Conseil d'État
N° 448500
ECLI:FR:CECHR:2021:448500.20210716
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Hervé Cassagnabère, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats
Lecture du vendredi 16 juillet 2021
Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2007 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1309259 du 4 mai 2015, ce tribunal a fait droit à sa demande.
Par un arrêt n° 15VE02635 du 26 septembre 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement.
Par une décision n° 415959 du 4 juin 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé le jugement de l'affaire à la même cour qui, par un arrêt 19VE02065 du 10 novembre 2020 a de nouveau rejeté l'appel du ministre.
Par un pourvoi, enregistré le 7 janvier 2021 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention du 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales modifiée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. et Mme B... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 juillet 2021, présentée par M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B... s'est vu attribuer, entre 2000 et 2003, des options de souscription d'actions de la société Vinci, dont il était le président-directeur général jusqu'en janvier 2006 puis le président du conseil d'administration jusqu'en juin de la même année. A la suite d'un avis de vérification du 23 juillet 2008, notifié le 8 août suivant, M. B... a fait l'objet d'un examen de situation fiscale personnelle portant sur les années 2005 à 2007, qui a permis à l'administration de constater qu'il était devenu résident fiscal suisse à compter du 25 juin 2006. Cet examen a été prolongé du fait de l'exercice par l'administration, le 17 juillet 2009, de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire. L'administration a, le 28 juin 2010, exercé une nouvelle fois son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire pour obtenir communication des éléments recueillis par le parquet à l'occasion d'une enquête préliminaire diligentée à l'encontre la société Vinci à la suite d'une plainte pour opposition à fonctions déposée par les services fiscaux. Prenant ainsi connaissance des extraits du registre de titres au porteur identifiable de la société Vinci que celle-ci avait refusé de lui communiquer, l'administration a pu constater qu'au cours de l'année 2007, M. B... avait cédé des actions de la société Vinci correspondant à des options qu'il avait levées en novembre et décembre 2004, en mai 2005 et en juillet 2006. Elle a estimé que le gain de levée d'option, c'est-à-dire l'avantage correspondant à la différence entre la valeur des actions aux dates auxquelles les options ont été levées et le prix de souscription de ces actions, constituait un complément de salaire imposable en France, et a assujetti en conséquence M. et Mme B... à une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2007, assortie de pénalités. Par un jugement du 4 mai 2015, le tribunal administratif de Montreuil a accordé à M. et Mme B... la décharge de ces impositions et pénalités. Par un arrêt du 26 septembre 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement. Par une décision n° 415959 du 4 juin 2019, le Conseil d'État, statuant au contentieux a, sur le pourvoi du ministre, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la même cour. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 novembre 2020 par lequel celle-ci a de nouveau rejeté son appel.
2. Aux termes, d'une part, de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées (...) ". L'article L.82 C de ce livre prévoit quant à lui : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances " et l'article L. 101 du même livre prévoit que : " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu ".
3. Aux termes, d'autre part, de l'article 49 du code de procédure pénale : " Le juge d'instruction est chargé de procéder aux informations (...) ". Aux termes de l'article 75 du même code : " Les officiers de police judiciaire et, sous le contrôle de ceux-ci, les agents de police judiciaire (...) procèdent à des enquêtes préliminaires soit sur les instructions du procureur de la République, soit d'office. / Ces opérations relèvent de la surveillance du procureur général. (...) ". Aux termes du 1 de l'article 1746 du code général des impôts, dans sa version applicable aux faits de l'espèce : " Le fait de mettre les agents habilités à constater les infractions à la législation fiscale dans l'impossibilité d'accomplir leurs fonctions est puni d'une amende de 25 000 ?, prononcée par le tribunal correctionnel. En cas de récidive de cette infraction, le tribunal peut, outre cette amende, prononcer une peine de six mois d'emprisonnement ".
4. Il résulte des dispositions des articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, dans leur rédaction applicable au présent litige, eu égard à leur objet et lues à la lumière des travaux parlementaires de la loi du 4 avril 1926 dont elles sont issues, que l'autorité judiciaire peut régulièrement transmettre à l'administration fiscale, spontanément ou sur demande adressée au ministère public, tous éléments révélés par une instance civile ou pénale ou recueillis par elle dans le cadre d'une procédure judiciaire et que si le législateur n'a mentionné, parmi ces procédures, que les informations criminelles ou correctionnelles, il ne saurait être regardé, compte tenu de l'évolution des règles de procédure pénale depuis l'adoption de ces dispositions, comme ayant entendu permettre l'exclusion du champ du droit de communication de l'administration fiscale les éléments recueillis dans le cadre d'une enquête préliminaire, alors même qu'elle aurait fait l'objet d'un classement sans suite.
5. La cour a relevé qu'il était constant que les extraits de registre de titres au porteur identifiable de la société Vinci sur lesquels le service s'était fondé pour établir les impositions en litige avaient été obtenus dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée à la suite d'une plainte déposée par l'administration sur le fondement du 1 de l'article 1746 du code général des impôts, laquelle s'est conclue par un classement sans suite par le procureur de la République. En jugeant que les éléments en cause n'avaient pu régulièrement être transmis à l'administration fiscale en application des dispositions relatives au droit de communication au seul motif qu'ils avaient été obtenus dans le cadre d'une telle enquête, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
6. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
7. Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond en application du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient toutefois ensuite, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer, en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office, si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
9. D'une part, aux termes du I de l'article 80 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " L'avantage correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée d'une option accordée dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce, et le prix de souscription ou d'achat de cette action constitue pour le bénéficiaire un complément de salaire imposable dans les conditions prévues au II de l'article 163 bis C ". L'article 163 bis C du même code, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, dispose que " L'avantage défini à l'article 80 bis est imposé lors de la cession des titres, (...) si les actions acquises revêtent la forme nominative et demeurent indisponibles sans être données en location, suivant des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat, jusqu'à l'achèvement d'une période de quatre années à compter de la date d'attribution de l'option ". Il résulte de ces dispositions que, par dérogation aux dispositions de l'article 12 du code général des impôts en vertu duquel l'impôt est dû chaque année à raison des revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année, l'imposition du gain de levée d'option défini à l'article 80 bis, lequel est réalisé à la date de cette levée, est reportée, sous certaines conditions, et n'intervient qu'au titre de l'année de cession des titres acquis par levée d'option.
10. En vertu des dispositions combinées du d de l'article 164 B du code général des impôts et de l'article 4 A du même code, les revenus tirés d'activités professionnelles, salariées ou non, exercées en France sont imposables dans ce pays, que le domicile fiscal du contribuable y soit situé ou non. Il en résulte que les gains résultant de la levée d'options de souscription d'actions attribuées par une entreprise établie en France à ses salariés ou dirigeants sont, en application de la loi fiscale française, taxables en France.
11. D'autre part, aux termes du 1 de l'article 17 de la convention fiscale conclue entre la France et la Suisse le 9 septembre 1966 dans sa rédaction applicable au litige : " (...) les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre Etat contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat ". En vertu du 1 de l'article 23, les revenus non traités par les autres articles de cette convention ne sont imposables que dans l'Etat de résidence du contribuable. Ces stipulations doivent être comprises conformément au principe d'interprétation posé au 2 de l'article 3 aux termes duquel : " Pour l'application de la convention par un Etat contractant, tout terme ou expression qui n'y est pas défini a le sens que lui attribue le droit de cet Etat concernant les impôts auxquels s'applique la convention, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente. Le sens attribué à un terme ou expression par le droit fiscal de cet Etat prévaut sur le sens attribué à ce terme ou expression par les autres branches du droit de cet Etat ".
12. Dès lors qu'en application de la loi fiscale française, les rémunérations perçues par le président-directeur général d'une société anonyme au titre de son mandat social relèvent, pour leur soumission à l'impôt sur le revenu, de la catégorie des traitements et salaires, il découle de la règle énoncée par les stipulations précitées du 2 de l'article 3 de la convention franco-suisse que ces rémunérations doivent, pour l'application des clauses de la convention répartissant le pouvoir d'imposer entre les deux Etat, être regardées comme reçues au titre d'un emploi salarié au sens des stipulations du 1 de l'article 17 de la même convention. Dès lors que les fonctions de président-directeur général de la société Vinci exercées par M. B... l'étaient en France, les stipulations de la convention franco-suisse ne faisaient pas obstacle à la taxation des rémunérations correspondantes par la France.
13. Au demeurant, sauf stipulation contraire, pour l'application des conventions fiscales bilatérales conclues en vue de prévenir les doubles impositions, la résidence fiscale du contribuable prise en compte pour répartir entre les Etats contractants le droit d'imposer ses revenus s'apprécie à la date de réalisation de ceux-ci, quelles que soient leurs modalités de taxation en droit interne et, notamment, sans qu'ait d'incidence la circonstance que leur imposition soit reportée par la loi fiscale à une date ultérieure. Dans le cas d'un contribuable qui s'est vu attribuer des options de souscription ou d'achat d'actions, le gain de levée d'option, correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée d'option et le prix de souscription ou d'achat de cette action, est réalisé à la date de cette levée d'option. M. et Mme B... n'ayant transporté leur domicile en Suisse qu'à compter du 25 juin 2006, ils ne peuvent en tout état de cause se prévaloir des règles conventionnelles d'attribution du pouvoir de taxer les revenus de source française perçus par des résidents de Suisse que pour ce qui concerne les seuls gains découlant des levées d'options postérieures à cette date.
14. Le ministre de l'action et des comptes publics est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'il attaque, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. B... a été assujetti au titre de l'année 2007 et des pénalités correspondantes au motif, d'une part, que les gains en litige relevaient du 1 de l'article 23 de la convention et n'étaient ainsi taxables que dans l'Etat de résidence du contribuable et, d'autre part, que les époux B... étaient résidents de Suisse à la date de cession des actions que M. B... avait acquises ou souscrites en levant les options qui lui avaient été attribuées.
15. Il appartient toutefois au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens soulevés devant les juges du fond.
16. En premier lieu, si le troisième alinéa de l'article L. 12 du livre des procédures fiscales limite en principe à un an à compter de la réception de l'avis de vérification la durée de l'examen fiscal de la situation personnelle, le sixième alinéa du même article prévoit que cette période est portée à deux ans notamment lorsque l'administration met en oeuvre, dans le délai initial d'un an, le droit de communication prévu aux articles L. 82 C et L. 101 du même livre. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit, que l'administration fiscale a mis en oeuvre son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire le 17 juillet 2009, dans le délai d'un an à compter de la notification, le 8 août 2008, de l'avis de vérification. Par ailleurs, si M. B... soutient que l'exercice par l'administration de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire trois semaines avant l'expiration du délai d'un an serait constitutif d'un détournement de procédure, il ne l'établit pas. M. B... n'est par suite pas fondé à soutenir que la procédure de vérification dont son foyer fiscal a fait l'objet serait irrégulière pour avoir excédé la durée d'un an.
17. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit, il résulte de l'instruction et notamment de la proposition de rectification du 20 juillet 2010, que l'administration fiscale s'est fondée, pour établir les redressements, sur les renseignements qu'elle a obtenus de l'autorité judiciaire à la suite de l'exercice, le 28 juin 2010, de son droit de communication, qui lui a permis, par la transmission des extraits pertinents du registre de titres au porteur identifiable de la société Vinci, de déterminer l'année de cession des titres acquis par M. B... à la suite des levées d'option et par conséquent l'année d'imposition des gains d'acquisition correspondants, à savoir l'année 2007.
18. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la seule circonstance que les renseignements ainsi communiqués par l'autorité judiciaire auraient été obtenus dans le cadre d'une enquête préliminaire classée sans suite n'est pas de nature à entacher d'irrégularité l'exercice par l'administration de son droit de communication.
19. D'autre part, la seule circonstance que l'enquête préliminaire au cours de laquelle l'autorité judiciaire a obtenu de la société Vinci les extraits de son registre des titres au porteur identifiable trouvait son origine dans le dépôt par l'administration d'une plainte pour opposition à fonctions consécutive au refus de cette société de donner suite à la demande de communication de ces documents qu'elle lui avait adressée sur le fondement des articles L. 85 et L. 85-0 A du livre des procédures fiscales n'est, contrairement à ce que soutient le contribuable, pas de nature à caractériser un détournement de procédure
20. Il résulte de tout ce qui précède que la demande M. B... doit être rejetée.
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée à ce titre par M. B....
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 10 novembre 2020 et le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 4 mai 2015 sont annulés.
Article 2 : La demande de M. B... est rejetée, de même que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les impositions dont le tribunal administratif de Montreuil avait prononcé la décharge sont remises à la charge de M. et Mme B....
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à M. A... B....
N° 448500
ECLI:FR:CECHR:2021:448500.20210716
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Hervé Cassagnabère, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats
Lecture du vendredi 16 juillet 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2007 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1309259 du 4 mai 2015, ce tribunal a fait droit à sa demande.
Par un arrêt n° 15VE02635 du 26 septembre 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement.
Par une décision n° 415959 du 4 juin 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé le jugement de l'affaire à la même cour qui, par un arrêt 19VE02065 du 10 novembre 2020 a de nouveau rejeté l'appel du ministre.
Par un pourvoi, enregistré le 7 janvier 2021 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention du 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales modifiée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. et Mme B... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 juillet 2021, présentée par M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B... s'est vu attribuer, entre 2000 et 2003, des options de souscription d'actions de la société Vinci, dont il était le président-directeur général jusqu'en janvier 2006 puis le président du conseil d'administration jusqu'en juin de la même année. A la suite d'un avis de vérification du 23 juillet 2008, notifié le 8 août suivant, M. B... a fait l'objet d'un examen de situation fiscale personnelle portant sur les années 2005 à 2007, qui a permis à l'administration de constater qu'il était devenu résident fiscal suisse à compter du 25 juin 2006. Cet examen a été prolongé du fait de l'exercice par l'administration, le 17 juillet 2009, de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire. L'administration a, le 28 juin 2010, exercé une nouvelle fois son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire pour obtenir communication des éléments recueillis par le parquet à l'occasion d'une enquête préliminaire diligentée à l'encontre la société Vinci à la suite d'une plainte pour opposition à fonctions déposée par les services fiscaux. Prenant ainsi connaissance des extraits du registre de titres au porteur identifiable de la société Vinci que celle-ci avait refusé de lui communiquer, l'administration a pu constater qu'au cours de l'année 2007, M. B... avait cédé des actions de la société Vinci correspondant à des options qu'il avait levées en novembre et décembre 2004, en mai 2005 et en juillet 2006. Elle a estimé que le gain de levée d'option, c'est-à-dire l'avantage correspondant à la différence entre la valeur des actions aux dates auxquelles les options ont été levées et le prix de souscription de ces actions, constituait un complément de salaire imposable en France, et a assujetti en conséquence M. et Mme B... à une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2007, assortie de pénalités. Par un jugement du 4 mai 2015, le tribunal administratif de Montreuil a accordé à M. et Mme B... la décharge de ces impositions et pénalités. Par un arrêt du 26 septembre 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement. Par une décision n° 415959 du 4 juin 2019, le Conseil d'État, statuant au contentieux a, sur le pourvoi du ministre, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la même cour. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 novembre 2020 par lequel celle-ci a de nouveau rejeté son appel.
2. Aux termes, d'une part, de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées (...) ". L'article L.82 C de ce livre prévoit quant à lui : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances " et l'article L. 101 du même livre prévoit que : " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu ".
3. Aux termes, d'autre part, de l'article 49 du code de procédure pénale : " Le juge d'instruction est chargé de procéder aux informations (...) ". Aux termes de l'article 75 du même code : " Les officiers de police judiciaire et, sous le contrôle de ceux-ci, les agents de police judiciaire (...) procèdent à des enquêtes préliminaires soit sur les instructions du procureur de la République, soit d'office. / Ces opérations relèvent de la surveillance du procureur général. (...) ". Aux termes du 1 de l'article 1746 du code général des impôts, dans sa version applicable aux faits de l'espèce : " Le fait de mettre les agents habilités à constater les infractions à la législation fiscale dans l'impossibilité d'accomplir leurs fonctions est puni d'une amende de 25 000 ?, prononcée par le tribunal correctionnel. En cas de récidive de cette infraction, le tribunal peut, outre cette amende, prononcer une peine de six mois d'emprisonnement ".
4. Il résulte des dispositions des articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, dans leur rédaction applicable au présent litige, eu égard à leur objet et lues à la lumière des travaux parlementaires de la loi du 4 avril 1926 dont elles sont issues, que l'autorité judiciaire peut régulièrement transmettre à l'administration fiscale, spontanément ou sur demande adressée au ministère public, tous éléments révélés par une instance civile ou pénale ou recueillis par elle dans le cadre d'une procédure judiciaire et que si le législateur n'a mentionné, parmi ces procédures, que les informations criminelles ou correctionnelles, il ne saurait être regardé, compte tenu de l'évolution des règles de procédure pénale depuis l'adoption de ces dispositions, comme ayant entendu permettre l'exclusion du champ du droit de communication de l'administration fiscale les éléments recueillis dans le cadre d'une enquête préliminaire, alors même qu'elle aurait fait l'objet d'un classement sans suite.
5. La cour a relevé qu'il était constant que les extraits de registre de titres au porteur identifiable de la société Vinci sur lesquels le service s'était fondé pour établir les impositions en litige avaient été obtenus dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée à la suite d'une plainte déposée par l'administration sur le fondement du 1 de l'article 1746 du code général des impôts, laquelle s'est conclue par un classement sans suite par le procureur de la République. En jugeant que les éléments en cause n'avaient pu régulièrement être transmis à l'administration fiscale en application des dispositions relatives au droit de communication au seul motif qu'ils avaient été obtenus dans le cadre d'une telle enquête, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
6. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
7. Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond en application du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient toutefois ensuite, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer, en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office, si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
9. D'une part, aux termes du I de l'article 80 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " L'avantage correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée d'une option accordée dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce, et le prix de souscription ou d'achat de cette action constitue pour le bénéficiaire un complément de salaire imposable dans les conditions prévues au II de l'article 163 bis C ". L'article 163 bis C du même code, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, dispose que " L'avantage défini à l'article 80 bis est imposé lors de la cession des titres, (...) si les actions acquises revêtent la forme nominative et demeurent indisponibles sans être données en location, suivant des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat, jusqu'à l'achèvement d'une période de quatre années à compter de la date d'attribution de l'option ". Il résulte de ces dispositions que, par dérogation aux dispositions de l'article 12 du code général des impôts en vertu duquel l'impôt est dû chaque année à raison des revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année, l'imposition du gain de levée d'option défini à l'article 80 bis, lequel est réalisé à la date de cette levée, est reportée, sous certaines conditions, et n'intervient qu'au titre de l'année de cession des titres acquis par levée d'option.
10. En vertu des dispositions combinées du d de l'article 164 B du code général des impôts et de l'article 4 A du même code, les revenus tirés d'activités professionnelles, salariées ou non, exercées en France sont imposables dans ce pays, que le domicile fiscal du contribuable y soit situé ou non. Il en résulte que les gains résultant de la levée d'options de souscription d'actions attribuées par une entreprise établie en France à ses salariés ou dirigeants sont, en application de la loi fiscale française, taxables en France.
11. D'autre part, aux termes du 1 de l'article 17 de la convention fiscale conclue entre la France et la Suisse le 9 septembre 1966 dans sa rédaction applicable au litige : " (...) les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre Etat contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat ". En vertu du 1 de l'article 23, les revenus non traités par les autres articles de cette convention ne sont imposables que dans l'Etat de résidence du contribuable. Ces stipulations doivent être comprises conformément au principe d'interprétation posé au 2 de l'article 3 aux termes duquel : " Pour l'application de la convention par un Etat contractant, tout terme ou expression qui n'y est pas défini a le sens que lui attribue le droit de cet Etat concernant les impôts auxquels s'applique la convention, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente. Le sens attribué à un terme ou expression par le droit fiscal de cet Etat prévaut sur le sens attribué à ce terme ou expression par les autres branches du droit de cet Etat ".
12. Dès lors qu'en application de la loi fiscale française, les rémunérations perçues par le président-directeur général d'une société anonyme au titre de son mandat social relèvent, pour leur soumission à l'impôt sur le revenu, de la catégorie des traitements et salaires, il découle de la règle énoncée par les stipulations précitées du 2 de l'article 3 de la convention franco-suisse que ces rémunérations doivent, pour l'application des clauses de la convention répartissant le pouvoir d'imposer entre les deux Etat, être regardées comme reçues au titre d'un emploi salarié au sens des stipulations du 1 de l'article 17 de la même convention. Dès lors que les fonctions de président-directeur général de la société Vinci exercées par M. B... l'étaient en France, les stipulations de la convention franco-suisse ne faisaient pas obstacle à la taxation des rémunérations correspondantes par la France.
13. Au demeurant, sauf stipulation contraire, pour l'application des conventions fiscales bilatérales conclues en vue de prévenir les doubles impositions, la résidence fiscale du contribuable prise en compte pour répartir entre les Etats contractants le droit d'imposer ses revenus s'apprécie à la date de réalisation de ceux-ci, quelles que soient leurs modalités de taxation en droit interne et, notamment, sans qu'ait d'incidence la circonstance que leur imposition soit reportée par la loi fiscale à une date ultérieure. Dans le cas d'un contribuable qui s'est vu attribuer des options de souscription ou d'achat d'actions, le gain de levée d'option, correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée d'option et le prix de souscription ou d'achat de cette action, est réalisé à la date de cette levée d'option. M. et Mme B... n'ayant transporté leur domicile en Suisse qu'à compter du 25 juin 2006, ils ne peuvent en tout état de cause se prévaloir des règles conventionnelles d'attribution du pouvoir de taxer les revenus de source française perçus par des résidents de Suisse que pour ce qui concerne les seuls gains découlant des levées d'options postérieures à cette date.
14. Le ministre de l'action et des comptes publics est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'il attaque, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. B... a été assujetti au titre de l'année 2007 et des pénalités correspondantes au motif, d'une part, que les gains en litige relevaient du 1 de l'article 23 de la convention et n'étaient ainsi taxables que dans l'Etat de résidence du contribuable et, d'autre part, que les époux B... étaient résidents de Suisse à la date de cession des actions que M. B... avait acquises ou souscrites en levant les options qui lui avaient été attribuées.
15. Il appartient toutefois au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens soulevés devant les juges du fond.
16. En premier lieu, si le troisième alinéa de l'article L. 12 du livre des procédures fiscales limite en principe à un an à compter de la réception de l'avis de vérification la durée de l'examen fiscal de la situation personnelle, le sixième alinéa du même article prévoit que cette période est portée à deux ans notamment lorsque l'administration met en oeuvre, dans le délai initial d'un an, le droit de communication prévu aux articles L. 82 C et L. 101 du même livre. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit, que l'administration fiscale a mis en oeuvre son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire le 17 juillet 2009, dans le délai d'un an à compter de la notification, le 8 août 2008, de l'avis de vérification. Par ailleurs, si M. B... soutient que l'exercice par l'administration de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire trois semaines avant l'expiration du délai d'un an serait constitutif d'un détournement de procédure, il ne l'établit pas. M. B... n'est par suite pas fondé à soutenir que la procédure de vérification dont son foyer fiscal a fait l'objet serait irrégulière pour avoir excédé la durée d'un an.
17. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit, il résulte de l'instruction et notamment de la proposition de rectification du 20 juillet 2010, que l'administration fiscale s'est fondée, pour établir les redressements, sur les renseignements qu'elle a obtenus de l'autorité judiciaire à la suite de l'exercice, le 28 juin 2010, de son droit de communication, qui lui a permis, par la transmission des extraits pertinents du registre de titres au porteur identifiable de la société Vinci, de déterminer l'année de cession des titres acquis par M. B... à la suite des levées d'option et par conséquent l'année d'imposition des gains d'acquisition correspondants, à savoir l'année 2007.
18. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la seule circonstance que les renseignements ainsi communiqués par l'autorité judiciaire auraient été obtenus dans le cadre d'une enquête préliminaire classée sans suite n'est pas de nature à entacher d'irrégularité l'exercice par l'administration de son droit de communication.
19. D'autre part, la seule circonstance que l'enquête préliminaire au cours de laquelle l'autorité judiciaire a obtenu de la société Vinci les extraits de son registre des titres au porteur identifiable trouvait son origine dans le dépôt par l'administration d'une plainte pour opposition à fonctions consécutive au refus de cette société de donner suite à la demande de communication de ces documents qu'elle lui avait adressée sur le fondement des articles L. 85 et L. 85-0 A du livre des procédures fiscales n'est, contrairement à ce que soutient le contribuable, pas de nature à caractériser un détournement de procédure
20. Il résulte de tout ce qui précède que la demande M. B... doit être rejetée.
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée à ce titre par M. B....
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 10 novembre 2020 et le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 4 mai 2015 sont annulés.
Article 2 : La demande de M. B... est rejetée, de même que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les impositions dont le tribunal administratif de Montreuil avait prononcé la décharge sont remises à la charge de M. et Mme B....
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à M. A... B....