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Ariane Web: Conseil d'État 457398, lecture du 27 juillet 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:457398.20220727

Décision n° 457398
27 juillet 2022
Conseil d'État

N° 457398
ECLI:FR:CECHR:2022:457398.20220727
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Pauline Hot, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public


Lecture du mercredi 27 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 11 octobre 2021 et le 7 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Respire, l'association Ras-le-Scoot et l'association Paris sans voiture demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1062 du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur, en tant qu'il fixe au 1er janvier 2023 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L et en tant qu'il prévoit, à son article 8, un dispositif d'application par paliers courant jusqu'à 2026 ;

2°) d'enjoindre à l'Etat de prendre toutes mesures nécessaires afin de garantir la mise en place du contrôle technique des véhicules de catégorie L au 1er janvier 2022, sous astreinte définitive d'un million d'euros par mois de retard à compter du 1er janvier 2022 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement européen (UE) n°168/2013 du Parlement européen et du Conseil du 15 janvier 2013 ;
- la directive 2014/45/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au contrôle technique périodique des véhicules à moteur et de leurs remorques ;
- le code de la route ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 juillet 2022, présentée par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;



Considérant ce qui suit :

1. Le décret du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur soumet l'ensemble des véhicules en circulation à une obligation de contrôle technique périodique à compter du 1er janvier 2023, et définit les conditions de mise en oeuvre de cette mesure, notamment les modalités d'échelonnement des contrôles à compter de cette même date, les conditions d'exercice de l'activité de contrôle par des centres spécifiquement agréés à cet effet, et les obligations qui leur incombent. Les associations requérantes demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret en tant qu'il fixe au 1er janvier 2023 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L et en tant qu'il prévoit, à son article 8, un dispositif d'application par paliers successifs courant jusqu'à 2026.

Sur l'intervention:

2. La Ligue contre la violence routière justifie d'un intérêt à l'annulation des dispositions du décret attaqué. Ainsi, son intervention est recevable.

Sur la légalité du décret attaqué :

3. Aux termes de son article 1er, la directive du 3 avril 2014 du Parlement européen et du Conseil " établit les exigences minimales pour un dispositif de contrôle technique périodique des véhicules utilisés sur la voie publique ", l'article 4 précisant que : " Chaque État membre veille à ce que les véhicules immatriculés sur son territoire soient périodiquement contrôlés conformément à la présente directive par les centres de contrôle autorisés par l'État membre où ces véhicules sont immatriculés ". Aux termes de l'article 2 de la directive : " 1. La présente directive s'applique aux véhicules dont la vitesse par construction est supérieure à 25 km/h et appartenant aux catégories suivantes, telles que visées par les directives 2002/24/CE, 2003/37/CE et 2007/46/CE: (...) à compter du 1er janvier 2022, véhicules à deux ou trois roues - véhicules des catégories et sous-catégories L3e, L4e, L5e et L7e, de cylindrée supérieure à 125 cm3 ; (...) 2. Les États membres peuvent exclure de l'application de la présente directive les véhicules suivants, immatriculés sur leur territoire: (...) véhicules de catégories L3e, L4e, L5e et L7e, de cylindrée supérieure à 125 cm3, lorsque l'État membre a mis en place des mesures alternatives de sécurité routière pour les véhicules à deux ou trois roues, en tenant notamment compte des statistiques pertinentes en matière de sécurité routière pour les cinq dernières années. Les États membres communiquent ces exemptions à la Commission ".

4. Il résulte de ces dispositions que la directive 2014/45 du Parlement européen et du Conseil conduit les Etats-membres soit à devoir imposer les véhicules à deux roues relevant des catégories à un dispositif de contrôle technique périodique, lequel doit alors être applicable à compter du 1er janvier 2022, soit, s'ils choisissent la voie de l'exclusion de ces catégories de véhicules du champ du contrôle technique obligatoire, de justifier de la mise en place de mesures alternatives de sécurité routière qui doivent alors tenir notamment compte des statistiques pertinentes de sécurité routière. Si l'Etat membre opte pour cette deuxième solution, il doit alors communiquer les exemptions retenues à la Commission européenne. L'article 6 du décret du 9 août 2021 introduit dans le code de la route un nouvel article R. 323-27 ainsi rédigé : "A compter du 1er janvier 2023, les véhicules motorisés à deux ou trois roues et les quadricycles à moteur font l'objet : / " 1° D'un contrôle technique dans les six mois précédant l'expiration d'un délai de quatre ans à compter de la date de leur première mise en circulation ; / " 2° Postérieurement à ce contrôle, d'un contrôle technique périodique, renouvelé tous les deux ans ; / " 3° Avant toute mutation intervenant au-delà du délai de quatre ans prévu au 1° ci-dessus, d'un contrôle technique, dont sont toutefois dispensés les véhicules ayant subi un contrôle technique dans les six mois précédant la date de demande d'établissement du nouveau certificat d'immatriculation ; / " 4° Pour les véhicules de collection, le délai entre deux contrôles techniques est porté à cinq ans à l'exception des cas de mutation. ". L'article 8 du décret attaqué dispose pour sa part : " Les véhicules motorisés à deux ou trois roues et les quadricycles à moteur immatriculés avant le 1er janvier 2023 font l'objet d'un contrôle technique obligatoire selon le calendrier suivant : / - le premier contrôle des véhicules immatriculés avant le 1er janvier 2016 est réalisé en 2023 ; / - le premier contrôle des véhicules immatriculés entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2020 est réalisé en 2024 ; / - le premier contrôle des véhicules immatriculés entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2021 est réalisé en 2025 ;- le premier contrôle des véhicules immatriculés entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2022 est réalisé en 2026. / Ce contrôle est à réaliser, au plus tard, dans les quatre mois qui suivent la date anniversaire de leur première mise en circulation, dans la limite du 31 décembre de l'année prévue. Enfin, aux termes de l'article 9 du décret attaqué : " Les dispositions du présent décret entrent en vigueur le 1er janvier 2022 à l'exception des dispositions des articles 6 et 8 qui entrent en vigueur le 1er janvier 2023 ".

5. Il résulte de ce qui précède que les dispositions des articles 6, 8 et 9 du décret du 9 août 2021, qui conduisent à différer l'application du contrôle technique des deux roues motorisés au 1er janvier 2023 et à l'échelonner jusqu'à 2026, méconnaissent l'échéance du 1er janvier 2022 fixée par la directive 2014/45 du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 à compter de laquelle le contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et les quadricycles à moteur est obligatoire, alors qu'aucun motif impérieux ne justifie un délai pour la mise en conformité complète du droit français avec le droit de l'Union européenne. Si la ministre de la transition écologique se prévaut de la notification, adressée par le gouvernement français à la Commission européenne le 3 décembre 2021 de mesures alternatives de sécurité routière qui auraient été mises en place, cette circonstance postérieure au décret attaqué ne procède en tout état de cause pas de l'option de mise en place du contrôle technique pour les véhicules à deux roues motorisés retenue par le gouvernement dans le décret attaqué, distincte de la possibilité, par ailleurs ouverte par la directive, de définir des mesures alternatives de sécurité routière, lesquelles doivent alors tenir notamment compte des statistiques pertinentes de sécurité routière. Par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, l'association Respire et autres sont fondées à demander l'annulation des articles 6 et 9 de ce décret en tant qu'ils reportent au-delà du 1er janvier 2022, l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3, ainsi que par voie de conséquence de son article 8.

Sur la modulation dans le temps des effets de la décision d'annulation :

6. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation, ou, lorsqu'il a décidé de surseoir à statuer sur cette question, dans sa décision relative aux effets de cette annulation, que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine. S'agissant d'une annulation résultant d'une méconnaissance du droit de l'Union européenne, cette faculté ne peut être utilisée qu'à titre exceptionnel et en présence d'une nécessité impérieuse.

7. En l'espèce, le moyen accueilli au point 5 de la présente décision est tiré de la violation du droit de l'Union. Si la ministre de la transition écologique fait valoir que la mise en place du dispositif du contrôle technique implique nécessairement de différer dans le temps les effets d'une éventuelle annulation, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'effet rétroactif de l'annulation des dispositions litigieuses se heurterait à une considération impérieuse de nature à justifier de déroger au principe de l'effet rétroactif d'une annulation contentieuse qui résulte de la méconnaissance du droit de l'Union européenne. Les conclusions tendant à ce que les effets de l'annulation soient modulés dans le temps doivent donc être rejetées.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

8. L'annulation prononcée au point 5 n'impliquant pas l'édiction de mesures d'exécution au sens des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions aux fins d'injonction des requérantes.

Sur les frais irrépétibles :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros qui sera versée respectivement à chacune des associations requérantes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Ligue contre la violence routière est admise.
Article 2 : Les articles 6 et 9 du décret du 9 août 2021 sont annulés en tant qu'ils reportent au-delà du 1er janvier 2022 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3, ainsi que son article 8.
Article 3 : L'Etat versera à chacune des associations requérantes une somme de 1000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association Respire, l'association Ras-le-Scoot, l'association Paris sans voiture, la Ligue contre la violence routière, à la Première ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 juin 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillers d'Etat et Mme Pauline Hot, auditrice-rapporteure.

Rendu le 27 juillet 2022.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :
Signé : Mme Pauline Hot

La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain