Conseil d'État
N° 450849
ECLI:FR:CECHS:2022:450849.20221010
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre
Mme Thalia Breton, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP SPINOSI ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats
Lecture du lundi 10 octobre 2022
Vu la procédure suivante :
La Société Générale a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 mars 2015 par laquelle l'inspecteur du travail de la 5ème unité de contrôle de la section 01 de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine a confirmé la décision implicite du 5 mars 2015 rejetant sa demande d'autorisation de licencier Mme A... B.... Par un jugement n° 1504467 du 7 juin 2018, le tribunal administratif a rejeté sa requête.
Par un arrêt n° 18VE02796 du 19 janvier 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la Société Générale, d'une part, annulé ce jugement et la décision du 24 mars 2015 et, d'autre part, enjoint à l'inspecteur du travail compétent de procéder à un nouvel examen de la demande d'autorisation de licencier Mme B....
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 mars et 15 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de la Société Générale la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Thalia Breton, auditrice,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme B... et à la SCP Spinosi, avocat de la Société Générale ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la Société Générale a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire Mme B..., salariée protégée, recrutée le 2 avril 1991 au poste d'" organisateur conseil confirmé " au sein du service " gestion et organisation des ressources humaines " de cette société. Par une décision du 24 mars 2015, l'inspection du travail a refusé d'autoriser ce licenciement. Par un jugement du 7 juin 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de la Société Générale tendant à l'annulation de cette décision. Mme B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 janvier 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la Société Générale, annulé ce jugement et la décision du 24 mars 2015.
2. Le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. En cas d'un tel refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en oeuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.
3. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que le refus d'autoriser le licenciement de Mme B... était illégal, la cour administrative d'appel de Versailles a estimé que le poste de chargée d'études sur la transition numérique qui lui a été proposé par la Société Générale relevait d'un changement de ses conditions de travail et non d'une modification de son contrat de travail, au motif que ce poste, impliquant d'effectuer des recherches et de proposer une synthèse sur les enjeux du développement de l'informatique et des nouvelles technologies, faisait appel à des compétences d'ordre général, de recherche, de rédaction et de conduite d'entretiens qui étaient celles devant être mobilisées dans le précédent poste de Mme B..., et en a déduit que le refus d'exécuter ces nouvelles fonctions était constitutif d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que Mme B... exerçait, dans ses précédentes fonctions, au sein du service des ressources humaines, des missions de conseil et d'accompagnement en vue de l'optimisation de l'organisation des services de l'entreprise, et que la mission qui lui a été proposée, rattachée au service des systèmes d'information, portait sur la rédaction d'une étude sur l'identité et la confiance numériques et impliquait, nonobstant la possibilité de recourir à un cabinet externe pour les volets techniques de cette mission, des compétences techniques, en particulier informatiques, que Mme B... ne détenait pas, ce dont il résulte que cette nouvelle mission, qui ne correspondait ni à la nature des fonctions précédemment exercées par la salariée ni à sa qualification, constituait une modification de son contrat de travail, la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier et par suite, commis une erreur de droit en jugeant que Mme B... avait, en refusant ce poste, commis une faute de nature à justifier son licenciement.
4. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Société Générale une somme de 3 000 euros à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 19 janvier 2021 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : La Société Générale versera une somme de 3 000 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la Société Générale au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à la Société Générale.
Copie en sera adressée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
N° 450849
ECLI:FR:CECHS:2022:450849.20221010
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre
Mme Thalia Breton, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP SPINOSI ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats
Lecture du lundi 10 octobre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La Société Générale a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 mars 2015 par laquelle l'inspecteur du travail de la 5ème unité de contrôle de la section 01 de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine a confirmé la décision implicite du 5 mars 2015 rejetant sa demande d'autorisation de licencier Mme A... B.... Par un jugement n° 1504467 du 7 juin 2018, le tribunal administratif a rejeté sa requête.
Par un arrêt n° 18VE02796 du 19 janvier 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la Société Générale, d'une part, annulé ce jugement et la décision du 24 mars 2015 et, d'autre part, enjoint à l'inspecteur du travail compétent de procéder à un nouvel examen de la demande d'autorisation de licencier Mme B....
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 mars et 15 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de la Société Générale la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Thalia Breton, auditrice,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme B... et à la SCP Spinosi, avocat de la Société Générale ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la Société Générale a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire Mme B..., salariée protégée, recrutée le 2 avril 1991 au poste d'" organisateur conseil confirmé " au sein du service " gestion et organisation des ressources humaines " de cette société. Par une décision du 24 mars 2015, l'inspection du travail a refusé d'autoriser ce licenciement. Par un jugement du 7 juin 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de la Société Générale tendant à l'annulation de cette décision. Mme B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 janvier 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la Société Générale, annulé ce jugement et la décision du 24 mars 2015.
2. Le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. En cas d'un tel refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en oeuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.
3. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que le refus d'autoriser le licenciement de Mme B... était illégal, la cour administrative d'appel de Versailles a estimé que le poste de chargée d'études sur la transition numérique qui lui a été proposé par la Société Générale relevait d'un changement de ses conditions de travail et non d'une modification de son contrat de travail, au motif que ce poste, impliquant d'effectuer des recherches et de proposer une synthèse sur les enjeux du développement de l'informatique et des nouvelles technologies, faisait appel à des compétences d'ordre général, de recherche, de rédaction et de conduite d'entretiens qui étaient celles devant être mobilisées dans le précédent poste de Mme B..., et en a déduit que le refus d'exécuter ces nouvelles fonctions était constitutif d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que Mme B... exerçait, dans ses précédentes fonctions, au sein du service des ressources humaines, des missions de conseil et d'accompagnement en vue de l'optimisation de l'organisation des services de l'entreprise, et que la mission qui lui a été proposée, rattachée au service des systèmes d'information, portait sur la rédaction d'une étude sur l'identité et la confiance numériques et impliquait, nonobstant la possibilité de recourir à un cabinet externe pour les volets techniques de cette mission, des compétences techniques, en particulier informatiques, que Mme B... ne détenait pas, ce dont il résulte que cette nouvelle mission, qui ne correspondait ni à la nature des fonctions précédemment exercées par la salariée ni à sa qualification, constituait une modification de son contrat de travail, la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier et par suite, commis une erreur de droit en jugeant que Mme B... avait, en refusant ce poste, commis une faute de nature à justifier son licenciement.
4. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Société Générale une somme de 3 000 euros à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 19 janvier 2021 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : La Société Générale versera une somme de 3 000 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la Société Générale au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à la Société Générale.
Copie en sera adressée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.