Conseil d'État
N° 465844
ECLI:FR:CEORD:2022:465844.20220727
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SAS HANNOTIN AVOCATS, avocats
Lecture du mercredi 27 juillet 2022
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 et 22 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Protéines France demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'entrée en vigueur du décret au 1er octobre 2022, dans un calendrier qui ne permet pas matériellement aux entreprises qui fabriquent des denrées alimentaires à base de protéines végétales de modifier les dénominations de leurs produits, porte atteinte à leurs intérêts une atteinte grave et immédiate, alors qu'au surplus l'imprécision du texte ne leur permet pas de s'y adapter correctement et qu'aucun intérêt public ne crée d'urgence à l'appliquer ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- en se bornant à indiquer qu'est interdit et sanctionné l'usage, pour désigner un produit transformé contenant des protéines végétales, d'une part, d'" une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie, et, d'autre part, d'" une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux ", sans préciser les termes précisément visés par cette interdiction, le décret porte atteinte à la sécurité juridique, à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité, de clarté et d'accessibilité de la norme et au principe de légalité des délits ;
- il viole le règlement n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires, en ce qu'il établit des interdictions de dénomination qui ne sont pas justifiées par l'objectif d'information du consommateur, alors que ce point doit être regardé comme expressément harmonisé en application de l'article 38 de ce règlement, et il est également entaché à ce titre d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir ;
- il viole également ce règlement en ce qu'il fait obstacle à l'emploi pour une durée alimentaire de son nom usuel ainsi qu'à la mise en oeuvre par les fabricants de telles denrées de leur obligation de mentionner la dénomination de la denrée ;
- il porte atteinte à la liberté d'entreprise et au droit de propriété, tels que garantis par les articles 16 et 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne en ce qu'il interdit aux fabricants de denrées à base de protéines végétales d'utiliser des marques comportant des termes désormais réservés aux denrées à base de protéines animales ;
- il a été adopté en méconnaissance des obligations de notification préalable résultant du règlement 1169/2011 mentionné plus haut ainsi que de la directive 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information ;
- il porte atteinte à la libre circulation des marchandises, au règlement 1169/2011 et au principe d'égalité en ce qu'il impose l'usage de certaines dénominations pour désigner les denrées alimentaires à base de protéines végétales fabriquées en France tout en prévoyant que les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou en Turquie, ou légalement fabriqués dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ne sont pas soumis à ses exigences ;
- il porte atteinte au principe de sécurité juridique et il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il fixe son entrée en vigueur au 1er octobre 2022 alors que les entreprises concernées ne sont pas en mesure de commercialiser avant cette date des produits conformes à ses exigences.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juillet 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la Première ministre et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son préambule ;
- le traité sur le fonctionnement de l'union européenne ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'union européenne ;
- le règlement n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil ;
- la directive (UE) n° 2015/1535 ;
- le code de la consommation ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Protéines France et, d'autre part la Première ministre, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 22 juillet 2022, à 15 heures :
- Me Hannotin, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Protéines France ;
- les représentants de l'association Protéines France ;
- les représentants du ministre de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur le cadre juridique du litige :
2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires : " 1. La dénomination de la denrée alimentaire est sa dénomination légale. En l'absence d'une telle dénomination, la dénomination de la denrée est son nom usuel. À défaut d'un tel nom ou si celui-ci n'est pas utilisé, un nom descriptif est à indiquer. (...) 5. Les dispositions spécifiques relatives à la dénomination de la denrée alimentaire et aux mentions dont celle-ci est assortie sont établies à l'annexe VI ". Aux termes de l'article 1er de ce règlement: " 1. Aux fins du présent règlement, les définitions suivantes s'appliquent : (...) n) "dénomination légale": la dénomination d'une denrée alimentaire prescrite par les dispositions de l'Union qui lui sont applicables ou, en l'absence de telles dispositions, la dénomination prévue par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables dans l'État membre dans lequel la denrée alimentaire est vendue au consommateur final ou aux collectivités; o) "nom usuel": le nom reconnu comme étant la dénomination de la denrée alimentaire par les consommateurs de l'État membre dans lequel celle-ci est vendue, sans que de plus amples explications soient nécessaires p) "nom descriptif": un nom qui décrit la denrée alimentaire et, si nécessaire, son utilisation, et qui est suffisamment clair pour que les consommateurs puissent déterminer sa véritable nature et la distinguer des autres produits avec lesquels elle pourrait être confondue; ". Aux termes de l'annexe VI de ce règlement : " 4. Dans le cas de denrées alimentaires dans lesquelles un composant ou un ingrédient que les consommateurs s'attendent à voir normalement utilisé ou à trouver naturellement présent a été remplacé par un composant ou un ingrédient différent, l'étiquetage porte - outre la liste des ingrédients - une indication précise du composant ou de l'ingrédient utilisé pour la substitution partielle ou totale: a) à proximité immédiate du nom du produit; et b) en utilisant un corps de caractère tel que la hauteur de x soit au moins égale à 75 % de celle du nom du produit et ne soit pas inférieure à la hauteur minimale du corps de caractère prévue à l'article 13, paragraphe 2, du présent règlement. " Aux termes de l'article 38 de ce règlement: " 1. Pour ce qui concerne les questions expressément harmonisées par le présent règlement, les États membres ne peuvent ni adopter ni conserver des mesures nationales, sauf si le droit de l'Union l'autorise. Ces mesures nationales ne peuvent entraver la libre circulation des marchandises, notamment donner lieu à une discrimination à l'encontre de denrées alimentaires provenant d'autres États membres. / 2. (...) Les États membres peuvent adopter des dispositions nationales concernant des questions qui ne sont pas expressément harmonisées par le présent règlement, pour autant que ces mesures n'aient pas pour effet d'interdire, d'entraver ou de restreindre la libre circulation des marchandises qui sont conformes au présent règlement. "
3. Aux termes de l'article L. 412-10 inséré au code de la consommation par la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires: " Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d'origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Un décret fixe la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n'est pas possible. Ce décret définit également les modalités d'application du présent article et les sanctions encourues en cas de manquement ".
4. Le décret du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales a été pris pour l'application des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 412-10 du code de la consommation. Ce décret s'applique, aux termes de son article 1er, " aux denrées alimentaires, fabriquées sur le territoire national, contenant des protéines végétales ". Il prévoit dans son article 2 l'interdiction d'utiliser, pour désigner un produit transformé contenant des protéines végétales : " 1° Une dénomination légale pour laquelle aucun ajout de protéines végétales n'est prévu par les règles définissant la composition de la denrée alimentaire concernée ; 2° Une dénomination faisant référence aux noms des espèces et groupes d'espèces animales, à la morphologie ou à l'anatomie animale ; 3° Une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie ; 4° Une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux ". Il dispose par son article 6 que : " Il est interdit de détenir en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, de mettre en vente, de vendre ou de distribuer à titre gratuit des denrées qui ne répondent pas aux règles fixées dans le présent décret ". Il institue par son article 7 une sanction administrative d'un montant maximal de 1 500 euros pour une personne physique et 7 500 euros pour une personne morale afin de réprimer tout manquement aux dispositions de l'article 6. Il prévoit par son article 8 que : " Les dispositions du présent décret entrent en vigueur le 1er octobre 2022. / Les denrées fabriquées ou étiquetées avant le 1er octobre 2022 et qui sont conformes à la réglementation en vigueur à cette date peuvent être commercialisées jusqu'à épuisement des stocks, et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2023 ". Enfin, il précise par son article 5 que : " Les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou en Turquie, ou légalement fabriqués dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ne sont pas soumis aux exigences du présent décret "
Sur la demande en référé :
5. L'association Protéines France demande la suspension de l'exécution du décret du 29 juin 2022 analysé ci-dessus, pris pour l'application de l'article L. 412-10 du code de la consommation. Eu égard à la teneur de son argumentation et ainsi qu'il a été confirmé par ses représentants au cours de l'audience, elle doit être regardée comme ne formulant cette demande qu'en tant que le décret s'applique à l'utilisation, d'une part, d'une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie et, d'autre part, d'une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux, visées respectivement aux 3° et 4° de l'article 2.
En ce qui concerne l'urgence :
6. L'urgence est de nature à justifier la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
7. Il résulte de l'instruction que l'exécution du décret contesté, qui fait obstacle à l'usage, pour désigner des denrées fabriquées à base de protéines végétales, de termes dorénavant réservés aux denrées à base de protéines animales, imposerait aux membres de l'association requérante de modifier à compter du 1er octobre prochain la dénomination d'un grand nombre de leurs produits, y compris en renonçant à des appellations parfois utilisées de longue date ou installées dans l'esprit des consommateurs. L'association requérante soutient sans être contredite que les adaptations nécessaires à la mise en oeuvre de cette nouvelle réglementation impliquent, pour ses membres, tant des délais matériels incompressibles concernant la modification de leurs emballages et l'ensemble de leurs supports de vente que des démarches commerciales importantes à l'intention de leurs clients pour assurer la pérennité de leur activité. En se bornant à faire valoir l'objectif d'information des consommateurs poursuivi par le décret contesté, alors que celui-ci, pris deux ans après la loi dont il entend assurer l'application, vient modifier des pratiques établies de longue date, l'administration n'établit pas d'urgence s'attachant à un intérêt public imposant l'exécution de la mesure. Eu égard aux conséquences qu'impliquerait dès le 1er octobre l'exécution du décret contesté, elle établit ainsi une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts de ses membres pour justifier l'urgence de sa demande.
En ce qui concerne le moyen de nature à créer un doute sérieux :
8. L'association requérante soutient qu'en se bornant, pour définir les termes dont il interdit l'usage dans la désignation des denrées alimentaires fabriquées à base de protéines végétales, à renvoyer à la " terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie " et à la " dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux ", sans préciser la liste des termes dont il prohibe l'usage ni en détailler davantage les caractéristiques, le décret contesté porte atteinte à la sécurité juridique, à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité, de clarté et d'accessibilité de la norme et au principe de légalité des délits. Elle fait valoir en particulier que les termes prohibés semblent, à la lecture des travaux préparatoires de la loi comme des écritures en défense de l'administration couvrir un très vaste domaine, y compris des appellations parfois établies pour désigner les denrées que commercialisent ses membres, telles " steak de soja ", " saucisse vegan ", " lardons végétaux ", " boulettes végétales "," carpaccio de légumes " ou " caviar vegan ", mais sans que la portée exacte de cette interdiction soit connue exactement. En particulier, elle relève que, si les codes des usages élaborés par les professions de la boucherie et de la charcuterie devaient être regardés comme comportant des informations sur les dénominations désormais prohibées car elle seraient représentatives des usages commerciaux de ces professions, ce qu'indique l'administration en défense, ces codes des usages ne sont pas publics et ne peuvent être acquis qu'à titre onéreux, et avec l'accord de l'organisation qui les élabore, ce qui aurait été refusé à certains de ses membres. L'administration précise en défense que le contenu des codes des usages ne serait qu'une référence non exhaustive pour déterminer la portée de l'interdiction, qui devrait s'apprécier à la lumière de " référentiels commerciaux ", y compris non codifiés, tels que des ouvrages et dictionnaires de gastronomie.
9. Il appartenait au pouvoir réglementaire de définir les modalités d'application de la loi et les sanctions encourues en cas de manquement. Eu égard cependant à l'absence dans le décret contesté de liste exhaustive des dénominations dont, sous peine de sanction administrative, il interdit l'usage ainsi qu'à l'imprécision dans la caractérisation des termes dont l'usage est prohibé, et à l'absence d'accès gratuit pour le public aux codes des usages auxquels l'administration fait référence pour en éclairer la portée, le moyen tiré de ce que le décret ne définirait pas de façon suffisante les obligations auxquelles les personnes concernées sont soumises et les manquements susceptibles de leur être reprochés, et serait dès lors contraire à l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'accessibilité de la norme ainsi qu'au principe de légalité des délits est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret en tant qu'il est contesté par l'association requérante
10. Au surplus, il résulte des dispositions citées ci-dessus de l'article 17 du règlement 1169/2021 que la dénomination d'une denrée alimentaire est, sauf application d'une dénomination légale, prescrite par le droit de l'Union ou prévue par une disposition nationale, son nom usuel ou, à défaut, son nom descriptif, au sens que l'article 1er du règlement donne de ces deux notions. Or, il résulte des échanges au cours de l'audience que certains au moins des termes que le décret, tel qu'interprété par l'administration, entendrait interdire, pourraient correspondre à de tels noms usuels ou, à défaut, noms descriptifs. Dans cette hypothèse, et sauf à ce que le décret soit regardé comme prescrivant une dénomination légale, hypothèse que l'administration a au cours de l'audience écartée, le moyen tiré de la méconnaissance par le décret contesté du règlement 1169/2011 serait également de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.
11. Il résulte de ce qui précède que, les deux conditions prévues par l'article L. 521-1 étant satisfaites, il y a lieu sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, de suspendre l'exécution du décret contesté en tant que, par les 3° et 4° de son article 2, il s'applique à l'utilisation, d'une part, d'une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie et, d'autre part, d'une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à l'association requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution du décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales est suspendue en tant qu'il s'applique à l'utilisation, d'une part, d'une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie et, d'autre part, d'une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux visées respectivement aux 3° et 4° de son article 2.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à l'association Protéines France en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association Protéines France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Fait à Paris, le 27 juillet 2022
Signé : Jean-Philippe Mochon
N° 465844
ECLI:FR:CEORD:2022:465844.20220727
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SAS HANNOTIN AVOCATS, avocats
Lecture du mercredi 27 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 et 22 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Protéines France demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'entrée en vigueur du décret au 1er octobre 2022, dans un calendrier qui ne permet pas matériellement aux entreprises qui fabriquent des denrées alimentaires à base de protéines végétales de modifier les dénominations de leurs produits, porte atteinte à leurs intérêts une atteinte grave et immédiate, alors qu'au surplus l'imprécision du texte ne leur permet pas de s'y adapter correctement et qu'aucun intérêt public ne crée d'urgence à l'appliquer ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- en se bornant à indiquer qu'est interdit et sanctionné l'usage, pour désigner un produit transformé contenant des protéines végétales, d'une part, d'" une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie, et, d'autre part, d'" une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux ", sans préciser les termes précisément visés par cette interdiction, le décret porte atteinte à la sécurité juridique, à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité, de clarté et d'accessibilité de la norme et au principe de légalité des délits ;
- il viole le règlement n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires, en ce qu'il établit des interdictions de dénomination qui ne sont pas justifiées par l'objectif d'information du consommateur, alors que ce point doit être regardé comme expressément harmonisé en application de l'article 38 de ce règlement, et il est également entaché à ce titre d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir ;
- il viole également ce règlement en ce qu'il fait obstacle à l'emploi pour une durée alimentaire de son nom usuel ainsi qu'à la mise en oeuvre par les fabricants de telles denrées de leur obligation de mentionner la dénomination de la denrée ;
- il porte atteinte à la liberté d'entreprise et au droit de propriété, tels que garantis par les articles 16 et 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne en ce qu'il interdit aux fabricants de denrées à base de protéines végétales d'utiliser des marques comportant des termes désormais réservés aux denrées à base de protéines animales ;
- il a été adopté en méconnaissance des obligations de notification préalable résultant du règlement 1169/2011 mentionné plus haut ainsi que de la directive 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information ;
- il porte atteinte à la libre circulation des marchandises, au règlement 1169/2011 et au principe d'égalité en ce qu'il impose l'usage de certaines dénominations pour désigner les denrées alimentaires à base de protéines végétales fabriquées en France tout en prévoyant que les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou en Turquie, ou légalement fabriqués dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ne sont pas soumis à ses exigences ;
- il porte atteinte au principe de sécurité juridique et il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il fixe son entrée en vigueur au 1er octobre 2022 alors que les entreprises concernées ne sont pas en mesure de commercialiser avant cette date des produits conformes à ses exigences.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juillet 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la Première ministre et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son préambule ;
- le traité sur le fonctionnement de l'union européenne ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'union européenne ;
- le règlement n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil ;
- la directive (UE) n° 2015/1535 ;
- le code de la consommation ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Protéines France et, d'autre part la Première ministre, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 22 juillet 2022, à 15 heures :
- Me Hannotin, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Protéines France ;
- les représentants de l'association Protéines France ;
- les représentants du ministre de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur le cadre juridique du litige :
2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires : " 1. La dénomination de la denrée alimentaire est sa dénomination légale. En l'absence d'une telle dénomination, la dénomination de la denrée est son nom usuel. À défaut d'un tel nom ou si celui-ci n'est pas utilisé, un nom descriptif est à indiquer. (...) 5. Les dispositions spécifiques relatives à la dénomination de la denrée alimentaire et aux mentions dont celle-ci est assortie sont établies à l'annexe VI ". Aux termes de l'article 1er de ce règlement: " 1. Aux fins du présent règlement, les définitions suivantes s'appliquent : (...) n) "dénomination légale": la dénomination d'une denrée alimentaire prescrite par les dispositions de l'Union qui lui sont applicables ou, en l'absence de telles dispositions, la dénomination prévue par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables dans l'État membre dans lequel la denrée alimentaire est vendue au consommateur final ou aux collectivités; o) "nom usuel": le nom reconnu comme étant la dénomination de la denrée alimentaire par les consommateurs de l'État membre dans lequel celle-ci est vendue, sans que de plus amples explications soient nécessaires p) "nom descriptif": un nom qui décrit la denrée alimentaire et, si nécessaire, son utilisation, et qui est suffisamment clair pour que les consommateurs puissent déterminer sa véritable nature et la distinguer des autres produits avec lesquels elle pourrait être confondue; ". Aux termes de l'annexe VI de ce règlement : " 4. Dans le cas de denrées alimentaires dans lesquelles un composant ou un ingrédient que les consommateurs s'attendent à voir normalement utilisé ou à trouver naturellement présent a été remplacé par un composant ou un ingrédient différent, l'étiquetage porte - outre la liste des ingrédients - une indication précise du composant ou de l'ingrédient utilisé pour la substitution partielle ou totale: a) à proximité immédiate du nom du produit; et b) en utilisant un corps de caractère tel que la hauteur de x soit au moins égale à 75 % de celle du nom du produit et ne soit pas inférieure à la hauteur minimale du corps de caractère prévue à l'article 13, paragraphe 2, du présent règlement. " Aux termes de l'article 38 de ce règlement: " 1. Pour ce qui concerne les questions expressément harmonisées par le présent règlement, les États membres ne peuvent ni adopter ni conserver des mesures nationales, sauf si le droit de l'Union l'autorise. Ces mesures nationales ne peuvent entraver la libre circulation des marchandises, notamment donner lieu à une discrimination à l'encontre de denrées alimentaires provenant d'autres États membres. / 2. (...) Les États membres peuvent adopter des dispositions nationales concernant des questions qui ne sont pas expressément harmonisées par le présent règlement, pour autant que ces mesures n'aient pas pour effet d'interdire, d'entraver ou de restreindre la libre circulation des marchandises qui sont conformes au présent règlement. "
3. Aux termes de l'article L. 412-10 inséré au code de la consommation par la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires: " Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d'origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Un décret fixe la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n'est pas possible. Ce décret définit également les modalités d'application du présent article et les sanctions encourues en cas de manquement ".
4. Le décret du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales a été pris pour l'application des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 412-10 du code de la consommation. Ce décret s'applique, aux termes de son article 1er, " aux denrées alimentaires, fabriquées sur le territoire national, contenant des protéines végétales ". Il prévoit dans son article 2 l'interdiction d'utiliser, pour désigner un produit transformé contenant des protéines végétales : " 1° Une dénomination légale pour laquelle aucun ajout de protéines végétales n'est prévu par les règles définissant la composition de la denrée alimentaire concernée ; 2° Une dénomination faisant référence aux noms des espèces et groupes d'espèces animales, à la morphologie ou à l'anatomie animale ; 3° Une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie ; 4° Une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux ". Il dispose par son article 6 que : " Il est interdit de détenir en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, de mettre en vente, de vendre ou de distribuer à titre gratuit des denrées qui ne répondent pas aux règles fixées dans le présent décret ". Il institue par son article 7 une sanction administrative d'un montant maximal de 1 500 euros pour une personne physique et 7 500 euros pour une personne morale afin de réprimer tout manquement aux dispositions de l'article 6. Il prévoit par son article 8 que : " Les dispositions du présent décret entrent en vigueur le 1er octobre 2022. / Les denrées fabriquées ou étiquetées avant le 1er octobre 2022 et qui sont conformes à la réglementation en vigueur à cette date peuvent être commercialisées jusqu'à épuisement des stocks, et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2023 ". Enfin, il précise par son article 5 que : " Les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou en Turquie, ou légalement fabriqués dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ne sont pas soumis aux exigences du présent décret "
Sur la demande en référé :
5. L'association Protéines France demande la suspension de l'exécution du décret du 29 juin 2022 analysé ci-dessus, pris pour l'application de l'article L. 412-10 du code de la consommation. Eu égard à la teneur de son argumentation et ainsi qu'il a été confirmé par ses représentants au cours de l'audience, elle doit être regardée comme ne formulant cette demande qu'en tant que le décret s'applique à l'utilisation, d'une part, d'une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie et, d'autre part, d'une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux, visées respectivement aux 3° et 4° de l'article 2.
En ce qui concerne l'urgence :
6. L'urgence est de nature à justifier la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
7. Il résulte de l'instruction que l'exécution du décret contesté, qui fait obstacle à l'usage, pour désigner des denrées fabriquées à base de protéines végétales, de termes dorénavant réservés aux denrées à base de protéines animales, imposerait aux membres de l'association requérante de modifier à compter du 1er octobre prochain la dénomination d'un grand nombre de leurs produits, y compris en renonçant à des appellations parfois utilisées de longue date ou installées dans l'esprit des consommateurs. L'association requérante soutient sans être contredite que les adaptations nécessaires à la mise en oeuvre de cette nouvelle réglementation impliquent, pour ses membres, tant des délais matériels incompressibles concernant la modification de leurs emballages et l'ensemble de leurs supports de vente que des démarches commerciales importantes à l'intention de leurs clients pour assurer la pérennité de leur activité. En se bornant à faire valoir l'objectif d'information des consommateurs poursuivi par le décret contesté, alors que celui-ci, pris deux ans après la loi dont il entend assurer l'application, vient modifier des pratiques établies de longue date, l'administration n'établit pas d'urgence s'attachant à un intérêt public imposant l'exécution de la mesure. Eu égard aux conséquences qu'impliquerait dès le 1er octobre l'exécution du décret contesté, elle établit ainsi une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts de ses membres pour justifier l'urgence de sa demande.
En ce qui concerne le moyen de nature à créer un doute sérieux :
8. L'association requérante soutient qu'en se bornant, pour définir les termes dont il interdit l'usage dans la désignation des denrées alimentaires fabriquées à base de protéines végétales, à renvoyer à la " terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie " et à la " dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux ", sans préciser la liste des termes dont il prohibe l'usage ni en détailler davantage les caractéristiques, le décret contesté porte atteinte à la sécurité juridique, à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité, de clarté et d'accessibilité de la norme et au principe de légalité des délits. Elle fait valoir en particulier que les termes prohibés semblent, à la lecture des travaux préparatoires de la loi comme des écritures en défense de l'administration couvrir un très vaste domaine, y compris des appellations parfois établies pour désigner les denrées que commercialisent ses membres, telles " steak de soja ", " saucisse vegan ", " lardons végétaux ", " boulettes végétales "," carpaccio de légumes " ou " caviar vegan ", mais sans que la portée exacte de cette interdiction soit connue exactement. En particulier, elle relève que, si les codes des usages élaborés par les professions de la boucherie et de la charcuterie devaient être regardés comme comportant des informations sur les dénominations désormais prohibées car elle seraient représentatives des usages commerciaux de ces professions, ce qu'indique l'administration en défense, ces codes des usages ne sont pas publics et ne peuvent être acquis qu'à titre onéreux, et avec l'accord de l'organisation qui les élabore, ce qui aurait été refusé à certains de ses membres. L'administration précise en défense que le contenu des codes des usages ne serait qu'une référence non exhaustive pour déterminer la portée de l'interdiction, qui devrait s'apprécier à la lumière de " référentiels commerciaux ", y compris non codifiés, tels que des ouvrages et dictionnaires de gastronomie.
9. Il appartenait au pouvoir réglementaire de définir les modalités d'application de la loi et les sanctions encourues en cas de manquement. Eu égard cependant à l'absence dans le décret contesté de liste exhaustive des dénominations dont, sous peine de sanction administrative, il interdit l'usage ainsi qu'à l'imprécision dans la caractérisation des termes dont l'usage est prohibé, et à l'absence d'accès gratuit pour le public aux codes des usages auxquels l'administration fait référence pour en éclairer la portée, le moyen tiré de ce que le décret ne définirait pas de façon suffisante les obligations auxquelles les personnes concernées sont soumises et les manquements susceptibles de leur être reprochés, et serait dès lors contraire à l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'accessibilité de la norme ainsi qu'au principe de légalité des délits est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret en tant qu'il est contesté par l'association requérante
10. Au surplus, il résulte des dispositions citées ci-dessus de l'article 17 du règlement 1169/2021 que la dénomination d'une denrée alimentaire est, sauf application d'une dénomination légale, prescrite par le droit de l'Union ou prévue par une disposition nationale, son nom usuel ou, à défaut, son nom descriptif, au sens que l'article 1er du règlement donne de ces deux notions. Or, il résulte des échanges au cours de l'audience que certains au moins des termes que le décret, tel qu'interprété par l'administration, entendrait interdire, pourraient correspondre à de tels noms usuels ou, à défaut, noms descriptifs. Dans cette hypothèse, et sauf à ce que le décret soit regardé comme prescrivant une dénomination légale, hypothèse que l'administration a au cours de l'audience écartée, le moyen tiré de la méconnaissance par le décret contesté du règlement 1169/2011 serait également de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.
11. Il résulte de ce qui précède que, les deux conditions prévues par l'article L. 521-1 étant satisfaites, il y a lieu sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, de suspendre l'exécution du décret contesté en tant que, par les 3° et 4° de son article 2, il s'applique à l'utilisation, d'une part, d'une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie et, d'autre part, d'une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à l'association requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution du décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales est suspendue en tant qu'il s'applique à l'utilisation, d'une part, d'une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie et, d'autre part, d'une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux visées respectivement aux 3° et 4° de son article 2.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à l'association Protéines France en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association Protéines France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Fait à Paris, le 27 juillet 2022
Signé : Jean-Philippe Mochon