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Ariane Web: Conseil d'État 449081, lecture du 5 février 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:449081.20210205

Décision n° 449081
5 février 2021
Conseil d'État

N° 449081
ECLI:FR:CEORD:2021:449081.20210205
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du vendredi 5 février 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Robin des Lois demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre au Premier ministre de compléter l'instruction interministérielle du 15 décembre 2020 relative à la planification de l'étape 1 du déploiement territorial de la vaccination contre la Covid-19 pour inclure dans cette première étape de la campagne vaccinale l'ensemble des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- elle justifie, eu égard à son objet social, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard à la nécessité de protéger les personnes détenues dans les établissements pénitentiaires dans les meilleurs délais et aux risques particuliers de contamination et de développement de la maladie auxquels les exposent tant leurs conditions de détention que leurs caractéristiques sanitaires ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la santé et au principe d'égalité en raison de l'absence de toute disposition organisant dès la première phase de la stratégie mise en place la vaccination de l'ensemble de la population carcérale, dont tant l'état sanitaire général que les conditions de détention, caractérisées par un fort risque de propagation de virus, imposent une vaccination urgente ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er février 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre de la justice, qui n'ont pas produit d'observations.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Robin des Lois, et d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice et le ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 2 février 2021 à 9 heures 30 :

- les représentants de l'association Robin des Lois ;

- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;

- la représentante du garde des sceaux, ministre de la justice ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 2 février 2021 à 18 heures.

Le garde des sceaux, ministre de la justice a produit une pièce complémentaire le 2 février 2021 à 16 heures.


Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article L. 521-2 de ce code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Eu égard à la vulnérabilité des personnes détenues et à leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration, il appartient à celle-ci de prendre les mesures propres à protéger leur vie et leur santé. Le droit au respect de la vie constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou risque d'entraîner une altération grave de l'état de santé de la personne intéressée, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

Sur le cadre du litige :

3. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code dispose que : " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. (...) / (...) / La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 131-19. " Aux termes du I de l'article L. 3131-15 du même code : " I - Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (...) 9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire ".

4. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l'aggravation de l'épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d'état d'urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ces dispositions a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020.

5. Une nouvelle progression de l'épidémie a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre dernier, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l'ensemble du territoire national. L'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 16 février 2021 inclus. Un projet de loi prévoyant une nouvelle prorogation est en cours d'examen par le Parlement.

6. Aux termes du I de l'article 53-1 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, issu du décret du 25 décembre 2020 : " Une campagne de vaccination contre la Covid-19 est organisée dans les conditions prévues au présent article. Les vaccins susceptibles d'être utilisés sont ceux dont la liste figure en annexe 4. Par dérogation à la procédure prévue à l'article L. 5132-7 du code la santé publique, ils sont classés sur la liste I définie à l'article L. 5132-6 du code de la santé publique. Les vaccins sont achetés par l'Agence nationale de santé publique. Leur mise à disposition est assurée dans les conditions prévues au présent article, à titre gratuit ".

7. Par une instruction interministérielle du 15 décembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'intérieur ont précisé le cadre de mise en oeuvre de la première étape de la campagne de vaccination contre la Covid-19. Cette instruction précise que : " la stratégie nationale de vaccination Covid-19 a pour objectifs principaux de faire baisser la mortalité et les formes graves de la maladie, de protéger les Français et notre système de santé et de garantir la sécurité sanitaire de tous la patients ". Se fondant sur un avis rendu public le 30 novembre 2020 par la Haute autorité de santé, elle définit comme personnes prioritaires pour la vaccination des personnes susceptibles de développer les formes graves de la maladie. Dans ce cadre, la première étape de la campagne de vaccination est ciblée, d'une part, sur les personnes âgées résidant dans les établissements et les hébergements de longue durée et dans les services de long séjour ainsi que dans d'autres lieux d'hébergement et, d'autre part, sur les professionnels exerçant dans ces établissements et présentant eux même un risque accru de forme grave ou de décès (plus de 65 ans et/ou présence de comorbidité), soit environ 1 million de personnes. Cette première étape s'inscrit dans une stratégie nationale de vaccination dans laquelle l'avis de la Haute autorité de santé du 30 novembre 2020 distingue cinq phases en se fondant sur des facteurs de risque de forme sévère de la Covid-19 ou de décès. Dans la deuxième phase, cet avis prévoit la vaccination des personnes âgées de plus de 75 ans, puis celle âgées de plus de 65 ans et les professionnels de santé âgés de 50 ans et plus. Dans la troisième phase, elle prévoit la vaccination des personnes à risque du fait de leur âge à partir de 50 ans ou de leur état de santé et l'ensemble des professionnels de santé. La quatrième phase comprend notamment les personnes vulnérables et précaires (personnes sans domicile fixe...), celles vivant en collectivités (prisons, établissements psychiatriques, foyers...) non vaccinées antérieurement du fait de leur âge ou de leur état de santé. Enfin, la cinquième phase comprend les autres personnes à partir de 18 ans non vaccinées antérieurement.

8. Il ressort de l'instruction et des échanges intervenus lors de l'audience que la première étape de la campagne de vaccination contre la Covid-19, qui a débuté le 27 décembre 2020, a permis, au 28 janvier 2021, à plus de 1,2 million de personnes de bénéficier de l'injection de la première dose de vaccin et à près de 12 000 personnes de bénéficier de la seconde dose. En fonction des progrès de la vaccination et de la disponibilité des doses vaccinales, le début des deuxième et troisième phases est envisagé à partir de mars 2021. Dans le cadre de la première phase, le Gouvernement a complété la liste des personnes susceptibles d'être vaccinées par rapport aux orientations décrites au point précédent en y incluant, à compter du 4 janvier 2021, les professionnels de santé et du secteur médico-social, les pompiers et les aides à domicile âgés de 50 ans et plus et/ou présentant des comorbidités et des personnes handicapées hébergées dans des établissements spécialisés ainsi que leurs personnels âgés de 50 ans et/ou présentant des comorbidités. Toujours dans le cadre de la première phase, il a ensuite, à compter du 18 janvier 2021, ouvert la vaccination aux personnes âgées de 75 ans et plus vivant à domicile et aux personnes vulnérables à très haut risque atteintes de certaines affections.

Sur le litige :

9. L'association requérante soutient, en premier lieu, que l'instruction interministérielle du 15 décembre 2020 visée ci-dessus ne faisant pas mention des personnes détenues dans des établissements pénitentiaires, il en résulterait pour celles-ci une impossibilité de bénéficier d'une vaccination dans le cadre de la première phase de la campagne vaccinale.

10. Il résulte cependant de l'instruction que celles des personnes détenues dans des établissements pénitentiaires qui font partie des publics cibles de cette première étape tels que définis aux points précédents, n'en sont pas exclues du fait de leur situation de détention. L'administration produit à cet égard une " fiche établissements pénitentiaires " datée du 29 janvier 2021 relative à l'organisation de la campagne de vaccination pour ces personnes. Il est ainsi prévu que seront vaccinées dans la première phase de cette campagne les quelque 250 détenus âgés de plus de 75 ans ainsi que les personnes exposées à un très haut risque telles que définies ci-dessus. Par ailleurs, les doses surnuméraires seront utilisées pour la vaccination d'autres personnes détenues, y compris si elles relèvent de phases postérieures de la campagne de vaccination. L'administration indique que la vaccination a d'ores-et-déjà débuté.

11. Il suit de là que, contrairement à ce que soutient la requête, la situation des personnes détenus dans les établissements pénitentiaires est prise en compte à égalité avec le reste de la population dans le cadre de la campagne vaccinale. En particulier, la situation des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires et présentant, par leur âge ou leur état de santé, les facteurs de risques graves tels que définis pour l'accès à la première phase de la campagne de vaccination pour l'ensemble de la population ne révèle aucune discrimination constitutive, d'une atteinte à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

12. En deuxième lieu, l'association requérante invoque l'atteinte au droit à la vie et à la protection de la santé qui résulterait, pour les personnes détenues dans les établissements pénitentiaires, de ce qu'elles n'ont pas été inscrites dans leur intégralité parmi les publics cibles de la première phase de la campagne de vaccination. En faisant référence à des études internationales sur le rôle des prisons, en particulier au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, dans la propagation de l'épidémie, elle soutient qu'une priorité de vaccination pour l'ensemble des personnes détenues, qui ne requiert qu'un nombre limité de doses, est nécessaire pour protéger la santé de celles-ci et des personnels pénitentiaires et pour empêcher l'apparition de foyers de propagation du virus.

13. Toutefois, d'une part, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que, conformément à l'avis rendu par la Haute autorité de santé, la priorité de la stratégie vaccinale retenue par le Gouvernement porte sur les personnes susceptibles de développer les formes les plus graves de la maladie, ce qui fonde les critères retenus pour la première phase et tirés de l'âge ou de l'état de santé de chacune des personnes concernées. Or, en dépit des facteurs de risques invoqués par l'association requérante, il ne résulte pas de l'instruction que, prises dans leur ensemble, les personnes détenues dans les établissements pénitentiaires présentent un tel risque particulier de développer des formes graves ou mortelles, l'épidémie ayant, d'après les données communiquées par l'administration, donné lieu entre le 28 février 2020 et le 20 janvier 2021, à 1312 cas positifs dans les établissements pénitentiaires, dont deux décès.

14. D'autre part, si l'association requérante invoque les risques particuliers de propagation du virus dans les établissements pénitentiaires eu égard aux conditions de détention, il n'existe pas, en l'état actuel des connaissances scientifiques, de certitude sur l'efficacité possible du vaccin contre la Covid-19 quant à la réduction des risques de transmission de la maladie, l'avis rendu par la Haute autorité de santé du 30 novembre 2020 soulignant cette incertitude.

15. En outre, il résulte de l'instruction que pour limiter la propagation du virus dans les établissements pénitentiaires, l'administration a pris des mesures destinées à faire respecter les gestes dits " barrières ", procède à la distribution de masques aux détenus et au personnel et impose le port de ceux-ci dès la sortie de cellules, applique des mesures de confinement aux détenus transférés entre établissements pénitentiaires, et conduit des campagnes de dépistage. D'après les données communiquées par l'administration, 137 cas positifs étaient dénombrés au 22 janvier parmi les détenus et 222 parmi les personnels.

16. Enfin, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la situation de l'ensemble des personnes détenues fait l'objet, dans les orientations retenues par le Gouvernement à la suite de l'avis rendu par la Haute autorité de santé, d'une prise en compte particulière. Elles sont en effet, comme les autres personnes vivant en collectivité, inscrites dans la quatrième phase de la campagne de vaccination. Même si l'horizon temporel de début de cette quatrième phase n'est pas encore précisé et dépendra notamment de la disponibilité des doses vaccinales, la vaccination leur sera donc ouverte à titre prioritaire avant l'ensemble de la population qui ne présente pas de facteurs de risque identifiés, inscrite dans une cinquième phase de la campagne.

17. Il résulte de tout ce qui précède que, si la situation des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires justifie une vigilance particulière, la décision de ne pas inscrire l'ensemble de ces personnes parmi les publics prioritaires susceptibles de recevoir une injection dès la première phase de la campagne vaccinale ne révèle pas, compte tenu des priorités retenues pour la vaccination et des caractéristiques de ces personnes, de carence grave et manifestement illégale justifiant que le juge des référés ordonne la mesure demandée. Les conclusions à fins d'injonction présentées par l'association requérante ne peuvent dès lors, de même que ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, qu'être rejetées.


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'association Robin des Lois est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Robin des Lois, au garde des sceaux, ministre de la justice, et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.