Conseil d'État
N° 454403
ECLI:FR:CECHR:2022:454403.20220512
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Manon Chonavel, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
SARL LE PRADO - GILBERT ; SCP CAPRON, avocats
Lecture du jeudi 12 mai 2022
Vu la procédure suivante :
L'association tutélaire du Pas-de-Calais (ATPC), agissant en qualité de tutrice de Mme B... C..., veuve A..., majeure protégée, a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 5 février 2019, confirmée le 3 juin 2019 sur son recours administratif préalable, par laquelle le président du conseil départemental du Pas-de-Calais a refusé à Mme A... le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement aux personnes âgées, sollicité à compter du 28 février 2018. Par un jugement n° 1906795 du 12 mai 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 juillet et 7 octobre 2021, l'association tutélaire du Pas-de-Calais demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge du département du Pas-de-Calais la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,
- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Capron, avocat de l'association tutélaire du Pas-de-Calais et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du département du Pas-de-Calais ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C..., veuve A..., a été admise au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " les Glycines ", à Liévin, le 28 février 2018 et qu'en sa qualité de tutrice de l'intéressée, l'association tutélaire du Pas-de-Calais (ATPC) a sollicité le bénéfice de l'aide sociale pour la prise en charge de ses frais d'hébergement dans cet établissement le 8 mars 2018. Par une décision du 5 février 2019, confirmée sur recours préalable le 3 juin 2019, le président du conseil départemental du Pas-de-Calais a décidé de ne pas accorder à Mme A... la prise en charge de ses frais d'hébergement, compte tenu de ses ressources et de l'aide possible de ses obligés alimentaires. L'association tutélaire du Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler cette décision et d'accorder à Mme A... le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement pour la période ayant couru entre son entrée dans l'établissement, le 28 février 2018, et la saisine, à compter du 27 novembre 2018, du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Béthune afin qu'il assigne le montant de sa participation à chacun des obligés alimentaires attraits à la procédure par l'association. Par un jugement du 12 mai 2021 contre lequel l'association tutélaire du Pas-de-Calais se pourvoit en cassation, le tribunal administratif a rejeté cette demande.
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes tenues à l'obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil sont, à l'occasion de toute demande d'aide sociale, invitées à indiquer l'aide qu'elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais. / (...) La proportion de l'aide consentie par les collectivités publiques est fixée en tenant compte du montant de la participation éventuelle des personnes restant tenues à l'obligation alimentaire. La décision peut être révisée sur production par le bénéficiaire de l'aide sociale d'une décision judiciaire rejetant sa demande d'aliments ou limitant l'obligation alimentaire à une somme inférieure à celle qui avait été envisagée par l'organisme d'admission. La décision fait également l'objet d'une révision lorsque les débiteurs d'aliments ont été condamnés à verser des arrérages supérieurs à ceux qu'elle avait prévus ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 132-7 du même code : " En cas de carence de l'intéressé, le représentant de l'Etat ou le président du conseil départemental peut demander en son lieu et place à l'autorité judiciaire la fixation de la dette alimentaire et le versement de son montant, selon le cas, à l'Etat ou au département qui le reverse au bénéficiaire, augmenté le cas échéant de la quote-part de l'aide sociale ". Cette action, exercée par le représentant de l'Etat ou le président du conseil départemental, au besoin à titre conservatoire, aux lieu et place du créancier en cas de carence de celui-ci vis-à-vis des personnes tenues à l'obligation alimentaire à son égard sur le fondement des articles 205 et suivants du code civil, emprunte tous ses caractères à l'action alimentaire. Enfin, sauf si le demandeur prouve son état de besoin et établit qu'il n'est pas resté inactif ou qu'il a été dans l'impossibilité d'agir, il résulte de l'article 208 du code civil en vertu duquel " les aliments ne sont accordés que dans la proportion de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit " que le juge civil n'impose, le cas échéant, le versement d'une pension par le créancier d'aliments que pour la période postérieure à la demande en justice.
4. Il résulte de ces dispositions et des articles L. 134-1 et L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles que le juge administratif, à qui il appartient de déterminer dans quelle mesure les frais d'hébergement dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes sont pris en charge par les collectivités publiques au titre de l'aide sociale, est compétent pour fixer, au préalable, le montant de la participation aux dépenses laissée à la charge du bénéficiaire de l'aide sociale et, le cas échéant, de ses débiteurs alimentaires. En revanche, il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire d'assigner à chacune des personnes tenues à l'obligation alimentaire le montant et la date d'exigibilité de leur participation à ces dépenses ou, le cas échéant, de décharger le débiteur de tout ou partie de la dette alimentaire lorsque le créancier a manqué gravement à ses obligations envers celui-ci. Dans le cas où cette autorité a, par une décision devenue définitive, statué avant que le juge administratif ne se prononce sur le montant de la participation des obligés alimentaires, ce dernier est lié par la décision de l'autorité judiciaire. S'agissant de la période antérieure à la date à laquelle la décision de l'autorité judiciaire contraint les obligés alimentaires à verser une participation, il revient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, de s'assurer qu'il ne résulte pas manifestement des circonstances de fait existant à la date à laquelle il statue que la contribution postulée par le département n'a pas été ou ne sera pas versée spontanément par les obligés alimentaires.
5. Pour juger que Mme A... n'avait pas droit à l'aide sociale à l'hébergement des personnes âgées, le tribunal administratif a relevé que, par un jugement du 22 octobre 2019 passé en force de chose jugée, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Béthune avait, en réponse aux assignations de onze de ses obligés alimentaires par l'association tutélaire du Pas-de-Calais les 27 et 28 novembre 2018, 3, 4 et 5 décembre 2018 et 23 et 24 janvier 2019, fixé le montant de l'obligation alimentaire à la somme mensuelle, suffisant à couvrir les besoins de Mme A..., de 969 euros, répartie entre eux à compter de leur assignation. En se fondant sur cette circonstance au titre des éléments de fait dont il lui appartenait de tenir compte, pour la période antérieure à l'assignation, comme d'ailleurs des autres éléments pouvant résulter de ce jugement et des autres circonstances de fait pouvant résulter de l'instruction à la date de sa propre décision, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit. Il n'a pas non plus commis d'erreur de droit en écartant comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 132-7 du code de l'action sociale et des familles, lequel ne trouve à s'appliquer, ainsi qu'il l'a jugé, que lorsque la carence du créancier alimentaire conduit l'Etat ou le département à exercer l'action alimentaire aux lieu et place de celui-ci.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 132-3 du code l'action sociale et des familles : " Les ressources de quelque nature qu'elles soient, à l'exception des prestations familiales, dont sont bénéficiaires les personnes placées dans un établissement au titre de l'aide aux personnes âgées ou de l'aide aux personnes handicapées, sont affectées au remboursement de leurs frais d'hébergement et d'entretien dans la limite de 90 %. Toutefois les modalités de calcul de la somme mensuelle minimum laissée à la disposition du bénéficiaire de l'aide sociale sont déterminées par décret. (...) ". L'article R. 231-6 du même code dispose que : " La somme minimale laissée mensuellement à la disposition des personnes placées dans un établissement au titre de l'aide sociale aux personnes âgées, par application des dispositions des articles L. 132-3 et L. 132-4 est fixée, lorsque l'accueil comporte l'entretien, à un centième du montant annuel des prestations minimales de vieillesse, arrondi à l'euro le plus proche. Dans le cas contraire, l'arrêté fixant le prix de journée de l'établissement détermine la somme au-delà de laquelle est opéré le prélèvement de 90 % prévu audit article L. 132-3. Cette somme ne peut être inférieure au montant des prestations minimales de vieillesse. "
7. Il résulte de ces dispositions que les personnes âgées hébergées en établissement et prises en charge au titre de l'aide sociale doivent pouvoir disposer librement de 10 % de leurs ressources et que la somme ainsi laissée à leur disposition ne peut être inférieure à 1 % du montant annuel des prestations minimales de vieillesse. Ces dispositions doivent être interprétées comme devant permettre à ces personnes de subvenir aux dépenses qui sont mises à leur charge par la loi et sont exclusives de tout choix de gestion. Il suit de là que la contribution de 90 % prévue à l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles doit être appliquée sur une assiette de ressources diminuée de ces dépenses.
8. A ce titre, la participation au financement des mesures exercées par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et ordonnées par l'autorité judiciaire au titre du mandat spécial auquel il peut être recouru dans le cadre de la sauvegarde de justice ou au titre de la curatelle, de la tutelle ou de la mesure d'accompagnement judiciaire prévue par l'article L. 471-5 du code de l'action sociale et des familles et déterminée en fonction des ressources de l'intéressé selon les modalités définies aux articles R. 471-5 et suivants du code de l'action sociale et des familles doit être regardée, ainsi que le soutient l'association requérante, comme une dépense mise à la charge du bénéficiaire de la mesure par la loi et exclusive de tout choix de gestion. Toutefois, il ne ressort pas des énonciations du jugement attaqué que le tribunal aurait omis de déduire les dépenses mises à sa charge par la loi et exclusives de tout choix de gestion exposées par Mme A... de l'assiette de ressources à laquelle la contribution de 90 % prévue à l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles devait être appliquée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'association tutélaire du Pas-de-Calais n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association tutélaire du Pas-de-Calais le versement d'une somme au département du Pas-de-Calais au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du département du Pas-de-Calais, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de l'association tutélaire du Pas-de-Calais est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par le département du Pas-de-Calais au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association tutélaire du Pas-de-Calais, agissant en qualité de tutrice de Mme B... C..., veuve A..., et au département du Pas-de-Calais.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 avril 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, Mme Carine Soulay, Mme Fabienne Lambolez, M. Jean-Luc Nevache, conseillers d'Etat ; Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes et Mme Manon Chonavel, auditrice-rapporteure.
Rendu le 12 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Manon Chonavel
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber
N° 454403
ECLI:FR:CECHR:2022:454403.20220512
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Manon Chonavel, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
SARL LE PRADO - GILBERT ; SCP CAPRON, avocats
Lecture du jeudi 12 mai 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
L'association tutélaire du Pas-de-Calais (ATPC), agissant en qualité de tutrice de Mme B... C..., veuve A..., majeure protégée, a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 5 février 2019, confirmée le 3 juin 2019 sur son recours administratif préalable, par laquelle le président du conseil départemental du Pas-de-Calais a refusé à Mme A... le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement aux personnes âgées, sollicité à compter du 28 février 2018. Par un jugement n° 1906795 du 12 mai 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 juillet et 7 octobre 2021, l'association tutélaire du Pas-de-Calais demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge du département du Pas-de-Calais la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,
- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Capron, avocat de l'association tutélaire du Pas-de-Calais et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du département du Pas-de-Calais ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C..., veuve A..., a été admise au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " les Glycines ", à Liévin, le 28 février 2018 et qu'en sa qualité de tutrice de l'intéressée, l'association tutélaire du Pas-de-Calais (ATPC) a sollicité le bénéfice de l'aide sociale pour la prise en charge de ses frais d'hébergement dans cet établissement le 8 mars 2018. Par une décision du 5 février 2019, confirmée sur recours préalable le 3 juin 2019, le président du conseil départemental du Pas-de-Calais a décidé de ne pas accorder à Mme A... la prise en charge de ses frais d'hébergement, compte tenu de ses ressources et de l'aide possible de ses obligés alimentaires. L'association tutélaire du Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler cette décision et d'accorder à Mme A... le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement pour la période ayant couru entre son entrée dans l'établissement, le 28 février 2018, et la saisine, à compter du 27 novembre 2018, du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Béthune afin qu'il assigne le montant de sa participation à chacun des obligés alimentaires attraits à la procédure par l'association. Par un jugement du 12 mai 2021 contre lequel l'association tutélaire du Pas-de-Calais se pourvoit en cassation, le tribunal administratif a rejeté cette demande.
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes tenues à l'obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil sont, à l'occasion de toute demande d'aide sociale, invitées à indiquer l'aide qu'elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais. / (...) La proportion de l'aide consentie par les collectivités publiques est fixée en tenant compte du montant de la participation éventuelle des personnes restant tenues à l'obligation alimentaire. La décision peut être révisée sur production par le bénéficiaire de l'aide sociale d'une décision judiciaire rejetant sa demande d'aliments ou limitant l'obligation alimentaire à une somme inférieure à celle qui avait été envisagée par l'organisme d'admission. La décision fait également l'objet d'une révision lorsque les débiteurs d'aliments ont été condamnés à verser des arrérages supérieurs à ceux qu'elle avait prévus ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 132-7 du même code : " En cas de carence de l'intéressé, le représentant de l'Etat ou le président du conseil départemental peut demander en son lieu et place à l'autorité judiciaire la fixation de la dette alimentaire et le versement de son montant, selon le cas, à l'Etat ou au département qui le reverse au bénéficiaire, augmenté le cas échéant de la quote-part de l'aide sociale ". Cette action, exercée par le représentant de l'Etat ou le président du conseil départemental, au besoin à titre conservatoire, aux lieu et place du créancier en cas de carence de celui-ci vis-à-vis des personnes tenues à l'obligation alimentaire à son égard sur le fondement des articles 205 et suivants du code civil, emprunte tous ses caractères à l'action alimentaire. Enfin, sauf si le demandeur prouve son état de besoin et établit qu'il n'est pas resté inactif ou qu'il a été dans l'impossibilité d'agir, il résulte de l'article 208 du code civil en vertu duquel " les aliments ne sont accordés que dans la proportion de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit " que le juge civil n'impose, le cas échéant, le versement d'une pension par le créancier d'aliments que pour la période postérieure à la demande en justice.
4. Il résulte de ces dispositions et des articles L. 134-1 et L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles que le juge administratif, à qui il appartient de déterminer dans quelle mesure les frais d'hébergement dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes sont pris en charge par les collectivités publiques au titre de l'aide sociale, est compétent pour fixer, au préalable, le montant de la participation aux dépenses laissée à la charge du bénéficiaire de l'aide sociale et, le cas échéant, de ses débiteurs alimentaires. En revanche, il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire d'assigner à chacune des personnes tenues à l'obligation alimentaire le montant et la date d'exigibilité de leur participation à ces dépenses ou, le cas échéant, de décharger le débiteur de tout ou partie de la dette alimentaire lorsque le créancier a manqué gravement à ses obligations envers celui-ci. Dans le cas où cette autorité a, par une décision devenue définitive, statué avant que le juge administratif ne se prononce sur le montant de la participation des obligés alimentaires, ce dernier est lié par la décision de l'autorité judiciaire. S'agissant de la période antérieure à la date à laquelle la décision de l'autorité judiciaire contraint les obligés alimentaires à verser une participation, il revient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, de s'assurer qu'il ne résulte pas manifestement des circonstances de fait existant à la date à laquelle il statue que la contribution postulée par le département n'a pas été ou ne sera pas versée spontanément par les obligés alimentaires.
5. Pour juger que Mme A... n'avait pas droit à l'aide sociale à l'hébergement des personnes âgées, le tribunal administratif a relevé que, par un jugement du 22 octobre 2019 passé en force de chose jugée, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Béthune avait, en réponse aux assignations de onze de ses obligés alimentaires par l'association tutélaire du Pas-de-Calais les 27 et 28 novembre 2018, 3, 4 et 5 décembre 2018 et 23 et 24 janvier 2019, fixé le montant de l'obligation alimentaire à la somme mensuelle, suffisant à couvrir les besoins de Mme A..., de 969 euros, répartie entre eux à compter de leur assignation. En se fondant sur cette circonstance au titre des éléments de fait dont il lui appartenait de tenir compte, pour la période antérieure à l'assignation, comme d'ailleurs des autres éléments pouvant résulter de ce jugement et des autres circonstances de fait pouvant résulter de l'instruction à la date de sa propre décision, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit. Il n'a pas non plus commis d'erreur de droit en écartant comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 132-7 du code de l'action sociale et des familles, lequel ne trouve à s'appliquer, ainsi qu'il l'a jugé, que lorsque la carence du créancier alimentaire conduit l'Etat ou le département à exercer l'action alimentaire aux lieu et place de celui-ci.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 132-3 du code l'action sociale et des familles : " Les ressources de quelque nature qu'elles soient, à l'exception des prestations familiales, dont sont bénéficiaires les personnes placées dans un établissement au titre de l'aide aux personnes âgées ou de l'aide aux personnes handicapées, sont affectées au remboursement de leurs frais d'hébergement et d'entretien dans la limite de 90 %. Toutefois les modalités de calcul de la somme mensuelle minimum laissée à la disposition du bénéficiaire de l'aide sociale sont déterminées par décret. (...) ". L'article R. 231-6 du même code dispose que : " La somme minimale laissée mensuellement à la disposition des personnes placées dans un établissement au titre de l'aide sociale aux personnes âgées, par application des dispositions des articles L. 132-3 et L. 132-4 est fixée, lorsque l'accueil comporte l'entretien, à un centième du montant annuel des prestations minimales de vieillesse, arrondi à l'euro le plus proche. Dans le cas contraire, l'arrêté fixant le prix de journée de l'établissement détermine la somme au-delà de laquelle est opéré le prélèvement de 90 % prévu audit article L. 132-3. Cette somme ne peut être inférieure au montant des prestations minimales de vieillesse. "
7. Il résulte de ces dispositions que les personnes âgées hébergées en établissement et prises en charge au titre de l'aide sociale doivent pouvoir disposer librement de 10 % de leurs ressources et que la somme ainsi laissée à leur disposition ne peut être inférieure à 1 % du montant annuel des prestations minimales de vieillesse. Ces dispositions doivent être interprétées comme devant permettre à ces personnes de subvenir aux dépenses qui sont mises à leur charge par la loi et sont exclusives de tout choix de gestion. Il suit de là que la contribution de 90 % prévue à l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles doit être appliquée sur une assiette de ressources diminuée de ces dépenses.
8. A ce titre, la participation au financement des mesures exercées par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et ordonnées par l'autorité judiciaire au titre du mandat spécial auquel il peut être recouru dans le cadre de la sauvegarde de justice ou au titre de la curatelle, de la tutelle ou de la mesure d'accompagnement judiciaire prévue par l'article L. 471-5 du code de l'action sociale et des familles et déterminée en fonction des ressources de l'intéressé selon les modalités définies aux articles R. 471-5 et suivants du code de l'action sociale et des familles doit être regardée, ainsi que le soutient l'association requérante, comme une dépense mise à la charge du bénéficiaire de la mesure par la loi et exclusive de tout choix de gestion. Toutefois, il ne ressort pas des énonciations du jugement attaqué que le tribunal aurait omis de déduire les dépenses mises à sa charge par la loi et exclusives de tout choix de gestion exposées par Mme A... de l'assiette de ressources à laquelle la contribution de 90 % prévue à l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles devait être appliquée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'association tutélaire du Pas-de-Calais n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association tutélaire du Pas-de-Calais le versement d'une somme au département du Pas-de-Calais au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du département du Pas-de-Calais, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de l'association tutélaire du Pas-de-Calais est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par le département du Pas-de-Calais au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association tutélaire du Pas-de-Calais, agissant en qualité de tutrice de Mme B... C..., veuve A..., et au département du Pas-de-Calais.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 avril 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, Mme Carine Soulay, Mme Fabienne Lambolez, M. Jean-Luc Nevache, conseillers d'Etat ; Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes et Mme Manon Chonavel, auditrice-rapporteure.
Rendu le 12 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Manon Chonavel
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber