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Décision n° 454723
7 octobre 2022
Conseil d'État

N° 454723
ECLI:FR:CECHS:2022:454723.20221007
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre
Mme Catherine Brouard-Gallet, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL ; SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL, avocats


Lecture du vendredi 7 octobre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 juillet 2018 par laquelle la ministre du travail a, d'une part, retiré sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique de la société VFD contre la décision du 16 octobre 2017 de l'inspecteur du travail de la 22ème section de l'unité départementale de l'Isère refusant d'autoriser son licenciement et, d'autre part, a annulé cette décision et autorisé ce licenciement. Par un jugement n° 1806054 du 31 mai 2019, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 19LY03094 du 18 mai 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société VFD contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 juillet et 30 septembre 2021 et le 28 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société VFD demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la société VFD et à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société VFD, spécialisée dans le transport par autocars, a sollicité auprès de l'inspecteur du travail de la 22ème section de l'Isère l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. A... B..., conducteur-receveur exerçant les fonctions de délégué du personnel, délégué syndical et de membre du comité d'entreprise. Par une décision du 16 octobre 2017, l'inspecteur du travail a refusé de délivrer l'autorisation de licenciement sollicitée. La ministre du travail, saisi par un recours hiérarchique formé par l'employeur, a, par une décision du 24 juillet 2018, retiré sa décision implicite de rejet née du silence gardé sur ce recours, annulé la décision de l'inspecteur du travail en date du 16 octobre 2017 et autorisé le licenciement. Par un jugement du 31 mai 2019, le tribunal administratif de Grenoble a, sur demande de M. B..., annulé cette décision. La société VFD se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 mai 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté son appel contre ce jugement.

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a relevé que M. B..., après avoir transporté dix-huit enfants et trois adultes d'une colonie de vacances à l'occasion d'une sortie d'une demi-journée le 18 juillet 2017, a procédé, une fois ces passagers raccompagnés au lieu de cette colonie de vacances, à un nettoyage et une inspection du véhicule sur place, puis qu'il a ensuite conduit et garé son véhicule au dépôt de la société VFD, où il l'a laissé à la fin de son service après en avoir fermé les trappons avant et arrière, et que ce même jour vers 18 h 55, un des collègues de M. B..., de retour au dépôt de la société VFD, a découvert fortuitement un des enfants de la colonie de vacances, auparavant endormi dans ce véhicule, qui se manifestait pour essayer d'en sortir. La cour en a déduit que le caractère fautif du manque de vigilance de M. B... était établi. Elle a toutefois retenu que cette faute n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé dès lors qu'elle n'était pas intentionnelle, que M. B... avait reconnu les faits et ainsi montré le sens des responsabilités exigé d'un conducteur de véhicule de transport en commun, que cette défaillance ne reflétait pas sa manière habituelle de servir et qu'il n'avait fait l'objet d'aucune sanction durant les six années passées au sein de la société VFD. En statuant ainsi, alors que le défaut de vigilance de M. B..., dont l'attention avait été appelée en application du " guide du conducteur " 2017 de l'entreprise sur la nécessité, à la fin du service, de faire le tour du véhicule à l'extérieur comme à l'intérieur, avait conduit à ce qu'un enfant se retrouve enfermé dans un véhicule de transport collectif stationné au dépôt de la société après la fin du service, à une heure tardive rendant particulièrement aléatoire sa découverte à bref délai, seul le passage fortuit d'un collègue de M. B... ayant, en l'espèce, permis de le faire sortir de ce véhicule, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

4. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la société VFD est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la société VFD qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme à verser à la société VFD au titre de ces mêmes dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 18 mai 2021 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société VFD et par M. B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société VFD et à M. A... B....
Copie en sera adressée pour information au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré à l'issue de la séance du 8 septembre 2022 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; Mme Sophie-Justine Lieber, conseillère d'Etat et Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 7 octobre 2022.


La présidente :
Signé : Mme Maud Vialettes
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Brouard-Gallet
La secrétaire :
Signé : Mme Romy Raquil