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Ariane Web: Conseil d'État 453022, lecture du 15 novembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:453022.20211115

Décision n° 453022
15 novembre 2021
Conseil d'État

N° 453022
ECLI:FR:CECHR:2021:453022.20211115
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. François-René Burnod, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP LESOURD, avocats


Lecture du lundi 15 novembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Palomata a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des suppléments de retenue à la source auxquels la société anonyme d'économie mixte de gestion du Port Vauban a été assujettie en application des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts au titre des années 2009, 2010 et 2011, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1603699 du 27 juin 2019, ce tribunal a prononcé la décharge demandée.

Par un arrêt avant dire droit n° 19MA04577 du 6 avril 2021, la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir jugé que la société Palomata était fondée à demander la déduction de l'assiette de la retenue à la source en litige des frais professionnels qu'elle avait supportés et qui étaient indissociables de l'activité de sous-location des postes à quai qu'elle avait pratiquée au titre des années 2009 à 2011, a ordonné à cette société de justifier, par tous moyens, le montant desdits frais, notamment des frais de gestion prélevés par la société de gestion du Port Vauban directement liés à son activité de sous-location du poste à quai.

Par un pourvoi, enregistré le 27 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 2 et 3 de cet arrêt.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François-René Burnod, auditeur,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de la société Palomata ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en vertu d'un contrat de concession conclu avec la commune d'Antibes le 29 décembre 1987, la société de gestion du Port Vauban assure l'exploitation et la gestion du port de plaisance Vauban. Conformément au règlement de police du port, la société assure le service public portuaire en affectant les postes à quai inoccupés à des usagers de passage moyennant le versement d'une redevance. A l'issue d'un contrôle, l'administration fiscale a considéré que les sommes versées par la société de gestion du Port Vauban à dix-neuf sociétés étrangères disposant chacune de la jouissance d'un poste à quai, en contrepartie de l'occupation temporaire de ces postes par des usagers de passage, constituaient la rémunération de prestations de services rendues par elles en France et devaient par suite être soumises à la retenue à la source prévue par l'article 182 B du code général des impôts. La société de droit luxembourgeois Palomata, qui a la jouissance d'un des postes à quai, a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge partielle de la retenue à la source à laquelle la société de gestion du Port Vauban a été en conséquence assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011. Par un jugement du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Nice a fait droit à cette demande. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre les articles 2 et 3 de l'arrêt avant dire droit du 6 avril 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir jugé que la société Palomata était fondée à soutenir que l'article 182 B du code général des impôts méconnaissait le principe de la libre prestation de services protégé aux articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en ce qu'il ne permettait pas la déduction de l'assiette de la retenue à la source des frais professionnels supportés par le fournisseur établi à l'étranger de la prestation rendue en France et directement liés à cette prestation de service, a ordonné à cette société de justifier, par tous moyens, du montant de ces frais au titre des années 2009 à 2011, notamment des frais de gestion prélevés par la société de gestion du Port Vauban, qui sont directement liés à l'activité de sous-location du poste à quai et réservé .

2. Aux termes de l'article 182 B du code général des impôts : " I. Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : / a. Les sommes versées en rémunération d'une activité déployée en France dans l'exercice de l'une des professions mentionnées à l'article 92 (...) ". Aux termes du 1 de l'article 92 du même code : " Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ". Aux termes de l'article 1671 A du code général des impôts, alors en vigueur : " Les retenues prévues aux articles 182 A, 182 A bis et 182 B sont opérées par le débiteur des sommes versées (...) ".

3. Tant le responsable du paiement de la retenue à la source à laquelle donnent lieu les paiements effectués par une personne établie en France en rémunération de prestations rendues en France par une personne qui n'y est pas établie que cette personne, bénéficiaire de ces revenus, sont recevables à contester cette retenue devant le juge de l'impôt. La circonstance que la retenue à la source n'ait pas été spontanément opérée lors du versement des revenus et que, par suite, ces derniers n'ont pas été amputés de son montant est sans incidence sur la recevabilité du bénéficiaire des revenus à la contester dès lors que, dans une telle hypothèse, en premier lieu, la retenue est établie sur une assiette augmentée du montant de la retenue non pratiquée spontanément, en deuxième lieu, cette retenue est imputable sur l'impôt sur le revenu ou sur l'impôt sur les sociétés éventuellement dû en France par le bénéficiaire des revenus en application, respectivement, du 3ème alinéa du II de l'article 182 B et de l'article 219 quinquies du code général des impôts et, en troisième lieu, il résulte d'une jurisprudence constante des juridictions de l'ordre judiciaire que le responsable du paiement est fondé à en demander la restitution au bénéficiaire des revenus.

4. Il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que la cour aurait entaché son arrêt d'erreur de droit ou de contradiction de motifs en écartant son moyen tiré de ce que la société Palomata n'était pas recevable, faute de disposer d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, à former une demande tendant à la décharge des retenues à la source mises à la charge de la société de gestion du Port Vauban dès lors que cette dernière ne les avait pas déduites des sommes qu'elle lui avait versées en rémunération des prestations de service en litige. Son pourvoi doit, par suite, être rejeté.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Palomata au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Palomata une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Palomata.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 octobre 2021 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. I... C..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. G... K..., M. H... F..., M. D... J..., M. A... L..., Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et M. François-René Burnod, auditeur-rapporteur.

Rendu le 15 novembre 2021.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. François-René Burnod
La secrétaire :
Signé : Mme B... E...



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