Conseil d'État
N° 453763
ECLI:FR:CECHR:2021:453763.20210916
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Joachim Bendavid, rapporteur
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public
Lecture du jeudi 16 septembre 2021
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 juin et 30 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Coyote System demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2021-468 du 19 avril 2021 portant application de l'article L. 130-11 du code de la route, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 130-11 et L. 130-12 du code de la route.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le règlement délégué (UE) n° 886/2013 de la Commission du 15 mai 2013 ;
- la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 ;
- le code de la route ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Joachim Bendavid, auditeur,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 130-11 du code de la route, créé par la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, dont la constitutionnalité est contestée par la requérante : " I.- Lorsqu'est réalisé sur une voie ouverte ou non à la circulation publique un contrôle routier impliquant l'interception des véhicules et destiné soit à procéder aux opérations prévues aux articles L. 234-9 ou L. 235-2 du présent code ou aux articles 78-2-2 ou 78-2-4 du code de procédure pénale, soit à vérifier que les conducteurs ou passagers ne font pas l'objet de recherches ordonnées par les autorités judiciaires pour des crimes ou délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement ou ne sont pas inscrits dans le fichier mentionné à l'article 230-19 du même code à raison de la menace qu'ils constituent pour l'ordre ou la sécurité publics ou parce qu'ils font l'objet d'une décision de placement d'office en établissement psychiatrique ou se sont évadés d'un tel établissement, il peut être interdit par l'autorité administrative à tout exploitant d'un service électronique d'aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation de rediffuser au moyen de ce service tout message ou toute indication émis par les utilisateurs de ce service dès lors que cette rediffusion est susceptible de permettre aux autres utilisateurs de se soustraire au contrôle. / L'interdiction de rediffusion mentionnée au premier alinéa du présent I consiste, pour tout exploitant d'un service électronique d'aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation, à occulter, pour toutes les voies ou portions de voies qui lui sont désignées par l'autorité compétente, tous les messages et indications qu'il aurait habituellement rediffusés aux utilisateurs dans un mode de fonctionnement normal du service. La durée de cette interdiction ne peut excéder deux heures si le contrôle routier concerne une opération prévue aux articles L. 234-9 ou L. 235-2 du présent code ou douze heures s'il concerne une autre opération mentionnée au premier alinéa du présent I. Les voies ou portions de voies concernées ne peuvent s'étendre au delà d'un rayon de dix kilomètres autour du point de contrôle routier lorsque celui-ci est situé hors agglomération et au delà de deux kilomètres autour du point de contrôle routier lorsque celui-ci est situé en agglomération. / II. -L'interdiction mentionnée au I du présent article ne s'applique pas, sur le réseau routier national défini à l'article L. 121-1 du code de la voirie routière, aux évènements ou circonstances prévus à l'article 3 du règlement délégué (UE) n° 886/2013 de la Commission du 15 mai 2013 complétant la directive 2010/40/ UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les données et procédures pour la fourniture, dans la mesure du possible, d'informations minimales universelles sur la circulation liées à la sécurité routière gratuites pour les usagers. / III. -Les modalités de détermination des voies ou portions de voies concernées par l'interdiction mentionnée au I, les modalités de communication avec les exploitants de service électronique d'aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation aux fins de mise en oeuvre de cette interdiction ainsi que les mesures destinées à assurer la confidentialité des informations transmises à ces exploitants sont définies par un décret en Conseil d'Etat ". L'article L. 130-12 du même code, créé par la même loi, dont la constitutionnalité est également contestée par la requérante, punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende " le fait pour tout exploitant d'un service électronique d'aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation : / 1° De contrevenir à l'interdiction de diffusion mentionnée à l'article L. 130-11 dès lors qu'elle lui aura été communiquée dans les conditions prévues par le décret en Conseil d'Etat mentionné au III du même article L. 130-11 ; / 2° De diffuser les informations qui lui auront été communiquées aux fins de mise en oeuvre de cette interdiction ou de les exploiter à une autre fin que celle prévue audit article L. 130-11 ".
3. Le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à la liberté de communication entre utilisateurs d'un même service électronique d'aide à la conduite en ce que, d'une part, la possibilité de leur interdire d'échanger des informations susceptibles de leur permettre de se soustraire à un contrôle de police s'étend à des motifs et est soumise à des conditions, notamment de durée et de couverture géographique, qui ne seraient pas suffisamment limités et en ce que, d'autre part, la possibilité de leur interdire, en dehors du réseau routier national, l'échange de toute information, y compris celles ne portant pas sur l'existence d'un contrôle de police, ne serait pas adaptée, nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi, soulève une question présentant un caractère sérieux.
4. Ces dispositions étant applicables au présent litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et n'ayant pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, il y a lieu, par suite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles L. 130-11 et L. 130-12 du code de la route est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la société Coyote System jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Coyote System, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.
N° 453763
ECLI:FR:CECHR:2021:453763.20210916
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Joachim Bendavid, rapporteur
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public
Lecture du jeudi 16 septembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 juin et 30 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Coyote System demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2021-468 du 19 avril 2021 portant application de l'article L. 130-11 du code de la route, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 130-11 et L. 130-12 du code de la route.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le règlement délégué (UE) n° 886/2013 de la Commission du 15 mai 2013 ;
- la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 ;
- le code de la route ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Joachim Bendavid, auditeur,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 130-11 du code de la route, créé par la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, dont la constitutionnalité est contestée par la requérante : " I.- Lorsqu'est réalisé sur une voie ouverte ou non à la circulation publique un contrôle routier impliquant l'interception des véhicules et destiné soit à procéder aux opérations prévues aux articles L. 234-9 ou L. 235-2 du présent code ou aux articles 78-2-2 ou 78-2-4 du code de procédure pénale, soit à vérifier que les conducteurs ou passagers ne font pas l'objet de recherches ordonnées par les autorités judiciaires pour des crimes ou délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement ou ne sont pas inscrits dans le fichier mentionné à l'article 230-19 du même code à raison de la menace qu'ils constituent pour l'ordre ou la sécurité publics ou parce qu'ils font l'objet d'une décision de placement d'office en établissement psychiatrique ou se sont évadés d'un tel établissement, il peut être interdit par l'autorité administrative à tout exploitant d'un service électronique d'aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation de rediffuser au moyen de ce service tout message ou toute indication émis par les utilisateurs de ce service dès lors que cette rediffusion est susceptible de permettre aux autres utilisateurs de se soustraire au contrôle. / L'interdiction de rediffusion mentionnée au premier alinéa du présent I consiste, pour tout exploitant d'un service électronique d'aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation, à occulter, pour toutes les voies ou portions de voies qui lui sont désignées par l'autorité compétente, tous les messages et indications qu'il aurait habituellement rediffusés aux utilisateurs dans un mode de fonctionnement normal du service. La durée de cette interdiction ne peut excéder deux heures si le contrôle routier concerne une opération prévue aux articles L. 234-9 ou L. 235-2 du présent code ou douze heures s'il concerne une autre opération mentionnée au premier alinéa du présent I. Les voies ou portions de voies concernées ne peuvent s'étendre au delà d'un rayon de dix kilomètres autour du point de contrôle routier lorsque celui-ci est situé hors agglomération et au delà de deux kilomètres autour du point de contrôle routier lorsque celui-ci est situé en agglomération. / II. -L'interdiction mentionnée au I du présent article ne s'applique pas, sur le réseau routier national défini à l'article L. 121-1 du code de la voirie routière, aux évènements ou circonstances prévus à l'article 3 du règlement délégué (UE) n° 886/2013 de la Commission du 15 mai 2013 complétant la directive 2010/40/ UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les données et procédures pour la fourniture, dans la mesure du possible, d'informations minimales universelles sur la circulation liées à la sécurité routière gratuites pour les usagers. / III. -Les modalités de détermination des voies ou portions de voies concernées par l'interdiction mentionnée au I, les modalités de communication avec les exploitants de service électronique d'aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation aux fins de mise en oeuvre de cette interdiction ainsi que les mesures destinées à assurer la confidentialité des informations transmises à ces exploitants sont définies par un décret en Conseil d'Etat ". L'article L. 130-12 du même code, créé par la même loi, dont la constitutionnalité est également contestée par la requérante, punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende " le fait pour tout exploitant d'un service électronique d'aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation : / 1° De contrevenir à l'interdiction de diffusion mentionnée à l'article L. 130-11 dès lors qu'elle lui aura été communiquée dans les conditions prévues par le décret en Conseil d'Etat mentionné au III du même article L. 130-11 ; / 2° De diffuser les informations qui lui auront été communiquées aux fins de mise en oeuvre de cette interdiction ou de les exploiter à une autre fin que celle prévue audit article L. 130-11 ".
3. Le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à la liberté de communication entre utilisateurs d'un même service électronique d'aide à la conduite en ce que, d'une part, la possibilité de leur interdire d'échanger des informations susceptibles de leur permettre de se soustraire à un contrôle de police s'étend à des motifs et est soumise à des conditions, notamment de durée et de couverture géographique, qui ne seraient pas suffisamment limités et en ce que, d'autre part, la possibilité de leur interdire, en dehors du réseau routier national, l'échange de toute information, y compris celles ne portant pas sur l'existence d'un contrôle de police, ne serait pas adaptée, nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi, soulève une question présentant un caractère sérieux.
4. Ces dispositions étant applicables au présent litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et n'ayant pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, il y a lieu, par suite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles L. 130-11 et L. 130-12 du code de la route est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la société Coyote System jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Coyote System, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.