 162-33 du code de la sécurité sociale, sont habilitées à participer aux négociations des conventions mentionnées notamment à l'article L. 162-14-1, les organisations syndicales reconnues représentatives au niveau national par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale conformément aux critères cumulatifs fixés par l'article R. 162-54-1 du même code. Aux termes de l'article R. 162-54-3-1 de ce code : " I. Les organisations syndicales d'étudiants de premier et deuxième cycle des études médicales, d'étudiants de troisième cycle des études médicales, de chefs de clinique des universités-assistants des hôpitaux, de médecins assistants hospitaliers universitaires, de médecins assistants des hôpitaux et de médecins remplaçants reconnues représentatives au niveau national sont associées en qualité d'observateur aux négociations conduites en vue de conclure, compléter ou modifier la convention mentionnée à l'article L. 162-5. (...) / II. La liste des organisations mentionnées au I de l'article est fixée entre le douzième et le sixième mois précédant l'échéance conventionnelle par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, qui la transmettent au directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. / Cette liste est arrêtée en tenant compte des critères cumulatifs suivants : / 1° L'indépendance, notamment financière ; / 2° Les effectifs d'adhérents, étudiants de premier et deuxième cycle des études médicales, étudiants de troisième cycle des études médicales, chefs de clinique des universités-assistants des hôpitaux, médecins assistants hospitaliers universitaires, médecins assistants des hôpitaux et médecins remplaçants qui n'adhérent pas à la convention mentionnée à l'article L. 162-5, à jour de leur cotisation ; / 3° Une ancienneté minimale de deux ans à compter de la date de dépôt légal des statuts. (...) ; / 4° L'activité réalisée en vue de la défense ou de la représentation des étudiants ou des professionnels auxquels chaque organisation s'adresse ".
10. Il résulte des dispositions citées aux points 7 à 9 que sont, d'une part, habilitées à participer aux négociations conventionnelles avec les organismes de l'assurance maladie, les organisations syndicales reconnues représentatives au niveau national par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale au regard des critères fixés par l'article R. 162-54-1 du même code et que sont, d'autre part, associées en qualité d'observateur à ces négociations, les organisations syndicales d'étudiants, internes, de chefs de clinique, de médecins assistants et de médecins remplaçants qui sont reconnues représentatives au niveau national au regard des quatre critères cumulatifs fixés à l'article R. 162-54-3-1 du code de la sécurité sociale qui sont tirés de l'indépendance notamment financière, des effectifs, de l'ancienneté minimale de deux ans et du niveau d'activités. La liste des organisations syndicales associées en qualité d'observateur est fixée par un arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale avant d'être transmise au directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie.
Sur le litige :
11. En premier lieu, il n'est pas contesté que le syndicat Jeunes A... remplit les conditions de représentativité prévues par l'article L. 6156-2 du code de la santé publique et qu'il doit, dès lors, être appelé à participer aux négociations ouvertes par les autorités compétentes au niveau national.
12. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et en particulier des orientations présentées pat la CNAM lors de la séance d'ouverture de la nouvelle négociation de la convention médicale que les " focus thématiques " auxquels ont été conviées les organisations syndicales représentatives des médecins libéraux entre le 22 novembre 2023 et le 18 janvier 2024 sont destinés à approfondir des points techniques et à recueillir des propositions susceptibles d'être intégrées dans la convention sur des sujets spécifiques tels que la pertinence et la qualité des soins, les conditions d'exercice de certaines spécialités, la possibilité d'instaurer un travail en équipe des praticiens, ou encore la mise en place d'un " forfait prévention ". Dans ces conditions, ces réunions thématiques, bien que distinctes des rencontres bilatérales et multilatérales au cours desquelles seront discutées les clauses de la nouvelle convention médicale, doivent être regardées comme des étapes préparatoires aux négociations ouvertes par les autorités compétentes au niveau national, auxquelles les syndicats représentatifs des médecins libéraux sont appelés à participer en application des dispositions de l'article L. 6156-2 du code de la santé publique. Il s'ensuit que l'absence de convocation du syndicat requérant en vue d'assister à ces réunions est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté syndicale, laquelle présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
13. En troisième lieu, il résulte toutefois également de l'instruction, d'une part, que, postérieurement à l'introduction de leur demande devant le juge des référés de première instance, un courriel des services de la CNAM du 22 novembre 2023 a proposé au syndicat Jeunes A... de prendre part, en sa qualité d'observateur, au " focus " devant se tenir en visioconférence le 23 novembre sur la thématique " pertinence et qualité des soins ", en lui transmettant les codes d'accès à cette réunion organisée en visioconférence. D'autre part, dans le cadre des débats à l'audience, les représentantes de la CNAM ont pris l'engagement de prendre les dispositions nécessaires pour lui permettre d'assister à l'ensemble des autres réunions thématiques qui se dérouleront jusqu'au 18 janvier 2024.
14. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à ce que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative afin d'enjoindre à la CNAM de convier le syndicat Jeunes A... aux " focus thématiques " sont devenues sans objet à la date de la présente ordonnance. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer.
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CNAM la somme de 1 500 euros à verser au syndicat Jeunes A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de ce syndicat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 22 novembre 2023 est annulée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du syndicat Jeunes A... présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
Article 3 : La Caisse nationale d'assurance maladie versera au syndicat Jeunes A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande du syndicat Jeunes A... et de la requête de la CNAM est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la Caisse nationale d'assurance maladie, à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et au syndicat Jeunes A....
Copie en sera adressée au ministre de la santé et de la prévention.
Fait à Paris, le 21 décembre 2023
Signé : Benoît Bohnert