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Ariane Web: Conseil d'État 465978, lecture du 19 juin 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:465978.20230619

Décision n° 465978
19 juin 2023
Conseil d'État

N° 465978
ECLI:FR:CECHR:2023:465978.20230619
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du lundi 19 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 6 mai 2022 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques lui a fait interdiction d'exercer les fonctions mentionnées aux articles L. 212-1, L. 223-1 ou L. 322-7 du code du sport, ou d'intervenir auprès de mineurs au sein des établissements d'activités physiques et sportives mentionnés à l'article L. 322-1 du même code.

Par une ordonnance n° 2201121 du 4 juillet 2022, notifiée le jour même puis, dans une version corrigée, le 7 juillet suivant, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a suspendu l'exécution de l'arrêté du 6 mai 2022.

1° Sous le n° 465978, par un pourvoi, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 22 juillet 2022, la ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2201121 notifiée le 4 juillet 2022 ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M. A....



2° Sous le n° 465983, par un pourvoi, enregistré le 22 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2201121 telle que notifiée le 7 juillet 2022 ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M. A....


....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code du sport ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Pau que M. B... A..., entraîneur sportif et directeur général d'une association de paracyclisme, hébergeant à ce titre à son domicile des jeunes du pôle espoir, a fait l'objet, par arrêté du préfet des Pyrénées-Atlantiques du 6 mai 2022, d'une interdiction d'exercer les fonctions mentionnées aux articles L. 212-1, L. 223-1 ou L. 322-7 du code du sport, ou d'intervenir auprès de mineurs au sein des établissements d'activités physiques et sportives mentionnés à l'article L. 322-1 du même code, pour une durée de dix ans. Il a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau la suspension de l'exécution de cet arrêté, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. La ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 4 juillet 2022 notifiée le même jour, et contre cette ordonnance, corrigée, notifiée le 7 juillet 2022, par laquelle le juge des référés a suspendu l'exécution de l'arrêté du préfet des Pyrénées-Atlantiques.

2. Les pourvois de la ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques sont dirigés contre deux versions de la même ordonnance du 4 juillet 2022. Il y a dès lors lieu de les joindre pour qu'ils fassent l'objet d'une seule décision.

Sur les pourvois :

En ce qui concerne l'ordonnance n° 2201121 notifiée le 7 juillet 2022 :

3. Aux termes de l'article R. 741-11 du code de justice administrative : " Lorsque le président du tribunal administratif, de la cour administrative d'appel ou, au Conseil d'Etat, le président de la section du contentieux constate que la minute d'une décision est entachée d'une erreur ou d'une omission matérielle non susceptible d'avoir exercé une influence sur le jugement de l'affaire, il peut y apporter, par ordonnance rendue dans le délai d'un mois à compter de la notification aux parties, les corrections que la raison commande. / La notification de l'ordonnance rectificative rouvre, le cas échéant, le délai d'appel ou de recours en cassation contre la décision ainsi corrigée. / (...) ". Et aux termes de l'article R. 833-1 du même code : " Lorsqu'une décision d'une cour administrative d'appel ou du Conseil d'Etat est entachée d'une erreur matérielle susceptible d'avoir exercé une influence sur le jugement de l'affaire, la partie intéressée peut introduire devant la juridiction qui a rendu la décision un recours en rectification. / Ce recours doit être présenté dans les mêmes formes que celles dans lesquelles devait être introduite la requête initiale. Il doit être introduit dans un délai de deux mois qui court du jour de la notification ou de la signification de la décision dont la rectification est demandée. / Les dispositions des livres VI et VII sont applicables. " Il n'appartient à aucune juridiction administrative de statuer à nouveau sur une affaire sur laquelle elle a déjà rendu une décision en dehors de l'exercice des voies de rétractation organisées par les textes.

4. Il résulte de ce qui précède que le juge des référés du tribunal administratif de Pau n'a pu légalement rectifier, par l'ordonnance attaquée notifiée le 7 juillet 2022, sa précédente ordonnance rendue dans la même affaire, notifiée le 4 juillet 2022, alors, au demeurant, que le président du tribunal était seul compétent pour apprécier si la raison commandait de corriger cette ordonnance. Par suite, la ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance notifiée le 7 juillet 2022.

En ce qui concerne l'ordonnance n° 2201121 notifiée le 4 juillet 2022 :

5. En premier lieu, l'article 1er de l'ordonnance attaquée ordonne la suspension de l'exécution de l'arrêté du préfet des Pyrénées-Atlantiques du 28 octobre 2021 du fait d'une erreur matérielle qu'il y a lieu de rectifier.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 212-13 du code du sport : " L'autorité administrative peut, par arrêté motivé, prononcer à l'encontre de toute personne dont le maintien en activité constituerait un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants l'interdiction d'exercer, à titre temporaire ou définitif, tout ou partie des fonctions mentionnées aux articles L. 212-1, L. 223-1 ou L. 322-7 ou d'intervenir auprès de mineurs au sein des établissements d'activités physiques et sportives mentionnés à l'article L. 322-1. / (...) / Cet arrêté est pris après avis d'une commission comprenant des représentants de l'Etat, du mouvement sportif et des différentes catégories de personnes intéressées. (...). "

7. Il résulte de ces dispositions que pour assurer la protection des pratiquants d'une activité physique ou sportive, l'autorité administrative peut interdire à une personne d'exercer une activité d'enseignement, d'animation ou d'encadrement d'une telle activité, une mission arbitrale, une activité de surveillance de baignade ou piscine ouverte au public, ou d'exploiter un établissement dans lequel sont pratiquées des activités physiques ou sportives, lorsque son maintien en activité " constituerait un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants ". Le législateur a ainsi défini les conditions d'application de cette mesure de police, que l'autorité compétente est tenue, même en l'absence de disposition explicite en ce sens, d'abroger à la demande de l'intéressé si les circonstances qui ont pu motiver légalement son intervention ont disparu et qu'il est établi qu'il n'existe plus aucun risque pour les pratiquants.

8. Pour suspendre l'exécution de l'arrêté faisant interdiction à M. A... d'exercer l'une des activités mentionnées au point 6 pendant dix ans, le juge des référés, après avoir constaté que M. A... a été renvoyé devant la cour criminelle des Pyrénées-Atlantiques des chefs de viols aggravés et agressions sexuelles aggravées sur des jeunes femmes sur lesquelles il avait autorité, s'est fondé sur ce que l'arrêté litigieux avait été édicté six ans après la commission des faits reprochés à l'intéressé et en l'absence de décision pénale définitive, et qu'ils ne concernaient pas les pratiquants sportifs mais les salariés de l'association, pour estimer que le moyen tiré de ce que l'interdiction d'exercer prise à l'encontre de M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 212-13 du code du sport citées au point 4 présente un caractère manifestement disproportionné était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette mesure de police.

9. En se fondant sur ces circonstances, relatives à la nécessité même d'édicter une interdiction d'exercer mais insusceptibles de remettre en cause la proportionnalité d'une telle mesure, le juge des référés a commis une erreur de droit. Par suite, la ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative sur la demande de suspension présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de Pau.

Sur la demande de suspension :

11. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "

12. M. A... soutient que l'arrêté dont il demande la suspension est signé par une autorité incompétente, qu'il est entaché d'erreur de droit dès lors que l'interdiction prononcée au titre de L. 212-13 du code du sport ne peut s'appliquer à son activité d'entraîneur, exercée à titre bénévole, que l'interdiction d'exercer n'est pas justifiée dès lors qu'il n'est pas démontré qu'il représente un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants et qu'il s'agit d'une sanction disproportionnée dès lors qu'elle a pour effet, de par sa durée, de mettre un terme à ses activités d'entraîneur et d'encadrement du pôle espoir.

13. Aucun de ces moyens n'est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'urgence, M. A... n'est pas fondé à demander la suspension de l'exécution de cette décision.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : Les ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Pau du 4 juillet 2022, notifiées pour la première le même jour et pour la seconde le 7 juillet, sont annulées.
Article 2 : Les conclusions de M. A... tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 26 mai 2022 ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques et à M. B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 24 mai 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, M. Benoît Bohnert, Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 19 juin 2023.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Amélie Fort-Besnard
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard


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