Conseil d'État
N° 442234
ECLI:FR:CECHR:2022:442234.20220419
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Cécile Isidoro, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE, avocats
Lecture du mardi 19 avril 2022
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 442234, la société Gemar Lumitec a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011, ainsi que des intérêts de retard correspondants. Par un jugement n° 1409831 du 14 décembre 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 16VE00568 du 9 mai 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Gemar Lumitec contre ce jugement.
Par une décision n° 412284 du 24 mai 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Versailles.
Par un arrêt n° 19VE01481 du 28 mai 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel de la société Gemar Lumitec.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 juillet, 19 octobre 2020 et 1er juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Gemar Lumitec demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 442236, la société Gemar Lumitec a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 10405738 du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 17NC01926 du 27 septembre 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Gemar Lumitec contre ce jugement.
Par une décision n° 425871 du 1er juillet 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 27 septembre 2018 et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles.
Par un arrêt n° 19VE02396 du 28 mai 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel de la société Gemar Lumitec.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 juillet et 19 octobre 2020 et de 1er avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Gemar Lumitec demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Gemar Lumitec ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité de la société anonyme (SA) Gemar Lumitec, dont le siège social est situé dans le département du Bas-Rhin et qui exerce une activité de négoce de matériel scénique, structures en aluminium et éclairages scéniques, l'administration a, d'une part, sur le fondement de l'article 238 A du code général des impôts, réintégré dans le résultat imposable de cette société, au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011, les sommes versées par cette société en rémunération de services que lui aurait rendus son principal fournisseur, la société Taïwan Georgia Corp. et a, d'autre part, soumis ces sommes, qu'elle a regardées comme constituant des revenus distribués au sens des articles 109 et 110 du même code, à la retenue à la source prévue à l'article 119 bis de ce code. Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, par une décision n° 412284 du 24 avril 2019, annulé l'arrêt du 9 mai 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles avait rejeté l'appel formé par la société contre le jugement du 14 décembre 2015 du tribunal administratif de Montreuil rejetant sa demande de décharge de la retenue à la source, et renvoyé l'affaire à cette cour, et, par une décision n° 425871 du 1er juillet 2019, annulé l'arrêt du 27 septembre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy avait rejeté l'appel formé par la société contre le jugement du 29 juin 2017 du tribunal administratif de Strasbourg rejetant sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011 et des pénalités correspondantes, et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles. La société Gemar Lumitec se pourvoit en cassation contre l'arrêt n° 19VE01481 du 28 mai 2020, par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a de nouveau rejeté son appel contre le jugement du 14 décembre 2015 du tribunal administratif de Versailles, et contre l'arrêt n° 19VE02396 du même jour, par lequel cette cour a rejeté son appel contre le jugement du 29 juin 2017 du tribunal administratif de Strasbourg. Il y a lieu de joindre ces deux pourvois, qui présentent à juger des questions analogues, pour y statuer par une seule décision.
Sur les arrêts en tant qu'ils statuent sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Il résulte de l'ensemble des dispositions du livre des procédures fiscales relatives aux opérations de vérification de comptabilité que celles-ci se déroulent chez le contribuable ou au siège de l'entreprise vérifiée. Toutefois, sur la demande écrite du contribuable, le vérificateur peut emporter, dans les bureaux de l'administration qui en devient ainsi dépositaire, certains documents détenus par l'entreprise présentant le caractère de pièces comptables se rattachant à la période vérifiée. En ce cas, il doit remettre à l'intéressé un reçu détaillé des pièces qui lui sont confiées. Cette pratique ne peut avoir pour effet de priver le contribuable des garanties qu'il tient des dispositions des articles L. 13, L. 47 et L. 52 du livre des procédures fiscales et qui ont, notamment, pour objet de lui assurer des possibilités de débat oral et contradictoire avec l'administration. Cependant, un document établi postérieurement à la période vérifiée et pour les seuls besoins du contrôle ne peut être regardé comme une pièce comptable se rattachant à la période vérifiée dont l'emport, par le vérificateur, sans demande écrite du contribuable et sans remise d'un reçu, serait de nature à vicier la procédure de contrôle.
3. Par une appréciation souveraine des faits de l'espèce exempte de dénaturation, la cour administrative d'appel a relevé que les attestations produites par la société Gemar Lumitec en vue de démontrer la réalité des prestations fournies par la société Taïwan Georgia Corp. avaient été établies postérieurement à la période vérifiée. Il résulte de ce qui précède qu'elle a pu, sans erreur de qualification juridique, en déduire que, quand bien même l'administration avait mentionné ces attestations dans sa proposition de rectification du 13 décembre 2012 comme ne permettant pas d'établir la réalité des prestations de service en litige, elles ne pouvaient être regardées comme des pièces comptables se rattachant à la période vérifiée et dont l'emport, par l'administration, sans demande écrite du contribuable et sans remise d'un reçu, aurait été de nature à vicier la procédure de contrôle.
Sur les arrêts en tant qu'ils statuent sur le bien-fondé des impositions :
4. Aux termes du premier alinéa de l'article 238 A du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " Les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, dépôts et cautionnements, les redevances de cession ou concession de licences d'exploitation, de brevets d'invention, de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication et autres droits analogues ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. " Aux termes du deuxième alinéa du même article, alors applicable : " Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies. " En vertu du dernier alinéa du même article, les dispositions du premier alinéa " s'appliquent également à tout versement effectué sur un compte tenu dans un organisme financier établi dans un des Etats ou territoires " visés au même alinéa.
5. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. " Aux termes de l'article 119 bis du même code : " 1. Les revenus de capitaux mobiliers entrant dans les prévisions des articles 118, 119, 238 septies B et 1678 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par le 1 de l'article 187, lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui ont leur siège en France ou à l'étranger ou qui n'ont pas leur domicile fiscal en France (...) ".
6. En premier lieu, d'une part, pour l'application des dispositions précitées du dernier alinéa de l'article 238 A du code général des impôts, le titulaire d'un compte qui est tenu par un organisme financier et sur lequel des sommes sont versées par un contribuable français, est regardé comme soumis à un régime fiscal privilégié lorsque, dans l'hypothèse où il serait domicilié ou établi dans l'Etat ou le territoire où l'organisme financier est lui-même établi et où il réaliserait depuis cet Etat ou ce territoire l'activité ayant donné lieu au versement, il n'y serait pas imposable ou y serait assujetti à des impôts sur le bénéfice ou sur les revenus dont le montant serait inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont il aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, s'il y avait été domicilié et s'il avait réalisé depuis la France l'activité en cause. D'autre part, pour l'application des mêmes dispositions, la charge de la preuve de ce que le bénéficiaire des rémunérations en cause est soumis à un régime fiscal privilégié incombe à l'administration. Il lui appartient à cet égard d'apporter tous éléments circonstanciés non seulement sur le taux d'imposition, mais sur l'ensemble des modalités selon lesquelles des activités du type de celles qu'exerce le bénéficiaire sont imposées dans le pays où il est domicilié ou établi. Le contribuable peut, de son côté, faire valoir, en réponse à l'administration, tous éléments propres à la situation du bénéficiaire en cause.
7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les sommes versées par la société Gemar Lumitec à la société Taïwan Georgia Corp., dont le siège est à Taïwan, en rémunération, selon elle, de services de contrôle qualité et de mise en relations avec des fournisseurs situés en Asie que cette société lui aurait rendus en application d'un contrat de prestation de services conclu en 2008, ont été versées sur un compte bancaire domicilié à Hong Kong, ouvert au nom de M. A..., directeur de cette société.
8. C'est sans erreur de droit et par une appréciation souveraine des faits non entachée de dénaturation que la cour a jugé que l'administration, pour déterminer l'assiette de l'imposition dont M. A... aurait été redevable en France, d'une part, et à Hong Kong, d'autre part, s'il y avait été imposé au titre de l'activité invoquée pour justifier les sommes versées par la société, avait pu à bon droit, en l'absence de toute indication précise de la part de la société qui se bornait à revendiquer une déduction de charges de 50 % en se prévalant du taux pratiqué dans le cadre du régime des micro-BIC, alors même que ce régime n'aurait pas été applicable compte tenu du montant des sommes en cause en cas d'imposition en France, retenir que, au regard des catégories de charges regardées comme déductibles tant en France qu'à Hong Kong, il convenait de réduire de 10 %, au titre des charges déductibles, le montant des sommes versées par la société sur le compte de M. A....
9. La cour n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que l'administration avait appliqué à bon droit au montant ainsi déterminé, pour calculer l'imposition dont M. A... aurait été redevable à Hong Kong s'il y avait exercé son activité, le taux moyen d'imposition résultant, en fonction de ces sommes, de l'application du barème prévu par le système d'imposition personnalisé en vigueur à Hong Kong.
10. Enfin, c'est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour a relevé que, compte tenu des éléments qui précèdent, même en l'absence de la majoration de 25 % de l'assiette de l'impôt dont M. A... aurait été redevable en France s'il n'avait pas été adhérent d'une association de gestion agréée, initialement retenue par l'administration pour comparer l'imposition dont il aurait été redevable dans les deux pays, les montants d'impôt sur le revenu auxquels, à raison des sommes versées par la société, M. A... aurait été soumis à Hong Kong étaient inférieurs de plus de moitié, pour chacune des trois années en cause, à ceux dont il aurait été redevable en France et qu'elle en a conclu, par un arrêt suffisamment motivé, que l'administration apportait la preuve du caractère privilégié du régime fiscal auquel le bénéficiaire des sommes versées par la société était soumis, au sens de l'article 238 A du code général des impôts.
11. En second lieu, en vertu du premier alinéa de l'article 238 A du code général des impôts, dans le cas où l'administration établit que le bénéficiaire des sommes versées est soumis à un régime fiscal privilégié, il appartient au contribuable d'apporter la preuve que les dépenses en cause correspondent à des opérations réelles et ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.
12. D'une part, contrairement à ce que soutient la société, la cour administrative d'appel de Versailles n'a refusé de tenir compte d'aucun des documents qu'elle produisait pour établir la réalité des prestations de contrôle qualité et de mise en relation avec d'autres fournisseurs situés en Asie justifiant selon elle le versement des sommes litigieuses, notamment le contrat conclu à cette fin en 2008 avec la société Taïwan Georgia Corp., les factures émanant de cette société et les attestations mentionnées au point 3 ci-dessus. D'autre part, c'est par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation qu'elle a jugé que, compte tenu notamment du manque de précision des factures produites et de l'absence de toute pièce attestant de la réalité des contrôles qualité qu'aurait mis en place la société Taïwan Georgia Corp. ou des relations qu'elle aurait établies avec d'autres fournisseurs de la société Gemar Lumitec, ces documents ne suffisaient pas à établir la réalité de ces prestations.
13. Il résulte de ce qui précède que c'est sans erreur de droit ni dénaturation que la cour, par des arrêts suffisamment motivés, a d'une part jugé que c'était à bon droit que l'administration fiscale avait, sur le fondement de l'article 238 A du code général des impôts, remis en cause la déductibilité des sommes versées par la société Gemar Lumitec à la société Taïwan Georgia Corp. au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011, et d'autre part jugé que c'était à bon droit que l'administration fiscale avait regardé ces sommes comme des revenus distribués au sens des articles 109 et 110 du même code et les avait soumises à la retenue à la source en application des articles 109 et 119 bis du même code. Par suite, la société Gemar Lumitec n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêts qu'elle attaque.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les pourvois de la société Gemar Lumitec sont rejetés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Gemar Lumitec et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
N° 442234
ECLI:FR:CECHR:2022:442234.20220419
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Cécile Isidoro, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE, avocats
Lecture du mardi 19 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 442234, la société Gemar Lumitec a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011, ainsi que des intérêts de retard correspondants. Par un jugement n° 1409831 du 14 décembre 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 16VE00568 du 9 mai 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Gemar Lumitec contre ce jugement.
Par une décision n° 412284 du 24 mai 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Versailles.
Par un arrêt n° 19VE01481 du 28 mai 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel de la société Gemar Lumitec.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 juillet, 19 octobre 2020 et 1er juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Gemar Lumitec demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 442236, la société Gemar Lumitec a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 10405738 du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 17NC01926 du 27 septembre 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Gemar Lumitec contre ce jugement.
Par une décision n° 425871 du 1er juillet 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 27 septembre 2018 et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles.
Par un arrêt n° 19VE02396 du 28 mai 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel de la société Gemar Lumitec.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 juillet et 19 octobre 2020 et de 1er avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Gemar Lumitec demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Gemar Lumitec ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité de la société anonyme (SA) Gemar Lumitec, dont le siège social est situé dans le département du Bas-Rhin et qui exerce une activité de négoce de matériel scénique, structures en aluminium et éclairages scéniques, l'administration a, d'une part, sur le fondement de l'article 238 A du code général des impôts, réintégré dans le résultat imposable de cette société, au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011, les sommes versées par cette société en rémunération de services que lui aurait rendus son principal fournisseur, la société Taïwan Georgia Corp. et a, d'autre part, soumis ces sommes, qu'elle a regardées comme constituant des revenus distribués au sens des articles 109 et 110 du même code, à la retenue à la source prévue à l'article 119 bis de ce code. Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, par une décision n° 412284 du 24 avril 2019, annulé l'arrêt du 9 mai 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles avait rejeté l'appel formé par la société contre le jugement du 14 décembre 2015 du tribunal administratif de Montreuil rejetant sa demande de décharge de la retenue à la source, et renvoyé l'affaire à cette cour, et, par une décision n° 425871 du 1er juillet 2019, annulé l'arrêt du 27 septembre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy avait rejeté l'appel formé par la société contre le jugement du 29 juin 2017 du tribunal administratif de Strasbourg rejetant sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011 et des pénalités correspondantes, et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles. La société Gemar Lumitec se pourvoit en cassation contre l'arrêt n° 19VE01481 du 28 mai 2020, par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a de nouveau rejeté son appel contre le jugement du 14 décembre 2015 du tribunal administratif de Versailles, et contre l'arrêt n° 19VE02396 du même jour, par lequel cette cour a rejeté son appel contre le jugement du 29 juin 2017 du tribunal administratif de Strasbourg. Il y a lieu de joindre ces deux pourvois, qui présentent à juger des questions analogues, pour y statuer par une seule décision.
Sur les arrêts en tant qu'ils statuent sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Il résulte de l'ensemble des dispositions du livre des procédures fiscales relatives aux opérations de vérification de comptabilité que celles-ci se déroulent chez le contribuable ou au siège de l'entreprise vérifiée. Toutefois, sur la demande écrite du contribuable, le vérificateur peut emporter, dans les bureaux de l'administration qui en devient ainsi dépositaire, certains documents détenus par l'entreprise présentant le caractère de pièces comptables se rattachant à la période vérifiée. En ce cas, il doit remettre à l'intéressé un reçu détaillé des pièces qui lui sont confiées. Cette pratique ne peut avoir pour effet de priver le contribuable des garanties qu'il tient des dispositions des articles L. 13, L. 47 et L. 52 du livre des procédures fiscales et qui ont, notamment, pour objet de lui assurer des possibilités de débat oral et contradictoire avec l'administration. Cependant, un document établi postérieurement à la période vérifiée et pour les seuls besoins du contrôle ne peut être regardé comme une pièce comptable se rattachant à la période vérifiée dont l'emport, par le vérificateur, sans demande écrite du contribuable et sans remise d'un reçu, serait de nature à vicier la procédure de contrôle.
3. Par une appréciation souveraine des faits de l'espèce exempte de dénaturation, la cour administrative d'appel a relevé que les attestations produites par la société Gemar Lumitec en vue de démontrer la réalité des prestations fournies par la société Taïwan Georgia Corp. avaient été établies postérieurement à la période vérifiée. Il résulte de ce qui précède qu'elle a pu, sans erreur de qualification juridique, en déduire que, quand bien même l'administration avait mentionné ces attestations dans sa proposition de rectification du 13 décembre 2012 comme ne permettant pas d'établir la réalité des prestations de service en litige, elles ne pouvaient être regardées comme des pièces comptables se rattachant à la période vérifiée et dont l'emport, par l'administration, sans demande écrite du contribuable et sans remise d'un reçu, aurait été de nature à vicier la procédure de contrôle.
Sur les arrêts en tant qu'ils statuent sur le bien-fondé des impositions :
4. Aux termes du premier alinéa de l'article 238 A du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " Les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, dépôts et cautionnements, les redevances de cession ou concession de licences d'exploitation, de brevets d'invention, de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication et autres droits analogues ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. " Aux termes du deuxième alinéa du même article, alors applicable : " Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies. " En vertu du dernier alinéa du même article, les dispositions du premier alinéa " s'appliquent également à tout versement effectué sur un compte tenu dans un organisme financier établi dans un des Etats ou territoires " visés au même alinéa.
5. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. " Aux termes de l'article 119 bis du même code : " 1. Les revenus de capitaux mobiliers entrant dans les prévisions des articles 118, 119, 238 septies B et 1678 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par le 1 de l'article 187, lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui ont leur siège en France ou à l'étranger ou qui n'ont pas leur domicile fiscal en France (...) ".
6. En premier lieu, d'une part, pour l'application des dispositions précitées du dernier alinéa de l'article 238 A du code général des impôts, le titulaire d'un compte qui est tenu par un organisme financier et sur lequel des sommes sont versées par un contribuable français, est regardé comme soumis à un régime fiscal privilégié lorsque, dans l'hypothèse où il serait domicilié ou établi dans l'Etat ou le territoire où l'organisme financier est lui-même établi et où il réaliserait depuis cet Etat ou ce territoire l'activité ayant donné lieu au versement, il n'y serait pas imposable ou y serait assujetti à des impôts sur le bénéfice ou sur les revenus dont le montant serait inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont il aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, s'il y avait été domicilié et s'il avait réalisé depuis la France l'activité en cause. D'autre part, pour l'application des mêmes dispositions, la charge de la preuve de ce que le bénéficiaire des rémunérations en cause est soumis à un régime fiscal privilégié incombe à l'administration. Il lui appartient à cet égard d'apporter tous éléments circonstanciés non seulement sur le taux d'imposition, mais sur l'ensemble des modalités selon lesquelles des activités du type de celles qu'exerce le bénéficiaire sont imposées dans le pays où il est domicilié ou établi. Le contribuable peut, de son côté, faire valoir, en réponse à l'administration, tous éléments propres à la situation du bénéficiaire en cause.
7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les sommes versées par la société Gemar Lumitec à la société Taïwan Georgia Corp., dont le siège est à Taïwan, en rémunération, selon elle, de services de contrôle qualité et de mise en relations avec des fournisseurs situés en Asie que cette société lui aurait rendus en application d'un contrat de prestation de services conclu en 2008, ont été versées sur un compte bancaire domicilié à Hong Kong, ouvert au nom de M. A..., directeur de cette société.
8. C'est sans erreur de droit et par une appréciation souveraine des faits non entachée de dénaturation que la cour a jugé que l'administration, pour déterminer l'assiette de l'imposition dont M. A... aurait été redevable en France, d'une part, et à Hong Kong, d'autre part, s'il y avait été imposé au titre de l'activité invoquée pour justifier les sommes versées par la société, avait pu à bon droit, en l'absence de toute indication précise de la part de la société qui se bornait à revendiquer une déduction de charges de 50 % en se prévalant du taux pratiqué dans le cadre du régime des micro-BIC, alors même que ce régime n'aurait pas été applicable compte tenu du montant des sommes en cause en cas d'imposition en France, retenir que, au regard des catégories de charges regardées comme déductibles tant en France qu'à Hong Kong, il convenait de réduire de 10 %, au titre des charges déductibles, le montant des sommes versées par la société sur le compte de M. A....
9. La cour n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que l'administration avait appliqué à bon droit au montant ainsi déterminé, pour calculer l'imposition dont M. A... aurait été redevable à Hong Kong s'il y avait exercé son activité, le taux moyen d'imposition résultant, en fonction de ces sommes, de l'application du barème prévu par le système d'imposition personnalisé en vigueur à Hong Kong.
10. Enfin, c'est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour a relevé que, compte tenu des éléments qui précèdent, même en l'absence de la majoration de 25 % de l'assiette de l'impôt dont M. A... aurait été redevable en France s'il n'avait pas été adhérent d'une association de gestion agréée, initialement retenue par l'administration pour comparer l'imposition dont il aurait été redevable dans les deux pays, les montants d'impôt sur le revenu auxquels, à raison des sommes versées par la société, M. A... aurait été soumis à Hong Kong étaient inférieurs de plus de moitié, pour chacune des trois années en cause, à ceux dont il aurait été redevable en France et qu'elle en a conclu, par un arrêt suffisamment motivé, que l'administration apportait la preuve du caractère privilégié du régime fiscal auquel le bénéficiaire des sommes versées par la société était soumis, au sens de l'article 238 A du code général des impôts.
11. En second lieu, en vertu du premier alinéa de l'article 238 A du code général des impôts, dans le cas où l'administration établit que le bénéficiaire des sommes versées est soumis à un régime fiscal privilégié, il appartient au contribuable d'apporter la preuve que les dépenses en cause correspondent à des opérations réelles et ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.
12. D'une part, contrairement à ce que soutient la société, la cour administrative d'appel de Versailles n'a refusé de tenir compte d'aucun des documents qu'elle produisait pour établir la réalité des prestations de contrôle qualité et de mise en relation avec d'autres fournisseurs situés en Asie justifiant selon elle le versement des sommes litigieuses, notamment le contrat conclu à cette fin en 2008 avec la société Taïwan Georgia Corp., les factures émanant de cette société et les attestations mentionnées au point 3 ci-dessus. D'autre part, c'est par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation qu'elle a jugé que, compte tenu notamment du manque de précision des factures produites et de l'absence de toute pièce attestant de la réalité des contrôles qualité qu'aurait mis en place la société Taïwan Georgia Corp. ou des relations qu'elle aurait établies avec d'autres fournisseurs de la société Gemar Lumitec, ces documents ne suffisaient pas à établir la réalité de ces prestations.
13. Il résulte de ce qui précède que c'est sans erreur de droit ni dénaturation que la cour, par des arrêts suffisamment motivés, a d'une part jugé que c'était à bon droit que l'administration fiscale avait, sur le fondement de l'article 238 A du code général des impôts, remis en cause la déductibilité des sommes versées par la société Gemar Lumitec à la société Taïwan Georgia Corp. au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011, et d'autre part jugé que c'était à bon droit que l'administration fiscale avait regardé ces sommes comme des revenus distribués au sens des articles 109 et 110 du même code et les avait soumises à la retenue à la source en application des articles 109 et 119 bis du même code. Par suite, la société Gemar Lumitec n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêts qu'elle attaque.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les pourvois de la société Gemar Lumitec sont rejetés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Gemar Lumitec et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.