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Ariane Web: Conseil d'État 451455, lecture du 6 mai 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:451455.20210506

Décision n° 451455
6 mai 2021
Conseil d'État

N° 451455
ECLI:FR:CEORD:2021:451455.20210506
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP DE CHAISEMARTIN, DOUMIC-SEILLER, avocats


Lecture du jeudi 6 mai 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 avril et 3 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. H... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 en ce qu'elles instituent un confinement et un couvre-feu pour les personnes vaccinées ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les dispositions contestées, qui instituent un principe d'interdiction de déplacement hors de sa résidence pour tous les habitants de la région Ile-de-France, ont les mêmes effets qu'une assignation à résidence et portent ainsi atteinte à sa liberté d'aller et venir ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des dispositions attaqués ;
- elles sont disproportionnées dès lors qu'elles s'appliquent de manière générale sans distinction entre les personnes vaccinées ou non, alors même que, en premier lieu, les personnes ayant reçu une double dose de vaccin ne peuvent pas contracter de formes graves de la Covid-19 et ne contribuent donc pas à l'augmentation de la tension hospitalière, en deuxième lieu, les personnes vaccinées présentent un risque réduit de contagiosité et, en dernier lieu, les personnes qui présentent le risque de développer une forme grave de la Covid-19, à savoir les personnes les plus âgées, sont aujourd'hui vaccinées dans des proportions importantes, ce qui réduit le risque de tension hospitalière.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 27 avril 2021, M. Jean Paul Mathieu conclut à ce qu'il soit fait droit à la requête. Il soutient que son intervention est recevable et s'associe aux moyens de la requête.

Par deux mémoires en intervention, enregistrés les 29 avril et 2 mai 2021, l'association BonSens.org, M. Xavier Azalbert et M. Christian Perronne soutiennent que leur intervention est recevable et concluent au rejet de la requête.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun moyen de la requête n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Djian, et d'autre part, le ministre des solidarités et de la santé et le Premier ministre ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 4 mai 2021, à 10 heures :

- Me Doumic-Seiller, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate des requérants ;

- les représentants des requérants ;

- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. La circulation du virus de la Covid-19 demeure élevée sur le territoire et continue d'exiger des mesures de lutte contre cette diffusion au regard de sa dangerosité. La pression sur les services de santé, et particulièrement sur les capacités hospitalières, reste forte et, étant demeurée telle depuis plus d'un an, a dégradé la capacité globale du système à faire face à de nouveaux à-coups. Si la campagne de vaccination, qui porte prioritairement sur les catégories les plus vulnérables, contribue à diminuer la pression sur le système de soins, son effet, comme l'illustre le taux très élevé d'occupation de lits de réanimation par des patients atteints de la Covid-19 est encore limité et ne s'accroîtra que progressivement.

3. Les signes indiquant une relative maîtrise de la troisième vague de diffusion du virus demeurent fragiles, au regard de la menace que font peser les variants du virus, dont la capacité de diffusion, la létalité, et la sensibilité aux vaccins existants demeurent pour certains d'entre eux empreintes d'incertitude. Le stade d'immunité collective de la population est en tout état de cause très loin d'être atteint.

4. Les données scientifiques disponibles semblent toutefois désormais indiquer que les personnes ayant bénéficié de la vaccination complète sont susceptibles, au terme de la période nécessaire à la pleine efficacité du vaccin, soit en règle générale 15 jours après la dernière injection, d'être porteuses du virus dans des proportions bien moindres que les personnes non vaccinées.

5. M. Djian en déduit que, à l'égard de ces personnes, les mesures de confinement et de couvre-feu ne sont plus justifiées et demande, en conséquence, au juge des référés agissant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension des dispositions du décret du 29 octobre 2020 les ayant instituées aux termes de sa modification par le décret du 2 avril 2021.

Sur les interventions :

6. M. Mathieu, qui se prévaut de sa qualité de personne vaccinée, est intervenu au soutien des conclusions de M. Djian et l'association BonSens.org, dont l'objet social est la promotion et la sauvegarde de la santé, et M. Azalbert et M. Perronne, citoyens français concernés par les mesures critiquées, interviennent au soutien du rejet des conclusions de la requête. Au vu des intérêts dont se prévalent les intervenants, ces interventions peuvent, au stade du référé, être admises.

Sur les conclusions dirigées contre les mesures de confinement :

7. Il a été mis fin aux mesures de confinement diurne dont la suspension est demandée par décret du 1er mai 2021. Les conclusions des requérants sont donc, sur ce point, devenue sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les conclusions dirigées contre les mesures de couvre-feu :

8. Ne demeure en vigueur que l'interdiction de circuler, sauf exceptions, de 19 heures à 6 heures du matin, dont le gouvernement a indiqué qu'il entendait la restreindre à une période de 21 heures à six heures à compter du 19 mai 2021. A la date de la présente ordonnance, ces mesures doivent prendre fin dans leur totalité le 2 juin 2021, terme assigné par la loi du 15 février 2021 prorogeant l'état d'urgence sanitaire.

9. A supposer que la contribution des personnes vaccinées ou ayant été atteintes par le virus à la diffusion du virus, dont elles ne pourraient plus être porteuses que dans de faibles proportions puissent conduire à estimer que les interdictions de déplacement nocturne à leur encontre portent une atteinte devenue disproportionnée à la liberté d'aller et de venir, la suspension d'une telle mesure de police sanitaire ne peut intervenir qu'en tenant compte de l'intérêt général qui s'attache à ce qu'elle se déroule dans des conditions ne portant pas une atteinte excessive à l'efficacité de leur mise en oeuvre pour le reste de la population, alors que, jusqu'à ce que la politique de vaccination ait permis d'assurer une maîtrise collective générale du risque épidémique, elle demeure le seul outil de sécurité sanitaire efficace à la disposition des pouvoirs publics.

10. A cet égard, les conséquences d'une levée partielle des contraintes en vigueur pour une fraction de la population, qui devrait être individuellement identifiée, suppose que les pouvoirs publics soient en mesure de s'assurer à tout instant que seules les personnes complètement vaccinées disposent d'un moyen de l'établir pratique, personnel, infalsifiable, accessible à toute personne, conforme aux exigences de traitement des informations personnelles à caractère médical, et aisément contrôlable. Il a sur ce point été indiqué à l'audience que le gouvernement a entrepris des travaux à cet effet qui, à supposer qu'ils n'exigent pas qu'un fondement législatif leur soit donné, ne seront en tout état de cause pas achevés avant l'été. Au regard de l'attrait de cette levée de contraintes, les pouvoirs publics devraient aussi s'assurer d'être en mesure de faire face à l'afflux potentiel de demande de vaccination, et de reconnaissance du statut personnel en découlant, et qu'ainsi l'approvisionnement nécessaire comme les capacités matérielles d'administrer les vaccins nécessaires sont à la disposition de la population. A défaut de réunir ces conditions, le désordre que créerait la levée immédiate des contraintes pourrait solliciter à l'excès les forces de l'ordre pour assurer aux horaires nocturnes imposés des contrôles dont l'inefficacité conduirait rapidement à une perte totale de l'effectivité des outils de politique sanitaire. Il résulte des débats qu'il est peu vraisemblable que, dans les quatre semaines à venir, ces conditions puissent être réunies.

11. Au regard des incertitudes qui demeurent quant à la contagiosité réelle des vaccinés susceptibles d'être porteurs sains du virus, notamment au regard de la diffusion des variants et de l'ampleur des conséquences négatives pour la santé publique d'une levée sans délai des contraintes qui, à ce stade, progressivement réduites, cesseront d'être en vigueur le 2 juin 2021, il n'y a pas matière, en l'espèce, pour le juge des référés à user des pouvoirs qui sont les siens.

12. Les conclusions de la requête ne peuvent donc qu'être rejetées, y compris en tant que, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, elles tendent à ce que l'Etat verse au requérant une somme d'argent dès lors que, l'Etat n'étant pas la partie perdante, ces dispositions y font obstacle.


O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de M. Mathieu, de M. Azalbert et de M. Perronne et de l'association BonSens.org est admise.
Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 en ce qu'elles instituent un confinement.
Article 3 : La requête de M. Djian est rejetée.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Jean-Pierre Djian et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.