Conseil d'État
N° 453905
ECLI:FR:CECHS:2022:453905.20221223
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
M. Patrick Pailloux, rapporteur
M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du vendredi 23 décembre 2022
Vu la procédure suivante :
M. A... B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 2 janvier 2019 par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a rejeté sa demande de remise gracieuse des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à sa charge au titre des années 2006 et 2007 ainsi que des pénalités de recouvrement et des intérêts moratoires. Par un jugement n° 1901403 du 4 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 20PA04202 du 23 juin 2021, enregistrée le 24 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat le pourvoi, enregistré le 23 décembre 2020 au greffe de cette cour, formé par M. B... C... contre ce jugement.
Par ce pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 1er septembre 2021 et le 10 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Patrick Pailloux, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. A... B... C... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C... a demandé une remise gracieuse des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge au titre des années 2006 et 2007 et des pénalités de recouvrement correspondantes. Par une décision du 2 janvier 2019, le ministre de l'action et des comptes publics a, après consultation du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes, rejeté cette demande. M. B... C... se pourvoit en cassation contre le jugement du 4 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales : " L'administration peut accorder sur la demande du contribuable : / 1° Des remises totales ou partielles d'impôts directs régulièrement établis lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence. / 2° Des remises totales ou partielles d'amendes fiscales ou de majorations d'impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s'ajoutent sont définitives ; / (...) ". Si la décision de l'administration refusant une remise gracieuse sur ce fondement peut être déférée au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir, cette décision ne peut être annulée que si elle est entachée d'incompétence, d'erreur de droit, d'erreur de fait, d'erreur manifeste d'appréciation ou encore si elle est révélatrice d'un détournement de pouvoir. Lorsqu'elle se prononce sur des demandes de remise gracieuse d'impôts directs en application du 1° de cet article, l'administration est tenue de ne prendre en compte que la situation financière du contribuable. En revanche, lorsqu'elle se prononce sur des demandes de remises gracieuses de pénalités en application du 2° du même article, elle doit également prendre en considération tous les éléments pertinents relatifs à la situation du contribuable, y compris l'intervention d'un jugement pénal relatif à ce dernier.
3. Pour apprécier la capacité de M. B... C... à régler sa dette fiscale, c'est sans erreur de droit, ni dénaturation, ni insuffisance de motivation que le tribunal administratif a retenu, en se fondant sur les éléments dont disposait l'administration à la date de la décision attaquée, que l'intéressé avait perçu, en 2015 et 2016, des revenus, composés de pensions et retraites, d'un montant respectif de 20 988 euros et de 20 147 euros, qu'il possédait un manoir situé dans la Sarthe, dans lequel il déclare résider et dont la valeur vénale s'élève, selon l'estimation réalisée en août 2016 par le service local des domaines, à 730 733 euros et qu'il était propriétaire à hauteur de 7/16ème de l'indivision héritée, en 2014, de sa mère, constituée d'un ensemble de parcelles, terrains et fermes dont la valeur totale, selon la même estimation, s'élève à 1 058 243 euros. En revanche, ayant déduit des éléments qu'il a ainsi relevés que le montant de la dette fiscale restant à la charge du requérant après la vente de ce patrimoine immobilier s'élèverait à 124 475,5 euros, auxquels il a estimé qu'il convenait d'ajouter les intérêts moratoires d'un montant de 271 407 euros, le tribunal administratif ne pouvait, sans dénaturation, au regard des revenus annuels connus de M. B... C..., qui au regard de ces constatations représentaient moins de 6 % des sommes dues, juger que l'administration fiscale avait pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, estimer que l'intéressé était en mesure de payer l'impôt réclamé. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. B... C... est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
5. Il résulte de l'instruction, d'une part, que la dette fiscale de M. B... C... s'élevait, au 31 décembre 2017, à 1 318 132 euros, incluant un montant de 271 407 euros au titre des intérêts moratoires et, d'autre part, qu'après la vente de la totalité de son patrimoine connu, y compris sa résidence principale, M. B... C..., resterait encore redevable d'une somme de 124 418 euros. Au regard de ses revenus connus, qui s'élevaient en 2015 et 2016 à moins de 21 000 euros par an, soit moins de 17 % de la dette restant ainsi à sa charge, et compte tenu de la nécessité de s'assurer qu'il conservera, en cas de cession de sa résidence principale, des moyens suffisants pour se reloger, le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que M. B... C... était en mesure de régler sa dette fiscale. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa demande, M. B... C... est fondé à demander l'annulation de la décision du 2 janvier 2019 rejetant sa demande de remise gracieuse.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 4 novembre 2020 est annulé.
Article 2 : La décision du 2 janvier 2019 par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a rejeté la demande de remise gracieuse de M. B... C... est annulée.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2022 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Stéphane Verclytte, conseiller d'Etat et M. Patrick Pailloux, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 23 décembre 2022.
Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Patrick Pailloux
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova
N° 453905
ECLI:FR:CECHS:2022:453905.20221223
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
M. Patrick Pailloux, rapporteur
M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du vendredi 23 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A... B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 2 janvier 2019 par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a rejeté sa demande de remise gracieuse des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à sa charge au titre des années 2006 et 2007 ainsi que des pénalités de recouvrement et des intérêts moratoires. Par un jugement n° 1901403 du 4 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 20PA04202 du 23 juin 2021, enregistrée le 24 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat le pourvoi, enregistré le 23 décembre 2020 au greffe de cette cour, formé par M. B... C... contre ce jugement.
Par ce pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 1er septembre 2021 et le 10 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Patrick Pailloux, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. A... B... C... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C... a demandé une remise gracieuse des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge au titre des années 2006 et 2007 et des pénalités de recouvrement correspondantes. Par une décision du 2 janvier 2019, le ministre de l'action et des comptes publics a, après consultation du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes, rejeté cette demande. M. B... C... se pourvoit en cassation contre le jugement du 4 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales : " L'administration peut accorder sur la demande du contribuable : / 1° Des remises totales ou partielles d'impôts directs régulièrement établis lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence. / 2° Des remises totales ou partielles d'amendes fiscales ou de majorations d'impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s'ajoutent sont définitives ; / (...) ". Si la décision de l'administration refusant une remise gracieuse sur ce fondement peut être déférée au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir, cette décision ne peut être annulée que si elle est entachée d'incompétence, d'erreur de droit, d'erreur de fait, d'erreur manifeste d'appréciation ou encore si elle est révélatrice d'un détournement de pouvoir. Lorsqu'elle se prononce sur des demandes de remise gracieuse d'impôts directs en application du 1° de cet article, l'administration est tenue de ne prendre en compte que la situation financière du contribuable. En revanche, lorsqu'elle se prononce sur des demandes de remises gracieuses de pénalités en application du 2° du même article, elle doit également prendre en considération tous les éléments pertinents relatifs à la situation du contribuable, y compris l'intervention d'un jugement pénal relatif à ce dernier.
3. Pour apprécier la capacité de M. B... C... à régler sa dette fiscale, c'est sans erreur de droit, ni dénaturation, ni insuffisance de motivation que le tribunal administratif a retenu, en se fondant sur les éléments dont disposait l'administration à la date de la décision attaquée, que l'intéressé avait perçu, en 2015 et 2016, des revenus, composés de pensions et retraites, d'un montant respectif de 20 988 euros et de 20 147 euros, qu'il possédait un manoir situé dans la Sarthe, dans lequel il déclare résider et dont la valeur vénale s'élève, selon l'estimation réalisée en août 2016 par le service local des domaines, à 730 733 euros et qu'il était propriétaire à hauteur de 7/16ème de l'indivision héritée, en 2014, de sa mère, constituée d'un ensemble de parcelles, terrains et fermes dont la valeur totale, selon la même estimation, s'élève à 1 058 243 euros. En revanche, ayant déduit des éléments qu'il a ainsi relevés que le montant de la dette fiscale restant à la charge du requérant après la vente de ce patrimoine immobilier s'élèverait à 124 475,5 euros, auxquels il a estimé qu'il convenait d'ajouter les intérêts moratoires d'un montant de 271 407 euros, le tribunal administratif ne pouvait, sans dénaturation, au regard des revenus annuels connus de M. B... C..., qui au regard de ces constatations représentaient moins de 6 % des sommes dues, juger que l'administration fiscale avait pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, estimer que l'intéressé était en mesure de payer l'impôt réclamé. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. B... C... est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
5. Il résulte de l'instruction, d'une part, que la dette fiscale de M. B... C... s'élevait, au 31 décembre 2017, à 1 318 132 euros, incluant un montant de 271 407 euros au titre des intérêts moratoires et, d'autre part, qu'après la vente de la totalité de son patrimoine connu, y compris sa résidence principale, M. B... C..., resterait encore redevable d'une somme de 124 418 euros. Au regard de ses revenus connus, qui s'élevaient en 2015 et 2016 à moins de 21 000 euros par an, soit moins de 17 % de la dette restant ainsi à sa charge, et compte tenu de la nécessité de s'assurer qu'il conservera, en cas de cession de sa résidence principale, des moyens suffisants pour se reloger, le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que M. B... C... était en mesure de régler sa dette fiscale. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa demande, M. B... C... est fondé à demander l'annulation de la décision du 2 janvier 2019 rejetant sa demande de remise gracieuse.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 4 novembre 2020 est annulé.
Article 2 : La décision du 2 janvier 2019 par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a rejeté la demande de remise gracieuse de M. B... C... est annulée.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2022 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Stéphane Verclytte, conseiller d'Etat et M. Patrick Pailloux, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 23 décembre 2022.
Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Patrick Pailloux
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova