Conseil d'État
N° 451785
ECLI:FR:CECHR:2023:451785.20231218
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Rozen Noguellou, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP OHL, VEXLIARD, avocats
Lecture du lundi 18 décembre 2023
Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 16 avril, 16 juillet et 19 novembre 2021, 14 février 2022 et 24 avril 2023, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... C... et la société D... C... et associés demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision n° FR 2019-09 S du 19 février 2021 de la formation restreinte du Haut Conseil du commissariat aux comptes en tant qu'elle a prononcé, d'une part, à l'encontre de M. C..., sa radiation de la liste des commissaires aux comptes, d'autre part, à l'encontre de la société D... C... et associés, une interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant cinq ans, assortie du sursis pour la totalité de sa durée ;
2°) subsidiairement, de réformer la décision attaquée en réduisant la sanction prononcée à l'encontre de M. C... à de plus justes proportions et d'annuler, pour ce qui concerne tant M. C... que la société D... C... et associés, la mesure de publication de la décision de manière non anonyme sur le site internet du Haut conseil du commissariat aux comptes ;
3°) de mettre à la charge du Haut conseil du commissariat aux comptes la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2006/43/CE du Parlement Européen et du Conseil du 17 mai 2006 ;
- le code de commerce ;
- la décision du 15 octobre 2021 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C... ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de M. C... et autre et à la SCP Ohl, Vexliard, avocat du Haut conseil du commissariat aux comptes et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société PricewaterhouseCoopers Audit et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que, le 27 mars 2017, le président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes a saisi le rapporteur général du Haut conseil du commissariat aux comptes afin qu'il soit procédé à une enquête sur la certification des comptes du groupe Agripole, groupe agroalimentaire, détenu à 100 % par Mme J... K..., décédée en 2016, et qui regroupait une filiale, Financière Turenne Lafayette, et plusieurs sous-filiales, Paul Prédault, Madrange, William Saurin, Montagne noire, Tradition traiteur, Germanaud, Géo, Conserverie du Languedoc, Les salaisons de l'Arrée. Le 28 mars 2017, le rapporteur général a ouvert une enquête portant sur les missions de certification des comptes annuels et consolidés de la société Agripole, pour les exercices clos de 2012 à 2015. Sur cette période, plusieurs sociétés sont intervenues pour procéder à l'audit des comptes de la société Agripole et de ses filiales. La société Mazars a été le commissaire aux comptes de la société Agripole et de sa filiale Financière Turenne Lafayette ainsi que des sous-filiales Conserverie du Languedoc, William Saurin, Paul Prédault, Germanaud, Montagne Noire, Tradition Traiteur, Madrange et Géo. M. E... F... était l'associé signataire des comptes pour la société Mazars, rejoint, à compter de 2012, par M. A... L.... Deux sociétés appartenant au réseau de PricewaterhouseCoopers (PWC) sont intervenues dans l'audit des comptes de ces sociétés, à savoir la société PWC Entreprises pour les sociétés Financière Turenne Lafayette, Madrange, Géo, puis PWC Audit pour les comptes annuels 2015 de la société Agripole et de sa filiale la société Financière Turenne Lafayette ainsi que les comptes annuels 2014 et 2015 des sociétés Madrange et Géo. M. I... H... était l'associé signataire des comptes pour les sociétés PWC Entreprises et PWC Audit. La société D... C... et associés est intervenue en qualité de co-commissaire aux comptes de la société Agripole, les comptes étant certifiés par M. D... C.... Enfin, M. G... B... a été commissaire aux comptes de la société Les Salaisons de l'Arrée. Le 7 février 2019, les griefs ont été notifiés à MM. H..., B..., F..., Schwaler et C... ainsi qu'aux sociétés Mazars, PWC Audit, PWC Entreprises et D... C... et associés. Par une décision du 19 février 2021, la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes a prononcé à l'encontre de M. C... la radiation de la liste des commissaires aux comptes et, à l'encontre de la société D... C... et associés, l'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant cinq ans, assortie du sursis pour la totalité de sa durée. Des sanctions ont également été prononcées à l'encontre des autres mis en cause.
Sur la régularité de la procédure de sanction :
En ce qui concerne la régularité de la phase d'enquête :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 821-3-1 du code de commerce : " Le Haut conseil dispose d'un service chargé de procéder aux enquêtes préalables à l'ouverture des procédures prévues au chapitre IV du présent titre. Ce service est dirigé par un rapporteur général et composé d'enquêteurs habilités par ce dernier ". Aux termes de l'article L. 824-4 du code de commerce : " Le rapporteur général est saisi de tout fait susceptible de justifier l'engagement d'une procédure de sanction par : (...) / 6° Le président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ou le président d'une compagnie régionale (...) ". Il résulte de l'instruction que le rapporteur général a été saisi, par une lettre du président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, d'une demande d'enquête sur des faits relatifs aux comptes du groupe Agripole. Dès lors que la lettre indiquait les faits en cause, elle n'avait pas à préciser les commissaires aux comptes concernés. Par suite, le moyen tiré de ce que le rapporteur général se serait irrégulièrement auto-saisi, doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 824-8 du code de commerce : " A l'issue de l'enquête et après avoir entendu la personne intéressée, le rapporteur général établit un rapport d'enquête qu'il adresse au Haut conseil. Lorsque les faits justifient l'engagement d'une procédure de sanction, le Haut conseil délibérant hors la présence des membres de la formation restreinte arrête les griefs qui sont notifiés par le rapporteur général à la personne intéressée. La notification expose les faits passibles de sanction. Elle est accompagnée des principaux éléments susceptibles de fonder les griefs (...) ". Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 18 août 2017, le rapporteur général a adressé à M. C... une lettre le convoquant pour une audition dans le cadre de l'enquête menée sur la certification des comptes annuels et consolidés de la société Agripole, pour les exercices 2012 à 2015. La société D... C..., dont M. D... C... est le représentant légal, était, depuis 2009, titulaire du mandat relatif au contrôle des comptes de la société Agripole, M. D... C... étant le commissaire aux comptes responsable de cet audit. Si la lettre de convocation ne mentionnait pas explicitement la société D... C..., elle n'en a pas moins été adressée à son représentant légal, qui a donc été averti de l'enquête en cours et a pu apporter des éléments de réponse. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, l'absence de mention de la société mise en cause dans la lettre de convocation n'a pas porté atteinte, pour ce qui la concerne, aux droits de la défense et le moyen tiré de ce que l'enquête serait, pour ce motif, irrégulière doit être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 30 de la directive 2006/43/CE du 17 mai 2006 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil, et abrogeant la directive 84/253/CEE du Conseil, relatif aux " systèmes d'enquêtes et de sanctions " : " 1. Les États membres veillent à ce que des systèmes efficaces d'enquêtes et de sanctions soient mis en place pour détecter, corriger et prévenir une exécution inadéquate du contrôle légal des comptes et de l'assurance de l'information en matière de durabilité (...) ". Aux termes de l'article 30 sexies de la même directive, relatif au " signalement des infractions " : " I. Les États membres veillent à ce que des mécanismes efficaces soient mis en place pour encourager le signalement des infractions à la présente directive ou au règlement (UE) n° 537/2014 aux autorités compétentes. / 2. Les mécanismes visés au paragraphe 1 comprennent au moins : / a) des procédures spécifiques pour la réception de signalements d'infractions et leur suivi ; / b) la protection des données à caractère personnel concernant tant la personne qui signale une infraction présumée ou réelle que la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction ou présumée avoir commis cette infraction, dans le respect des principes fixés dans la directive 95/46/CE ; / c) des procédures adéquates garantissant les droits de la défense de la personne poursuivie, son droit d'être entendue avant l'adoption d'une décision la concernant, ainsi que son droit à un recours effectif devant un tribunal contre toute décision ou mesure la concernant (...) ".
5. Ces dispositions imposent aux Etats membres la mise en place de dispositifs efficaces d'enquêtes et de sanctions, tout en garantissant aux personnes poursuivies, c'est-à-dire aux personnes à qui des griefs ont été notifiés, le respect des droits de la défense. Elles mettent ainsi en oeuvre le principe des droits de la défense, rappelé par l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel s'applique seulement à la procédure de sanction ouverte par la notification de griefs et par la saisine de l'instance en charge du prononcé des sanctions, et non à la phase préalable des enquêtes et contrôles, ni a fortiori aux étapes antérieures à cette phase d'enquête et de contrôle. Par suite, et dès lors qu'il n'est pas allégué que l'enquête menée par le rapporteur général se serait déroulée dans des conditions qui auraient porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense de M. C... ou de la société D... C..., le moyen tiré de l'atteinte aux droits de la défense, de la méconnaissance de l'article 30 sexies de la directive du 17 mai 2006 et, en tout état de cause, de la méconnaissance du règlement n° 537/2014 du 16 avril 2014 relatif aux exigences spécifiques applicables au contrôle légal des comptes des entités d'intérêt public, lequel n'est pas applicable en l'espèce, doit être écarté.
En ce qui concerne la régularité de la phase de sanction :
6. En premier lieu, l'article 24 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises modifie le dernier alinéa de l'article L. 824-8 du code de commerce en prévoyant que : " Le rapporteur général établit un rapport final qu'il adresse à la formation restreinte avec les observations de la personne intéressée ". Cette disposition se substitue à l'ancien dernier alinéa de l'article L. 824-8 du même code, lequel prévoyait que : " Le rapporteur général établit un rapport final qu'il adresse au Haut conseil avec les observations de la personne intéressée. Le Haut conseil, statuant hors la présence des membres de la formation restreinte, désigne la formation compétente pour statuer, conformément aux dispositions de l'article L. 824-10. Cette décision est notifiée à la personne poursuivie ". L'article L. 824-10, dans sa rédaction antérieure à la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, précisait les règles de répartition des actions disciplinaires entre les commissions régionales de discipline et la formation restreinte du Haut conseil.
7. La nouvelle rédaction du dernier alinéa de l'article L. 824-8 du code de commerce issue de de la loi du 22 mai 2019 tire les conséquences de la suppression, par cette même loi, des commissions régionales de discipline en prévoyant la saisine directe de la formation restreinte du Haut conseil, qui est désormais la seule entité compétente pour connaître des actions disciplinaires, par le rapporteur général ayant établi un rapport final. Si, s'agissant d'une règle de procédure, celle-ci a vocation à s'appliquer dès l'entrée en vigueur de la loi, qui contrairement à ce que soutiennent les requérants ne nécessitait pas de mesures réglementaires d'application, y compris à des procédures en cours, cette évolution est sans incidence d'une part sur la possibilité, pour le rapporteur général, d'abandonner tout ou partie des griefs et, d'autre part, sur les droits, reconnus par l'article L. 824-8 du code de commerce aux personnes poursuivies, d'avoir accès au dossier, de présenter leurs observations et de se faire assister par un conseil de leur choix à toutes les étapes de la procédure. Par suite, l'application immédiate de cette disposition ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique ni, en tout état de cause, au principe de confiance légitime.
8. En deuxième lieu, l'article L. 821-1 du code de commerce prévoit que le Haut conseil du commissariat aux comptes, qui est une autorité publique indépendante, exerce les missions qu'il énumère. Parmi ces missions figurent notamment aux termes du 2° du I de cet article, l'adoption, dans les conditions prévues à l'article L. 821-14, des normes relatives à la déontologie des commissaires aux comptes, au contrôle interne de qualité et à l'exercice professionnel ainsi que, aux termes du 7° du I du même article, le prononcé de sanctions dans les conditions prévues au chapitre IV du titre II du livre VIII. L'article L. 821-2 du code de commerce précise l'organisation du Haut conseil, qui comporte un collège de quatorze membres, présidé par un membre de la Cour de cassation, et une formation restreinte, chargée du prononcé des sanctions, présidée par l'un des deux autres magistrats de l'ordre judiciaire qui siègent au collège et comprenant quatre autres membres élus par le collège en son sein, à l'exception des membres du bureau et du directeur général du Trésor ou de son représentant. Cet article prévoit également qu'une commission placée auprès du Haut conseil, composée à parité de quatre membres du collège et de quatre commissaires aux comptes désignés par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, est compétente pour élaborer, dans un délai fixé par décret, les projets de normes mentionnées au 2° du I de l'article L. 821-1 du code de commerce, lesquels doivent être adoptés par le Haut conseil ou, à défaut d'élaboration dans ce délai, élaborés par lui.
9. Aux termes de l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ".
10. L'attribution par la loi à une autorité administrative du pouvoir de fixer les règles dans un domaine déterminé et d'en assurer elle-même le respect, par l'exercice d'un pouvoir de contrôle des activités exercées et de sanction des manquements constatés, ne contrevient pas aux exigences rappelées par l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que ce pouvoir de sanction est aménagé de telle façon que soient assurés le respect des droits de la défense, le caractère contradictoire de la procédure et l'impartialité de la décision.
11. Les articles L. 821-1 et suivants du code de commerce prévoient notamment, ainsi qu'il a été dit au point 8, que le collège du Haut conseil du commissariat aux comptes adopte des normes relatives à la déontologie des commissaires aux comptes, au contrôle interne de qualité et à l'exercice professionnel et que sa formation restreinte exerce le pouvoir disciplinaire à l'égard des commissaires aux comptes. Les articles L. 824-1 et suivants du même code précisent notamment la nature des manquements susceptibles d'être réprimés et les sanctions dont sont passibles les commissaires aux comptes ainsi que la procédure disciplinaire applicable, qui prévoit l'engagement de la procédure par la saisine du rapporteur général, puis une phase d'enquête, conduite par le rapporteur général qui entend notamment la personne intéressée, et qui se conclut par un rapport adressé au collège du Haut conseil. Celui-ci délibère, hors la présence des membres de la formation restreinte, pour arrêter les griefs reprochés à la personne en cause, qui lui sont alors notifiés par le rapporteur général. Enfin, sur la base d'un rapport final du rapporteur général qui lui est adressé avec les observations de la personne intéressée, la formation restreinte est saisie et entend notamment, lors d'une audience publique, la personne poursuivie, laquelle peut être assistée ou représentée par la personne de son choix et peut, lorsqu'il existe une raison sérieuse de mettre en doute l'impartialité d'un membre de la formation, en obtenir la récusation, ainsi que les conclusions du rapporteur général ou de son représentant, avant de délibérer hors la présence des parties et du rapporteur général.
12. Eu égard à ce qui précède, d'une part, le principe du cumul au sein du Haut conseil d'un pouvoir d'élaboration de normes et de sanction de leur méconnaissance n'est pas, par lui-même, de nature à méconnaître les exigences découlant du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, le pouvoir de sanction confié à cette autorité étant organisé dans des conditions qui assurent le respect des droits de la défense, du caractère contradictoire de la procédure et des principes d'indépendance et d'impartialité. D'autre part, le fait qu'aucune disposition du code de commerce ne fasse obstacle à ce que des membres de la formation restreinte du collège du Haut conseil aient par ailleurs siégé dans les instances de ce Haut conseil chargées d'élaborer ou d'adopter les normes dont la formation restreinte est amenée à faire application lorsqu'elle se prononce sur les procédures individuelles dont elle est saisie n'est pas non plus, par lui-même, de nature à méconnaître les exigences découlant du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur le bien-fondé de la décision de sanction :
En ce qui concerne l'application des normes d'exercice professionnel pour caractériser la faute disciplinaire :
13. Aux termes du I de l'article L. 824-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 17 mars 2016 relative au commissariat aux comptes: " Constitue une faute disciplinaire : / 1° Tout manquement aux conditions légales d'exercice de la profession ; / 2° Toute négligence grave et tout fait contraire à la probité ou à l'honneur (...) ". Aux termes de l'article L. 821-13 du même code, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 17 mars 2016 : " Les commissaires aux comptes exercent leur mission conformément aux normes internationales d'audit adoptées par la Commission européenne dans les conditions définies par la directive 2006/43/CE du 17 mai 2006. En l'absence de norme internationale d'audit adoptée par la Commission, ils se conforment aux normes d'exercice professionnel élaborées par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et homologuées par le garde des sceaux, ministre de la justice, après avis du Haut Conseil du commissariat aux comptes (...) ". Aux termes de l'article L. 821-13 dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 17 mars 2016 : " I - Le commissaire aux comptes exerce sa mission conformément aux normes d'audit internationales adoptées par la Commission européenne dans les conditions définies par l'article 26 de la directive 2006/43/ CE du 17 mai 2006 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives 78/660/ CEE et 83/349/ CEE du Conseil, et abrogeant la directive 84/253/ CEE du Conseil, ainsi que, le cas échéant, aux normes françaises venant compléter ces normes adoptées selon les conditions fixées au troisième alinéa du présent article. / En l'absence de norme d'audit internationale adoptée par la Commission, il se conforme aux normes adoptées par le Haut conseil du commissariat aux comptes et homologuées par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice ". Il résulte de ces dispositions que, tant avant qu'après la réforme opérée par l'ordonnance du 17 mars 2016, le non-respect d'une norme d'exercice professionnel, qui constitue un manquement à une obligation professionnelle pesant sur les commissaires aux comptes, est susceptible de constituer une faute disciplinaire.
14. Il en résulte que si, à la différence de l'ancien article R. 822-32 du code de commerce, qui définissait les fautes disciplinaires avant la réforme opérée par l'ordonnance du 17 mars 2016, le I de l'article L. 824-1 du code de commerce ne se réfère pas expressément aux " infractions aux normes d'exercice professionnel ", il n'en découle pas que les obligations professionnelles pesant sur les commissaires aux comptes auraient été modifiées. Par suite, c'est sans méconnaissance du principe de rétroactivité in mitius que la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes s'est fondée sur la méconnaissance de normes d'exercice professionnel pour caractériser la faute disciplinaire commise par la société D... C... et M. C.... Doit, pour les mêmes motifs, être écarté le moyen tiré de ce que la formation restreinte aurait méconnu ce même principe en se fondant, pour sanctionner M. C... et la société D... C... au titre du poste " autres créances " dans les comptes annuels des exercices 2012 à 2014 de la société Agripole, sur ce que la méconnaissance de normes d'exercice professionnel caractérisait une violation du I de l'article L. 821-13 du code de commerce, de l'alinéa 1er de l'article L. 823-9 du code de commerce et de l'article L. 823-15 du code de commerce.
En ce qui concerne les griefs retenus à l'encontre des requérants :
15. En premier lieu, aux termes de l'article L. 823-15 du code de commerce, dans sa version alors applicable : " Lorsque la personne ou l'entité est astreinte à désigner deux commissaires aux comptes, ceux-ci se livrent ensemble à un examen contradictoire des conditions et des modalités d'établissement des comptes, selon les prescriptions énoncées par une norme d'exercice professionnel établie conformément au sixième alinéa de l'article L. 821-1. Une norme d'exercice professionnel détermine les principes de répartition des diligences à mettre en oeuvre par chacun des commissaires aux comptes pour l'accomplissement de leur mission ". Aux termes du §7 de la norme d'exercice professionnel (NEP) 100 relative à l'audit des comptes réalisés par plusieurs commissaires aux comptes ; " La répartition entre les commissaires aux comptes des travaux nécessaires à la réalisation de l'audit des comptes est équilibrée et effectuée sur la base de critères : / quantitatifs, tel que le volume d'heures de travail estimé nécessaire à la réalisation de ces travaux, le volume horaire affecté à un des commissaires aux comptes ne devant pas être disproportionné par comparaison avec ceux attribués aux autres commissaires aux comptes ; et / qualitatifs, tels que l'expérience ou la qualification des membres des équipes d'audit ". Aux termes des §10 à 14 de la NEP 100 : " 10. Chaque commissaire aux comptes procède à une revue des travaux mis en oeuvre par les co-commissaires aux comptes. / 11. Cette revue lui permet d'apprécier si : / les travaux mis en oeuvre par les co-commissaires aux comptes : / correspondent à ceux définis lors de la répartition ou décidés lors de la réévaluation du risque d'anomalies significatives au niveau des assertions ; / ont permis de collecter des éléments suffisants et appropriés pour permettre d'aboutir à des conclusions à partir desquelles il pourra fonder son opinion sur les comptes ; / les conclusions auxquelles les co-commissaires aux comptes ont abouti sont pertinentes et cohérentes. / 12. Chaque commissaire aux comptes fait figurer dans son dossier les éléments de la revue qui permettent d'étayer son appréciation des travaux effectués par les co-commissaires aux comptes. / 13. En fonction de son appréciation des travaux réalisés par les autres commissaires aux comptes et des conclusions auxquelles ces derniers ont abouti, chaque commissaire aux comptes détermine s'il convient de mettre en oeuvre des procédures d'audit supplémentaires. / 14. Il s'en entretient avec les autres commissaires aux comptes. Le cas échéant, ils définissent de manière concertée la nature, le calendrier et l'étendue des procédures supplémentaires à mettre en oeuvre. "
16. Il résulte de ces dispositions que lorsque l'audit des comptes est réalisé par plusieurs commissaires aux comptes, la répartition des travaux d'audit doit être équilibrée et chacun des commissaires aux comptes est tenu, d'une part, de mener les contrôles dont il a la charge dans le respect des normes professionnelles et des obligations légales et réglementaires applicables et, d'autre part, d'apprécier dans le cadre d'une revue croisée correspondant aux caractéristiques visées au paragraphe 11 de la NEP 100, si les diligences menées par l'autre commissaire aux comptes lui permettent de porter sur les comptes en cause une appréciation suffisamment fiable. La formation restreinte a relevé, sans que cela soit sérieusement contesté par les requérants, que la répartition des contrôles entre les co-commissaires aux comptes sur les comptes annuels et consolidés de la société Agripole n'était pas équilibrée et que la revue croisée n'avait pas été opérée par M. C..., ce qui caractérisait un manquement aux dispositions de la NEP 100. Par ailleurs, c'est sans contradiction de motifs que la décision attaquée retient également à l'encontre de M. C..., et de la société D... C..., de nombreux griefs tirés de l'émission d'opinions non étayées en raison de l'absence de documentation, l'absence de revue croisée ayant justement eu pour effet d'empêcher M. C... de disposer des éléments qui auraient pu lui permettre de produire des opinions dûment éclairées sur les comptes.
17. En deuxième lieu, si les requérants invoquent le fait que la fraude commise par les dirigeants de la société Agripole aurait dû être prise en compte par la formation restreinte pour apprécier les fautes disciplinaires susceptibles de leur être reprochées, l'existence d'une fraude ne saurait exonérer les commissaires aux comptes des obligations qui s'imposent à eux au titre de l'audit des comptes, lequel a notamment aussi pour fonction, lorsqu'il est mené avec diligence, d'aider à déceler des irrégularités ou des fraudes.
18. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que la formation restreinte ne pouvait retenir à l'encontre de M. C... et de la société D... C... les manquements qu'elle a caractérisés doivent être écartés.
En ce qui concerne les sanctions prononcées :
19. En premier lieu, aux termes de l'article L. 824-12 du code de commerce : " Les sanctions sont déterminées en tenant compte : / 1° De la gravité et de la durée de la faute ou du manquement reprochés ; / 2° De la qualité et du degré d'implication de la personne intéressée ; / 3° De la situation et de la capacité financière de la personne intéressée, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ; / 4° De l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne intéressée, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ; / 5° Du degré de coopération dont a fait preuve la personne intéressée dans le cadre de l'enquête ; / 6° Des manquements commis précédemment par la personne intéressée ; / 7° Lorsque la sanction est prononcée en raison de manquement aux dispositions des sections 3 à 6 du chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier, elle est en outre déterminée en tenant compte, le cas échéant, de l'importance du préjudice subi par les tiers ".
20. Ces dispositions, issues de l'ordonnance du 17 mars 2016 relative au commissariat aux comptes, ont été prises pour assurer la transposition de l'article 30 ter de la directive n° 2014/56/UE du parlement européen et du conseil du 16 avril 2014 modifiant la directive n° 2006/43/CE concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés, laquelle a notamment pour objectif d'assurer que les Etats membres appliquent des critères identiques lorsqu'ils définissent la sanction à imposer à l'encontre, notamment, d'un commissaire aux comptes. Cet article, d'une part, énumère les critères pertinents susceptibles d'être pris en compte par les autorités compétentes en matière de sanctions et mesures administratives, d'autre part, prévoit que d'autres éléments ne peuvent être pris en compte par ces autorités que s'ils sont précisés dans le droit national. Il résulte de l'article L. 824-12 du code de commerce cité précédemment, interprété à la lumière de l'article 30 ter de la directive du 16 avril 2014, que si le Haut conseil statuant en formation restreinte, chargé, en vertu de L. 824-10 du même code, de connaître de l'action disciplinaire intentée à l'encontre des commissaires aux comptes inscrits sur la liste mentionnée au I de l'article L. 822-1 de ce code, ne peut déterminer la sanction qu'il prononce qu'au regard des seuls critères que ce texte énumère, il peut, toutefois, ne se fonder que sur ceux de ces critères qui sont pertinents au regard des faits de l'espèce.
21. Il en résulte que la formation restreinte a écarté à bon droit, pour déterminer la sanction applicable à M. C..., le fait qu'il avait fait l'objet d'une bonne appréciation dans le cadre d'un contrôle qualité opéré en 2019, une telle circonstance ne se rattachant à aucun des critères énumérés à l'article L. 824-12 du code de commerce. Par ailleurs, c'est à bon droit que la formation restreinte a considéré que, dans le cas d'espèce, d'une part, les critères tirés des gains ou avantages obtenus à l'occasion des fautes retenues à l'encontre de M. C... et de la société D... C... et, d'autre part, le degré de coopération dont M. C... et la société D... C... ont fait preuve dans le cadre de l'enquête ne conduisaient pas à minorer la sanction.
22. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 822-8 du code de commerce dans sa rédaction alors applicable : " Les sanctions disciplinaires sont : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'interdiction temporaire pour une durée n'excédant pas cinq ans ; / 4° La radiation de la liste (...) ".
23. Il résulte de l'instruction qu'alors que la société D... C... était, depuis 2009, titulaire d'un mandat pour l'audit des comptes de la société Agripole, dont M. C... était chargé, et qu'il devait réaliser en situation de co-commissariat avec la société Mazars, M. C... n'a, en pratique, opéré aucune revue croisée ni, plus largement, aucune des missions de contrôle qu'implique un audit diligent des comptes en situation de co-commissariat aux comptes. La décision attaquée relève ainsi, sans que ce constat soit utilement contesté, qu'avait été " mis en place un co-commissariat de pure façade ", au sein duquel la société D... C... et M. C... n'assuraient que des tâches ponctuelles, liées notamment au respect des obligations fiscales, sans contrôle suffisant de leur co-commissaire aux comptes. Dès lors que M. C... et la société D... C... signaient les rapports de certification des comptes en cause, ils ne pouvaient, sans méconnaître les obligations professionnelles s'imposant à tout commissaire aux comptes, se désintéresser ainsi des opérations de contrôle.
24. Il en résulte qu'en prononçant, à l'encontre de M. C..., une sanction de radiation de la liste des commissaires aux comptes et, à l'encontre de la société D... C..., une sanction d'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant cinq ans, assortie du sursis pour la totalité de sa durée, la formation restreinte n'a pas retenu de sanction disproportionnée.
25. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 822-55 du code de commerce dans sa rédaction applicable jusqu'au 29 juillet 2016 : " Lorsque les décisions prononçant l'interdiction temporaire ou la radiation de la liste sont exécutoires au sens de l'article R. 822-53, le dispositif de ces décisions est publié, à la diligence du secrétaire de la chambre régionale ou du Haut Conseil du commissariat aux comptes, au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (...) ". Aux termes de l'article L. 824-13 du code de commerce dans sa rédaction applicable à la date de la décision de sanction : " La décision du Haut conseil est publiée sur son site internet (...) ". Dès lors que le principe de la publication des sanctions d'interdiction temporaire ou de radiation était posé par les textes applicables au moment des faits en cause, la formation restreinte pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, ordonner une publication de la sanction prononcée à l'encontre de M. C... et de la société D... C... selon les nouvelles modalités prévues par l'article L. 824-13 du code de commerce.
26. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M.C... et de la société D... C... doit être rejetée.
27. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... et de la société D... C... la somme de 3 000 euros à verser au Haut conseil du commissariat aux comptes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du Haut conseil du commissariat aux comptes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. C... et de la société D... C... et associés est rejetée.
Article 2 : M. C... et la société D... C... et associés verseront au Haut conseil du commissariat aux comptes une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. D... C..., à la société D... C... et associés et au Haut conseil du commissariat aux comptes.
Copie en sera adressée au Garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la société Mazars, à M. L..., à M. F..., à M. B..., aux sociétés PWC Audit et PWC Entreprises et à M. H....
Délibéré à l'issue de la séance du 22 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 18 décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Rozen Noguellou
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
N° 451785
ECLI:FR:CECHR:2023:451785.20231218
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Rozen Noguellou, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP OHL, VEXLIARD, avocats
Lecture du lundi 18 décembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 16 avril, 16 juillet et 19 novembre 2021, 14 février 2022 et 24 avril 2023, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... C... et la société D... C... et associés demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision n° FR 2019-09 S du 19 février 2021 de la formation restreinte du Haut Conseil du commissariat aux comptes en tant qu'elle a prononcé, d'une part, à l'encontre de M. C..., sa radiation de la liste des commissaires aux comptes, d'autre part, à l'encontre de la société D... C... et associés, une interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant cinq ans, assortie du sursis pour la totalité de sa durée ;
2°) subsidiairement, de réformer la décision attaquée en réduisant la sanction prononcée à l'encontre de M. C... à de plus justes proportions et d'annuler, pour ce qui concerne tant M. C... que la société D... C... et associés, la mesure de publication de la décision de manière non anonyme sur le site internet du Haut conseil du commissariat aux comptes ;
3°) de mettre à la charge du Haut conseil du commissariat aux comptes la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2006/43/CE du Parlement Européen et du Conseil du 17 mai 2006 ;
- le code de commerce ;
- la décision du 15 octobre 2021 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C... ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de M. C... et autre et à la SCP Ohl, Vexliard, avocat du Haut conseil du commissariat aux comptes et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société PricewaterhouseCoopers Audit et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que, le 27 mars 2017, le président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes a saisi le rapporteur général du Haut conseil du commissariat aux comptes afin qu'il soit procédé à une enquête sur la certification des comptes du groupe Agripole, groupe agroalimentaire, détenu à 100 % par Mme J... K..., décédée en 2016, et qui regroupait une filiale, Financière Turenne Lafayette, et plusieurs sous-filiales, Paul Prédault, Madrange, William Saurin, Montagne noire, Tradition traiteur, Germanaud, Géo, Conserverie du Languedoc, Les salaisons de l'Arrée. Le 28 mars 2017, le rapporteur général a ouvert une enquête portant sur les missions de certification des comptes annuels et consolidés de la société Agripole, pour les exercices clos de 2012 à 2015. Sur cette période, plusieurs sociétés sont intervenues pour procéder à l'audit des comptes de la société Agripole et de ses filiales. La société Mazars a été le commissaire aux comptes de la société Agripole et de sa filiale Financière Turenne Lafayette ainsi que des sous-filiales Conserverie du Languedoc, William Saurin, Paul Prédault, Germanaud, Montagne Noire, Tradition Traiteur, Madrange et Géo. M. E... F... était l'associé signataire des comptes pour la société Mazars, rejoint, à compter de 2012, par M. A... L.... Deux sociétés appartenant au réseau de PricewaterhouseCoopers (PWC) sont intervenues dans l'audit des comptes de ces sociétés, à savoir la société PWC Entreprises pour les sociétés Financière Turenne Lafayette, Madrange, Géo, puis PWC Audit pour les comptes annuels 2015 de la société Agripole et de sa filiale la société Financière Turenne Lafayette ainsi que les comptes annuels 2014 et 2015 des sociétés Madrange et Géo. M. I... H... était l'associé signataire des comptes pour les sociétés PWC Entreprises et PWC Audit. La société D... C... et associés est intervenue en qualité de co-commissaire aux comptes de la société Agripole, les comptes étant certifiés par M. D... C.... Enfin, M. G... B... a été commissaire aux comptes de la société Les Salaisons de l'Arrée. Le 7 février 2019, les griefs ont été notifiés à MM. H..., B..., F..., Schwaler et C... ainsi qu'aux sociétés Mazars, PWC Audit, PWC Entreprises et D... C... et associés. Par une décision du 19 février 2021, la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes a prononcé à l'encontre de M. C... la radiation de la liste des commissaires aux comptes et, à l'encontre de la société D... C... et associés, l'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant cinq ans, assortie du sursis pour la totalité de sa durée. Des sanctions ont également été prononcées à l'encontre des autres mis en cause.
Sur la régularité de la procédure de sanction :
En ce qui concerne la régularité de la phase d'enquête :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 821-3-1 du code de commerce : " Le Haut conseil dispose d'un service chargé de procéder aux enquêtes préalables à l'ouverture des procédures prévues au chapitre IV du présent titre. Ce service est dirigé par un rapporteur général et composé d'enquêteurs habilités par ce dernier ". Aux termes de l'article L. 824-4 du code de commerce : " Le rapporteur général est saisi de tout fait susceptible de justifier l'engagement d'une procédure de sanction par : (...) / 6° Le président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ou le président d'une compagnie régionale (...) ". Il résulte de l'instruction que le rapporteur général a été saisi, par une lettre du président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, d'une demande d'enquête sur des faits relatifs aux comptes du groupe Agripole. Dès lors que la lettre indiquait les faits en cause, elle n'avait pas à préciser les commissaires aux comptes concernés. Par suite, le moyen tiré de ce que le rapporteur général se serait irrégulièrement auto-saisi, doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 824-8 du code de commerce : " A l'issue de l'enquête et après avoir entendu la personne intéressée, le rapporteur général établit un rapport d'enquête qu'il adresse au Haut conseil. Lorsque les faits justifient l'engagement d'une procédure de sanction, le Haut conseil délibérant hors la présence des membres de la formation restreinte arrête les griefs qui sont notifiés par le rapporteur général à la personne intéressée. La notification expose les faits passibles de sanction. Elle est accompagnée des principaux éléments susceptibles de fonder les griefs (...) ". Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 18 août 2017, le rapporteur général a adressé à M. C... une lettre le convoquant pour une audition dans le cadre de l'enquête menée sur la certification des comptes annuels et consolidés de la société Agripole, pour les exercices 2012 à 2015. La société D... C..., dont M. D... C... est le représentant légal, était, depuis 2009, titulaire du mandat relatif au contrôle des comptes de la société Agripole, M. D... C... étant le commissaire aux comptes responsable de cet audit. Si la lettre de convocation ne mentionnait pas explicitement la société D... C..., elle n'en a pas moins été adressée à son représentant légal, qui a donc été averti de l'enquête en cours et a pu apporter des éléments de réponse. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, l'absence de mention de la société mise en cause dans la lettre de convocation n'a pas porté atteinte, pour ce qui la concerne, aux droits de la défense et le moyen tiré de ce que l'enquête serait, pour ce motif, irrégulière doit être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 30 de la directive 2006/43/CE du 17 mai 2006 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil, et abrogeant la directive 84/253/CEE du Conseil, relatif aux " systèmes d'enquêtes et de sanctions " : " 1. Les États membres veillent à ce que des systèmes efficaces d'enquêtes et de sanctions soient mis en place pour détecter, corriger et prévenir une exécution inadéquate du contrôle légal des comptes et de l'assurance de l'information en matière de durabilité (...) ". Aux termes de l'article 30 sexies de la même directive, relatif au " signalement des infractions " : " I. Les États membres veillent à ce que des mécanismes efficaces soient mis en place pour encourager le signalement des infractions à la présente directive ou au règlement (UE) n° 537/2014 aux autorités compétentes. / 2. Les mécanismes visés au paragraphe 1 comprennent au moins : / a) des procédures spécifiques pour la réception de signalements d'infractions et leur suivi ; / b) la protection des données à caractère personnel concernant tant la personne qui signale une infraction présumée ou réelle que la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction ou présumée avoir commis cette infraction, dans le respect des principes fixés dans la directive 95/46/CE ; / c) des procédures adéquates garantissant les droits de la défense de la personne poursuivie, son droit d'être entendue avant l'adoption d'une décision la concernant, ainsi que son droit à un recours effectif devant un tribunal contre toute décision ou mesure la concernant (...) ".
5. Ces dispositions imposent aux Etats membres la mise en place de dispositifs efficaces d'enquêtes et de sanctions, tout en garantissant aux personnes poursuivies, c'est-à-dire aux personnes à qui des griefs ont été notifiés, le respect des droits de la défense. Elles mettent ainsi en oeuvre le principe des droits de la défense, rappelé par l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel s'applique seulement à la procédure de sanction ouverte par la notification de griefs et par la saisine de l'instance en charge du prononcé des sanctions, et non à la phase préalable des enquêtes et contrôles, ni a fortiori aux étapes antérieures à cette phase d'enquête et de contrôle. Par suite, et dès lors qu'il n'est pas allégué que l'enquête menée par le rapporteur général se serait déroulée dans des conditions qui auraient porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense de M. C... ou de la société D... C..., le moyen tiré de l'atteinte aux droits de la défense, de la méconnaissance de l'article 30 sexies de la directive du 17 mai 2006 et, en tout état de cause, de la méconnaissance du règlement n° 537/2014 du 16 avril 2014 relatif aux exigences spécifiques applicables au contrôle légal des comptes des entités d'intérêt public, lequel n'est pas applicable en l'espèce, doit être écarté.
En ce qui concerne la régularité de la phase de sanction :
6. En premier lieu, l'article 24 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises modifie le dernier alinéa de l'article L. 824-8 du code de commerce en prévoyant que : " Le rapporteur général établit un rapport final qu'il adresse à la formation restreinte avec les observations de la personne intéressée ". Cette disposition se substitue à l'ancien dernier alinéa de l'article L. 824-8 du même code, lequel prévoyait que : " Le rapporteur général établit un rapport final qu'il adresse au Haut conseil avec les observations de la personne intéressée. Le Haut conseil, statuant hors la présence des membres de la formation restreinte, désigne la formation compétente pour statuer, conformément aux dispositions de l'article L. 824-10. Cette décision est notifiée à la personne poursuivie ". L'article L. 824-10, dans sa rédaction antérieure à la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, précisait les règles de répartition des actions disciplinaires entre les commissions régionales de discipline et la formation restreinte du Haut conseil.
7. La nouvelle rédaction du dernier alinéa de l'article L. 824-8 du code de commerce issue de de la loi du 22 mai 2019 tire les conséquences de la suppression, par cette même loi, des commissions régionales de discipline en prévoyant la saisine directe de la formation restreinte du Haut conseil, qui est désormais la seule entité compétente pour connaître des actions disciplinaires, par le rapporteur général ayant établi un rapport final. Si, s'agissant d'une règle de procédure, celle-ci a vocation à s'appliquer dès l'entrée en vigueur de la loi, qui contrairement à ce que soutiennent les requérants ne nécessitait pas de mesures réglementaires d'application, y compris à des procédures en cours, cette évolution est sans incidence d'une part sur la possibilité, pour le rapporteur général, d'abandonner tout ou partie des griefs et, d'autre part, sur les droits, reconnus par l'article L. 824-8 du code de commerce aux personnes poursuivies, d'avoir accès au dossier, de présenter leurs observations et de se faire assister par un conseil de leur choix à toutes les étapes de la procédure. Par suite, l'application immédiate de cette disposition ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique ni, en tout état de cause, au principe de confiance légitime.
8. En deuxième lieu, l'article L. 821-1 du code de commerce prévoit que le Haut conseil du commissariat aux comptes, qui est une autorité publique indépendante, exerce les missions qu'il énumère. Parmi ces missions figurent notamment aux termes du 2° du I de cet article, l'adoption, dans les conditions prévues à l'article L. 821-14, des normes relatives à la déontologie des commissaires aux comptes, au contrôle interne de qualité et à l'exercice professionnel ainsi que, aux termes du 7° du I du même article, le prononcé de sanctions dans les conditions prévues au chapitre IV du titre II du livre VIII. L'article L. 821-2 du code de commerce précise l'organisation du Haut conseil, qui comporte un collège de quatorze membres, présidé par un membre de la Cour de cassation, et une formation restreinte, chargée du prononcé des sanctions, présidée par l'un des deux autres magistrats de l'ordre judiciaire qui siègent au collège et comprenant quatre autres membres élus par le collège en son sein, à l'exception des membres du bureau et du directeur général du Trésor ou de son représentant. Cet article prévoit également qu'une commission placée auprès du Haut conseil, composée à parité de quatre membres du collège et de quatre commissaires aux comptes désignés par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, est compétente pour élaborer, dans un délai fixé par décret, les projets de normes mentionnées au 2° du I de l'article L. 821-1 du code de commerce, lesquels doivent être adoptés par le Haut conseil ou, à défaut d'élaboration dans ce délai, élaborés par lui.
9. Aux termes de l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ".
10. L'attribution par la loi à une autorité administrative du pouvoir de fixer les règles dans un domaine déterminé et d'en assurer elle-même le respect, par l'exercice d'un pouvoir de contrôle des activités exercées et de sanction des manquements constatés, ne contrevient pas aux exigences rappelées par l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que ce pouvoir de sanction est aménagé de telle façon que soient assurés le respect des droits de la défense, le caractère contradictoire de la procédure et l'impartialité de la décision.
11. Les articles L. 821-1 et suivants du code de commerce prévoient notamment, ainsi qu'il a été dit au point 8, que le collège du Haut conseil du commissariat aux comptes adopte des normes relatives à la déontologie des commissaires aux comptes, au contrôle interne de qualité et à l'exercice professionnel et que sa formation restreinte exerce le pouvoir disciplinaire à l'égard des commissaires aux comptes. Les articles L. 824-1 et suivants du même code précisent notamment la nature des manquements susceptibles d'être réprimés et les sanctions dont sont passibles les commissaires aux comptes ainsi que la procédure disciplinaire applicable, qui prévoit l'engagement de la procédure par la saisine du rapporteur général, puis une phase d'enquête, conduite par le rapporteur général qui entend notamment la personne intéressée, et qui se conclut par un rapport adressé au collège du Haut conseil. Celui-ci délibère, hors la présence des membres de la formation restreinte, pour arrêter les griefs reprochés à la personne en cause, qui lui sont alors notifiés par le rapporteur général. Enfin, sur la base d'un rapport final du rapporteur général qui lui est adressé avec les observations de la personne intéressée, la formation restreinte est saisie et entend notamment, lors d'une audience publique, la personne poursuivie, laquelle peut être assistée ou représentée par la personne de son choix et peut, lorsqu'il existe une raison sérieuse de mettre en doute l'impartialité d'un membre de la formation, en obtenir la récusation, ainsi que les conclusions du rapporteur général ou de son représentant, avant de délibérer hors la présence des parties et du rapporteur général.
12. Eu égard à ce qui précède, d'une part, le principe du cumul au sein du Haut conseil d'un pouvoir d'élaboration de normes et de sanction de leur méconnaissance n'est pas, par lui-même, de nature à méconnaître les exigences découlant du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, le pouvoir de sanction confié à cette autorité étant organisé dans des conditions qui assurent le respect des droits de la défense, du caractère contradictoire de la procédure et des principes d'indépendance et d'impartialité. D'autre part, le fait qu'aucune disposition du code de commerce ne fasse obstacle à ce que des membres de la formation restreinte du collège du Haut conseil aient par ailleurs siégé dans les instances de ce Haut conseil chargées d'élaborer ou d'adopter les normes dont la formation restreinte est amenée à faire application lorsqu'elle se prononce sur les procédures individuelles dont elle est saisie n'est pas non plus, par lui-même, de nature à méconnaître les exigences découlant du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur le bien-fondé de la décision de sanction :
En ce qui concerne l'application des normes d'exercice professionnel pour caractériser la faute disciplinaire :
13. Aux termes du I de l'article L. 824-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 17 mars 2016 relative au commissariat aux comptes: " Constitue une faute disciplinaire : / 1° Tout manquement aux conditions légales d'exercice de la profession ; / 2° Toute négligence grave et tout fait contraire à la probité ou à l'honneur (...) ". Aux termes de l'article L. 821-13 du même code, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 17 mars 2016 : " Les commissaires aux comptes exercent leur mission conformément aux normes internationales d'audit adoptées par la Commission européenne dans les conditions définies par la directive 2006/43/CE du 17 mai 2006. En l'absence de norme internationale d'audit adoptée par la Commission, ils se conforment aux normes d'exercice professionnel élaborées par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et homologuées par le garde des sceaux, ministre de la justice, après avis du Haut Conseil du commissariat aux comptes (...) ". Aux termes de l'article L. 821-13 dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 17 mars 2016 : " I - Le commissaire aux comptes exerce sa mission conformément aux normes d'audit internationales adoptées par la Commission européenne dans les conditions définies par l'article 26 de la directive 2006/43/ CE du 17 mai 2006 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives 78/660/ CEE et 83/349/ CEE du Conseil, et abrogeant la directive 84/253/ CEE du Conseil, ainsi que, le cas échéant, aux normes françaises venant compléter ces normes adoptées selon les conditions fixées au troisième alinéa du présent article. / En l'absence de norme d'audit internationale adoptée par la Commission, il se conforme aux normes adoptées par le Haut conseil du commissariat aux comptes et homologuées par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice ". Il résulte de ces dispositions que, tant avant qu'après la réforme opérée par l'ordonnance du 17 mars 2016, le non-respect d'une norme d'exercice professionnel, qui constitue un manquement à une obligation professionnelle pesant sur les commissaires aux comptes, est susceptible de constituer une faute disciplinaire.
14. Il en résulte que si, à la différence de l'ancien article R. 822-32 du code de commerce, qui définissait les fautes disciplinaires avant la réforme opérée par l'ordonnance du 17 mars 2016, le I de l'article L. 824-1 du code de commerce ne se réfère pas expressément aux " infractions aux normes d'exercice professionnel ", il n'en découle pas que les obligations professionnelles pesant sur les commissaires aux comptes auraient été modifiées. Par suite, c'est sans méconnaissance du principe de rétroactivité in mitius que la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes s'est fondée sur la méconnaissance de normes d'exercice professionnel pour caractériser la faute disciplinaire commise par la société D... C... et M. C.... Doit, pour les mêmes motifs, être écarté le moyen tiré de ce que la formation restreinte aurait méconnu ce même principe en se fondant, pour sanctionner M. C... et la société D... C... au titre du poste " autres créances " dans les comptes annuels des exercices 2012 à 2014 de la société Agripole, sur ce que la méconnaissance de normes d'exercice professionnel caractérisait une violation du I de l'article L. 821-13 du code de commerce, de l'alinéa 1er de l'article L. 823-9 du code de commerce et de l'article L. 823-15 du code de commerce.
En ce qui concerne les griefs retenus à l'encontre des requérants :
15. En premier lieu, aux termes de l'article L. 823-15 du code de commerce, dans sa version alors applicable : " Lorsque la personne ou l'entité est astreinte à désigner deux commissaires aux comptes, ceux-ci se livrent ensemble à un examen contradictoire des conditions et des modalités d'établissement des comptes, selon les prescriptions énoncées par une norme d'exercice professionnel établie conformément au sixième alinéa de l'article L. 821-1. Une norme d'exercice professionnel détermine les principes de répartition des diligences à mettre en oeuvre par chacun des commissaires aux comptes pour l'accomplissement de leur mission ". Aux termes du §7 de la norme d'exercice professionnel (NEP) 100 relative à l'audit des comptes réalisés par plusieurs commissaires aux comptes ; " La répartition entre les commissaires aux comptes des travaux nécessaires à la réalisation de l'audit des comptes est équilibrée et effectuée sur la base de critères : / quantitatifs, tel que le volume d'heures de travail estimé nécessaire à la réalisation de ces travaux, le volume horaire affecté à un des commissaires aux comptes ne devant pas être disproportionné par comparaison avec ceux attribués aux autres commissaires aux comptes ; et / qualitatifs, tels que l'expérience ou la qualification des membres des équipes d'audit ". Aux termes des §10 à 14 de la NEP 100 : " 10. Chaque commissaire aux comptes procède à une revue des travaux mis en oeuvre par les co-commissaires aux comptes. / 11. Cette revue lui permet d'apprécier si : / les travaux mis en oeuvre par les co-commissaires aux comptes : / correspondent à ceux définis lors de la répartition ou décidés lors de la réévaluation du risque d'anomalies significatives au niveau des assertions ; / ont permis de collecter des éléments suffisants et appropriés pour permettre d'aboutir à des conclusions à partir desquelles il pourra fonder son opinion sur les comptes ; / les conclusions auxquelles les co-commissaires aux comptes ont abouti sont pertinentes et cohérentes. / 12. Chaque commissaire aux comptes fait figurer dans son dossier les éléments de la revue qui permettent d'étayer son appréciation des travaux effectués par les co-commissaires aux comptes. / 13. En fonction de son appréciation des travaux réalisés par les autres commissaires aux comptes et des conclusions auxquelles ces derniers ont abouti, chaque commissaire aux comptes détermine s'il convient de mettre en oeuvre des procédures d'audit supplémentaires. / 14. Il s'en entretient avec les autres commissaires aux comptes. Le cas échéant, ils définissent de manière concertée la nature, le calendrier et l'étendue des procédures supplémentaires à mettre en oeuvre. "
16. Il résulte de ces dispositions que lorsque l'audit des comptes est réalisé par plusieurs commissaires aux comptes, la répartition des travaux d'audit doit être équilibrée et chacun des commissaires aux comptes est tenu, d'une part, de mener les contrôles dont il a la charge dans le respect des normes professionnelles et des obligations légales et réglementaires applicables et, d'autre part, d'apprécier dans le cadre d'une revue croisée correspondant aux caractéristiques visées au paragraphe 11 de la NEP 100, si les diligences menées par l'autre commissaire aux comptes lui permettent de porter sur les comptes en cause une appréciation suffisamment fiable. La formation restreinte a relevé, sans que cela soit sérieusement contesté par les requérants, que la répartition des contrôles entre les co-commissaires aux comptes sur les comptes annuels et consolidés de la société Agripole n'était pas équilibrée et que la revue croisée n'avait pas été opérée par M. C..., ce qui caractérisait un manquement aux dispositions de la NEP 100. Par ailleurs, c'est sans contradiction de motifs que la décision attaquée retient également à l'encontre de M. C..., et de la société D... C..., de nombreux griefs tirés de l'émission d'opinions non étayées en raison de l'absence de documentation, l'absence de revue croisée ayant justement eu pour effet d'empêcher M. C... de disposer des éléments qui auraient pu lui permettre de produire des opinions dûment éclairées sur les comptes.
17. En deuxième lieu, si les requérants invoquent le fait que la fraude commise par les dirigeants de la société Agripole aurait dû être prise en compte par la formation restreinte pour apprécier les fautes disciplinaires susceptibles de leur être reprochées, l'existence d'une fraude ne saurait exonérer les commissaires aux comptes des obligations qui s'imposent à eux au titre de l'audit des comptes, lequel a notamment aussi pour fonction, lorsqu'il est mené avec diligence, d'aider à déceler des irrégularités ou des fraudes.
18. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que la formation restreinte ne pouvait retenir à l'encontre de M. C... et de la société D... C... les manquements qu'elle a caractérisés doivent être écartés.
En ce qui concerne les sanctions prononcées :
19. En premier lieu, aux termes de l'article L. 824-12 du code de commerce : " Les sanctions sont déterminées en tenant compte : / 1° De la gravité et de la durée de la faute ou du manquement reprochés ; / 2° De la qualité et du degré d'implication de la personne intéressée ; / 3° De la situation et de la capacité financière de la personne intéressée, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ; / 4° De l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne intéressée, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ; / 5° Du degré de coopération dont a fait preuve la personne intéressée dans le cadre de l'enquête ; / 6° Des manquements commis précédemment par la personne intéressée ; / 7° Lorsque la sanction est prononcée en raison de manquement aux dispositions des sections 3 à 6 du chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier, elle est en outre déterminée en tenant compte, le cas échéant, de l'importance du préjudice subi par les tiers ".
20. Ces dispositions, issues de l'ordonnance du 17 mars 2016 relative au commissariat aux comptes, ont été prises pour assurer la transposition de l'article 30 ter de la directive n° 2014/56/UE du parlement européen et du conseil du 16 avril 2014 modifiant la directive n° 2006/43/CE concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés, laquelle a notamment pour objectif d'assurer que les Etats membres appliquent des critères identiques lorsqu'ils définissent la sanction à imposer à l'encontre, notamment, d'un commissaire aux comptes. Cet article, d'une part, énumère les critères pertinents susceptibles d'être pris en compte par les autorités compétentes en matière de sanctions et mesures administratives, d'autre part, prévoit que d'autres éléments ne peuvent être pris en compte par ces autorités que s'ils sont précisés dans le droit national. Il résulte de l'article L. 824-12 du code de commerce cité précédemment, interprété à la lumière de l'article 30 ter de la directive du 16 avril 2014, que si le Haut conseil statuant en formation restreinte, chargé, en vertu de L. 824-10 du même code, de connaître de l'action disciplinaire intentée à l'encontre des commissaires aux comptes inscrits sur la liste mentionnée au I de l'article L. 822-1 de ce code, ne peut déterminer la sanction qu'il prononce qu'au regard des seuls critères que ce texte énumère, il peut, toutefois, ne se fonder que sur ceux de ces critères qui sont pertinents au regard des faits de l'espèce.
21. Il en résulte que la formation restreinte a écarté à bon droit, pour déterminer la sanction applicable à M. C..., le fait qu'il avait fait l'objet d'une bonne appréciation dans le cadre d'un contrôle qualité opéré en 2019, une telle circonstance ne se rattachant à aucun des critères énumérés à l'article L. 824-12 du code de commerce. Par ailleurs, c'est à bon droit que la formation restreinte a considéré que, dans le cas d'espèce, d'une part, les critères tirés des gains ou avantages obtenus à l'occasion des fautes retenues à l'encontre de M. C... et de la société D... C... et, d'autre part, le degré de coopération dont M. C... et la société D... C... ont fait preuve dans le cadre de l'enquête ne conduisaient pas à minorer la sanction.
22. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 822-8 du code de commerce dans sa rédaction alors applicable : " Les sanctions disciplinaires sont : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'interdiction temporaire pour une durée n'excédant pas cinq ans ; / 4° La radiation de la liste (...) ".
23. Il résulte de l'instruction qu'alors que la société D... C... était, depuis 2009, titulaire d'un mandat pour l'audit des comptes de la société Agripole, dont M. C... était chargé, et qu'il devait réaliser en situation de co-commissariat avec la société Mazars, M. C... n'a, en pratique, opéré aucune revue croisée ni, plus largement, aucune des missions de contrôle qu'implique un audit diligent des comptes en situation de co-commissariat aux comptes. La décision attaquée relève ainsi, sans que ce constat soit utilement contesté, qu'avait été " mis en place un co-commissariat de pure façade ", au sein duquel la société D... C... et M. C... n'assuraient que des tâches ponctuelles, liées notamment au respect des obligations fiscales, sans contrôle suffisant de leur co-commissaire aux comptes. Dès lors que M. C... et la société D... C... signaient les rapports de certification des comptes en cause, ils ne pouvaient, sans méconnaître les obligations professionnelles s'imposant à tout commissaire aux comptes, se désintéresser ainsi des opérations de contrôle.
24. Il en résulte qu'en prononçant, à l'encontre de M. C..., une sanction de radiation de la liste des commissaires aux comptes et, à l'encontre de la société D... C..., une sanction d'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant cinq ans, assortie du sursis pour la totalité de sa durée, la formation restreinte n'a pas retenu de sanction disproportionnée.
25. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 822-55 du code de commerce dans sa rédaction applicable jusqu'au 29 juillet 2016 : " Lorsque les décisions prononçant l'interdiction temporaire ou la radiation de la liste sont exécutoires au sens de l'article R. 822-53, le dispositif de ces décisions est publié, à la diligence du secrétaire de la chambre régionale ou du Haut Conseil du commissariat aux comptes, au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (...) ". Aux termes de l'article L. 824-13 du code de commerce dans sa rédaction applicable à la date de la décision de sanction : " La décision du Haut conseil est publiée sur son site internet (...) ". Dès lors que le principe de la publication des sanctions d'interdiction temporaire ou de radiation était posé par les textes applicables au moment des faits en cause, la formation restreinte pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, ordonner une publication de la sanction prononcée à l'encontre de M. C... et de la société D... C... selon les nouvelles modalités prévues par l'article L. 824-13 du code de commerce.
26. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M.C... et de la société D... C... doit être rejetée.
27. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... et de la société D... C... la somme de 3 000 euros à verser au Haut conseil du commissariat aux comptes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du Haut conseil du commissariat aux comptes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. C... et de la société D... C... et associés est rejetée.
Article 2 : M. C... et la société D... C... et associés verseront au Haut conseil du commissariat aux comptes une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. D... C..., à la société D... C... et associés et au Haut conseil du commissariat aux comptes.
Copie en sera adressée au Garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la société Mazars, à M. L..., à M. F..., à M. B..., aux sociétés PWC Audit et PWC Entreprises et à M. H....
Délibéré à l'issue de la séance du 22 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 18 décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Rozen Noguellou
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain