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Ariane Web: Conseil d'État 461039, lecture du 18 octobre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:461039.20221018

Décision n° 461039
18 octobre 2022
Conseil d'État

N° 461039
ECLI:FR:CECHR:2022:461039.20221018
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Ophélie Champeaux, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public


Lecture du mardi 18 octobre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée (SARL) Dovre France a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er juillet 2010 au 30 novembre 2013. Par un jugement no 1706119 du 10 juillet 2019, le tribunal a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 19DA02129 du 2 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Douai, faisant partiellement droit aux conclusions de l'appel formé par la société contre ce jugement, a prononcé, d'une part, la réduction de ses bases imposables à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2012, à hauteur de la somme de 74 150,80 euros correspondant à la reprise d'une provision, et, d'autre part, la décharge de la majoration pour manquement délibéré appliquée aux rectifications procédant de la réintégration au résultat imposable des pertes sur des créances irrécouvrables.

Par un pourvoi, enregistré le 2 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1er à 5 de cet arrêt.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société Dovre France a, en 2011, inscrit dans sa comptabilité une dotation aux provisions pour dépréciation d'une créance douteuse pour un montant de 74 151 euros puis a, en 2012, estimant que cette créance était devenue irrécouvrable, constaté une perte du même montant après avoir repris la provision passée en 2011, devenue sans objet. A la suite d'une vérification de la comptabilité de cette société, l'administration a, notamment, estimé que la créance de 74 151 euros avait à tort été regardée comme irrécouvrable et réintégré la somme correspondante au résultat de l'exercice clos en 2012. Par un jugement du 10 juillet 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de la société tendant à la décharge des suppléments d'imposition procédant de cette réintégration et des pénalités correspondantes. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 2 décembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Douai, faisant partiellement droit à l'appel formé par la société Dovre France contre ce jugement, a réduit ses bases imposables à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2012 de la somme de 74 151 euros et prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés en résultant ainsi que des pénalités correspondantes.

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les comptes de l'exercice (...) ". Lorsqu'une provision a été constituée dans les comptes de l'exercice, et sauf si les règles propres au droit fiscal y font obstacle, notamment les dispositions particulières du 5° du 1 de cet article limitant la déductibilité fiscale de certaines provisions, le résultat fiscal de ce même exercice doit, en principe, être diminué du montant de cette provision dont la reprise, lors d'un ou de plusieurs exercices ultérieurs, entraîne en revanche une augmentation de l'actif net du ou des bilans de clôture du ou des exercices correspondants.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande ". Aux termes de l'article L. 205 du même livre : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition ".

4. Pour prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la société Dovre France avait été assujettie en conséquence de la réintégration à son résultat imposable, au titre de l'exercice clos en 2012, de la somme de 74 151 euros qu'elle avait regardée comme une perte sur créance irrécouvrable, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que cette réintégration faisait apparaitre une double imposition au préjudice de cette société, dès lors que celle-ci avait, au cours du même exercice, procédé à la reprise de la provision précédemment constituée à raison du caractère douteux de cette même créance. Elle en a déduit que la société était fondée à demander le bénéfice de la compensation entre le rehaussement de ses bases imposables et le rétablissement de la provision, qu'elle avait reprise à tort dès lors que le caractère douteux de la créance demeurait.

5. Toutefois, il résulte des dispositions précitées du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts qu'une provision ne saurait être déduite du résultat de l'exercice si elle n'a pas été effectivement constatée dans les écritures comptables à la clôture de l'exercice. Le défaut de constitution d'une provision n'est ainsi pas susceptible de faire l'objet d'une correction demandée par voie de réclamation ou, après l'expiration du délai de réclamation, par voie de compensation à l'occasion d'un rehaussement. Dès lors que, ainsi que l'a relevé la cour, la provision qui avait été constituée par la société Dovre France en 2011 avait été reprise au cours de l'exercice clos en 2012 et ne figurait plus au bilan de clôture de cet exercice, l'absence de déduction du montant de la provision pour le calcul du résultat passible de l'impôt sur les sociétés au titre de cet exercice ne pouvait être regardée comme caractérisant une surtaxe commise au détriment de la société ou une double imposition de nature à ouvrir droit à une demande de compensation à l'occasion de la réintégration par l'administration de la perte sur créance irrécouvrable. Par suite, en faisant droit à la demande de compensation de la société Dovre France, la cour a commis une erreur de droit.

6. En second lieu, il ressort des pièces du dossiers soumis au juge du fond que si la proposition de rectification adressée à la société le 31 juin 2015 faisait état de l'application d'une majoration de 40 % pour manquement délibéré aux rehaussements procédant de la réintégration de la perte sur créance irrécouvrable d'un montant de 74 151 euros au titre de l'exercice clos en 2012, une telle pénalité n'a pas été mise à la charge de la société, seuls des intérêts de retard ayant été mis en recouvrement le 31 mars 2016. Il en résulte que les conclusions formées par la société et tendant à la décharge de la pénalité, qui étaient en réalité dépourvues d'objet dès l'introduction de la demande, étaient irrecevables. Le ministre est, par suite, fondé à soutenir que la cour administrative d'appel, en accueillant ces conclusions, a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 1er à 5 de l'arrêt qu'il attaque.



D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er à 5 de l'arrêt du 2 décembre 2021 de la cour administrative de Douai sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société à responsabilité limitée Dovre France.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 octobre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 18 octobre 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle




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