Conseil d'État
N° 455751
ECLI:FR:CEORD:2021:455751.20210908
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés, formation collégiale
M. B. Dacosta, rapporteur
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats
Lecture du mercredi 8 septembre 2021
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée les 20 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... A..., Mme B... F..., M. D... C..., Mme G... C... et leurs enfants mineurs demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de les admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) de suspendre l'exécution du refus implicite né du silence gardé par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur sur leur demande du 20 avril 2021 tendant à ce que soient prises les mesures d'organisation nécessaires à l'instruction dans les meilleurs délais des demandes de réunification familiale présentées par des ressortissants afghans, en vue de la délivrance de visas ;
3°) d'enjoindre au Premier ministre, au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au ministre de l'intérieur de prendre immédiatement ces mesures et de leur délivrer les visas sollicités au titre de la réunification familiale en vue de permettre l'évacuation de leur famille ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de leur requête en ce qu'elle tend à l'édiction de mesures de portée générale ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que leurs familles sont séparées depuis plusieurs années, faute d'enregistrement par les services consulaires de leur demande de réunification familiale dans un délai raisonnable, en méconnaissance du droit au regroupement familial protégé par la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 et de la recommandation (UE) 2020/912 du Conseil du 30 juin 2020 concernant la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'UE et que leurs enfants, qui risquent d'être déscolarisés et sont menacés dans leur intégrité physique et mentale, se trouvent en situation de grande vulnérabilité eu égard au contexte sécuritaire en Afghanistan, qui laisse craindre pour leur vie et nécessite leur évacuation immédiate ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du refus contesté, dès lors que le retard déraisonnable pris dans l'enregistrement et l'instruction des demandes de visa méconnaît, d'une part, l'obligation prévue par la loi qu'il soit statué dans les meilleurs délais sur les demandes de réunification familiale et, d'autre part, le principe de continuité du service public.
Par quatre mémoires en intervention, enregistrés les 22, 23, 24 et 27 août 2021, l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, le Groupe d'information et de soutien des immigrés et le Syndicat des avocats de France, l'association La Cimade, le Conseil national des barreaux et la Ligue des droits de l'homme demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions de la requête. Ils s'associent aux moyens de la requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'elle est irrecevable en l'absence de décision de refus, un arrêté étant intervenu le 20 mai 2021 pour, ainsi qu'il était demandé, réorganiser le traitement des demandes de réunification familiale et, à titre subsidiaire, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 25 et 27 août 2021, présentés par le ministre de l'intérieur, qui maintient ses conclusions ; il soutient que les familles ayant introduit une demande au poste d'Islamabad ont été invitées à se rapprocher des postes de Téhéran et New Delhi, lesquels prennent en compte les démarches effectuées et l'antériorité de ces demandes, qui font l'objet d'un traitement prioritaire et qu'en vertu du décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de mission diplomatique et des chefs de poste consulaire en matière de visas, les familles peuvent également soumettre une demande de visa auprès d'autres postes consulaires ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 30 août 2021, présenté par les requérants, qui maintiennent leurs conclusions ; ils soutiennent que les familles doivent dans les faits reprendre l'ensemble de la procédure, que les délais d'instruction de leur demande de visa restent excessivement longs et que les postes ne sont pas informés des obligations qui leur incombent en vertu du décret du 13 novembre 2008 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive (CE) 2003/86 du 22 septembre 2003 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2008-1176 du 13 novembre 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et autres et, d'autre part, le Premier ministre, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 24 août 2021, à 14 heures :
- Me Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... et autres ;
- la représentante des requérants ;
- les représentantes du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 30 août 2021, à 13 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. M. A... et M. C..., ressortissants afghans bénéficiant en France de la protection subsidiaire, ont, les 5 juillet 2019 et 12 juin 2020, engagé auprès du poste consulaire d'Islamabad au Pakistan des procédures en vue de l'obtention d'un visa d'entrée en France pour leur épouse et leurs enfants respectifs, au titre de leur droit à la réunification de leur famille. En l'absence d'enregistrement de leurs demandes de visa, ils ont saisi le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur, par un courrier du 20 avril 2021, d'une demande tendant, outre à l'enregistrement et l'instruction sans délai de ces demandes, à l'octroi aux postes consulaires compétents des moyens nécessaires à l'enregistrement et à l'instruction des demandes de réunification familiale et, le cas échéant, à l'adaptation des dispositions réglementaires régissant ces procédures. Par la présente requête, ils demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution du refus implicite des ministres concernés de prendre les mesures d'organisation nécessaires à l'instruction des demandes de réunification familiale des ressortissants afghans et de leur enjoindre de prendre immédiatement ces mesures et d'accorder en conséquence les visas sollicités en vue de permettre l'évacuation des membres de leur famille.
Sur la recevabilité :
3. Le ministre de l'intérieur fait valoir que, postérieurement à la demande qui lui a été adressée le 20 avril 2021, il a pris avec le ministre des affaires étrangères, le 20 mai 2021, un arrêté modifiant la liste des pays dans lesquels la compétence des chefs de poste est étendue hors du cadre de leur circonscription consulaire, disposant que, outre l'ambassadeur de France auprès de la République islamique d'Afghanistan et l'ambassadeur de France auprès de la République islamique du Pakistan, l'ambassadeur de France auprès de la République islamique d'Iran et l'ambassadeur de France auprès de la République de l'Inde sont également compétents pour délivrer des visas aux ressortissants afghans. Toutefois, eu égard à l'objet de la demande des requérants tendant à ce que soient prises toutes les mesures d'organisation nécessaires à une instruction dans les meilleurs délais des demandes de réunification familiale et alors qu'il résulte des écritures mêmes du ministre de l'intérieur que des décisions sont encore à prendre dans les prochaines semaines, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que l'intervention de ce texte tiendrait lieu de réponse favorable à cette demande ni, par suite, que la présente requête serait pour ce motif irrecevable.
Sur les interventions :
4. L'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, le Groupe d'information et de soutien des immigrés, l'association La Cimade et la Ligue des droits de l'homme justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des requêtes. Leurs interventions sont, par suite, recevables.
5. En revanche, si le Conseil national des barreaux fait valoir qu'il aurait notamment pour mission de défendre les intérêts des justiciables et le droit au recours effectif des usagers du service public, son objet statutaire, défini par l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne lui confère pas d'intérêt de nature à lui donner qualité pour intervenir à l'appui des requêtes. Par suite, son intervention n'est pas recevable.
Sur la demande en référé :
6. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'aile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ". En vertu de l'article R. 561-1 de ce code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire mentionnée à l'article L. 561-5. Elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle résident ces personnes ". Selon l'article R. 561-2 du même code : " Au vu des justificatifs d'identité et des preuves des liens familiaux des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire, l'autorité diplomatique ou consulaire enregistre la demande de visa au réseau mondial des visas et délivre sans délai une attestation de dépôt de la demande (...) ".
7. Il résulte tant des pièces versées au dossier que des explications données au cours de l'audience que les autorités compétentes ont été confrontées à des difficultés exceptionnelles qui ont durablement affecté leur capacité à prendre en charge les demandes de visas présentées par les ressortissants afghans au titre du droit à la réunification familiale des réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire. Ainsi, les problèmes sécuritaires et l'instabilité grandissante en Afghanistan ont obligé la France à fermer au public le service des visas de sa représentation diplomatique dans ce pays, ne permettant plus d'assurer l'enregistrement des demandes de visas. Si, pour pallier cette situation, le poste consulaire d'Islamabad a été reconnu compétent pour instruire ces demandes, les menaces qui pèsent au Pakistan sur les intérêts français ont contraint à fermer à son tour ce poste consulaire en avril 2021. Il résulte de l'instruction et des échanges à l'audience que la cessation de l'activité des postes consulaires à Kaboul puis à Islamabad pour des raisons sécuritaires, combinée avec les perturbations liées à la crise sanitaire, ont conduit à prendre un retard considérable, qui concernerait plus de 3 500 dossiers, dans l'enregistrement et l'instruction des demandes de visa présentées, pour certaines depuis plusieurs années, par les membres des familles de ressortissants afghans pouvant bénéficier de la réunification familiale.
8. En réponse à cette situation très dégradée, et ainsi qu'il a été dit au point 3, un arrêté a été pris le 20 mai 2021, soit postérieurement à la demande des requérants, par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur qui donne compétence aux postes consulaires à New Delhi et à Téhéran, outre celui d'Islamabad, pour instruire les demandes de visas présentées par des ressortissants afghans. Les requérants soutiennent qu'au vu du retard pris, les dysfonctionnements constatés appellent des mesures complémentaires d'organisation et d'information dans les postes consulaires saisis ou susceptibles d'être saisis par des ressortissants afghans, ainsi que des aménagements exceptionnels de la procédure d'instruction des demandes de visas présentées par les familles concernées. D'une part, il résulte des éléments produits après l'audience par le ministre de l'intérieur, à la demande des juges des référés, que si les dossiers qui avaient été déposés auprès du poste d'Islamabad, mais pour lesquels les prises d'empreintes n'avaient pas encore été effectuées, ont vocation à être pris en charge par les postes de Téhéran et New Delhi et si, en conséquence, les intéressés sont invités à se rapprocher, selon leur choix, d'un de ces deux postes, il appartient à ces postes de prendre en compte les éléments d'instruction déjà réalisés, ainsi que l'antériorité des demandes, afin notamment d'apprécier l'âge des enfants des demandeurs à la date de dépôt des dossiers, et de procéder à un traitement prioritaire de ces dossiers en instance. En outre, dans ses écritures, le ministre de l'intérieur s'est engagé à ce que soit mise en oeuvre, pour les demandes des ressortissants afghans au titre de la réunification familiale, la dérogation prévue par l'article 1er du décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions en matière de visas qui autorise tout chef de poste consulaire à " délivrer des visas aux étrangers justifiant de motifs imprévisibles et impérieux qui ne leur ont pas permis de déposer leur demande dans la circonscription consulaire où ils résident habituellement ". Par ailleurs, il a également annoncé que des mesures seraient prises prochainement en termes de dimensionnement des moyens humains, matériels et immobiliers, en lien avec les postes concernés et en fonction de l'évolution sécuritaire. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction qu'à la date de la présente ordonnance, dans le contexte d'incertitude qui prévaut en Afghanistan, s'agissant notamment de la fermeture des frontières, et compte tenu de ce qui vient d'être rappelé, les moyens soulevés à l'appui de la requête, tirés de la méconnaissance de l'obligation de statuer dans les meilleurs délais sur les demandes de réunification familiale et du principe de continuité du service public, soient, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité du refus de prendre les mesures demandées, qui s'apprécie à la date à laquelle le juge se prononce.
9. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. A... et autres doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sans qu'y ait lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer l'admission provisoire des requérants au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
O R D O N N E :
--------------
Article 1er : L'intervention de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, du Groupe d'information et de soutien des immigrés et du Syndicat des avocats de France, celle de l'association La Cimade et celle de la Ligue des droits de l'homme sont admises.
Article 2 : L'intervention du Conseil national des barreaux n'est pas admise.
Article 3 : Eu égard notamment aux motifs du point 8, la requête de M. A... et autres est rejetée.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. E... A..., premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
N° 455751
ECLI:FR:CEORD:2021:455751.20210908
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés, formation collégiale
M. B. Dacosta, rapporteur
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats
Lecture du mercredi 8 septembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée les 20 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... A..., Mme B... F..., M. D... C..., Mme G... C... et leurs enfants mineurs demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de les admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) de suspendre l'exécution du refus implicite né du silence gardé par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur sur leur demande du 20 avril 2021 tendant à ce que soient prises les mesures d'organisation nécessaires à l'instruction dans les meilleurs délais des demandes de réunification familiale présentées par des ressortissants afghans, en vue de la délivrance de visas ;
3°) d'enjoindre au Premier ministre, au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au ministre de l'intérieur de prendre immédiatement ces mesures et de leur délivrer les visas sollicités au titre de la réunification familiale en vue de permettre l'évacuation de leur famille ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de leur requête en ce qu'elle tend à l'édiction de mesures de portée générale ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que leurs familles sont séparées depuis plusieurs années, faute d'enregistrement par les services consulaires de leur demande de réunification familiale dans un délai raisonnable, en méconnaissance du droit au regroupement familial protégé par la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 et de la recommandation (UE) 2020/912 du Conseil du 30 juin 2020 concernant la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'UE et que leurs enfants, qui risquent d'être déscolarisés et sont menacés dans leur intégrité physique et mentale, se trouvent en situation de grande vulnérabilité eu égard au contexte sécuritaire en Afghanistan, qui laisse craindre pour leur vie et nécessite leur évacuation immédiate ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du refus contesté, dès lors que le retard déraisonnable pris dans l'enregistrement et l'instruction des demandes de visa méconnaît, d'une part, l'obligation prévue par la loi qu'il soit statué dans les meilleurs délais sur les demandes de réunification familiale et, d'autre part, le principe de continuité du service public.
Par quatre mémoires en intervention, enregistrés les 22, 23, 24 et 27 août 2021, l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, le Groupe d'information et de soutien des immigrés et le Syndicat des avocats de France, l'association La Cimade, le Conseil national des barreaux et la Ligue des droits de l'homme demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions de la requête. Ils s'associent aux moyens de la requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'elle est irrecevable en l'absence de décision de refus, un arrêté étant intervenu le 20 mai 2021 pour, ainsi qu'il était demandé, réorganiser le traitement des demandes de réunification familiale et, à titre subsidiaire, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 25 et 27 août 2021, présentés par le ministre de l'intérieur, qui maintient ses conclusions ; il soutient que les familles ayant introduit une demande au poste d'Islamabad ont été invitées à se rapprocher des postes de Téhéran et New Delhi, lesquels prennent en compte les démarches effectuées et l'antériorité de ces demandes, qui font l'objet d'un traitement prioritaire et qu'en vertu du décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de mission diplomatique et des chefs de poste consulaire en matière de visas, les familles peuvent également soumettre une demande de visa auprès d'autres postes consulaires ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 30 août 2021, présenté par les requérants, qui maintiennent leurs conclusions ; ils soutiennent que les familles doivent dans les faits reprendre l'ensemble de la procédure, que les délais d'instruction de leur demande de visa restent excessivement longs et que les postes ne sont pas informés des obligations qui leur incombent en vertu du décret du 13 novembre 2008 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive (CE) 2003/86 du 22 septembre 2003 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2008-1176 du 13 novembre 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et autres et, d'autre part, le Premier ministre, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 24 août 2021, à 14 heures :
- Me Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... et autres ;
- la représentante des requérants ;
- les représentantes du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 30 août 2021, à 13 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. M. A... et M. C..., ressortissants afghans bénéficiant en France de la protection subsidiaire, ont, les 5 juillet 2019 et 12 juin 2020, engagé auprès du poste consulaire d'Islamabad au Pakistan des procédures en vue de l'obtention d'un visa d'entrée en France pour leur épouse et leurs enfants respectifs, au titre de leur droit à la réunification de leur famille. En l'absence d'enregistrement de leurs demandes de visa, ils ont saisi le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur, par un courrier du 20 avril 2021, d'une demande tendant, outre à l'enregistrement et l'instruction sans délai de ces demandes, à l'octroi aux postes consulaires compétents des moyens nécessaires à l'enregistrement et à l'instruction des demandes de réunification familiale et, le cas échéant, à l'adaptation des dispositions réglementaires régissant ces procédures. Par la présente requête, ils demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution du refus implicite des ministres concernés de prendre les mesures d'organisation nécessaires à l'instruction des demandes de réunification familiale des ressortissants afghans et de leur enjoindre de prendre immédiatement ces mesures et d'accorder en conséquence les visas sollicités en vue de permettre l'évacuation des membres de leur famille.
Sur la recevabilité :
3. Le ministre de l'intérieur fait valoir que, postérieurement à la demande qui lui a été adressée le 20 avril 2021, il a pris avec le ministre des affaires étrangères, le 20 mai 2021, un arrêté modifiant la liste des pays dans lesquels la compétence des chefs de poste est étendue hors du cadre de leur circonscription consulaire, disposant que, outre l'ambassadeur de France auprès de la République islamique d'Afghanistan et l'ambassadeur de France auprès de la République islamique du Pakistan, l'ambassadeur de France auprès de la République islamique d'Iran et l'ambassadeur de France auprès de la République de l'Inde sont également compétents pour délivrer des visas aux ressortissants afghans. Toutefois, eu égard à l'objet de la demande des requérants tendant à ce que soient prises toutes les mesures d'organisation nécessaires à une instruction dans les meilleurs délais des demandes de réunification familiale et alors qu'il résulte des écritures mêmes du ministre de l'intérieur que des décisions sont encore à prendre dans les prochaines semaines, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que l'intervention de ce texte tiendrait lieu de réponse favorable à cette demande ni, par suite, que la présente requête serait pour ce motif irrecevable.
Sur les interventions :
4. L'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, le Groupe d'information et de soutien des immigrés, l'association La Cimade et la Ligue des droits de l'homme justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des requêtes. Leurs interventions sont, par suite, recevables.
5. En revanche, si le Conseil national des barreaux fait valoir qu'il aurait notamment pour mission de défendre les intérêts des justiciables et le droit au recours effectif des usagers du service public, son objet statutaire, défini par l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne lui confère pas d'intérêt de nature à lui donner qualité pour intervenir à l'appui des requêtes. Par suite, son intervention n'est pas recevable.
Sur la demande en référé :
6. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'aile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ". En vertu de l'article R. 561-1 de ce code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire mentionnée à l'article L. 561-5. Elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle résident ces personnes ". Selon l'article R. 561-2 du même code : " Au vu des justificatifs d'identité et des preuves des liens familiaux des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire, l'autorité diplomatique ou consulaire enregistre la demande de visa au réseau mondial des visas et délivre sans délai une attestation de dépôt de la demande (...) ".
7. Il résulte tant des pièces versées au dossier que des explications données au cours de l'audience que les autorités compétentes ont été confrontées à des difficultés exceptionnelles qui ont durablement affecté leur capacité à prendre en charge les demandes de visas présentées par les ressortissants afghans au titre du droit à la réunification familiale des réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire. Ainsi, les problèmes sécuritaires et l'instabilité grandissante en Afghanistan ont obligé la France à fermer au public le service des visas de sa représentation diplomatique dans ce pays, ne permettant plus d'assurer l'enregistrement des demandes de visas. Si, pour pallier cette situation, le poste consulaire d'Islamabad a été reconnu compétent pour instruire ces demandes, les menaces qui pèsent au Pakistan sur les intérêts français ont contraint à fermer à son tour ce poste consulaire en avril 2021. Il résulte de l'instruction et des échanges à l'audience que la cessation de l'activité des postes consulaires à Kaboul puis à Islamabad pour des raisons sécuritaires, combinée avec les perturbations liées à la crise sanitaire, ont conduit à prendre un retard considérable, qui concernerait plus de 3 500 dossiers, dans l'enregistrement et l'instruction des demandes de visa présentées, pour certaines depuis plusieurs années, par les membres des familles de ressortissants afghans pouvant bénéficier de la réunification familiale.
8. En réponse à cette situation très dégradée, et ainsi qu'il a été dit au point 3, un arrêté a été pris le 20 mai 2021, soit postérieurement à la demande des requérants, par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur qui donne compétence aux postes consulaires à New Delhi et à Téhéran, outre celui d'Islamabad, pour instruire les demandes de visas présentées par des ressortissants afghans. Les requérants soutiennent qu'au vu du retard pris, les dysfonctionnements constatés appellent des mesures complémentaires d'organisation et d'information dans les postes consulaires saisis ou susceptibles d'être saisis par des ressortissants afghans, ainsi que des aménagements exceptionnels de la procédure d'instruction des demandes de visas présentées par les familles concernées. D'une part, il résulte des éléments produits après l'audience par le ministre de l'intérieur, à la demande des juges des référés, que si les dossiers qui avaient été déposés auprès du poste d'Islamabad, mais pour lesquels les prises d'empreintes n'avaient pas encore été effectuées, ont vocation à être pris en charge par les postes de Téhéran et New Delhi et si, en conséquence, les intéressés sont invités à se rapprocher, selon leur choix, d'un de ces deux postes, il appartient à ces postes de prendre en compte les éléments d'instruction déjà réalisés, ainsi que l'antériorité des demandes, afin notamment d'apprécier l'âge des enfants des demandeurs à la date de dépôt des dossiers, et de procéder à un traitement prioritaire de ces dossiers en instance. En outre, dans ses écritures, le ministre de l'intérieur s'est engagé à ce que soit mise en oeuvre, pour les demandes des ressortissants afghans au titre de la réunification familiale, la dérogation prévue par l'article 1er du décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions en matière de visas qui autorise tout chef de poste consulaire à " délivrer des visas aux étrangers justifiant de motifs imprévisibles et impérieux qui ne leur ont pas permis de déposer leur demande dans la circonscription consulaire où ils résident habituellement ". Par ailleurs, il a également annoncé que des mesures seraient prises prochainement en termes de dimensionnement des moyens humains, matériels et immobiliers, en lien avec les postes concernés et en fonction de l'évolution sécuritaire. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction qu'à la date de la présente ordonnance, dans le contexte d'incertitude qui prévaut en Afghanistan, s'agissant notamment de la fermeture des frontières, et compte tenu de ce qui vient d'être rappelé, les moyens soulevés à l'appui de la requête, tirés de la méconnaissance de l'obligation de statuer dans les meilleurs délais sur les demandes de réunification familiale et du principe de continuité du service public, soient, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité du refus de prendre les mesures demandées, qui s'apprécie à la date à laquelle le juge se prononce.
9. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. A... et autres doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sans qu'y ait lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer l'admission provisoire des requérants au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, du Groupe d'information et de soutien des immigrés et du Syndicat des avocats de France, celle de l'association La Cimade et celle de la Ligue des droits de l'homme sont admises.
Article 2 : L'intervention du Conseil national des barreaux n'est pas admise.
Article 3 : Eu égard notamment aux motifs du point 8, la requête de M. A... et autres est rejetée.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. E... A..., premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Premier ministre.