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Ariane Web: Conseil d'État 469075, lecture du 20 décembre 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:469075.20231220

Décision n° 469075
20 décembre 2023
Conseil d'État

N° 469075
ECLI:FR:CECHR:2023:469075.20231220
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats


Lecture du mercredi 20 décembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Sumitomo Chemical Agro Europe a demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) refusant de lui communiquer le rapport d'évaluation qui conclut à l'équivalence entre les souches AM65-52 et BMP 144 de la substance active Bacillus thuringiensis israelensis et, d'autre part, d'enjoindre à l'ANSES de lui communiquer ce rapport. Par un jugement n° 2109262 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du directeur général de l'ANSES en tant qu'elle a refusé à la société Sumitomo Chemical Agro Europe la communication du point 2.2. de ce rapport, figurant aux pages 21 et 22, et enjoint à l'ANSES de procéder à cette communication dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, et rejeté le surplus des conclusions de la société.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 novembre 2022 et 22 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sumitomo Chemical Agro Europe demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'ANSES la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 ;
- la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 ;
- la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 ;
- la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013 ;
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Société Sumitomo Chemical Agro Europe, au Cabinet François Pinet, avocat de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Cera SAS France ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Sumitomo Chemical Agro Europe commercialise un produit biocide destiné à lutter contre les moustiques, dénommé " Vectobac ", dont la substance active est le Bacillus Thuringiensis israelensis, sérotype H14, souche AM65-52 (Bti-AM65-52), substance inscrite sur la liste des substances actives de l'annexe I de la directive n° 98/8/CE du 16 février 1998 concernant la mise sur le marché des produits biocides, remplacée depuis le 1er septembre 2013 par le règlement (UE) n° 528/2012 du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides. La Compagnie européenne de réalisations antiparasitaires (CERA) a déposé le 30 août 2013 auprès de l'administration des demandes d'autorisation de mise sur le marché national de trois produits biocides ayant la même finalité, dénommés " Aquabac XT ", Aquabac DF3000 " et " Aquabac 200G ", dont la substance active est le même bacille de même sérotype, mais dont la souche est BMP 144 (Bti-BMP 144), laquelle n'est pas inscrite sur la liste des substances autorisées au niveau européen. Ces autorisations ont été délivrées par trois décisions de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) du 19 août 2019, sur le fondement d'un rapport d'évaluation qui conclut à l'équivalence technique des substances actives Bti-BMP 144 et Bti-AM65-52. La société requérante, qui conteste cette équivalence technique, a demandé à l'ANSES de lui communiquer ce rapport d'évaluation. Par un courriel du 9 avril 2021, l'ANSES a transmis les pages 1, 2 et 23 correspondant à la page de garde, le sommaire et une conclusion sous forme de tableau, mais a refusé la communication des autres parties au motif qu'elles comportent des informations techniques couvertes par le secret des affaires.

2. La société Sumitomo a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler le refus de l'ANSES de lui communiquer l'intégralité du rapport. Elle se pourvoit en cassation contre l'article 3 du jugement du 22 septembre 2022 du tribunal administratif de Melun qui, après avoir annulé la décision du 8 août 2021 du directeur général de l'ANSES dans la mesure où elle refuse la communication du point 2.2. du rapport d'évaluation figurant aux pages 21 et 22 et enjoint à ce dernier de procéder à cette communication, a rejeté le surplus de ses conclusions.

Sur le pourvoi :

3. Il résulte des dispositions des articles L. 300-1, L. 300-2 et L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration que les administrations sont tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent, sous réserve des exceptions prévues par le titre Ier du livre III de ce code. A ce titre, les documents administratifs dont la communication porterait atteinte au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles, ne sont communicables qu'à la personne intéressée en vertu des dispositions de l'article L. 311-6 du même code. L'article L. 311-7 de ce code prévoit que : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".

4. Pour juger que le rapport d'évaluation demandé n'était pas intégralement communicable, le tribunal administratif de Melun, après avoir cité notamment les dispositions mentionnées au point précédent, ainsi que celles du code de l'environnement relatives à la communication des informations relatives à l'environnement et à la protection du secret des affaires dans le domaine de la commercialisation des produits chimiques, et rappelé que l'ANSES soutenait que les mentions occultées comportaient des informations techniques couvertes par le secret des affaires, a énoncé que, " après avoir pris connaissance de l'intégralité du document ", " il y a lieu de considérer que ce document est communicable uniquement, en sus des trois pages déjà communiquées, [en] son point 2.2. qui figure à ses pages 21 et 22 ". En statuant ainsi, sans préciser les raisons pour lesquelles il estimait que l'ensemble des autres informations contenues dans le document, dont il n'a pas précisé la nature, n'était pas communicable, le tribunal a insuffisamment motivé son jugement. L'article 3 de ce jugement doit être annulé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler dans cette mesure l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le cadre juridique européen et national :

En ce qui concerne la communication des informations relatives à l'environnement :

6. Il résulte des articles L. 124-1, L. 124-2 et L. 124-3 du code de l'environnement, qui transposent la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil, que toute personne qui en fait la demande reçoit communication des informations relatives à l'environnement détenues par les établissements publics, dans les conditions définies par les dispositions du titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve des dispositions du chapitre 4 du titre II du livre Ier du code de l'environnement. L'article L. 124-4 de ce dernier code prévoit à cet égard que l'autorité publique peut rejeter la demande d'une information relative à l'environnement dont la communication porterait atteinte au secret des affaires, " après avoir apprécié l'intérêt d'une communication ". En outre, il résulte du II de l'article L. 124-5 du même code que le secret des affaires n'est pas au nombre des motifs justifiant légalement le refus de communication d'informations relatives à des émissions de substances dans l'environnement.

En ce qui concerne la communication et la publication d'informations relatives aux produits biocides autorisés :

7. D'une part, l'article 19 de la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 concernant la mise sur le marché des produits biocides organisait la confidentialité des informations relatives aux demandes d'autorisation de mise sur le marché de produits biocides. Il prévoyait que l'autorité compétente pour se prononcer sur une demande d'autorisation de mise sur le marché d'un produit biocide appréciait s'il y avait lieu de traiter de façon confidentielle certaines informations figurant dans le dossier de demande et mettant en cause le secret des affaires. Il prescrivait aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour " garantir la confidentialité de l'intégralité de la composition des produits si le demandeur le demande ", " sans préjudice des informations visées au paragraphe 3 ". Le paragraphe 3 de cet article 19 disposait qu'une fois l'autorisation accordée, la confidentialité ne s'appliquait en aucun cas à une série d'informations limitativement énumérées, au nombre desquelles figuraient notamment les " données physiques et chimiques concernant la substance active et le produit biocide " ainsi que les " méthodes d'analyse visées à l'article 5, paragraphe 1, point c) " qui permettent de déterminer " si la nature et la quantité de ses substances actives et, le cas échéant, les impuretés et autres composants significatifs du point de vue toxicologique ou écotoxicologique et de ses résidus significatifs du point de vue toxicologique ou environnemental, résultant d'utilisations autorisées ". Ces dispositions de l'article 19 s'appliquaient " sans préjudice de la directive 90/313/CEE du Conseil du 7 juin 1990 concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement ", laquelle a été remplacée par la directive 2003/4/CE mentionnée au point 6.

8. Par son arrêt du 23 novembre 2016, Bayer CropScience SA-NV et a. (C-442/14), la Cour de justice de l'Union européenne a déduit de la rédaction de l'article 19 de la directive 98/8/CE que le législateur de l'Union avait entendu soumettre aux dispositions générales de la directive 2003/4 les demandes d'accès par des tiers aux informations contenues dans des dossiers de demande d'autorisation de mise sur le marché de produits biocides, et pour lesquelles un traitement confidentiel peut être sollicité par l'opérateur économique demandeur en application des dispositions précitées.

9. D'autre part, l'article 66 du règlement n° 528/2012 du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides, qui a abrogé la directive 98/8/CE, fixe les règles relatives à la confidentialité des informations contenues dans des dossiers de demande d'autorisation de mise sur le marché de produits biocides. Son paragraphe 3 énumère les informations dont la communication n'est en aucun refusée une fois l'autorisation accordée, au nombre desquelles figurent " la teneur du produit biocide en substance(s) active(s) ", " les caractéristiques physiques et chimiques du produit biocide " et " les méthodes d'analyse visées à l'article 19, paragraphe 1, point c) ", ce dernier point faisant référence à " l'identité chimique, la quantité et l'équivalence technique des substances actives dans le produit biocide, ainsi que, le cas échéant, les impuretés et substances non actives importantes et pertinentes sur le plan toxicologique ou écotoxicologique, ainsi que les résidus importants du point de vue toxicologique ou environnemental, pouvant résulter des utilisations à autoriser ", qui peuvent être déterminées conformément aux exigences applicables définies aux annexes II et III du règlement.

10. En outre, les paragraphes 3 et 4 de l'article 67 du même règlement prévoient que, à compter de la date à laquelle, respectivement, une substance active ou un produit biocide est autorisé, l'Agence européenne des produits chimiques met gratuitement à la disposition du public le " rapport d'évaluation ", sauf si le fournisseur de données expose des motifs jugés valables par l'autorité nationale compétente ou par l'Agence pour démontrer que cette publication est susceptible de porter atteinte à ses intérêts commerciaux ou à ceux de toute autre partie concernée. Ces dispositions ne réservent pas expressément, comme le faisait l'article 19 de la directive 98/8/CE, l'application de la directive 2003/4/CE. Par ailleurs, l'article 54 du même règlement régit la procédure d'évaluation, par la même Agence, de l'équivalence technique entre substances actives biocides, à la suite d'une demande présentée par la personne cherchant à établir cette équivalence, et ne comporte aucune règle relative à la communicabilité des informations relatives à cette procédure.

11. Enfin, le paragraphe 1 de l'article 91 du même règlement a prévu que les demandes d'autorisation de produits biocides soumises aux fins de la directive 98/8/CE dont l'évaluation n'est pas terminée au 1er septembre 2013 sont évaluées par les autorités compétentes conformément aux dispositions de cette directive. Il résulte du point 2.5. du titre 2 de l'annexe III du règlement que, lorsque le produit biocide contient une substance active à base de microorganismes qui a été fabriquée dans des lieux ou selon des procédés ou à partir de matières premières autres que ceux d'une substance active approuvée, la demande d'autorisation de mise sur le marché de ce produit doit comporter la preuve que l'équivalence technique a été établie soit à la suite d'une évaluation de l'Agence européenne des produits chimiques dans les conditions prévues à l'article 54 de ce règlement, soit par une autorité nationale compétente à la suite d'une évaluation ayant commencé avant le 1er septembre 2013.

Sur la résolution du litige :

12. Il ressort des pièces du dossier que le rapport d'évaluation demandé par la société requérante a été élaboré dans le cadre de l'instruction de demandes d'autorisation de mise sur le marché de produits biocides de la gamme " Aquabac " présentée le 30 août 2013 à l'ANSES par la société CERA, laquelle a par ailleurs demandé le traitement confidentiel des données relatives au secret des affaires fournies à l'Agence. Les autorisations ont été délivrées en 2019. Les extraits non communiqués de ce rapport d'évaluation portent, d'une part, sur la partie I, consacrée à la méthodologie utilisée par l'Agence pour déterminer si la substance active contenue dans les produits Aquabac, qui est le Bacillus Thuringiensis israelensis, sérotype H14, souche BMP 144, est techniquement équivalente à la substance active Bacillus Thuringiensis israelensis, sérotype H14, souche AM65-52 (BtiAM65-52), substance active ayant fait l'objet d'une approbation au niveau européen et, d'autre part, sur la première sous-partie de la partie II qui met en oeuvre cette méthodologie pour les substances actives en cause. Cette sous-partie contient des informations relatives à l'identité et aux coordonnées du demandeur et du fabricant de la substance active BMP 144, à la localisation de l'usine dans laquelle elle est fabriquée, au nom du micro-organisme actif, à la classification de cette substance active, à son procédé de fabrication, à la teneur en substance active dans les produits biocides en cause, à l'identité des toxines et métabolites pertinents, des résidus de fermentation et des contaminants, au " profil d'analyse " consistant à comparer la composition de cinq lots des produits biocides en cause, aux méthodes d'analyse pour l'identification du micro-organisme pur actif dans le micro-organisme actif tel qu'il est fabriqué et aux méthodes d'analyse pour la détermination des impuretés et toxines, résidus de fermentations et contaminants dans ce micro-organisme.

13. La société requérante soutient que le refus de communication qui lui a été opposé méconnaît les dispositions mentionnées aux points 3, 6 et 9. Elle se prévaut également de l'article L. 521-7 du code de l'environnement relatif à la transmission d'informations confidentielles concernant des produits chimiques, qui était également applicable aux informations concernant des substances actives et produits biocides en vertu de l'article L. 522-12 du même code dont les dispositions transposaient l'article 19 de la directive du 16 février 1998 avant d'être abrogées, à la suite de l'entrée en vigueur du règlement du 22 mai 2012, par la loi du 16 juillet 2013 portant diverses d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable.

En ce qui concerne la détermination du texte applicable :

14. Dans le cas, comme celui de l'espèce, où l'autorité nationale compétente, qui a été saisie d'une demande d'autorisation de mise sur le marché d'un produit biocide avant le 1er septembre 2013 et a instruit cette demande, en application de l'article 91 du règlement 528/2012, sur le fondement des dispositions nationales transposant la directive 98/8/CE, est, postérieurement à la délivrance de cette autorisation, saisie par un tiers d'une demande d'accès à des informations relatives au produit biocide qu'elle a autorisé et à la substance active qu'il contient, notamment à son équivalence technique avec une substance active autorisée, la réponse aux moyens soulevés par la société requérante suppose, d'abord, de déterminer si l'autorité nationale doit examiner cette demande d'accès au regard des règles de confidentialité prévues par les dispositions nationales transposant l'article 19 de la directive 98/8/CE ou de celles prévues par les articles 66 et 67 du règlement 528/2012.

En ce qui concerne l'interprétation de la directive 98/8/CE :

15. Dans le cas où la demande d'accès serait régie par la directive 98/8/CE, dont l'article 19 s'applique sans préjudice de la directive 2003/4 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003, la réponse à apporter aux moyens soulevés dépend alors, notamment, de la question de savoir si le k) du paragraphe 3 de cet article 19, qui prévoit qu'une fois l'autorisation de mise sur le marché du produit biocide accordée, la confidentialité ne s'applique en aucun cas aux " méthodes d'analyses visées à l'article 5, paragraphe 1, point c) " - c'est-à-dire celles qui permettent de déterminer la nature et la quantité des substances actives et, le cas échéant, des impuretés et autres composants significatifs, résultant d'utilisations autorisées -, permet au demandeur d'obtenir toute information détaillée relative à ces méthodes, y compris si sa divulgation est susceptible de mettre en cause le secret des affaires, ou seulement des informations générales relatives à la nature de ces méthodes et, le cas échéant, aux conclusions qu'elles ont permis de tirer.

16. La réponse à apporter dépend aussi de la question de savoir si les " données physiques et chimiques concernant la substance active et le produit biocide ", qui ne peuvent rester confidentielles une fois l'autorisation accordée, en vertu du f) du paragraphe 3 de l'article 19, permettent au demandeur d'exiger la communication de données détaillées relatives à la composition de la substance active ou du produit biocide, même si elles sont susceptibles de révéler directement ou indirectement des procédés de fabrication.

En ce qui concerne l'interprétation du règlement 528/2012 :

17. Dans le cas où la demande d'accès en cause dans le présent litige serait régie par le règlement 528/2012, se pose alors la question de savoir si, par les articles 66 et 67 de ce règlement, qui ne font pas référence à la directive 2003/4, contrairement à la directive 98/8/CE, le législateur de l'Union a entendu définir un régime spécifique et exhaustif de communication au public des informations relatives aux produits biocides et à leurs substances actives et, ainsi, écarter les dispositions de la directive 2003/4 en tant qu'elles prévoient, d'une part, que le secret des affaires ne peut s'opposer à la communication des informations relatives à des émissions dans l'environnement et, d'autre part, que si la divulgation d'autres informations relatives à l'environnement est susceptible de porter atteinte aux intérêts commerciaux d'une entreprise, l'autorité administrative compétente doit, préalablement à un éventuel refus de communication, mettre en balance l'intérêt de cette entreprise et l'intérêt du public.

18. En outre, le point e) du paragraphe 3 de l'article 67 du règlement 528/2012, s'agissant des substances actives approuvées, et le point b) du paragraphe 4 de ce même article, relatif aux produits biocides autorisés, prévoient que le " rapport d'évaluation " correspondant est mis à la disposition du public gratuitement par l'Agence européenne des produits chimiques, sauf si le fournisseur de données expose des motifs, conformément à l'article 66, paragraphe 4, jugés valables par l'autorité nationale compétente ou par l'Agence pour démontrer que cette publication est susceptible de porter atteinte à ses intérêts commerciaux ou à ceux de toute autre partie concernée. En revanche, ces dispositions ne mentionnent pas expressément les règles d'accès applicables à un rapport d'évaluation de l'équivalence technique entre une substance active approuvée et la substance active que contient un produit biocide qui n'est pas elle-même approuvée, réalisé à l'occasion de l'instruction de la demande d'autorisation de mise sur le marché de dernier. L'article 54 du règlement, qui prévoit désormais que l'équivalence technique est appréciée par l'Agence européenne des produits chimiques, ne fixe d'ailleurs aucune règle particulière relative à la communication d'un rapport d'évaluation de l'équivalence technique de cette nature. Dans le cas où ce règlement serait applicable au présent litige, la réponse aux moyens de la société requérante suppose de déterminer si la communication d'un tel rapport, réalisé par l'autorité nationale compétente dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation de mise sur le marché du produit sous l'empire de la directive de 1998, est soumise aux dispositions relatives à la communication du rapport d'évaluation d'une substance active approuvée ou à celles qui ont trait à la communication du rapport d'évaluation d'un produit biocide autorisé, ou encore si un tel rapport constitue un document distinct du " rapport d'évaluation " mentionné par l'article 67 du règlement, obéissant à des règles de communication propres.

19. Par ailleurs, le point j) du paragraphe 3 de l'article 66 du règlement 528/2012 prévoit qu'une fois l'autorisation accordée, et nonobstant le paragraphe 2 qui énumère les informations dont la divulgation est considérée comme portant en principe atteinte à la protection des intérêts commerciaux, de la vie privée ou de la sécurité des personnes concernées, l'accès aux " méthodes d'analyse visées à l'article 19, paragraphe 1, point c) " n'est " en aucun cas refusé ". Ces méthodes d'analyse portent notamment, selon le point c) du paragraphe 1 de l'article 19, sur " l'équivalence technique des substances actives dans le produit biocide ". Dans le cas où le règlement serait applicable au présent litige, la réponse aux moyens de la société requérante suppose de déterminer si la communicabilité de principe de ces " méthodes d'analyse " permet au demandeur d'obtenir toute information détaillée relative à ces méthodes, y compris si sa divulgation est susceptible de mettre en cause le secret des affaires, ou seulement des informations générales relatives à la nature de ces méthodes et, le cas échéant, aux conclusions qu'elles ont permis de tirer.

20. Enfin, le h) du paragraphe 1 de l'article 67 du même règlement prévoit qu'à partir de la date d'approbation d'une substance active sont mises gratuitement à la disposition du public les " méthodes d'analyse visées à l'annexe II (...) titre 2, section 4.2 ", s'agissant des substances actives composées de micro-organismes. Le point 4.2 portait, dans la rédaction initiale du règlement, sur les " méthodes utilisées à des fins de surveillance permettant de déterminer et de quantifier les résidus (viables ou non viables) ". Depuis l'intervention du règlement délégué de la Commission du 19 octobre 2020 modifiant les annexes II et III du règlement, ces dispositions sont devenues le point 4.3, le point 4.2 du titre 2 de l'annexe II mentionnant désormais les " méthodes analytiques permettant l'analyse du microorganisme tel qu'il est fabriqué ". La résolution du présent litige suppose de répondre à la question de savoir si le h) du paragraphe 1 de l'article 67 du règlement doit être interprété comme renvoyant en réalité aux dispositions de la section 4.3 du titre 2 de l'annexe II. En cas de réponse négative à cette première question, c'est-à-dire s'il y a lieu de considérer que le h) du paragraphe 1 de l'article 67 du règlement renvoie aux dispositions de la section 4.2 du titre 2 de l'annexe II dans leur rédaction aujourd'hui en vigueur, l'issue du litige dépend de la question de savoir si, à supposer que ces dispositions soient applicables à une substance active qui n'a pas fait l'objet d'une approbation mais qui est reconnue comme techniquement équivalente à une substance active approuvée, la communicabilité de principe des " méthodes analytiques permettant l'analyse du microorganisme tel qu'il est fabriqué " mentionnées à cette section 4.2 permet au demandeur d'obtenir toute information détaillée relative à ces méthodes, y compris si sa divulgation est susceptible de mettre en cause le secret des affaires, ou seulement des informations générales relatives à la nature de ces méthodes et, le cas échéant, aux conclusions qu'elles ont permis de tirer.

En ce qui concerne l'interprétation de la directive 2003/4 :

21. En dernier lieu, dans le cas où la directive 2003/4 s'appliquerait dans un litige comme celui de l'espèce, sa résolution dépendrait de la question de savoir si la qualification " d'informations ayant trait à des émissions dans l'environnement " au sens du paragraphe 2 de l'article 4 de cette directive, qui inclut les indications concernant la nature, la composition, la quantité, la date et le lieu de ces émissions, ainsi que les données relatives à leurs incidences, à plus ou moins long terme, sur l'environnement, est susceptible de s'appliquer aux informations produites ou reçues par l'autorité compétente dans le cadre de l'examen de l'équivalence technique d'une substance active avec une substance active approuvée, ou si elle ne peut s'appliquer qu'aux informations relatives au produit biocide dans lequel une telle substance est contenue, dès lors que c'est ce produit, dans tous ses composants, qui est émis dans l'environnement, et non la seule substance active.

22. Ces questions sont déterminantes pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat. Elles présentent une difficulté sérieuse. Il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur les conclusions de la société Sumitomo Chemical Agro Europe relatives à l'accès aux extraits du rapport qui ne lui ont pas été communiqués.



D E C I D E :
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Article 1er : L'article 3 du jugement du tribunal administratif de Melun du 22 septembre 2022 est annulé.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur les conclusions de la société Sumitomo Chemical Agro Europe relatives à la communication des extraits du rapport d'équivalence technique de l'ANSES qui ne lui ont pas été communiqués jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions préjudicielles suivantes :
1. Lorsque l'autorité nationale compétente, qui a été saisie d'une demande d'autorisation de mise sur le marché d'un produit biocide avant le 1er septembre 2013 et qui, en application de l'article 91 du règlement 528/2012, a instruit cette demande sur le fondement des dispositions nationales transposant la directive 98/8/CE est, postérieurement à la délivrance de cette autorisation, saisie par un tiers d'une demande d'accès à des informations relatives au produit biocide qu'elle a autorisé et à la substance active qu'il contient, notamment à son équivalence technique avec une substance active autorisée, cette autorité doit-elle examiner cette demande d'accès au regard des règles de confidentialité prévues par les dispositions nationales transposant l'article 19 de la directive 98/8/CE ou de celles prévues par les articles 66 et 67 du règlement 528/2012 '
2. Si une telle demande d'accès est régie par la directive 98/8/CE, dont l'article 19 s'applique sans préjudice de la directive 2003/4 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 :
- le k) du paragraphe 3 de cet article, qui prévoit qu'une fois l'autorisation de mise sur le marché du produit biocide accordée, la confidentialité ne s'applique en aucun cas aux " méthodes d'analyses visées à l'article 5, paragraphe 1, point c) ", permet-il au demandeur d'obtenir toute information détaillée relative à ces méthodes, y compris si sa divulgation est susceptible de mettre en cause le secret des affaires, ou seulement des informations générales relatives à la nature de ces méthodes et, le cas échéant, aux conclusions qu'elles ont permis de tirer '
- les " données physiques et chimiques concernant la substance active et le produit biocide ", qui ne peuvent rester confidentielles une fois l'autorisation accordée en vertu du f) du paragraphe 3 de l'article 19, permettent-elles au demandeur d'exiger la communication de données détaillées relatives à la composition de la substance active ou du produit biocide, même susceptibles de révéler directement ou indirectement des procédés de fabrication '
3. Si, à l'inverse, une telle demande d'accès est régie par le règlement 528/2012 :
- le législateur de l'Union a-t-il entendu, par les articles 66 et 67 de ce règlement, qui ne font pas référence à la directive 2003/4, définir un régime spécifique et exhaustif de communication au public des informations relatives aux produits biocides et à leurs substances actives et, ainsi, écarter les dispositions de la directive 2003/4 en tant qu'elles prévoient, d'une part, que le secret des affaires ne peut s'opposer à la communication des informations relatives à des émissions dans l'environnement et, d'autre part, que si la divulgation d'autres informations relatives à l'environnement est susceptible de porter atteinte aux intérêts commerciaux d'une entreprise, l'autorité administrative compétente doit, préalablement à un éventuel refus de communication, mettre en balance l'intérêt de cette entreprise et l'intérêt du public '
- la communication d'un rapport d'évaluation de l'équivalence technique entre une substance active approuvée et la substance active que contient un produit biocide, élaboré à l'occasion d'une demande d'autorisation de mise sur le marché de ce produit, est-elle régie par le point e) du paragraphe 3 de l'article 67 du règlement 528/2012, qui prévoit la publicité du rapport d'évaluation des substances actives approuvées sauf traitement confidentiel sollicité par le demandeur, par le point b) du paragraphe 4 de ce même article, qui prévoit la publicité du rapport d'évaluation d'un produit biocide autorisé sauf traitement confidentiel sollicité par le demandeur, ou par d'autres règles '
- le point j) du paragraphe 3 de l'article 66 du règlement 528/2012, qui prévoit qu'une fois l'autorisation de mise sur le marché d'un produit biocide accordée, l'accès aux " méthodes d'analyse visées à l'article 19, paragraphe 1, point c) " n'est " en aucun cas refusé ", permet-il d'obtenir toute information détaillée relative à ces méthodes, y compris si sa divulgation est susceptible de mettre en cause le secret des affaires, ou seulement des informations générales relatives à la nature de ces méthodes et, le cas échéant, aux conclusions qu'elles ont permis de tirer '
- le h) du paragraphe 1 de l'article 67 du même règlement, qui prévoit qu'à partir de la date d'approbation d'une substance active, sont mises gratuitement à la disposition du public les " méthodes d'analyse visées à l'annexe II (...) titre 2, section 4.2 ", doit-il être interprété comme renvoyant en réalité aux dispositions de la section 4.3 du titre 2 de l'annexe II auxquelles il faisait référence avant l'intervention du règlement délégué de la Commission du 19 octobre 2020 modifiant les annexes II et III du règlement ' S'il y a lieu d'interpréter ces dispositions comme renvoyant aux dispositions aujourd'hui en vigueur de la section 4.2. du titre 2 de l'annexe II, et à supposer que ces dispositions soient applicables à une substance active qui n'a pas fait l'objet d'une approbation mais qui est reconnue comme techniquement équivalente à une substance active approuvée, la communicabilité de principe des " méthodes analytiques permettant l'analyse du microorganisme tel qu'il est fabriqué " mentionnées à cette section 4.2 permet-elle au demandeur d'obtenir toute information détaillée relative à ces méthodes, y compris si sa divulgation est susceptible de mettre en cause le secret des affaires, ou seulement des informations générales relatives à la nature de ces méthodes et, le cas échéant, aux conclusions qu'elles ont permis de tirer '
4. Enfin, si les dispositions de la directive 2003/4 s'appliquent au présent litige, la qualification " d'informations ayant trait à des émissions dans l'environnement " au sens du paragraphe 2 de l'article 4 de cette directive, qui inclut les indications concernant la nature, la composition, la quantité, la date et le lieu de ces émissions, ainsi que les données relatives à leurs incidences, à plus ou moins long terme, sur l'environnement, est-elle susceptible de s'appliquer aux informations produites ou reçues par l'autorité compétente dans le cadre de l'examen de l'équivalence technique d'une substance active avec une substance active approuvée, ou ne peut-elle s'appliquer qu'aux informations relatives au produit biocide dans lequel une telle substance est contenue, dès lors que c'est ce produit, dans tous ses composants, qui est émis dans l'environnement, et non la seule substance active '
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Sumitomo Chemical Agro Europe, à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, à la société Compagnie européenne de réalisations antiparasitaires, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la Cour de justice de l'Union européenne.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Jean de L'Hermite, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 20 décembre 2023.


Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle
La secrétaire :
Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang


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