Conseil d'État
N° 465835
ECLI:FR:CECHR:2023:465835.20230712
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Olivier Pau, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
A.A.R.P.I DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER;DUPEYRON, avocats
Lecture du mercredi 12 juillet 2023
Vu les procédures suivantes :
I. Sous le n° 465835, par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 18 juillet et 18 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Protéines France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
II. Sous le n° 467116, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 30 août et 29 novembre 2022 et le 29 mai 2023, l'Union végétarienne européenne et l'association végétarienne de France demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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III. Sous le n° 468384, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 21 octobre 2022 et 3 mars 2023, la société Beyond Meat demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 ;
- la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 ;
- la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 1er octobre 2020
(C-485/18) ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 1er décembre 2022
(C-595/21) ;
- la communication de la Commission européenne du 8 juin 2018
(2018/C 196/01) ;
- le code de la consommation ;
- la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Pau, auditeur,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin Avocats, avocat de l'association Protéines France, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'Union végétarienne européenne et de l'association végétarienne de France et à
Me Dupeyron, avocat de la société Beyond Meat Inc ;
Considérant ce qui suit :
1. Les trois requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. L'association Protéines France, l'Union végétarienne européenne, l'association végétarienne de France et la société Beyond Meat demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales, pris pour l'application de l'article L. 412-10 du code de la consommation issu de l'article 5 de la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires.
Sur les interventions présentées à l'appui de la requête n° 465835 :
3. La société Beyond Meat, qui est au demeurant elle-même l'auteur de la requête n° 468384 susvisée, les sociétés 77 Foods, Les Nouveaux Fermiers, Umiami et NxtFood et les sociétés Nutrition et santé et Olga justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Par suite, leurs interventions respectives sont recevables.
Sur le cadre juridique du litige :
En ce qui concerne le droit de l'Union européenne :
4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 38 du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires : " 1. Pour ce qui concerne les questions expressément harmonisées par le présent règlement, les États membres ne peuvent ni adopter ni conserver des mesures nationales, sauf si le droit de l'Union l'autorise. Ces mesures nationales ne peuvent entraver la libre circulation des marchandises, notamment donner lieu à une discrimination à l'encontre de denrées alimentaires provenant d'autres États membres. / 2. Sans préjudice de l'article 39, les États membres peuvent adopter des dispositions nationales concernant des questions qui ne sont pas expressément harmonisées par le présent règlement, pour autant que ces mesures n'aient pas pour effet d'interdire, d'entraver ou de restreindre la libre circulation des marchandises qui sont conformes au présent règlement ". D'autre part, dans son arrêt du 1er octobre 2020 Groupe Lactalis (aff. C-485/18), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'aucune disposition du règlement (UE) du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires n'énumérait les " questions expressément harmonisées " visées à l'article 38, paragraphe 1, de ce règlement et qu'eu égard à cette expression, l'identification de ces questions devait s'effectuer dans le strict respect du libellé de ce règlement (point 25).
5. En deuxième lieu, d'une part, en vertu de l'article 1er (Objet et champ d'application) du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires : " 1. Le présent règlement contient les dispositions de base permettant d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en matière d'information sur les denrées alimentaires, dans le respect des différences de perception desdits consommateurs et de leurs besoins en information, tout en veillant au bon fonctionnement du marché intérieur ". Aux termes de l'article 3 (Objectifs généraux) de ce règlement : " 1. L'information sur les denrées alimentaires tend à un niveau élevé de protection de la santé et des intérêts des consommateurs en fournissant au consommateur final les bases à partir desquelles il peut décider en toute connaissance de cause et utiliser les denrées alimentaires en toute sécurité, dans le respect, notamment, de considérations sanitaires, économiques, écologiques, sociales et éthiques ". En vertu de l'article 7 (Pratiques loyales en matière d'information) de ce règlement : " 1. Les informations sur les denrées alimentaires n'induisent pas en erreur, notamment : / a) sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et, notamment, sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, le pays d'origine ou le lieu de provenance, le mode de fabrication ou d'obtention de cette denrée ; / (...) / d) en suggérant au consommateur, au moyen de l'apparence, de la description ou d'une représentation graphique, la présence d'une denrée ou d'un ingrédient déterminé alors qu'il s'agit en fait d'une denrée dans laquelle un composant présent naturellement ou un ingrédient normalement utilisé dans cette denrée alimentaire a été remplacé par un composant ou un ingrédient différent. / 2. Les informations sur les denrées alimentaires sont précises, claires et aisément compréhensibles par les consommateurs. / (...) / 4. Les paragraphes 1, 2 et 3 s'appliquent également à : / a) la publicité ; / b) la présentation des denrées alimentaires et notamment à la forme ou à l'aspect donné à celles-ci ou à leur emballage, au matériau d'emballage utilisé, à la manière dont elles sont disposées ainsi qu'à l'environnement dans lequel elles sont exposées ". Selon l'article 9 de ce règlement (Liste des mentions obligatoires) : " 1. Conformément aux articles 10 à 35, et sous réserve des exceptions prévues dans le présent chapitre, les mentions suivantes sont obligatoires : / a) la dénomination de la denrée alimentaire ; / (...) / ". Aux termes de l'article 17 (Dénomination de la denrée alimentaire) de ce règlement : " 1. La dénomination de la denrée alimentaire est sa dénomination légale. En l'absence d'une telle dénomination, la dénomination de la denrée est son nom usuel. À défaut d'un tel nom ou si celui-ci n'est pas utilisé, un nom descriptif est à indiquer. / (...) / 5. Les dispositions spécifiques relatives à la dénomination de la denrée alimentaire et aux mentions dont celle-ci est assortie sont établies à l'annexe VI ". En vertu du paragraphe 4 de la partie A (Mentions obligatoires dont la dénomination de la denrée alimentaire est assortie) de l'annexe VI (Dénominations de la denrée alimentaire et mentions particulières dont elle est assortie) à ce règlement : " Dans le cas de denrées alimentaires dans lesquelles un composant ou un ingrédient que les consommateurs s'attendent à voir normalement utilisé ou à trouver naturellement présent a été remplacé par un composant ou un ingrédient différent, l'étiquetage porte - outre la liste des ingrédients - une indication précise du composant ou de l'ingrédient utilisé pour la substitution partielle ou totale : / a) à proximité immédiate du nom du produit ; et / b) en utilisant un corps de caractère tel que la hauteur de x soit au moins égale à 75 % de celle du nom du produit et ne soit pas inférieure à la hauteur minimale du corps de caractère prévue à l'article 13, paragraphe 2, du présent règlement ". D'autre part, dans son arrêt du 1er décembre 2022 LSI - Germany GmbH (aff. C-595/21), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les dispositions du paragraphe 4 de la partie A de l'annexe VI au règlement (UE) du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires visaient, en substance, à compléter celles de l'article 7 de ce règlement par des prescriptions spéciales en matière d'étiquetage, afin de protéger le consommateur contre les tromperies causées par des indications inexactes (point 31).
En ce qui concerne le droit national :
6. D'une part, aux termes de l'article L. 412-10 inséré au code de la consommation par l'article 5 de la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires : " Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d'origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Un décret fixe la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n'est pas possible. Ce décret définit également les modalités d'application du présent article et les sanctions encourues en cas de manquement ".
7. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales, ce décret s'applique " aux denrées alimentaires, fabriquées sur le territoire national, contenant des protéines végétales ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Il est interdit d'utiliser, pour désigner un produit transformé contenant des protéines végétales : / 1° Une dénomination légale pour laquelle aucun ajout de protéines végétales n'est prévu par les règles définissant la composition de la denrée alimentaire concernée ; / 2° Une dénomination faisant référence aux noms des espèces et groupes d'espèces animales, à la morphologie ou à l'anatomie animale ; / 3° Une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie ; / 4° Une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux ". Aux termes de l'article 3 de ce décret : " Par dérogation aux dispositions de l'article 2, la dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale peut être utilisée : / 1° Pour les denrées alimentaires d'origine animale contenant des protéines végétales dans une proportion déterminée lorsqu'une telle présence est prévue par la réglementation ou mentionnée dans la liste annexée au présent décret ; / 2° Pour désigner les arômes ou ingrédients alimentaires possédant des propriétés aromatisantes utilisés dans des denrées alimentaires ". Aux termes de l'article 4 de ce décret : " Les dénominations mentionnées à l'article 2 peuvent être utilisées dans les noms descriptifs des assemblages de denrées d'origine animale avec d'autres types de denrées qui ne se substituent pas aux denrées d'origine animale mais sont ajoutées en complément de ces dernières dans le cadre de ces assemblages ". Aux termes de l'article 5 de ce décret : " Les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou en Turquie, ou légalement fabriqués dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ne sont pas soumis aux exigences du présent décret ". Aux termes de l'article 6 de ce décret : " Il est interdit de détenir en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, de mettre en vente, de vendre ou de distribuer à titre gratuit des denrées qui ne répondent pas aux règles fixées dans le présent décret ". Aux termes de l'article 7 de ce décret : " Tout manquement aux dispositions de l'article 6 du présent décret est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 1 500 euros pour une personne physique et 7 500 euros pour une personne morale. / Cette amende est prononcée dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V du code de la consommation ". Aux termes de l'article 8 de ce décret : " Les dispositions du présent décret entrent en vigueur le 1er octobre 2022. / Les denrées fabriquées ou étiquetées avant le 1er octobre 2022 et qui sont conformes à la réglementation en vigueur à cette date peuvent être commercialisées jusqu'à épuisement des stocks, et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2023 ".
Sur les moyens des requêtes :
En ce qui concerne la légalité externe du décret attaqué :
Quant à l'absence de contreseings :
8. Aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". S'agissant d'un acte réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui sont compétents pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de l'acte en cause. L'exécution du décret attaqué ne nécessite aucune mesure que devrait signer ou contresigner le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ou le ministre de la santé et de la prévention. Par suite, le moyen tiré du défaut de contreseings de ces ministres doit être écarté.
Quant à la régularité de la procédure de notification :
9. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le décret attaqué a fait l'objet d'une notification à la Commission européenne le 1er octobre 2021, préalablement à son édiction, dans le cadre de la procédure prévue à l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535, au titre de laquelle le Gouvernement a également indiqué procéder à une notification au titre du règlement (UE) n° 1169/2011, sans, d'ailleurs, que ce point soit contesté par la Commission européenne dans ses observations en réponse du 20 décembre 2021 et du 17 janvier 2022. La circonstance que le formulaire de notification faisait référence à la directive 2000/13/CE et non au règlement (UE) n° 1169/2011 qui s'y est substitué est sans incidence à cet égard. D'autre part, il résulte clairement du 1 de l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 que, pour leur application à une règle technique résultant, en droit interne, de la combinaison de dispositions de nature législative et de dispositions d'application de nature réglementaire, la communication à la Commission européenne des dispositions législatives relatives à cette règle technique peut n'être effectuée qu'au stade de l'élaboration des mesures réglementaires qui en fixent les conditions d'application, soit lorsque l'application de la loi est manifestement impossible en l'absence de ces mesures réglementaires et que, par suite, l'adoption de ces dernières conditionne l'entrée en vigueur de la règle technique, soit lorsque le texte législatif ne détermine pas, à lui seul, la règle technique d'une manière suffisamment précise pour que ses effets puissent être évalués par la Commission européenne et les Etats membres de l'Union européenne. Or, il résulte des dispositions de l'article L. 412-10 du code de la consommation citées au point 6 que leur application était manifestement impossible en l'absence du décret d'application qu'elles prévoient, et il ressort des pièces du dossier que lorsque le projet de décret d'application a été notifié à la Commission, celle-ci avait déjà précédemment reçu notification de la loi dont il fait application. Par suite, en tout état de cause, les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait illégal, faute, d'une part, d'avoir été régulièrement notifié à la Commission européenne au titre du règlement (UE) n° 1169/2011, et, d'autre part, que la loi du 10 juin 2020 dont sont issues les dispositions de l'article L. 412-10 du code de la consommation dont il fait application ait été régulièrement notifiée au titre de la directive 2015/1535, doivent être écartés.
En ce qui concerne la légalité interne :
Quant à l'atteinte portée à l'exigence de clarté, à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la norme ainsi qu'au principe de légalité des délits et des peines :
10. Les dispositions du décret attaqué citées au point 7 relatives au champ des dénominations interdites par son article 2 ainsi qu'aux modalités de son application territoriale, fixées par la combinaison de ses articles 2 et 5, sont suffisamment claires et intelligibles et ne méconnaissent donc ni l'exigence constitutionnelle de clarté de la norme, ni l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité. Par ailleurs, si les requérantes soutiennent que le décret ne fixe aucune liste exhaustive des dénominations interdites par son article 2, cette circonstance n'est pas à elle seule de nature à méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, dès lors que la définition qu'il en énonce est suffisamment claire et précise. Par suite, et alors qu'ainsi, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence, les moyens tirés de la méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la norme, de l'exigence de clarté de la norme et de l'atteinte au principe de légalité des délits et des peines doivent être écartés.
Quant à l'atteinte portée à la libre circulation des marchandises :
11. D'une part, il résulte des dispositions citées au point 7 que le décret attaqué s'applique exclusivement aux produits fabriqués sur le territoire national et ne saurait, par suite, avoir ni pour objet ni pour effet d'entraver l'importation des marchandises en France en provenance d'un autre Etat membre de l'Union européenne ou d'un Etat tiers. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le décret attaqué aurait pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les exportations de produits français à l'étranger et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur de la France et son commerce d'exportation de nature à assurer un avantage particulier à la production française ou au marché intérieur français, au détriment de la production ou du commerce d'autres Etats membres de l'Union. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret est illégal dès lors qu'il constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'exportation au sens de l'article 35 de ce même traité doivent être écartés.
Quant à la méconnaissance de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur :
12. En réglementant l'utilisation des dénominations désignant des produits d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées contenant des protéines végétales, le décret attaqué n'a ni pour objet ni pour effet d'ajouter à la liste unique des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances, annexée à la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, au sens de son article 5. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 par le décret attaqué doivent être écartés.
Quant à la méconnaissance du règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires :
13. En premier lieu, les requérantes font valoir que le décret attaqué, en interdisant d'utiliser des dénominations de denrées alimentaires d'origine animale pour désigner des denrées alimentaires à base de protéines végétales, méconnaît le paragraphe 1 de l'article 38 du règlement (UE) n° 1169/2011 en tant qu'il traite d'une question expressément harmonisée par les dispositions de ses articles 7 et 17 combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI.
14. Il résulte des dispositions du décret attaqué citées au point 7, comprises à la lumière des pièces du dossier et des échanges entre les parties, que le pouvoir réglementaire, dans l'objectif, qui est celui que poursuit le règlement (UE) n° 1169/2011, de protéger les consommateurs contre des dénominations trompeuses, a entendu interdire l'utilisation des dénominations désignant des produits d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales. Cette interdiction s'applique non seulement dans l'hypothèse où des indications complémentaires ne seraient pas portées à proximité immédiate de ces dénominations pour informer les consommateurs de la substitution partielle ou totale des protéines végétales dans la composition de ces denrées mais également dans l'hypothèse où de telles indications seraient accolées à ces dénominations. Dans la première hypothèse, le décret attaqué fixe des limites de taux de protéines végétales en-deçà desquelles la dénomination reste autorisée. Le décret prévoit à l'article 7 les sanctions administratives encourues pour tout manquement aux règles qu'il fixe.
15. Ainsi à titre d'illustration, le décret attaqué interdit l'usage des dénominations " steak " ou " saucisse ", sans indication complémentaire, pour désigner un " steak " ou une " saucisse " au sein desquels les protéines animales sont remplacées par des protéines végétales mais autorise toutefois ces mêmes dénominations lorsque le taux de protéines végétales reste en deçà d'une limite qu'il détermine. Ce décret interdit également l'usage des dénominations " steak de soja " ou " saucisse végétale " en raison de l'emploi des mots " steak " ou " saucisse ", désignant des produits d'origine animale, pour désigner des denrées alimentaires au sein desquelles les protéines animales sont remplacées par des protéines végétales.
16. En second lieu, les requérantes font valoir à titre subsidiaire que le décret attaqué méconnaît les articles 9 et 17 du règlement (UE) n° 1169/2011, en interdisant aux producteurs de denrées alimentaires à base de protéines végétales, en l'absence de dénomination légale prescrite par les dispositions nationales ou européennes, de désigner leurs produits selon leur nom usuel, qu'il s'agisse d'un nom dont l'usage serait apparu antérieurement à la publication du décret ou apparaîtrait postérieurement, ou un nom descriptif. À l'appui de ce moyen, les requérantes, constatant qu'aucune dénomination légale des denrées alimentaires à base de protéines végétales n'est prévue par le droit national ou le droit de l'Union européenne, font valoir que les producteurs et distributeurs de telles denrées seraient ainsi empêchés d'utiliser des dénominations autorisées par le règlement pour la présentation et la commercialisation de leurs produits et rappellent que la Commission avait elle-même relevé, dans le cadre de ses réponses à la notification citées au point 9, que certains des termes dont le projet de décret notifié interdirait l'utilisation avaient été largement utilisés ces dernières années sur le marché de l'Union pour la description de produits à base végétale et que les consommateurs s'étaient familiarisés avec ces types de produits et ces dénominations.
17. Les moyens cités aux points 13 et 16 soulèvent, en premier lieu, la question de savoir si les dispositions de l'article 7 du règlement (UE) n° 1169/2011, qui prescrivent la délivrance aux consommateurs d'informations ne les induisant pas en erreur sur l'identité, la nature et les qualités des denrées alimentaires, doivent être interprétées en ce sens qu'elles harmonisent expressément, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 de ce même règlement, la question de l'utilisation de dénominations de produits d'origine animale issues des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, susceptibles d'induire le consommateur en erreur, faisant ainsi obstacle à ce qu'un Etat membre intervienne sur cette question par l'édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l'usage de telles dénominations.
18. Les moyens cités aux points 13 et 16 soulèvent, en deuxième lieu, la question de savoir si les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 1169/2011, qui prévoient que la dénomination par laquelle la denrée alimentaire est identifiée est, en l'absence de dénomination légale, son nom usuel ou un nom descriptif, combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI, doivent être interprétées en ce sens qu'elles harmonisent expressément, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 de ce même règlement, la question du contenu et de l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, y compris dans l'hypothèse d'une substitution totale d'ingrédients d'origine végétale à la totalité des ingrédients d'origine animale composant une denrée, faisant ainsi obstacle à ce qu'un Etat membre intervienne sur cette question par l'édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l'usage de telles dénominations.
19. En cas de réponse positive à l'une ou l'autre des questions posées aux points 17 et 18, les moyens cités aux points 13 et 16 soulèvent, en troisième lieu, les questions de savoir si l'harmonisation expresse à laquelle procèdent, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 du règlement (UE) n°1169/2011, les dispositions des articles 7 et 17 de ce même règlement, combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI, fait obstacle, d'une part, à ce qu'un État membre édicte une mesure nationale prévoyant d'infliger des sanctions administratives en cas de manquement aux prescriptions et interdictions résultant des dispositions de ce règlement et, d'autre part, à ce qu'un État membre édicte une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, resterait autorisée.
20. En cas de réponse négative à l'une et l'autre des questions posées aux points 17 et 18, les moyens cités aux points 13 et 16 soulèvent, en quatrième lieu, les questions de savoir si les dispositions des articles 9 et 17 du règlement (UE) n° 1169/2011 autorisent un Etat membre, d'une part, à édicter une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale est permise pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, et, d'autre part, à édicter une mesure nationale interdisant l'usage de certaines dénominations usuelles ou descriptives, y compris lorsqu'elles sont accompagnées d'indications complémentaires garantissant l'information loyale du consommateur, ainsi qu'à édicter de telles mesures, dans l'une ou l'autre de ces hypothèses, uniquement à l'égard des produits fabriqués sur son territoire, sans, dans ce cas, méconnaître le principe de proportionnalité de ces mesures.
21. Ces questions sont déterminantes pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat et présentent une difficulté sérieuse. Il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur les requêtes présentées par l'association Protéines France, l'Union végétarienne européenne et l'association végétarienne de France ainsi que par la société Beyond Meat.
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de la société Beyond Meat, des sociétés 77 Foods et autres et des sociétés Nutrition et santé et autre, présentées sous le n° 465835, sont admises.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur les requêtes présentées par l'association Protéines France, l'Union végétarienne européenne et l'association végétarienne de France, ainsi que par la société Beyond Meat, jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :
1. Les dispositions de l'article 7 du règlement (UE) n° 1169/2011, qui prescrivent la délivrance aux consommateurs d'informations ne les induisant pas en erreur sur l'identité, la nature et les qualités des denrées alimentaires, doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles harmonisent expressément, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 de ce même règlement, la question de l'utilisation de dénominations de produits d'origine animale issues des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, susceptibles d'induire le consommateur en erreur, faisant ainsi obstacle à ce qu'un Etat membre intervienne sur cette question par l'édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l'usage de telles dénominations '
2. Les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 1169/2011, qui prévoient que la dénomination par laquelle la denrée alimentaire est identifiée est, en l'absence de dénomination légale, son nom usuel ou un nom descriptif, combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI, doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles harmonisent expressément, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 de ce même règlement, la question du contenu et de l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, y compris dans l'hypothèse d'une substitution totale d'ingrédients d'origine végétale à la totalité des ingrédients d'origine animale composant une denrée, faisant ainsi obstacle à ce qu'un Etat membre intervienne sur cette question par l'édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l'usage de telles dénominations '
3. En cas de réponse positive à la première ou à la deuxième question, l'harmonisation expresse à laquelle procèdent, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 du règlement (UE) n°1169/2011, les dispositions des articles 7 et 17 de ce même règlement, combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI, fait-elle obstacle :
a) à ce qu'un État membre édicte une mesure nationale prévoyant d'infliger des sanctions administratives en cas de manquement aux prescriptions et interdictions résultant des dispositions de ce règlement '
b) à ce qu'un État membre édicte une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, resterait autorisée '
4. En cas de réponse négative à la première et à la deuxième question, les dispositions des articles 9 et 17 du règlement (UE) n° 1169/2011 autorisent-elles un Etat membre :
a) à édicter une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale est permise pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales '
b) à édicter une mesure nationale interdisant l'usage de certaines dénominations usuelles ou descriptives, y compris lorsqu'elles sont accompagnées d'indications complémentaires garantissant l'information loyale du consommateur '
c) à édicter les mesures visées au 4. a) et au 4. b), uniquement à l'égard des produits fabriqués sur son territoire, sans, dans ce cas, méconnaître le principe de proportionnalité de ces mesures '
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Protéines Frances, à l'Union végétarienne européenne, première dénommée, pour l'ensemble des requérantes sous le
n° 467116, à la société Beyond Meat, à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au président de la Cour de justice de l'Union européenne, ainsi qu'à la société 77 Foods et à la société Nutrition et santé, premières dénommées, pour l'ensemble des cosignataires de leurs interventions respectives sous le n° 465835.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 juin 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Pau, auditeur-rapporteur.
Rendu le 12 juillet 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Pau
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :
N° 465835
ECLI:FR:CECHR:2023:465835.20230712
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Olivier Pau, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
A.A.R.P.I DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER;DUPEYRON, avocats
Lecture du mercredi 12 juillet 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
I. Sous le n° 465835, par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 18 juillet et 18 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Protéines France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
II. Sous le n° 467116, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 30 août et 29 novembre 2022 et le 29 mai 2023, l'Union végétarienne européenne et l'association végétarienne de France demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
III. Sous le n° 468384, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 21 octobre 2022 et 3 mars 2023, la société Beyond Meat demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 ;
- la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 ;
- la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 1er octobre 2020
(C-485/18) ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 1er décembre 2022
(C-595/21) ;
- la communication de la Commission européenne du 8 juin 2018
(2018/C 196/01) ;
- le code de la consommation ;
- la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Pau, auditeur,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin Avocats, avocat de l'association Protéines France, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'Union végétarienne européenne et de l'association végétarienne de France et à
Me Dupeyron, avocat de la société Beyond Meat Inc ;
Considérant ce qui suit :
1. Les trois requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. L'association Protéines France, l'Union végétarienne européenne, l'association végétarienne de France et la société Beyond Meat demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales, pris pour l'application de l'article L. 412-10 du code de la consommation issu de l'article 5 de la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires.
Sur les interventions présentées à l'appui de la requête n° 465835 :
3. La société Beyond Meat, qui est au demeurant elle-même l'auteur de la requête n° 468384 susvisée, les sociétés 77 Foods, Les Nouveaux Fermiers, Umiami et NxtFood et les sociétés Nutrition et santé et Olga justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Par suite, leurs interventions respectives sont recevables.
Sur le cadre juridique du litige :
En ce qui concerne le droit de l'Union européenne :
4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 38 du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires : " 1. Pour ce qui concerne les questions expressément harmonisées par le présent règlement, les États membres ne peuvent ni adopter ni conserver des mesures nationales, sauf si le droit de l'Union l'autorise. Ces mesures nationales ne peuvent entraver la libre circulation des marchandises, notamment donner lieu à une discrimination à l'encontre de denrées alimentaires provenant d'autres États membres. / 2. Sans préjudice de l'article 39, les États membres peuvent adopter des dispositions nationales concernant des questions qui ne sont pas expressément harmonisées par le présent règlement, pour autant que ces mesures n'aient pas pour effet d'interdire, d'entraver ou de restreindre la libre circulation des marchandises qui sont conformes au présent règlement ". D'autre part, dans son arrêt du 1er octobre 2020 Groupe Lactalis (aff. C-485/18), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'aucune disposition du règlement (UE) du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires n'énumérait les " questions expressément harmonisées " visées à l'article 38, paragraphe 1, de ce règlement et qu'eu égard à cette expression, l'identification de ces questions devait s'effectuer dans le strict respect du libellé de ce règlement (point 25).
5. En deuxième lieu, d'une part, en vertu de l'article 1er (Objet et champ d'application) du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires : " 1. Le présent règlement contient les dispositions de base permettant d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en matière d'information sur les denrées alimentaires, dans le respect des différences de perception desdits consommateurs et de leurs besoins en information, tout en veillant au bon fonctionnement du marché intérieur ". Aux termes de l'article 3 (Objectifs généraux) de ce règlement : " 1. L'information sur les denrées alimentaires tend à un niveau élevé de protection de la santé et des intérêts des consommateurs en fournissant au consommateur final les bases à partir desquelles il peut décider en toute connaissance de cause et utiliser les denrées alimentaires en toute sécurité, dans le respect, notamment, de considérations sanitaires, économiques, écologiques, sociales et éthiques ". En vertu de l'article 7 (Pratiques loyales en matière d'information) de ce règlement : " 1. Les informations sur les denrées alimentaires n'induisent pas en erreur, notamment : / a) sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et, notamment, sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, le pays d'origine ou le lieu de provenance, le mode de fabrication ou d'obtention de cette denrée ; / (...) / d) en suggérant au consommateur, au moyen de l'apparence, de la description ou d'une représentation graphique, la présence d'une denrée ou d'un ingrédient déterminé alors qu'il s'agit en fait d'une denrée dans laquelle un composant présent naturellement ou un ingrédient normalement utilisé dans cette denrée alimentaire a été remplacé par un composant ou un ingrédient différent. / 2. Les informations sur les denrées alimentaires sont précises, claires et aisément compréhensibles par les consommateurs. / (...) / 4. Les paragraphes 1, 2 et 3 s'appliquent également à : / a) la publicité ; / b) la présentation des denrées alimentaires et notamment à la forme ou à l'aspect donné à celles-ci ou à leur emballage, au matériau d'emballage utilisé, à la manière dont elles sont disposées ainsi qu'à l'environnement dans lequel elles sont exposées ". Selon l'article 9 de ce règlement (Liste des mentions obligatoires) : " 1. Conformément aux articles 10 à 35, et sous réserve des exceptions prévues dans le présent chapitre, les mentions suivantes sont obligatoires : / a) la dénomination de la denrée alimentaire ; / (...) / ". Aux termes de l'article 17 (Dénomination de la denrée alimentaire) de ce règlement : " 1. La dénomination de la denrée alimentaire est sa dénomination légale. En l'absence d'une telle dénomination, la dénomination de la denrée est son nom usuel. À défaut d'un tel nom ou si celui-ci n'est pas utilisé, un nom descriptif est à indiquer. / (...) / 5. Les dispositions spécifiques relatives à la dénomination de la denrée alimentaire et aux mentions dont celle-ci est assortie sont établies à l'annexe VI ". En vertu du paragraphe 4 de la partie A (Mentions obligatoires dont la dénomination de la denrée alimentaire est assortie) de l'annexe VI (Dénominations de la denrée alimentaire et mentions particulières dont elle est assortie) à ce règlement : " Dans le cas de denrées alimentaires dans lesquelles un composant ou un ingrédient que les consommateurs s'attendent à voir normalement utilisé ou à trouver naturellement présent a été remplacé par un composant ou un ingrédient différent, l'étiquetage porte - outre la liste des ingrédients - une indication précise du composant ou de l'ingrédient utilisé pour la substitution partielle ou totale : / a) à proximité immédiate du nom du produit ; et / b) en utilisant un corps de caractère tel que la hauteur de x soit au moins égale à 75 % de celle du nom du produit et ne soit pas inférieure à la hauteur minimale du corps de caractère prévue à l'article 13, paragraphe 2, du présent règlement ". D'autre part, dans son arrêt du 1er décembre 2022 LSI - Germany GmbH (aff. C-595/21), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les dispositions du paragraphe 4 de la partie A de l'annexe VI au règlement (UE) du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires visaient, en substance, à compléter celles de l'article 7 de ce règlement par des prescriptions spéciales en matière d'étiquetage, afin de protéger le consommateur contre les tromperies causées par des indications inexactes (point 31).
En ce qui concerne le droit national :
6. D'une part, aux termes de l'article L. 412-10 inséré au code de la consommation par l'article 5 de la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires : " Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d'origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Un décret fixe la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n'est pas possible. Ce décret définit également les modalités d'application du présent article et les sanctions encourues en cas de manquement ".
7. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales, ce décret s'applique " aux denrées alimentaires, fabriquées sur le territoire national, contenant des protéines végétales ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Il est interdit d'utiliser, pour désigner un produit transformé contenant des protéines végétales : / 1° Une dénomination légale pour laquelle aucun ajout de protéines végétales n'est prévu par les règles définissant la composition de la denrée alimentaire concernée ; / 2° Une dénomination faisant référence aux noms des espèces et groupes d'espèces animales, à la morphologie ou à l'anatomie animale ; / 3° Une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie ; / 4° Une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux ". Aux termes de l'article 3 de ce décret : " Par dérogation aux dispositions de l'article 2, la dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale peut être utilisée : / 1° Pour les denrées alimentaires d'origine animale contenant des protéines végétales dans une proportion déterminée lorsqu'une telle présence est prévue par la réglementation ou mentionnée dans la liste annexée au présent décret ; / 2° Pour désigner les arômes ou ingrédients alimentaires possédant des propriétés aromatisantes utilisés dans des denrées alimentaires ". Aux termes de l'article 4 de ce décret : " Les dénominations mentionnées à l'article 2 peuvent être utilisées dans les noms descriptifs des assemblages de denrées d'origine animale avec d'autres types de denrées qui ne se substituent pas aux denrées d'origine animale mais sont ajoutées en complément de ces dernières dans le cadre de ces assemblages ". Aux termes de l'article 5 de ce décret : " Les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou en Turquie, ou légalement fabriqués dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ne sont pas soumis aux exigences du présent décret ". Aux termes de l'article 6 de ce décret : " Il est interdit de détenir en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, de mettre en vente, de vendre ou de distribuer à titre gratuit des denrées qui ne répondent pas aux règles fixées dans le présent décret ". Aux termes de l'article 7 de ce décret : " Tout manquement aux dispositions de l'article 6 du présent décret est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 1 500 euros pour une personne physique et 7 500 euros pour une personne morale. / Cette amende est prononcée dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V du code de la consommation ". Aux termes de l'article 8 de ce décret : " Les dispositions du présent décret entrent en vigueur le 1er octobre 2022. / Les denrées fabriquées ou étiquetées avant le 1er octobre 2022 et qui sont conformes à la réglementation en vigueur à cette date peuvent être commercialisées jusqu'à épuisement des stocks, et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2023 ".
Sur les moyens des requêtes :
En ce qui concerne la légalité externe du décret attaqué :
Quant à l'absence de contreseings :
8. Aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". S'agissant d'un acte réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui sont compétents pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de l'acte en cause. L'exécution du décret attaqué ne nécessite aucune mesure que devrait signer ou contresigner le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ou le ministre de la santé et de la prévention. Par suite, le moyen tiré du défaut de contreseings de ces ministres doit être écarté.
Quant à la régularité de la procédure de notification :
9. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le décret attaqué a fait l'objet d'une notification à la Commission européenne le 1er octobre 2021, préalablement à son édiction, dans le cadre de la procédure prévue à l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535, au titre de laquelle le Gouvernement a également indiqué procéder à une notification au titre du règlement (UE) n° 1169/2011, sans, d'ailleurs, que ce point soit contesté par la Commission européenne dans ses observations en réponse du 20 décembre 2021 et du 17 janvier 2022. La circonstance que le formulaire de notification faisait référence à la directive 2000/13/CE et non au règlement (UE) n° 1169/2011 qui s'y est substitué est sans incidence à cet égard. D'autre part, il résulte clairement du 1 de l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 que, pour leur application à une règle technique résultant, en droit interne, de la combinaison de dispositions de nature législative et de dispositions d'application de nature réglementaire, la communication à la Commission européenne des dispositions législatives relatives à cette règle technique peut n'être effectuée qu'au stade de l'élaboration des mesures réglementaires qui en fixent les conditions d'application, soit lorsque l'application de la loi est manifestement impossible en l'absence de ces mesures réglementaires et que, par suite, l'adoption de ces dernières conditionne l'entrée en vigueur de la règle technique, soit lorsque le texte législatif ne détermine pas, à lui seul, la règle technique d'une manière suffisamment précise pour que ses effets puissent être évalués par la Commission européenne et les Etats membres de l'Union européenne. Or, il résulte des dispositions de l'article L. 412-10 du code de la consommation citées au point 6 que leur application était manifestement impossible en l'absence du décret d'application qu'elles prévoient, et il ressort des pièces du dossier que lorsque le projet de décret d'application a été notifié à la Commission, celle-ci avait déjà précédemment reçu notification de la loi dont il fait application. Par suite, en tout état de cause, les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait illégal, faute, d'une part, d'avoir été régulièrement notifié à la Commission européenne au titre du règlement (UE) n° 1169/2011, et, d'autre part, que la loi du 10 juin 2020 dont sont issues les dispositions de l'article L. 412-10 du code de la consommation dont il fait application ait été régulièrement notifiée au titre de la directive 2015/1535, doivent être écartés.
En ce qui concerne la légalité interne :
Quant à l'atteinte portée à l'exigence de clarté, à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la norme ainsi qu'au principe de légalité des délits et des peines :
10. Les dispositions du décret attaqué citées au point 7 relatives au champ des dénominations interdites par son article 2 ainsi qu'aux modalités de son application territoriale, fixées par la combinaison de ses articles 2 et 5, sont suffisamment claires et intelligibles et ne méconnaissent donc ni l'exigence constitutionnelle de clarté de la norme, ni l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité. Par ailleurs, si les requérantes soutiennent que le décret ne fixe aucune liste exhaustive des dénominations interdites par son article 2, cette circonstance n'est pas à elle seule de nature à méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, dès lors que la définition qu'il en énonce est suffisamment claire et précise. Par suite, et alors qu'ainsi, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence, les moyens tirés de la méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la norme, de l'exigence de clarté de la norme et de l'atteinte au principe de légalité des délits et des peines doivent être écartés.
Quant à l'atteinte portée à la libre circulation des marchandises :
11. D'une part, il résulte des dispositions citées au point 7 que le décret attaqué s'applique exclusivement aux produits fabriqués sur le territoire national et ne saurait, par suite, avoir ni pour objet ni pour effet d'entraver l'importation des marchandises en France en provenance d'un autre Etat membre de l'Union européenne ou d'un Etat tiers. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le décret attaqué aurait pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les exportations de produits français à l'étranger et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur de la France et son commerce d'exportation de nature à assurer un avantage particulier à la production française ou au marché intérieur français, au détriment de la production ou du commerce d'autres Etats membres de l'Union. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret est illégal dès lors qu'il constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'exportation au sens de l'article 35 de ce même traité doivent être écartés.
Quant à la méconnaissance de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur :
12. En réglementant l'utilisation des dénominations désignant des produits d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées contenant des protéines végétales, le décret attaqué n'a ni pour objet ni pour effet d'ajouter à la liste unique des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances, annexée à la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, au sens de son article 5. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 par le décret attaqué doivent être écartés.
Quant à la méconnaissance du règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires :
13. En premier lieu, les requérantes font valoir que le décret attaqué, en interdisant d'utiliser des dénominations de denrées alimentaires d'origine animale pour désigner des denrées alimentaires à base de protéines végétales, méconnaît le paragraphe 1 de l'article 38 du règlement (UE) n° 1169/2011 en tant qu'il traite d'une question expressément harmonisée par les dispositions de ses articles 7 et 17 combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI.
14. Il résulte des dispositions du décret attaqué citées au point 7, comprises à la lumière des pièces du dossier et des échanges entre les parties, que le pouvoir réglementaire, dans l'objectif, qui est celui que poursuit le règlement (UE) n° 1169/2011, de protéger les consommateurs contre des dénominations trompeuses, a entendu interdire l'utilisation des dénominations désignant des produits d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales. Cette interdiction s'applique non seulement dans l'hypothèse où des indications complémentaires ne seraient pas portées à proximité immédiate de ces dénominations pour informer les consommateurs de la substitution partielle ou totale des protéines végétales dans la composition de ces denrées mais également dans l'hypothèse où de telles indications seraient accolées à ces dénominations. Dans la première hypothèse, le décret attaqué fixe des limites de taux de protéines végétales en-deçà desquelles la dénomination reste autorisée. Le décret prévoit à l'article 7 les sanctions administratives encourues pour tout manquement aux règles qu'il fixe.
15. Ainsi à titre d'illustration, le décret attaqué interdit l'usage des dénominations " steak " ou " saucisse ", sans indication complémentaire, pour désigner un " steak " ou une " saucisse " au sein desquels les protéines animales sont remplacées par des protéines végétales mais autorise toutefois ces mêmes dénominations lorsque le taux de protéines végétales reste en deçà d'une limite qu'il détermine. Ce décret interdit également l'usage des dénominations " steak de soja " ou " saucisse végétale " en raison de l'emploi des mots " steak " ou " saucisse ", désignant des produits d'origine animale, pour désigner des denrées alimentaires au sein desquelles les protéines animales sont remplacées par des protéines végétales.
16. En second lieu, les requérantes font valoir à titre subsidiaire que le décret attaqué méconnaît les articles 9 et 17 du règlement (UE) n° 1169/2011, en interdisant aux producteurs de denrées alimentaires à base de protéines végétales, en l'absence de dénomination légale prescrite par les dispositions nationales ou européennes, de désigner leurs produits selon leur nom usuel, qu'il s'agisse d'un nom dont l'usage serait apparu antérieurement à la publication du décret ou apparaîtrait postérieurement, ou un nom descriptif. À l'appui de ce moyen, les requérantes, constatant qu'aucune dénomination légale des denrées alimentaires à base de protéines végétales n'est prévue par le droit national ou le droit de l'Union européenne, font valoir que les producteurs et distributeurs de telles denrées seraient ainsi empêchés d'utiliser des dénominations autorisées par le règlement pour la présentation et la commercialisation de leurs produits et rappellent que la Commission avait elle-même relevé, dans le cadre de ses réponses à la notification citées au point 9, que certains des termes dont le projet de décret notifié interdirait l'utilisation avaient été largement utilisés ces dernières années sur le marché de l'Union pour la description de produits à base végétale et que les consommateurs s'étaient familiarisés avec ces types de produits et ces dénominations.
17. Les moyens cités aux points 13 et 16 soulèvent, en premier lieu, la question de savoir si les dispositions de l'article 7 du règlement (UE) n° 1169/2011, qui prescrivent la délivrance aux consommateurs d'informations ne les induisant pas en erreur sur l'identité, la nature et les qualités des denrées alimentaires, doivent être interprétées en ce sens qu'elles harmonisent expressément, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 de ce même règlement, la question de l'utilisation de dénominations de produits d'origine animale issues des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, susceptibles d'induire le consommateur en erreur, faisant ainsi obstacle à ce qu'un Etat membre intervienne sur cette question par l'édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l'usage de telles dénominations.
18. Les moyens cités aux points 13 et 16 soulèvent, en deuxième lieu, la question de savoir si les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 1169/2011, qui prévoient que la dénomination par laquelle la denrée alimentaire est identifiée est, en l'absence de dénomination légale, son nom usuel ou un nom descriptif, combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI, doivent être interprétées en ce sens qu'elles harmonisent expressément, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 de ce même règlement, la question du contenu et de l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, y compris dans l'hypothèse d'une substitution totale d'ingrédients d'origine végétale à la totalité des ingrédients d'origine animale composant une denrée, faisant ainsi obstacle à ce qu'un Etat membre intervienne sur cette question par l'édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l'usage de telles dénominations.
19. En cas de réponse positive à l'une ou l'autre des questions posées aux points 17 et 18, les moyens cités aux points 13 et 16 soulèvent, en troisième lieu, les questions de savoir si l'harmonisation expresse à laquelle procèdent, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 du règlement (UE) n°1169/2011, les dispositions des articles 7 et 17 de ce même règlement, combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI, fait obstacle, d'une part, à ce qu'un État membre édicte une mesure nationale prévoyant d'infliger des sanctions administratives en cas de manquement aux prescriptions et interdictions résultant des dispositions de ce règlement et, d'autre part, à ce qu'un État membre édicte une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, resterait autorisée.
20. En cas de réponse négative à l'une et l'autre des questions posées aux points 17 et 18, les moyens cités aux points 13 et 16 soulèvent, en quatrième lieu, les questions de savoir si les dispositions des articles 9 et 17 du règlement (UE) n° 1169/2011 autorisent un Etat membre, d'une part, à édicter une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale est permise pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, et, d'autre part, à édicter une mesure nationale interdisant l'usage de certaines dénominations usuelles ou descriptives, y compris lorsqu'elles sont accompagnées d'indications complémentaires garantissant l'information loyale du consommateur, ainsi qu'à édicter de telles mesures, dans l'une ou l'autre de ces hypothèses, uniquement à l'égard des produits fabriqués sur son territoire, sans, dans ce cas, méconnaître le principe de proportionnalité de ces mesures.
21. Ces questions sont déterminantes pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat et présentent une difficulté sérieuse. Il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur les requêtes présentées par l'association Protéines France, l'Union végétarienne européenne et l'association végétarienne de France ainsi que par la société Beyond Meat.
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de la société Beyond Meat, des sociétés 77 Foods et autres et des sociétés Nutrition et santé et autre, présentées sous le n° 465835, sont admises.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur les requêtes présentées par l'association Protéines France, l'Union végétarienne européenne et l'association végétarienne de France, ainsi que par la société Beyond Meat, jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :
1. Les dispositions de l'article 7 du règlement (UE) n° 1169/2011, qui prescrivent la délivrance aux consommateurs d'informations ne les induisant pas en erreur sur l'identité, la nature et les qualités des denrées alimentaires, doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles harmonisent expressément, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 de ce même règlement, la question de l'utilisation de dénominations de produits d'origine animale issues des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, susceptibles d'induire le consommateur en erreur, faisant ainsi obstacle à ce qu'un Etat membre intervienne sur cette question par l'édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l'usage de telles dénominations '
2. Les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 1169/2011, qui prévoient que la dénomination par laquelle la denrée alimentaire est identifiée est, en l'absence de dénomination légale, son nom usuel ou un nom descriptif, combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI, doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles harmonisent expressément, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 de ce même règlement, la question du contenu et de l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, y compris dans l'hypothèse d'une substitution totale d'ingrédients d'origine végétale à la totalité des ingrédients d'origine animale composant une denrée, faisant ainsi obstacle à ce qu'un Etat membre intervienne sur cette question par l'édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l'usage de telles dénominations '
3. En cas de réponse positive à la première ou à la deuxième question, l'harmonisation expresse à laquelle procèdent, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 du règlement (UE) n°1169/2011, les dispositions des articles 7 et 17 de ce même règlement, combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI, fait-elle obstacle :
a) à ce qu'un État membre édicte une mesure nationale prévoyant d'infliger des sanctions administratives en cas de manquement aux prescriptions et interdictions résultant des dispositions de ce règlement '
b) à ce qu'un État membre édicte une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, resterait autorisée '
4. En cas de réponse négative à la première et à la deuxième question, les dispositions des articles 9 et 17 du règlement (UE) n° 1169/2011 autorisent-elles un Etat membre :
a) à édicter une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale est permise pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales '
b) à édicter une mesure nationale interdisant l'usage de certaines dénominations usuelles ou descriptives, y compris lorsqu'elles sont accompagnées d'indications complémentaires garantissant l'information loyale du consommateur '
c) à édicter les mesures visées au 4. a) et au 4. b), uniquement à l'égard des produits fabriqués sur son territoire, sans, dans ce cas, méconnaître le principe de proportionnalité de ces mesures '
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Protéines Frances, à l'Union végétarienne européenne, première dénommée, pour l'ensemble des requérantes sous le
n° 467116, à la société Beyond Meat, à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au président de la Cour de justice de l'Union européenne, ainsi qu'à la société 77 Foods et à la société Nutrition et santé, premières dénommées, pour l'ensemble des cosignataires de leurs interventions respectives sous le n° 465835.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 juin 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Pau, auditeur-rapporteur.
Rendu le 12 juillet 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Pau
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :