Conseil d'État
N° 449443
ECLI:FR:CECHR:2022:449443.20221123
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Manon Chonavel, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats
Lecture du mercredi 23 novembre 2022
Vu les procédures suivantes :
M. A... B..., Mme C... B..., M. F... B... et Mme E... B..., épouse D..., ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 novembre 2018 par lequel le maire de Juvigny a délivré à la société civile de construction vente Les Jardins de Flore et à la société anonyme Mont-Blanc un permis de construire neuf bâtiments comportant quatre-vingt-dix-huit logements, un local commercial et trois niveaux de sous-sols de stationnement sur un terrain situé route de la Savoie, ainsi que la décision du 18 février 2019 rejetant leur recours gracieux contre cet arrêté.
Par un premier jugement n° 1902886 du 8 décembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer sur cette demande et imparti aux sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement afin de justifier d'une mesure de régularisation des vices entachant l'arrêté du 29 novembre 2018.
Un permis de construire de régularisation a été délivré le 4 mars 2021 aux sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc, dont les consorts B... ont également demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation pour excès de pouvoir.
Par un second jugement n° 1902886 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le permis de construire délivré le 29 novembre 2018.
1° Sous le n° 449443, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 février et 5 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 8 décembre 2020 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de première instance des consorts B... ;
3°) de mettre à la charge des consorts B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 455632, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 août et 17 novembre 2021 et le 18 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 24 juin 2021 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de première instance des consorts B... ;
3°) de mettre à la charge des consorts B... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
3° Sous le n° 455895, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 août et 23 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Juvigny demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 24 juin 2021 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de première instance des consorts B... ;
3°) de mettre à la charge des consorts B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,
- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat des sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat des consorts B... et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la commune de Juvigny ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 29 novembre 2018, le maire de Juvigny a délivré aux sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc un permis de construire neuf bâtiments destinés à accueillir quatre-vingt-dix-huit logements, un local commercial ainsi que trois sous-sols de stationnement. Les consorts B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté, ainsi que la décision rejetant leur recours gracieux. Par un premier jugement du 8 décembre 2020, contre lequel les sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc se pourvoient en cassation, le tribunal administratif a, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer et imparti à ces sociétés un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement afin de justifier d'une mesure de régularisation des vices entachant la légalité de l'arrêté du 29 novembre 2018 qu'il a relevés, tenant à la méconnaissance par la demande de permis de construire des dispositions de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme et à la méconnaissance par le projet de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, de l'article AUa11 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune, ainsi qu'à son incompatibilité avec l'orientation d'aménagement et de programmation " Extension du chef-lieu - secteur de la Savoie " du plan local d'urbanisme. Par un arrêté du 4 mars 2021, le maire de Juvigny a délivré aux mêmes sociétés un permis de construire de régularisation, dont les requérants ont également demandé l'annulation. Par un jugement du 24 juin 2021, contre lequel la commune, d'une part, et les sociétés pétitionnaires, d'autre part, se pourvoient en cassation, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 29 novembre 2018. Il y a lieu de joindre ces trois pourvois pour statuer par une seule décision.
Sur le pourvoi dirigé contre le jugement du 8 décembre 2020 :
En ce qui concerne l'exception de non-lieu soulevée par les consorts B... :
2. Aux termes de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en oeuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. "
3. Lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée sont susceptibles d'être régularisés, le juge administratif doit, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation, sauf à ce qu'il fasse le choix de recourir à l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme, si les conditions posées par cet article sont réunies, ou que le bénéficiaire de l'autorisation lui ait indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation. Lorsqu'il décide de recourir à l'article L. 600-5-1, il lui appartient, avant de surseoir à statuer sur le fondement de ces dispositions, de constater préalablement qu'aucun des autres moyens n'est fondé et n'est susceptible d'être régularisé et d'indiquer dans sa décision de sursis pour quels motifs ces moyens doivent être écartés.
4. Lorsque le juge administratif décide de recourir à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, le requérant de première instance peut contester le jugement avant dire droit en tant qu'il a écarté comme non-fondés les moyens dirigés contre l'autorisation initiale d'urbanisme et en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1. A compter de la délivrance du permis destiné à régulariser le vice relevé dans le cadre du sursis à statuer prononcé par le jugement avant dire droit, les conclusions présentées par le requérant de première instance et dirigées contre ce jugement en tant qu'il met en oeuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme sont cependant privées d'objet.
5. Dans la même hypothèse, le bénéficiaire de l'autorisation initiale d'urbanisme et l'autorité qui l'a délivrée peuvent contester le jugement avant dire droit en tant qu'il a jugé que cette autorisation était affectée d'un vice entachant sa légalité. Dans le seul cas particulier où le bénéficiaire de l'autorisation avait indiqué au juge administratif qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation, il peut également contester ce jugement en tant qu'il fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1, ces conclusions étant cependant privées d'objet à compter de la délivrance du permis destiné à régulariser le vice. L'annulation du jugement en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1 peut cependant toujours être prononcée par voie de conséquence de son annulation en tant qu'il a jugé que l'autorisation initiale d'urbanisme était affectée d'un vice.
6. Contrairement à ce que soutiennent les consorts B..., la circonstance, à elle seule, que le juge ait, par un second jugement, mis fin à l'instance, ne prive pas d'objet les conclusions à fin d'annulation du premier jugement présentées par le bénéficiaire de l'autorisation initiale d'urbanisme ou par l'autorité qui l'a délivrée. Il y a lieu, par suite, alors même que le tribunal administratif a, par son jugement du 24 juin 2021, annulé le permis de construire en litige et mis fin à l'instance, de statuer sur le pourvoi des sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc dirigé contre le jugement avant dire droit en tant qu'il constate l'existence de vices affectant la légalité du permis de construire délivré le 29 novembre 2018.
En ce qui concerne les moyens du pourvoi :
7. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme : " Les demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d'avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : / a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux (...) ". En vertu de l'article R. 431-5 du même code ; la demande de permis de construire comporte " l'attestation du ou des demandeurs qu'ils remplissent les conditions définies à l'article R. 423-1 pour déposer une demande de permis ".
8. Il résulte de ces dispositions que les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l'attestation du pétitionnaire qu'il remplit les conditions définies à l'article R. 423-1 cité ci-dessus. Les autorisations d'utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s'assurer de la conformité des travaux qu'elles autorisent avec la législation et la réglementation d'urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n'appartient pas à l'autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l'instruction d'une demande de permis, la validité de l'attestation établie par le demandeur. Ainsi, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l'attestation prévue à l'article R. 423-1 du code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande. Il résulte de ce qui précède que les tiers ne sauraient utilement invoquer, pour contester une décision accordant une telle autorisation au vu de l'attestation requise, la circonstance que l'administration n'en aurait pas vérifié l'exactitude. Toutefois, lorsque l'autorité saisie d'une telle demande de permis de construire vient à disposer au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d'instruction lui permettant de les recueillir, d'informations de nature à établir son caractère frauduleux ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu'implique l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, d'aucun droit à la déposer, il lui revient de refuser la demande de permis pour ce motif.
9. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-13 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet de construction porte sur une dépendance du domaine public, le dossier joint à la demande de permis de construire comporte une pièce exprimant l'accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public ".
10. Pour juger que le permis de construire délivré le 29 novembre 2018 était entaché d'un vice tenant à l'absence de qualité des sociétés pétitionnaires pour déposer la demande de permis de construire dans la mesure où le projet prévoit l'aménagement de places de stationnement et l'implantation de conteneurs sur le domaine public, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que la commune de Juvigny ne pouvait ignorer qu'en l'absence de déclassement et de vente de la parcelle, ces sociétés ne disposaient d'aucun droit sur le domaine public communal leur permettant d'inclure ces aménagements dans leur projet.
11. Il résulte des dispositions citées ci-dessus qu'en se fondant sur l'absence de déclassement et de transfert de la propriété de la parcelle pour en déduire que les sociétés pétitionnaires n'avaient pas qualité pour déposer une demande de permis de construire incluant les aménagements en cause, le tribunal administratif, à qui il incombait seulement de rechercher si, à défaut de déclassement et de transfert de la propriété de la parcelle, le dossier joint à la demande comportait une pièce exprimant l'accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public, a commis une erreur de droit.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc sont fondées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, à demander l'annulation du jugement rendu par le tribunal administratif de Grenoble le 8 décembre 2020 en tant qu'il juge que le permis de construire délivré à ces sociétés le 29 novembre 2018 est affecté de vices entachant sa légalité et, par voie de conséquence, en tant qu'il recourt à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et sursoit à statuer en vue de la régularisation de ces vices.
Sur les pourvois dirigés contre le jugement du 24 juin 2021 :
13. La présente décision annulant le jugement par lequel le tribunal administratif a jugé que le permis de construire délivré le 29 novembre 2018 était affecté de vices entachant sa légalité et a sursis à statuer en vue de la régularisation de ces vices, il y a lieu d'annuler par voie de conséquence le jugement du 24 juin 2021 de ce tribunal mettant fin à l'instance.
Sur les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc, qui ne sont pas, dans les présentes instances, les parties perdantes. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par ces sociétés et la commune de Juvigny au titre de ces dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du 8 décembre 2020 du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il juge que l'arrêté du 29 novembre 2018 est affecté de vices entachant sa légalité et en tant qu'il prononce un sursis à statuer en vue de la régularisation de ces vices.
Article 2 : Le jugement du 24 juin 2021 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 3 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Grenoble.
Article 4 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société civile de construction vente Les Jardins de Flore, à la société anonyme Mont-Blanc, à la commune de Juvigny et à M. A... B..., premier dénommé, pour l'ensemble des consorts B....
Délibéré à l'issue de la séance du 9 novembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux et M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat ; Mme Manon Chonavel, auditrice-rapporteure.
Rendu le 23 novembre 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Manon Chonavel
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber
N° 449443
ECLI:FR:CECHR:2022:449443.20221123
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Manon Chonavel, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats
Lecture du mercredi 23 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
M. A... B..., Mme C... B..., M. F... B... et Mme E... B..., épouse D..., ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 novembre 2018 par lequel le maire de Juvigny a délivré à la société civile de construction vente Les Jardins de Flore et à la société anonyme Mont-Blanc un permis de construire neuf bâtiments comportant quatre-vingt-dix-huit logements, un local commercial et trois niveaux de sous-sols de stationnement sur un terrain situé route de la Savoie, ainsi que la décision du 18 février 2019 rejetant leur recours gracieux contre cet arrêté.
Par un premier jugement n° 1902886 du 8 décembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer sur cette demande et imparti aux sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement afin de justifier d'une mesure de régularisation des vices entachant l'arrêté du 29 novembre 2018.
Un permis de construire de régularisation a été délivré le 4 mars 2021 aux sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc, dont les consorts B... ont également demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation pour excès de pouvoir.
Par un second jugement n° 1902886 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le permis de construire délivré le 29 novembre 2018.
1° Sous le n° 449443, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 février et 5 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 8 décembre 2020 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de première instance des consorts B... ;
3°) de mettre à la charge des consorts B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 455632, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 août et 17 novembre 2021 et le 18 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 24 juin 2021 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de première instance des consorts B... ;
3°) de mettre à la charge des consorts B... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
3° Sous le n° 455895, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 août et 23 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Juvigny demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 24 juin 2021 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de première instance des consorts B... ;
3°) de mettre à la charge des consorts B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,
- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat des sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat des consorts B... et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la commune de Juvigny ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 29 novembre 2018, le maire de Juvigny a délivré aux sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc un permis de construire neuf bâtiments destinés à accueillir quatre-vingt-dix-huit logements, un local commercial ainsi que trois sous-sols de stationnement. Les consorts B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté, ainsi que la décision rejetant leur recours gracieux. Par un premier jugement du 8 décembre 2020, contre lequel les sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc se pourvoient en cassation, le tribunal administratif a, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer et imparti à ces sociétés un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement afin de justifier d'une mesure de régularisation des vices entachant la légalité de l'arrêté du 29 novembre 2018 qu'il a relevés, tenant à la méconnaissance par la demande de permis de construire des dispositions de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme et à la méconnaissance par le projet de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, de l'article AUa11 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune, ainsi qu'à son incompatibilité avec l'orientation d'aménagement et de programmation " Extension du chef-lieu - secteur de la Savoie " du plan local d'urbanisme. Par un arrêté du 4 mars 2021, le maire de Juvigny a délivré aux mêmes sociétés un permis de construire de régularisation, dont les requérants ont également demandé l'annulation. Par un jugement du 24 juin 2021, contre lequel la commune, d'une part, et les sociétés pétitionnaires, d'autre part, se pourvoient en cassation, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 29 novembre 2018. Il y a lieu de joindre ces trois pourvois pour statuer par une seule décision.
Sur le pourvoi dirigé contre le jugement du 8 décembre 2020 :
En ce qui concerne l'exception de non-lieu soulevée par les consorts B... :
2. Aux termes de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en oeuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. "
3. Lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée sont susceptibles d'être régularisés, le juge administratif doit, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation, sauf à ce qu'il fasse le choix de recourir à l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme, si les conditions posées par cet article sont réunies, ou que le bénéficiaire de l'autorisation lui ait indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation. Lorsqu'il décide de recourir à l'article L. 600-5-1, il lui appartient, avant de surseoir à statuer sur le fondement de ces dispositions, de constater préalablement qu'aucun des autres moyens n'est fondé et n'est susceptible d'être régularisé et d'indiquer dans sa décision de sursis pour quels motifs ces moyens doivent être écartés.
4. Lorsque le juge administratif décide de recourir à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, le requérant de première instance peut contester le jugement avant dire droit en tant qu'il a écarté comme non-fondés les moyens dirigés contre l'autorisation initiale d'urbanisme et en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1. A compter de la délivrance du permis destiné à régulariser le vice relevé dans le cadre du sursis à statuer prononcé par le jugement avant dire droit, les conclusions présentées par le requérant de première instance et dirigées contre ce jugement en tant qu'il met en oeuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme sont cependant privées d'objet.
5. Dans la même hypothèse, le bénéficiaire de l'autorisation initiale d'urbanisme et l'autorité qui l'a délivrée peuvent contester le jugement avant dire droit en tant qu'il a jugé que cette autorisation était affectée d'un vice entachant sa légalité. Dans le seul cas particulier où le bénéficiaire de l'autorisation avait indiqué au juge administratif qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation, il peut également contester ce jugement en tant qu'il fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1, ces conclusions étant cependant privées d'objet à compter de la délivrance du permis destiné à régulariser le vice. L'annulation du jugement en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1 peut cependant toujours être prononcée par voie de conséquence de son annulation en tant qu'il a jugé que l'autorisation initiale d'urbanisme était affectée d'un vice.
6. Contrairement à ce que soutiennent les consorts B..., la circonstance, à elle seule, que le juge ait, par un second jugement, mis fin à l'instance, ne prive pas d'objet les conclusions à fin d'annulation du premier jugement présentées par le bénéficiaire de l'autorisation initiale d'urbanisme ou par l'autorité qui l'a délivrée. Il y a lieu, par suite, alors même que le tribunal administratif a, par son jugement du 24 juin 2021, annulé le permis de construire en litige et mis fin à l'instance, de statuer sur le pourvoi des sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc dirigé contre le jugement avant dire droit en tant qu'il constate l'existence de vices affectant la légalité du permis de construire délivré le 29 novembre 2018.
En ce qui concerne les moyens du pourvoi :
7. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme : " Les demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d'avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : / a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux (...) ". En vertu de l'article R. 431-5 du même code ; la demande de permis de construire comporte " l'attestation du ou des demandeurs qu'ils remplissent les conditions définies à l'article R. 423-1 pour déposer une demande de permis ".
8. Il résulte de ces dispositions que les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l'attestation du pétitionnaire qu'il remplit les conditions définies à l'article R. 423-1 cité ci-dessus. Les autorisations d'utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s'assurer de la conformité des travaux qu'elles autorisent avec la législation et la réglementation d'urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n'appartient pas à l'autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l'instruction d'une demande de permis, la validité de l'attestation établie par le demandeur. Ainsi, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l'attestation prévue à l'article R. 423-1 du code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande. Il résulte de ce qui précède que les tiers ne sauraient utilement invoquer, pour contester une décision accordant une telle autorisation au vu de l'attestation requise, la circonstance que l'administration n'en aurait pas vérifié l'exactitude. Toutefois, lorsque l'autorité saisie d'une telle demande de permis de construire vient à disposer au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d'instruction lui permettant de les recueillir, d'informations de nature à établir son caractère frauduleux ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu'implique l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, d'aucun droit à la déposer, il lui revient de refuser la demande de permis pour ce motif.
9. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-13 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet de construction porte sur une dépendance du domaine public, le dossier joint à la demande de permis de construire comporte une pièce exprimant l'accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public ".
10. Pour juger que le permis de construire délivré le 29 novembre 2018 était entaché d'un vice tenant à l'absence de qualité des sociétés pétitionnaires pour déposer la demande de permis de construire dans la mesure où le projet prévoit l'aménagement de places de stationnement et l'implantation de conteneurs sur le domaine public, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que la commune de Juvigny ne pouvait ignorer qu'en l'absence de déclassement et de vente de la parcelle, ces sociétés ne disposaient d'aucun droit sur le domaine public communal leur permettant d'inclure ces aménagements dans leur projet.
11. Il résulte des dispositions citées ci-dessus qu'en se fondant sur l'absence de déclassement et de transfert de la propriété de la parcelle pour en déduire que les sociétés pétitionnaires n'avaient pas qualité pour déposer une demande de permis de construire incluant les aménagements en cause, le tribunal administratif, à qui il incombait seulement de rechercher si, à défaut de déclassement et de transfert de la propriété de la parcelle, le dossier joint à la demande comportait une pièce exprimant l'accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public, a commis une erreur de droit.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc sont fondées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, à demander l'annulation du jugement rendu par le tribunal administratif de Grenoble le 8 décembre 2020 en tant qu'il juge que le permis de construire délivré à ces sociétés le 29 novembre 2018 est affecté de vices entachant sa légalité et, par voie de conséquence, en tant qu'il recourt à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et sursoit à statuer en vue de la régularisation de ces vices.
Sur les pourvois dirigés contre le jugement du 24 juin 2021 :
13. La présente décision annulant le jugement par lequel le tribunal administratif a jugé que le permis de construire délivré le 29 novembre 2018 était affecté de vices entachant sa légalité et a sursis à statuer en vue de la régularisation de ces vices, il y a lieu d'annuler par voie de conséquence le jugement du 24 juin 2021 de ce tribunal mettant fin à l'instance.
Sur les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc, qui ne sont pas, dans les présentes instances, les parties perdantes. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par ces sociétés et la commune de Juvigny au titre de ces dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 8 décembre 2020 du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il juge que l'arrêté du 29 novembre 2018 est affecté de vices entachant sa légalité et en tant qu'il prononce un sursis à statuer en vue de la régularisation de ces vices.
Article 2 : Le jugement du 24 juin 2021 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 3 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Grenoble.
Article 4 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société civile de construction vente Les Jardins de Flore, à la société anonyme Mont-Blanc, à la commune de Juvigny et à M. A... B..., premier dénommé, pour l'ensemble des consorts B....
Délibéré à l'issue de la séance du 9 novembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux et M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat ; Mme Manon Chonavel, auditrice-rapporteure.
Rendu le 23 novembre 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Manon Chonavel
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber