Conseil d'État
N° 452705
ECLI:FR:CECHR:2021:452705.20211129
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. François-René Burnod, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE, avocats
Lecture du lundi 29 novembre 2021
Vu la procédure suivante :
La société par actions simplifiée (SAS) Lorient Football Développement Promotion a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 juin 2010, 2011 et 2012. Par un jugement n° 1703318 du 27 mars 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 19NT02039 du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la SAS Lorient Football Développement Promotion contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 mai, 21 juillet et 9 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Lorient Football Développement Promotion demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François-René Burnod, auditeur,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Lorient Football Développement Promotion ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société Lorient Football Développement Promotion, qui détient et gère le club de football professionnel FC Lorient, a été rachetée en 2009 par M. B... A..., qui en est devenu le président exécutif tout en restant domicilié près de Londres, où il a poursuivi son activité professionnelle dans le secteur de la finance. La société a pris en charge des frais de transport, d'hôtellerie et de restauration exposés par son président pour ses déplacements vers Lorient et d'autres villes françaises, en lien avec les matchs du club, sa vie administrative et financière et ses partenariats. A l'issue d'une vérification de comptabilité menée au cours de l'année 2013, l'administration a remis en cause le caractère déductible de ces charges au titre des exercices clos les 30 juin 2010, 2011 et 2012, et les a réintégrées aux résultats de la société pour un montant total de 432 096 euros. Après rejet de sa réclamation préalable, celle-ci a porté le litige devant le tribunal administratif de Rennes, qui a rejeté sa demande par un jugement du 27 mars 2019. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 mars 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel contre ce jugement.
2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.
3. Les frais de transport, hôtellerie et restauration exposés par une société pour les besoins des déplacements effectués par un salarié ou par un dirigeant dans l'exercice de leurs fonctions constituent en principe des charges déductibles de son bénéfice. Il en va de même des charges exposées pour le remboursement au salarié ou au dirigeant de telles dépenses, qui ont la nature de frais professionnels, lorsque celui-ci en a fait l'avance. Dans un tel cas, ces sommes ne sont pas taxables entre les mains de l'intéressé. En revanche les dépenses exposées pour les besoins du déplacement du salarié ou du dirigeant depuis son domicile vers lieu où il exerce ses fonctions ont la nature d'une dépense personnelle de ce dernier. S'il est loisible à l'employeur d'en assurer la prise en charge, celle-ci, sous réserve qu'elle ne conduise pas à porter la rémunération à un niveau excessif, a la nature, pour le salarié ou le dirigeant, d'un avantage en nature taxable entre ses mains dans la catégorie des traitements et salaires ou en application de l'article 62 du code général des impôts. Symétriquement, elle constitue, sous la même réserve, une charge déductible des bénéfices de l'employeur. Ce traitement fiscal est toutefois subordonné à la condition que les avantages en nature ainsi accordés par la société à son personnel, y compris ses dirigeants soient, conformément aux prescriptions de l'article 54 bis du code général des impôts, inscrits explicitement comme tels en comptabilité. A défaut, ils constituent des avantages occultes au sens du c de l'article 111 du code général des impôts, imposables entre les mains du bénéficiaire dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers et non déductibles des bénéfices de la société.
4. Pour juger que l'administration était fondée à remettre en cause la déduction par la société Lorient Football Développement Promotion de la totalité des dépenses résultant des frais de transport, d'hôtellerie et de restauration exposés pour les besoins des déplacements de M. A..., la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que ces dépenses correspondaient, pour l'essentiel, à des trajets en avion privé entre Londres et Lorient ou d'autres villes françaises, sans qu'il soit justifié que la présence de M. A... dans cette ville, où il avait maintenu son domicile après avoir accédé à la présidence de la société, ait été nécessitée par les répercussions positives attendues pour le club. En statuant ainsi, sans rechercher si les déplacements en cause intervenaient pour les besoins de l'exercice par M. A... de ses fonctions ou s'ils avaient la nature de déplacements personnels de celui-ci pour se rendre au lieu du siège de l'entreprise dont il était le président, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède que la société Lorient Football Développement Promotion est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Lorient Football Développement Promotion au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 18 mars 2021 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : L'Etat versera à la société Lorient Football Développement Promotion la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Lorient Football Développement Promotion et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. H... D..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. G... J..., M. E... I..., M. Christian Fournier, conseillers d'Etat et M. François-René Burnod, auditeur-rapporteur.
Rendu le 29 novembre 2021.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. François-René Burnod
La secrétaire :
Signé : Mme C... F...
N° 452705
ECLI:FR:CECHR:2021:452705.20211129
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. François-René Burnod, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE, avocats
Lecture du lundi 29 novembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société par actions simplifiée (SAS) Lorient Football Développement Promotion a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 juin 2010, 2011 et 2012. Par un jugement n° 1703318 du 27 mars 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 19NT02039 du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la SAS Lorient Football Développement Promotion contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 mai, 21 juillet et 9 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Lorient Football Développement Promotion demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François-René Burnod, auditeur,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Lorient Football Développement Promotion ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société Lorient Football Développement Promotion, qui détient et gère le club de football professionnel FC Lorient, a été rachetée en 2009 par M. B... A..., qui en est devenu le président exécutif tout en restant domicilié près de Londres, où il a poursuivi son activité professionnelle dans le secteur de la finance. La société a pris en charge des frais de transport, d'hôtellerie et de restauration exposés par son président pour ses déplacements vers Lorient et d'autres villes françaises, en lien avec les matchs du club, sa vie administrative et financière et ses partenariats. A l'issue d'une vérification de comptabilité menée au cours de l'année 2013, l'administration a remis en cause le caractère déductible de ces charges au titre des exercices clos les 30 juin 2010, 2011 et 2012, et les a réintégrées aux résultats de la société pour un montant total de 432 096 euros. Après rejet de sa réclamation préalable, celle-ci a porté le litige devant le tribunal administratif de Rennes, qui a rejeté sa demande par un jugement du 27 mars 2019. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 mars 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel contre ce jugement.
2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.
3. Les frais de transport, hôtellerie et restauration exposés par une société pour les besoins des déplacements effectués par un salarié ou par un dirigeant dans l'exercice de leurs fonctions constituent en principe des charges déductibles de son bénéfice. Il en va de même des charges exposées pour le remboursement au salarié ou au dirigeant de telles dépenses, qui ont la nature de frais professionnels, lorsque celui-ci en a fait l'avance. Dans un tel cas, ces sommes ne sont pas taxables entre les mains de l'intéressé. En revanche les dépenses exposées pour les besoins du déplacement du salarié ou du dirigeant depuis son domicile vers lieu où il exerce ses fonctions ont la nature d'une dépense personnelle de ce dernier. S'il est loisible à l'employeur d'en assurer la prise en charge, celle-ci, sous réserve qu'elle ne conduise pas à porter la rémunération à un niveau excessif, a la nature, pour le salarié ou le dirigeant, d'un avantage en nature taxable entre ses mains dans la catégorie des traitements et salaires ou en application de l'article 62 du code général des impôts. Symétriquement, elle constitue, sous la même réserve, une charge déductible des bénéfices de l'employeur. Ce traitement fiscal est toutefois subordonné à la condition que les avantages en nature ainsi accordés par la société à son personnel, y compris ses dirigeants soient, conformément aux prescriptions de l'article 54 bis du code général des impôts, inscrits explicitement comme tels en comptabilité. A défaut, ils constituent des avantages occultes au sens du c de l'article 111 du code général des impôts, imposables entre les mains du bénéficiaire dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers et non déductibles des bénéfices de la société.
4. Pour juger que l'administration était fondée à remettre en cause la déduction par la société Lorient Football Développement Promotion de la totalité des dépenses résultant des frais de transport, d'hôtellerie et de restauration exposés pour les besoins des déplacements de M. A..., la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que ces dépenses correspondaient, pour l'essentiel, à des trajets en avion privé entre Londres et Lorient ou d'autres villes françaises, sans qu'il soit justifié que la présence de M. A... dans cette ville, où il avait maintenu son domicile après avoir accédé à la présidence de la société, ait été nécessitée par les répercussions positives attendues pour le club. En statuant ainsi, sans rechercher si les déplacements en cause intervenaient pour les besoins de l'exercice par M. A... de ses fonctions ou s'ils avaient la nature de déplacements personnels de celui-ci pour se rendre au lieu du siège de l'entreprise dont il était le président, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède que la société Lorient Football Développement Promotion est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Lorient Football Développement Promotion au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 18 mars 2021 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : L'Etat versera à la société Lorient Football Développement Promotion la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Lorient Football Développement Promotion et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. H... D..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. G... J..., M. E... I..., M. Christian Fournier, conseillers d'Etat et M. François-René Burnod, auditeur-rapporteur.
Rendu le 29 novembre 2021.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. François-René Burnod
La secrétaire :
Signé : Mme C... F...