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Décision n° 451940
6 mai 2021
Conseil d'État

N° 451940
ECLI:FR:CEORD:2021:451940.20210506
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP DE CHAISEMARTIN, DOUMIC-SEILLER, avocats


Lecture du jeudi 6 mai 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un autre mémoire, enregistrés les 22 avril et 3 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. O... E... et M. C... R... B... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'article 2 du décret n° 2021 384 du 2 avril 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en tant qu'il s'applique aux personnes ayant déjà contracté la Covid-19 et développé des anticorps toujours actifs contre cette maladie à la date d'édiction du décret querellé, celles-ci n'entrant pas dans la liste des exceptions permettant de déroger a` l'obligation de rester chez soi ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger cet article en tant qu'il s'applique aux personnes ayant déjà contracté la Covid-19 et développé des anticorps toujours actifs contre cette maladie à la date d'édiction du décret querellé, celles-ci n'entrant pas dans la liste des exceptions permettant de déroger a` l'obligation de rester chez soi ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les dispositions contestées, qui instituent un principe d'interdiction de déplacement hors de sa résidence, ont les mêmes effets qu'une assignation à résidence et restreignent considérablement leurs déplacements, portant ainsi atteinte à leur liberté d'aller et venir ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir ;
- les dispositions litigieuses sont disproportionnées en ce que, d'une part, elles s'appliquent de manière générale sans distinction entre les personnes qui ont contracté et sont guéries de la Covid-19 ou non, alors même que de nombreuses études scientifiques démontrent que ces personnes développent des anticorps en quantité suffisante pour être immunisées contre cette maladie pendant au moins trois à six mois et probablement pendant une année de plus, et ne sont donc pas contagieuses et, d'autre part, elles instituent un couvre-feu qui a vocation à perdurer.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 29 avril 2021, l'Association de défense des droits et libertés des anciens malades de la Covid-19, Mme Marie-Sophie Ly, Mme Pascale Rossard, M. Bertrand Djian, M. Michel Frechina, M. François Thuch et Mme Rosane Dumont concluent à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. Preap et M. Ueng. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s'associent aux moyens de la requête.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 4 mai 2021, présenté par M. Preap et autre ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;
- le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le décret n° 2021- 384 du 2 avril 2021 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Preap et M. Ueng, et d'autre part, le ministre des solidarités et de la santé et le Premier ministre ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 4 mai 2021, à 11 heures :

- Me Doumic-Sellier, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate des requérants ;

- les représentants des requérants ;

- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 5 mai 2021 à 12 heures.


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. La circulation du virus de la Covid-19 demeure élevée sur le territoire, et continue d'exiger des mesures de lutte contre cette diffusion au regard de sa dangerosité. La pression sur les services de santé, et particulièrement sur les capacités hospitalières, reste forte, et, étant demeurée telle depuis plus d'un an, a dégradé la capacité globale du système à faire face à de nouveaux à-coups. Si la campagne de vaccination, qui porte prioritairement sur les catégories les plus vulnérables, contribue à diminuer la pression sur le système de soins, son effet, comme l'illustre le taux très élevé d'occupation de lits de réanimation par des patients atteints de la Covid-19, est encore limité et ne s'accroîtra que progressivement.

3. Les signes indiquant une relative maîtrise de la troisième vague de diffusion du virus demeurent fragiles au regard de la menace que font peser les variants du virus, dont la capacité de diffusion, la légalité et la sensibilité aux vaccins existants demeurent pour certains d'entre eux empreintes d'incertitude. Le stade d'immunité collective de la population est en tout état de cause très loin d'être atteint.

4. Les données scientifiques disponibles semblent toutefois désormais indiquer que les personnes ayant souffert de la Covid-19 puis s'étant rétablies sont susceptibles, pendant une période quasi certaine de trois mois au moins, et vraisemblablement de six mois, de ne plus être porteuses du virus ou, comme l'illustre le très faible nombre de réinfections dans cette catégorie, dans des proportions bien moindres que les autres personnes non vaccinées.

5. M. Preap et M. Ueng en déduisent que, à l'égard des anciens malades de la Covid-19, les mesures de confinement et de couvre-feu ne sont plus justifiées et demandent, en conséquence, au juge des référés agissant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension des dispositions du décret du 29 octobre 2020 les ayant instituées aux termes de sa modification par le décret du 2 avril 2021 et qu'il soit enjoint au Premier ministre d'abroger ces dispositions.

Sur l'intervention :

6. L'Association de défense des droits et libertés des anciens malades de la Covid-19, dont l'objet est de défendre les droits et libertés des anciens malades de la Covid-19, ainsi que Mme Ly, Mme Rossard, M. Djian, M. Frechina, M. Thugh, Mme Dumont, qui se prévalent de leur qualité d'anciens malades de la Covid-19, guéris et immunisés, interviennent au soutien du rejet des conclusions de la requête. Au vu des intérêts dont se prévalent les intervenants, cette intervention peut, au stade du référé, être admise.

Sur les conclusions dirigées contre les mesures de confinement :

7. Il a été mis fin aux mesures de confinement diurne dont la suspension est demandée par décret du 1er mai 2021. Les conclusions des requérants sont donc sur ce point devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les conclusions dirigées contre les mesures de couvre-feu :

8. Ne demeurent en vigueur que l'interdiction de circuler, sauf exceptions, de 19 heures à 6 heures du matin, dont le gouvernement a indiqué qu'il entendait la restreindre à une période de 21 heures à 6 heures du matin à compter du 19 mai. A la date de la présente ordonnance, ces mesures doivent prendre fin dans leur totalité le 2 juin, terme assigné par la loi du 15 février 2021, qui est la base légale de la possibilité de prendre ce type de mesures en cas de déclaration de l'état d'urgence sanitaire.

9. A supposer que la contribution des personnes rétablies après avoir été atteintes par le virus, dont elles ne pourraient plus être porteuses que dans de faibles proportions, puisse conduire à estimer que les interdictions de déplacement nocturne à leur encontre portent une atteinte manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, la suspension qui est demandée d'une telle mesure de police sanitaire ne peut intervenir qu'en tenant compte de l'intérêt général, qui s'attache à ce qu'elle se déroule dans des conditions ne portant pas une atteinte excessive à l'efficacité de sa mise en oeuvre pour le reste de la population, alors que, jusqu'à ce que la politique de vaccination ait permis d'assurer une maîtrise collective générale du risque épidémique, elle demeure le seul outil de sécurité sanitaire efficace à la disposition des pouvoirs publics.

10. A cet égard, les conséquences d'une levée partielle des contraintes en vigueur pour une fraction de la population, qui devrait être individuellement identifiée, suppose que les pouvoirs publics soient en mesure de s'assurer à tout instant qu'une personne alléguant qu'elle est rétablie l'est effectivement, et puisse également faire bénéficier de cette mesure des personnes qui ont été porteuses asymptomatiques du virus ou l'ont été sans que cette pathologie ait été diagnostiquée ou enregistrée, que la date de ce rétablissement puisse être établie de manière certaine, et qu'un moyen pratique, personnel, infalsifiable, accessible à toute personne, conforme aux exigences de traitement des informations personnelles à caractère médical, et aisément contrôlable, permette d'établir toutes ces circonstances. Il a sur ce point indiqué à l'audience que le gouvernement a entrepris des travaux à cet effet qui, à supposer qu'ils n'exigent pas qu'un fondement législatif leur soit donné, ne seront en tout état de cause pas achevés avant l'été. A défaut de réunir ces conditions, le désordre que créerait la levée immédiate des contraintes pourrait solliciter à l'excès les forces de l'ordre pour assurer aux horaires nocturnes imposés des contrôles dont l'inefficacité conduirait rapidement à une perte totale de l'effectivité des outils de politique sanitaire. Il résulte des débats qu'il est peu vraisemblable que dans les quatre semaines à venir, ces conditions puissent être réunies.

11. Au regard de l'ampleur des conséquences négatives pour la santé publique d'une levée sans délai des contraintes qui, à ce stade, progressivement réduites, cesseront d'être en vigueur le 2 juin, le maintien du couvre-feu à l'encontre des personnes rétablies après avoir contracté la Covid-19 ne peut être regardé comme portant une atteinte manifestement illégale aux droits et libertés.

12. Les conclusions de la requête ne peuvent donc qu'être rejetées, y compris en tant que, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, elles tendent à ce que l'Etat verse aux requérants une somme d'argent, dès lors que, l'Etat n'étant pas la partie perdante, ces dispositions y font obstacle.


O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de l'Association de défense des droits et libertés des anciens malades de la Covid-19, Mme Ly, Mme Rossard, M. Djian, M. Frechina, M. Thugh et Mme Dumont est admise.
Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins de suspension et d'injonction portant sur les dispositions de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 en ce qu'elles instituent un confinement.
Article 3 : La requête de M. Preap et de M. Ueng est rejetée.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Christophe Preap, premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, à l'Association de défense des droits et libertés des anciens malades de la Covid-19, première dénommée, pour l'ensemble des intervenants, et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.