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Ariane Web: Conseil d'État 425519, lecture du 28 juin 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:425519.20210628

Décision n° 425519
28 juin 2021
Conseil d'État

N° 425519
ECLI:FR:CECHR:2021:425519.20210628
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Airelle Niepce, rapporteur
M. Olivier Fuchs, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du lundi 28 juin 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

Par une décision nos 425519 et autres du 29 novembre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, après avoir joint les requêtes présentées par l'association One Voice et la Ligue française pour la protection des oiseaux, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des cinq arrêtés du 24 septembre 2018 du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, relatifs à l'emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles noirs destinés à servir d'appelants, respectivement, dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, de Vaucluse et du Var, pour la campagne 2018-2019, a sursis à statuer sur ces requêtes jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée à titre préjudiciel sur les questions suivantes :

1° Les dispositions du c) du paragraphe 1 de l'article 9 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 doivent-elles être interprétées comme faisant obstacle à ce que les Etats membres autorisent le recours à des moyens, installations, méthodes de capture ou mise à mort susceptibles de conduire, même de façon minime et strictement temporaire, à des prises accessoires ' Le cas échéant, quels critères, tenant notamment à la proportion ou l'ampleur limitées de ces prises accessoires, au caractère en principe non létal du procédé de chasse autorisé et à l'obligation de libérer sans dommages sérieux les spécimens capturés accidentellement, peuvent être retenus pour regarder le critère de sélectivité posé par ces dispositions comme rempli '

2° La directive du 30 novembre 2009 doit-elle être interprétée en ce sens que l'objectif de préserver le recours à des modes et moyens de chasse d'oiseaux consacrés par les usages traditionnels, à des fins récréationnelles, et dans la mesure où l'ensemble des autres conditions posées à une telle dérogation par le c) du même paragraphe seraient remplies, est susceptible de justifier de l'inexistence d'une autre solution satisfaisante au sens du paragraphe 1 de son article 9, permettant ainsi de déroger au principe d'interdiction de ces modes et moyens de chasse posé à son article 8 '









































Vu les autres pièces des dossiers, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 29 novembre 2019 ;
Vu :
- la Constitution ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêt C-900/19 du 17 mars 2021 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'association One Voice et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération nationale des chasseurs ;



Considérant ce qui suit :

Sur les interventions :

1. La Fédération nationale des chasseurs justifie d'un intérêt suffisant au maintien des arrêtés attaqués. Ainsi, ses interventions dans le cadre des requêtes nos 425519, 425525, 425531, 425533 et 425545 sont recevables.

Sur les conclusions tendant à l'annulation des arrêtés du 24 septembre 2018 attaqués :

2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 8 de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dite directive oiseaux : " 1. En ce qui concerne la chasse, la capture ou la mise à mort d'oiseaux dans le cadre de la présente directive, les États membres interdisent le recours à tous moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort massive ou non sélective ou pouvant entraîner localement la disparition d'une espèce, et en particulier à ceux énumérés à l'annexe IV, point a). / (...) ". Parmi les moyens, installations ou méthode de capture ou de mise à mort prohibés par le a) de l'annexe IV de la directive figure notamment les " collet (...), gluaux, hameçons, oiseaux vivants utilisés comme appelants aveuglés ou mutilés, enregistreurs, appareils électrocutants " ou encore les " filets, pièges-trappes, appâts empoisonnés ou tranquillisants (...) ". Toutefois, l'article 9 de la directive prévoit en son paragraphe 1 que " Les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après : / (...) c) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités ". Par ailleurs, le paragraphe 2 de cet article 9 prévoit que les dérogations doivent mentionner les espèces concernées, les moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés, les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises, l'autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies, à décider quels moyens, installations ou méthodes peuvent être mis en oeuvre, dans quelles limites et par quelles personnes, enfin les contrôles qui seront opérés.

3. Il résulte de ces dispositions de la directive, dont il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la conformité au droit de l'Union et qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne privent de garanties effectives aucune exigence constitutionnelle telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 17 mars 2021 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, qu'une réglementation nationale faisant usage des possibilités de dérogation prévues à l'article 9 de la directive ne remplit pas les conditions relatives à l'obligation de motivation découlant du paragraphe 2 de cet article, lorsqu'elle contient la seule indication selon laquelle il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, sans que cette indication soit étayée par une motivation circonstanciée, fondée sur les meilleures connaissances scientifiques pertinentes et exposant les motifs ayant conduit l'autorité compétente à la conclusion que l'ensemble des conditions susceptibles de permettre une dérogation, parmi lesquelles celle relative à l'inexistence d'une autre solution satisfaisante, étaient réunies.

4. Il résulte également de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice, que les motifs de dérogation prévus à l'article 9 de la directive sont d'interprétation stricte et, à cet égard, que si les méthodes traditionnelles de chasse sont susceptibles de constituer une exploitation judicieuse de certains oiseaux au sens de la directive, l'objectif de préserver ces méthodes ne constitue pas un motif autonome de dérogation au sens de cet article. Par suite, le caractère traditionnel d'une méthode de capture d'oiseaux ne suffit pas, en soi, à établir qu'une autre solution satisfaisante, au sens des dispositions du paragraphe 1 de cet article 9, ne peut être substituée à cette méthode, de même que le simple fait qu'une autre méthode de capture requerrait une adaptation et, par conséquent, exigerait de s'écarter de certaines caractéristiques d'une tradition, ne saurait suffire pour considérer qu'il n'existe pas une telle autre solution satisfaisante.

5. Il résulte encore de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice, que, dans l'hypothèse d'une méthode de capture létale, la condition de sélectivité posée au paragraphe 1 de l'article 9 de la directive doit être appréciée de façon plutôt stricte, et que dans l'hypothèse d'une méthode de capture en principe non létale, elle peut être considérée comme satisfaite, même en présence de prises accessoires, pourvu que celles-ci ne concernent que de faibles volumes, pour une durée limitée, et que les spécimens d'oiseaux capturés non ciblés puissent être relâchés sans dommages autres que négligeables. A cet égard, la Cour de justice a précisé que les autorités compétentes doivent, au moment où elles accordent des autorisations, disposer des meilleures connaissances scientifiques permettant de démontrer que les conditions requises pour déroger au régime de protection institué par la directive sont satisfaites.

6. Selon l'article L. 424-4 du code de l'environnement, relatif aux modes et moyens de chasse autorisés aux détenteurs d'un permis de chasse valide : " Dans le temps où la chasse est ouverte, le permis donne à celui qui l'a obtenu le droit de chasser de jour, soit à tir, soit à courre, à cor et à cri, soit au vol, suivant les distinctions établies par des arrêtés du ministre chargé de la chasse. (...) / Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la chasse de certains oiseaux de passage en petites quantités, le ministre chargé de la chasse autorise, dans les conditions qu'il détermine, l'utilisation des modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels, dérogatoires à ceux autorisés par le premier alinéa. / Tous les moyens d'assistance électronique à l'exercice de la chasse, autres que ceux autorisés par arrêté ministériel, sont prohibés. / Les gluaux sont posés une heure avant le lever du soleil et enlevés avant onze heures. / Tous les autres moyens de chasse, y compris l'avion et l'automobile, même comme moyens de rabat, sont prohibés. / (...) ".

7. Sur le fondement des dispositions codifiées au code de l'environnement, l'article 1er de l'arrêté du 17 août 1989 relatif à l'emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles destinés à servir d'appelants dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, du Var et de Vaucluse, prévoit que : " L'emploi des gluaux pour la capture des grives draines, litornes, mauvis et musiciennes et des merles noirs destinés à servir d'appelants à des fins personnelles, est autorisé (...) dans les conditions strictement contrôlées définies ci-après afin de permettre la capture sélective et en petites quantités de ces oiseaux, puisqu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante ". Aux termes de l'article 6 de cet arrêté : " Le nombre maximum d'oiseaux pouvant être capturés pendant la campagne est fixé chaque année par le ministre chargé de la chasse ".

8. En premier lieu, il résulte des termes mêmes de l'article 1er de l'arrêté du 17 août 1989 qu'il autorise l'emploi des gluaux dans les conditions qu'il détermine au seul motif qu'il " n'existe pas d'autre solution satisfaisante " sans autre précision. Aucune autre mention ni aucune disposition des arrêtés attaqués du 24 septembre 2018 ne vient davantage expliciter, par une motivation circonstanciée, les motifs ayant conduit le ministre chargé de la chasse à retenir que la condition relative à l'inexistence d'une autre solution satisfaisante, posée à l'article 9 de la directive du 30 novembre 2009, était caractérisée. Par suite, ces arrêtés doivent être regardés comme méconnaissant l'obligation de motivation de l'absence d'autre solution satisfaisante découlant du paragraphe 2 de l'article 9 de la directive.

9. En deuxième lieu, il ressort des pièces des dossiers que, si l'emploi des gluaux a pour objet la capture d'oiseaux destinés à servir d'appelants, le motif de la dérogation prévue par l'arrêté du 17 août 1989 réside principalement dans l'objectif de préserver l'utilisation des modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels qui, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, ne saurait, à lui seul, constituer une démonstration suffisante de l'absence d'autre solution satisfaisante au sens de l'article 9 de la directive. Par ailleurs, la circonstance, invoquée par l'intervenante en défense, que le recours à des méthodes alternatives, telles que l'élevage, pour constituer des appelants en vue de la chasse à tir, impliquerait d'importantes adaptations, notamment en termes de coût financier et de disponibilité de la part des chasseurs, ne permet pas davantage d'établir l'absence d'autre solution satisfaisante à l'emploi des gluaux.

10. Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'arrêté du 17 août 1989 relatif à l'emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles destinés à servir d'appelants dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, du Var et de Vaucluse, sur le fondement duquel ont été pris les arrêtés attaqués, doivent être regardées dans leur ensemble comme méconnaissant les objectifs de l'article 9 de la directive du 30 novembre 2009.

11. En troisième lieu, le ministre chargé de la chasse comme la fédération intervenante n'ont produit, dans les présentes instances, aucun élément, notamment aucune donnée scientifique suffisamment récente, de nature à établir, d'une part, que les prises accessoires résultant de l'emploi des gluaux dans les conditions prévues par l'arrêté du 17 août 1989, dont ils ne contestent pas l'existence, ne concerneraient qu'un faible nombre d'oiseaux, d'autre part, que les dommages causés aux oiseaux capturés non ciblés pourraient être regardés comme négligeables.

12. Il s'ensuit que, pour ce motif également, les dispositions de l'arrêté du 17 août 1989, sur le fondement duquel ont été pris les arrêtés attaqués, doivent être regardées comme méconnaissant les objectifs de l'article 9 de la directive du 30 novembre 2009.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes n'ayant pas déjà été écartés par la décision du 29 novembre 2019 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, que les associations requérantes sont fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir des cinq arrêtés du 24 septembre 2018 qu'elles attaquent.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative :

14. L'annulation des arrêtés du 24 septembre 2018 n'implique, par elle-même, pas nécessairement l'abrogation de l'arrêté du 17 août 1989. Les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre d'abroger ce dernier arrêté ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser, d'une part, à l'association One Voice, d'autre part, à la Ligue française pour la protection des oiseaux.



D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de la Fédération nationale des chasseurs dans le cadre des requêtes nos 425519, 425525, 425531, 425533 et 425545 sont admises.
Article 2 : Les cinq arrêtés du 24 septembre 2018 du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, relatifs à l'emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles noirs destinés à servir d'appelants, respectivement, dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, de Vaucluse et du Var, pour la campagne 2018-2019, sont annulés.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à l'association One Voice et une somme de 3 000 euros à la Ligue française pour la protection des oiseaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association One Voice, à la Ligue de protection des oiseaux, à la Fédération nationale des chasseurs et à la ministre de la transition écologique.



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