Conseil d'État
N° 462885
ECLI:FR:CECHR:2022:462885.20221115
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. David Moreau, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES, avocats
Lecture du mardi 15 novembre 2022
Vu la procédure suivante :
Par une protestation sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 4 avril et 4 mai 2022, M. C... D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 20 mars 2022 dans la circonscription de Sigave en vue de l'élection des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna ;
2°) d'attribuer un siège à la liste Kila laga o lou fenua au sein de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de M. D... ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 20 mars 2022 dans la circonscription de Sigave pour la désignation des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna, la liste " Tou fakatasi kile apogipogi olotatou fenua " a obtenu 238 voix et un siège, la liste " Fakatasi kile tou ka'au " 217 voix et un siège et la liste " Amanaki " 209 voix et un siège. La liste " Kile laga o lou fenua ", conduite par M. D..., est arrivée en quatrième position avec 208 voix et n'a obtenu aucun siège. Ce dernier demande l'annulation de ces élections.
2. Le troisième alinéa de l'article L. 62-1 du code électoral, applicable à l'élection des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna en vertu de l'article L. 388 du même code, dispose que " Le vote de chaque électeur est constaté par sa signature apposée à l'encre en face de son nom sur la liste d'émargement ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 64 du même code : " Lorsqu'un électeur se trouve dans l'impossibilité de signer, l'émargement prévu par le troisième alinéa de l'article L. 62-1 est apposé par un électeur de son choix qui fait suivre sa signature de la mention suivante : l'électeur ne peut signer lui-même ". Aux termes de l'article L. 74 du même code : " Le ou la mandataire participe au scrutin dans les conditions prévues à l'article L. 62. / (...) / Son vote est constaté par sa signature apposée à l'encre sur la liste d'émargement en face du nom du mandant ". Il résulte des dispositions des articles L. 62-1 et L. 64 du code électoral, destinées à assurer la sincérité des opérations électorales, que seule la signature personnelle, à l'encre, d'un électeur est de nature à apporter la preuve de sa participation au scrutin, sauf cas d'impossibilité dûment reportée sur la liste d'émargement. Ainsi, la constatation d'un vote par l'apposition d'une croix sur la liste d'émargement ne peut être regardée comme garantissant l'authenticité de ce vote. Il résulte de l'article L. 74 du même code que ces règles s'appliquent également lorsqu'un électeur agissant en qualité de mandataire signe la liste d'émargement en face du nom de son mandant.
3. Il résulte de l'instruction que lors des opérations organisées dans le bureau de vote n° 4 de la circonscription de Sigave le 20 mars 2022, l'électeur n° 73, titulaire d'une procuration, a apposé en face du nom de son mandant une simple croix, qui ne saurait être assimilée à un paraphe ou à une signature, sans que ni la mention prévue par le second alinéa de l'article L. 64 du code électoral, ni la signature d'un autre électeur ne figure devant cette croix. Aucune pièce du dossier ne permet par ailleurs d'attester de l'authenticité de ce suffrage. Par suite, il doit être tenu pour irrégulièrement exprimé.
4. Il résulte en outre de l'examen de la liste d'émargement du bureau n° 5 que pour trois électeurs ayant désigné un mandataire, la signature apposée en face de leur nom est différente de la signature figurant en face du nom de leur mandataire. Cette irrégularité affecte les trois votes ayant fait l'objet d'une procuration.
5. Lorsqu'il résulte des irrégularités relatives au décompte des suffrages relevées par le juge de l'élection que l'attribution du dernier siège d'une assemblée ou d'une circonscription selon la règle de la plus forte moyenne a été faussée, sans que le juge soit en mesure de reconstituer avec certitude la répartition exacte des voix et donc de proclamer élu à ce siège un autre candidat, mais que, compte tenu de l'écart des voix entre les listes en présence, l'attribution des autres sièges n'a pu être affectée, le juge peut, en l'absence de modification des équilibres politiques tels qu'ils résultent du scrutin, annuler l'élection au dernier siège de conseiller et constater la vacance de ce siège, sans qu'il y ait lieu de prononcer l'annulation de l'élection dans son ensemble.
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que quatre suffrages doivent être regardés comme irrégulièrement exprimés. Ces quatre suffrages doivent être retranchés successivement du nombre de voix de chacune des listes ayant obtenu un siège. Compte tenu des écarts de voix entre les listes en présence, les irrégularités constatées ne sont pas de nature à avoir affecté l'attribution des deux premiers sièges, mais seulement du troisième et dernier siège. Eu égard à l'impossibilité de déterminer le sens des votes irrégulièrement exprimés, le juge de l'élection ne saurait attribuer ce dernier siège à la liste du requérant. Il ne peut en l'espèce davantage annuler l'élection de ce seul dernier siège et constater sa vacance, dès lors qu'une telle annulation aurait pour conséquence de modifier les équilibres politiques tels qu'ils résultent du scrutin dans la circonscription de Sigave. Par suite, sans qu'il soit besoin d'apprécier en outre si une telle annulation d'un seul siège conduirait à modifier les équilibres politiques au sein de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna, il y a lieu d'annuler l'ensemble des opérations électorales pour cette circonscription.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs soulevés par la protestation, que M. D... est fondé à demander l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées le 20 mars 2022 dans la circonscription de Sigave pour l'élection des membres de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font alors obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. D..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les opérations électorales qui se sont déroulées le 20 mars 2022 dans la circonscription de Sigave pour l'élection des membres de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna sont annulées.
Article 2 : Le surplus des conclusions de M. D... est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Samuele D..., à M. B... A..., premier dénommé, pour l'ensemble des défendeurs et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 octobre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Thomas Andrieu, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 15 novembre 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. David Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana
N° 462885
ECLI:FR:CECHR:2022:462885.20221115
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. David Moreau, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES, avocats
Lecture du mardi 15 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une protestation sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 4 avril et 4 mai 2022, M. C... D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 20 mars 2022 dans la circonscription de Sigave en vue de l'élection des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna ;
2°) d'attribuer un siège à la liste Kila laga o lou fenua au sein de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de M. D... ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 20 mars 2022 dans la circonscription de Sigave pour la désignation des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna, la liste " Tou fakatasi kile apogipogi olotatou fenua " a obtenu 238 voix et un siège, la liste " Fakatasi kile tou ka'au " 217 voix et un siège et la liste " Amanaki " 209 voix et un siège. La liste " Kile laga o lou fenua ", conduite par M. D..., est arrivée en quatrième position avec 208 voix et n'a obtenu aucun siège. Ce dernier demande l'annulation de ces élections.
2. Le troisième alinéa de l'article L. 62-1 du code électoral, applicable à l'élection des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna en vertu de l'article L. 388 du même code, dispose que " Le vote de chaque électeur est constaté par sa signature apposée à l'encre en face de son nom sur la liste d'émargement ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 64 du même code : " Lorsqu'un électeur se trouve dans l'impossibilité de signer, l'émargement prévu par le troisième alinéa de l'article L. 62-1 est apposé par un électeur de son choix qui fait suivre sa signature de la mention suivante : l'électeur ne peut signer lui-même ". Aux termes de l'article L. 74 du même code : " Le ou la mandataire participe au scrutin dans les conditions prévues à l'article L. 62. / (...) / Son vote est constaté par sa signature apposée à l'encre sur la liste d'émargement en face du nom du mandant ". Il résulte des dispositions des articles L. 62-1 et L. 64 du code électoral, destinées à assurer la sincérité des opérations électorales, que seule la signature personnelle, à l'encre, d'un électeur est de nature à apporter la preuve de sa participation au scrutin, sauf cas d'impossibilité dûment reportée sur la liste d'émargement. Ainsi, la constatation d'un vote par l'apposition d'une croix sur la liste d'émargement ne peut être regardée comme garantissant l'authenticité de ce vote. Il résulte de l'article L. 74 du même code que ces règles s'appliquent également lorsqu'un électeur agissant en qualité de mandataire signe la liste d'émargement en face du nom de son mandant.
3. Il résulte de l'instruction que lors des opérations organisées dans le bureau de vote n° 4 de la circonscription de Sigave le 20 mars 2022, l'électeur n° 73, titulaire d'une procuration, a apposé en face du nom de son mandant une simple croix, qui ne saurait être assimilée à un paraphe ou à une signature, sans que ni la mention prévue par le second alinéa de l'article L. 64 du code électoral, ni la signature d'un autre électeur ne figure devant cette croix. Aucune pièce du dossier ne permet par ailleurs d'attester de l'authenticité de ce suffrage. Par suite, il doit être tenu pour irrégulièrement exprimé.
4. Il résulte en outre de l'examen de la liste d'émargement du bureau n° 5 que pour trois électeurs ayant désigné un mandataire, la signature apposée en face de leur nom est différente de la signature figurant en face du nom de leur mandataire. Cette irrégularité affecte les trois votes ayant fait l'objet d'une procuration.
5. Lorsqu'il résulte des irrégularités relatives au décompte des suffrages relevées par le juge de l'élection que l'attribution du dernier siège d'une assemblée ou d'une circonscription selon la règle de la plus forte moyenne a été faussée, sans que le juge soit en mesure de reconstituer avec certitude la répartition exacte des voix et donc de proclamer élu à ce siège un autre candidat, mais que, compte tenu de l'écart des voix entre les listes en présence, l'attribution des autres sièges n'a pu être affectée, le juge peut, en l'absence de modification des équilibres politiques tels qu'ils résultent du scrutin, annuler l'élection au dernier siège de conseiller et constater la vacance de ce siège, sans qu'il y ait lieu de prononcer l'annulation de l'élection dans son ensemble.
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que quatre suffrages doivent être regardés comme irrégulièrement exprimés. Ces quatre suffrages doivent être retranchés successivement du nombre de voix de chacune des listes ayant obtenu un siège. Compte tenu des écarts de voix entre les listes en présence, les irrégularités constatées ne sont pas de nature à avoir affecté l'attribution des deux premiers sièges, mais seulement du troisième et dernier siège. Eu égard à l'impossibilité de déterminer le sens des votes irrégulièrement exprimés, le juge de l'élection ne saurait attribuer ce dernier siège à la liste du requérant. Il ne peut en l'espèce davantage annuler l'élection de ce seul dernier siège et constater sa vacance, dès lors qu'une telle annulation aurait pour conséquence de modifier les équilibres politiques tels qu'ils résultent du scrutin dans la circonscription de Sigave. Par suite, sans qu'il soit besoin d'apprécier en outre si une telle annulation d'un seul siège conduirait à modifier les équilibres politiques au sein de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna, il y a lieu d'annuler l'ensemble des opérations électorales pour cette circonscription.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs soulevés par la protestation, que M. D... est fondé à demander l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées le 20 mars 2022 dans la circonscription de Sigave pour l'élection des membres de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font alors obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. D..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les opérations électorales qui se sont déroulées le 20 mars 2022 dans la circonscription de Sigave pour l'élection des membres de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna sont annulées.
Article 2 : Le surplus des conclusions de M. D... est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Samuele D..., à M. B... A..., premier dénommé, pour l'ensemble des défendeurs et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 octobre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Thomas Andrieu, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 15 novembre 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. David Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana