Conseil d'État
N° 444741
ECLI:FR:CEORD:2020:444741.20201008
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP SEVAUX, MATHONNET ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du jeudi 8 octobre 2020
Vu la procédure suivante :
MM. S... E..., AE... A... G..., X... T..., O... B..., U... N..., J... H..., L... AB..., C... AA..., Y... K..., C... R..., D... I..., W... P..., C... Q... et V... Z... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, en premier lieu, de mettre à disposition des détenus des masques de protection contre la covid-19 dans les zones d'attente, les postes de travail et d'activité, le bâtiment socio-éducatif et notamment les salles de visio-conférence, ainsi que dans les cours de promenade et, en second lieu, de procéder à une campagne de dépistage du virus SARS-CoV-2 au sein de la population des détenus sur la base du volontariat et dans le respect du secret médical.
Par une ordonnance n° 2004355 du 4 septembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a enjoint au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses d'organiser une campagne de dépistage du virus au sein de son établissement et de mettre à disposition des détenus des masques dans tous les locaux clos et partagés que sont les zones d'attente, les postes de travail et d'activité, les salles de visio-conférence, notamment lors des audiences, et, dès lors qu'il y a un doute sur la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique, dans la zone de promenade et a rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi.
Par une requête, enregistrée le 21 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande de première instance.
Il soutient que :
- le recours à une campagne de dépistage massive constitue une obligation disproportionnée compte tenu du nombre de personnes détenues diagnostiquées positives à la covid-19 dans l'établissement et de la doctrine du ministère des solidarités et de la santé ;
- que des masques sont déjà mis à disposition des personnes détenues dans la majeure partie des locaux mentionnés dans l'ordonnance ;
- que, s'agissant des salles d'attente, leur superficie permet de respecter la distanciation physique ;
- qu'il en va de même dans les cours de promenade, compte tenu de leur superficie et de l'organisation mise en en place ;
- qu'au regard de l'ensemble des mesures mises en oeuvre par le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie des détenus, à leur droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants et à leur droit de recevoir les traitements et les soins nécessités par leur état de santé ne peut être caractérisée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 septembre 2020, MM. AA..., K..., R..., I..., P..., Q... et Z... concluent à l'admission des défendeurs au bénéfice de l'aide juridictionnelle, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat le versement à la SCP G. Thouvenin, O. Coudray et M. F... d'une somme de 4 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Ils soutiennent qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 septembre 2020, MM. E...,
A... G..., T..., B..., N..., H... et AB... et AD... des avocats de France concluent, d'une part, à l'admission des défendeurs au bénéfice de l'aide juridictionnelle et au rejet de la requête, d'autre part, par la voie de l'appel incident, à ce qu'il soit enjoint au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses de fournir des masques aux détenus dans la zone de promenade sans que cette mise à disposition soit subordonnée à l'existence d'un doute quant à la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique entre les personnes détenues, et, enfin, à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet d'une somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi que le versement au Syndicat des avocats de France d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du même code. Ils soutiennent qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et que la mise à disposition de masques dans les cours de promenade ne doit pas être soumise à la condition d'un doute sur la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique dès lors qu'il n'est pas garanti, en premier lieu, que le taux de fréquentation de ces cours permette une surface de 4 m² par personne, en deuxième lieu, que les détenus demeurent au sein de leur groupe préconstitué et, en toute hypothèse, que des détenus imposent des contacts rapprochés à d'autres.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 25 septembre 2020, l'Association de défense des droits des détenus conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de l'appel incident de MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H... et AB... et AC... des avocats de France. Elle soutient que son intervention est recevable et reprend à son compte les moyens de l'appel incident.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le garde des sceaux, ministre de la justice, et, d'autre part, MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H... et AB... et AD... des avocats de France, MM. AA..., K..., R..., I..., P..., Q... et Z..., et l'Association pour la défense des droits des détenus :
Ont été entendus lors de l'audience publique du 28 septembre 2020 à 10 heures 30 :
- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;
- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de MM. AA..., K..., R..., I..., P..., Q... et Z... ;
- Me Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H... et AB..., AC... des avocats de France et de l'Association pour la défense des droits des détenus ;
- les représentants de MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H..., AB..., AA..., K..., M..., I..., P..., Q... et Z... ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 29 septembre 2020 à 13 heures, puis au 30 septembre à 10 heures, puis a rouvert l'instruction le
5 octobre 2020 jusqu'au 6 octobre 2020 à 13 heures ;
Vu les nouveaux mémoires, enregistrés le 29 septembre et 5 octobre 2020, présentés par le garde des sceaux, ministre de la justice ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 30 septembre 2020, présenté par MM. AA..., K..., R..., I..., P..., Q... et Z... ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 30 septembre 2020, présenté par MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H... et AB... et AD... des avocats de France ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-2 du même code de justice : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".
2. MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H..., AB..., AA..., K..., M..., I..., P..., Q... et Z... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au centre pénitentiaire de
Toulouse-Seysses, en premier lieu, de mettre à disposition des détenus des masques de protection contre la covid-19 dans les zones d'attente, les postes de travail et d'activité, le bâtiment socio-éducatif et notamment les salles de visio-conférence, ainsi que dans les cours de promenade et, en second lieu, de procéder à une campagne de dépistage du virus SARS-CoV-2 au sein de la population des détenus sur la base du volontariat et dans le respect du secret médical. Par une ordonnance en date du 4 septembre 2020, dont le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel, le juge des référés a enjoint au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses d'organiser une campagne de dépistage du virus au sein de son établissement et de mettre à disposition des détenus des masques dans tous les locaux clos et partagés que sont les zones d'attente, les postes de travail et d'activité, les salles de
visio-conférence, notamment lors des audiences, et, dès lors qu'il y a un doute sur la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique, dans la zone de promenade. MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H... et AB... et AD... des avocats de France présentent des conclusions d'appel incident tendant à ce qu'il soit enjoint au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses de fournir des masques aux détenus dans la zone de promenade sans que cette mise à disposition soit subordonnée à l'existence d'un doute quant à la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique entre les personnes détenues.
Sur l'intervention de l'Association pour la défense des droits des détenus :
3. L'Association pour la défense des droits des détenus a intérêt au rejet de la requête du garde des sceaux, ministre de la justice, et à l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle subordonne la mise à disposition des détenus de masques dans les cours de promenade à l'existence d'un doute quant à la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique entre les personnes détenues. Son intervention est, par suite, recevable.
Sur le cadre juridique du litige, l'office du juge des référés et les libertés fondamentales en jeu :
4. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai. Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Sur le fondement de l'article L. 521-2, le juge des référés peut ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, des mesures d'organisation des services placés sous son autorité, dès lors qu'il s'agit de mesures d'urgence qui lui apparaissent nécessaires pour sauvegarder, à très bref délai, la liberté fondamentale à laquelle il est gravement, et de façon manifestement illégale, porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l'atteinte doit s'apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.
5. Pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie et le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.
6. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment au garde des sceaux, ministre de la justice, et aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des libertés fondamentales énoncées au point précédent. Lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant ou conduit à ce qu'elles soient privées, de manière caractérisée, des traitements et des soins appropriés à leur état de santé portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire, dans les conditions et les limites définies au point 4, les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.
Sur la demande en référé :
En ce qui concerne le port du masque dans les espaces clos :
7. Il résulte de l'instruction que la doctrine relative au port du masque dans les établissements pénitentiaires repose sur la notion d'" anneau sanitaire ", destiné à protéger, dans toute la mesure du possible, les personnes détenues du risque d'exposition au virus SARS-CoV-2 véhiculé par des intervenants extérieurs. Les personnes détenues arrivant dans l'établissement font ainsi l'objet, depuis le 20 mai 2020, d'un dépistage systématique deux jours après leur arrivée, puis au neuvième jour de leur détention, et sont placées à l'isolement dans une zone spécifique de l'établissement. Elles ne sont affectées en détention qu'à l'issue d'une période de sept jours à compter de la réception d'un résultat négatif au test virologique RT-PCR. D'autres mesures ont été prises afin de renforcer la sécurité sanitaire, telles que la ventilation et le nettoyage régulier des locaux ou la fourniture de gel hydro-alcoolique, ainsi que la répartition des détenus dans des groupes préconstitués réduits et constants, afin de limiter les interactions entre eux. Dans cette logique, est prévue, depuis le mois de mai 2020, la mise à disposition des personnes détenues de masques " grand public " à usage unique à chaque occasion de contact avec des personnes extérieures au centre pénitentiaire, elles-mêmes également soumises à l'obligation de port du masque. En revanche, de tels masques ne sont pas mis à disposition pour les activités sans contact avec l'extérieur.
8. L'ordonnance attaquée doit être regardée comme imposant au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses de mettre des masques à disposition des détenus dans tous les locaux clos et partagés, que les activités qui s'y déroulent impliquent ou non la présence d'intervenants extérieurs.
9. En premier lieu, le garde des sceaux, ministre de la justice, fait valoir que des masques sont effectivement mis à disposition des détenus dès lors qu'ils sont amenés à rencontrer des intervenants extérieurs sur leurs lieux de travail et d'activité, dans les ateliers de concession, les salles où se déroulent les activités socio-éducatives et culturelles, les locaux de visio-conférence, les salles de parloir et les locaux destinés aux entretiens, ainsi que les salles qui y donnent accès. Il en déduit qu'en tant qu'elle concerne les salles de visio-conférence, les postes de travail et d'activité dans des locaux accueillant des intervenants extérieurs, ainsi que les salles d'attente dans lesquelles sont placés les détenus avant l'accès aux parloirs, l'injonction porte sur des mesures qui sont d'ores et déjà mises en oeuvre et ne constitue qu'un rappel de ce qui se pratique au sein de l'établissement. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment des attestations produites par les défendeurs et des débats à l'audience, qu'il existe une incertitude quant à l'application constante et systématique des mesures en cause. Dès lors, le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas fondé à soutenir que l'ordonnance devrait être infirmée sur ce point.
10. En deuxième lieu, en ce qui concerne les activités sans contact avec l'extérieur, le garde des sceaux, ministre de la justice, soutient que le port de masque par les personnes détenues ne présente pas d'utilité, dès lors que les personnels pénitentiaires sont porteurs d'un tel masque et que ces activités se déroulent avec un nombre limité de personnes détenues, afin d'assurer la distanciation physique. Il relève que seuls deux détenus ont été diagnostiqués positifs à la covid-19 depuis le début de l'épidémie, et qu'il s'agissait de détenus arrivants, ce qui démontre, selon lui, l'efficacité de l'" anneau sanitaire ". Il soutient également que, pour les mêmes raisons, le port du masque ne présente pas d'utilité dans les salles d'attente permettant d'accéder à des activités ou à des audiences sans contact avec l'extérieur. Il indique que le port du masque généralisé n'est prescrit que dans les établissements où se situent des foyers de contagion, ainsi que dans ceux situés en zone d'alerte maximale, ce qui n'est pas le cas, à ce stade, du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses. Les défendeurs et l'Association pour la défense des droits des détenus font valoir, pour leur part, que, dans ces locaux, peuvent se trouver simultanément des détenus sans considération de leur appartenance à un groupe préconstitué déterminé et qu'il est souvent impossible, compte tenu de leur exiguïté et de la densité de leur occupation, d'y faire respecter les gestes barrière, notamment la distanciation physique. Selon eux, seul le port du masque dans toutes les circonstances où les personnes détenues sont amenées à en croiser d'autres est de nature à garantir une protection appropriée.
11. Compte tenu des mesures mises en oeuvre par l'administration pénitentiaire pour assurer la protection des personnes détenues et des personnels contre un risque de contamination extérieure, notamment de celles mentionnées au point 7, de la situation au sein du centre pénitentiaire de Toulouse, qui ne présente aucun cas avéré ou suspecté de détenu infecté par le virus à la date de la présente ordonnance et qui n'est pas placé en zone d'alerte maximale, et, enfin, des contraintes en termes de sécurité auxquelles est assujetti le fonctionnement des établissements pénitentiaires, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que l'absence de mise à disposition des personnes détenues de masques de protection dans les locaux clos et partagés n'impliquant aucun contact avec des personnes extérieures à l'établissement révèlerait, à la date de la présente ordonnance, une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
12. Il s'ensuit que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à demander que l'ordonnance attaquée soit réformée sur ce point.
En ce qui concerne le port du masque dans les cours de promenade :
13. Il résulte de l'instruction qu'a été mise en place, en vue de prévenir le risque de contamination au virus SARS-CoV-2, une organisation des promenades impliquant un seul tour de promenade quotidien d'une heure trente par détenu et cinq tours de promenade pour chacun des deux bâtiments, en incluant celui des détenus qui travaillent. Dans le cadre de cette organisation, pour la cour du bâtiment MAH1, d'une superficie de 980 m2, la moyenne des personnes détenues par tour de promenade au cours de la période récente se situe, selon les éléments fournis par l'administration à 32, avec un maximum constaté à 76 ; pour la cour du bâtiment MAH2, d'une superficie de 1 050 m2, la moyenne est de 37 et le maximum constaté de 83. Si les défendeurs font valoir que ces chiffres seraient incohérents avec le nombre de détenus incarcérés, soit 352 dans le bâtiment MAH1 et 385 dans le bâtiment MAH2, puisqu'ils signifieraient que la moitié des détenus ne sortiraient pas en promenade, il n'en demeure pas moins que les capacités des cours de promenade, à supposer même que tous les détenus y soient présents chaque jour, permettent d'organiser des tours de promenade avec des effectifs permettant un ratio d'au moins 10 m2 par détenu.
14. S'agissant du secteur de quatorzaine, il résulte des écritures du garde des sceaux, ministre de la justice, qu'est mise en place, à compter du 6 octobre, afin de renforcer l'" anneau sanitaire ", une obligation du port du masque pour tous les nouveaux arrivants dès la sortie de cellule, quel que soit le motif, y compris en cour de promenade.
15. Compte tenu de ces éléments et pour les motifs mentionnés au point 11, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que l'absence de mise à disposition des personnes détenues de masques de protection dans les cours de promenade autres que celles réservées aux nouveaux arrivants révèlerait, à la date de la présente ordonnance, une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
16. Il s'ensuit que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à demander que l'ordonnance attaquée soit réformée en tant qu'elle enjoint à l'administration pénitentiaire de mettre à disposition des détenus des masques dans les cours de promenade, dès lorsqu'il y a un doute sur la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique. Les conclusions d'appel en incident de M. E... et autres doivent, en revanche, être rejetées.
En ce qui concerne le dépistage du virus :
17. Il résulte de l'instruction que toute personne détenue manifestant des symptômes susceptibles d'être liés au virus SARS-CoV-2 est appelée à se signaler immédiatement au personnel pénitentiaire, puis est isolée en cellule individuelle dans l'une des zones de l'établissement réservée au confinement sanitaire, immédiatement testée et maintenue en observation sous surveillance médicale jusqu'au résultat du test. Si le test est négatif, la période de confinement peut néanmoins se poursuivre sous surveillance médicale. Si le test est positif, le détenu concerné fait l'objet d'une évaluation médicale pour déterminer le mode de prise en charge. Il fait ensuite l'objet de trois tests successifs sur une période de seize jours et son isolement est prolongé tant que le résultat ne redevient pas négatif. Une procédure de traçage des cas contacts est immédiatement mise en oeuvre. A l'issue de l'enquête de traçage, et en fonction de ses résultats, une campagne de dépistage est organisée en lien avec la préfecture et l'Agence régionale de santé. Les deux diagnostics de personnes contaminées survenus depuis le début de l'épidémie ont ainsi donné lieu à deux campagnes de dépistage qui ont concerné au total
179 personnes.
18. En l'état actuel de la doctrine sanitaire du ministère des solidarités et de la santé, le dépistage général de l'ensemble des détenus et des personnels d'un établissement pénitentiaire n'est estimé pertinent que dans la seule hypothèse où au moins trois personnes se révèlent contaminées, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle. La dégradation de la situation sanitaire dans le département de la Haute-Garonne n'implique pas nécessairement par elle-même, à ce stade, un dépistage massif des personnes détenues. Les requérants, s'ils soutiennent que l'" anneau sanitaire " mis en place ne serait pas hermétique, ne font pas état d'autres éléments avérés qui rendraient indispensable un tel dépistage. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, que l'absence de dépistage systématique de l'ensemble des personnes détenues au centre pénitentiaire Toulouse-Seysses révèlerait une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
19. Il s'ensuit que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à demander que l'ordonnance attaquée soit réformée en tant qu'elle enjoint à l'administration pénitentiaire d'organiser une campagne de dépistage du virus SARS-CoV-2 au sein du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses.
20. Les dispositions de l'article L. 761 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées à ce titre par les défendeurs, qu'il y a lieu d'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'intervention de l'Association pour la défense des droits des détenus est admise.
Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse est annulée en tant qu'elle enjoint à l'administration pénitentiaire de mettre à la disposition des personnes détenues des masques de protection dans les locaux clos et partagés n'impliquant aucun contact avec des personnes extérieures à l'établissement ainsi que dans les cours de promenade et d'organiser une campagne de dépistage du virus au sein de l'établissement.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du garde des sceaux, ministre de la justice, l'appel incident de M. E... et autres et les conclusions des défendeurs tendant à l'application des articles L. 761 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetés.
Article 4 : Les personnes physiques défenderesses sont admises au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, à MM. C... AA... et S... E..., premiers défendeurs dénommés, au syndicat des avocats de France et à l'Association pour la défense des droits des détenus.
N° 444741
ECLI:FR:CEORD:2020:444741.20201008
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP SEVAUX, MATHONNET ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du jeudi 8 octobre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
MM. S... E..., AE... A... G..., X... T..., O... B..., U... N..., J... H..., L... AB..., C... AA..., Y... K..., C... R..., D... I..., W... P..., C... Q... et V... Z... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, en premier lieu, de mettre à disposition des détenus des masques de protection contre la covid-19 dans les zones d'attente, les postes de travail et d'activité, le bâtiment socio-éducatif et notamment les salles de visio-conférence, ainsi que dans les cours de promenade et, en second lieu, de procéder à une campagne de dépistage du virus SARS-CoV-2 au sein de la population des détenus sur la base du volontariat et dans le respect du secret médical.
Par une ordonnance n° 2004355 du 4 septembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a enjoint au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses d'organiser une campagne de dépistage du virus au sein de son établissement et de mettre à disposition des détenus des masques dans tous les locaux clos et partagés que sont les zones d'attente, les postes de travail et d'activité, les salles de visio-conférence, notamment lors des audiences, et, dès lors qu'il y a un doute sur la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique, dans la zone de promenade et a rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi.
Par une requête, enregistrée le 21 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande de première instance.
Il soutient que :
- le recours à une campagne de dépistage massive constitue une obligation disproportionnée compte tenu du nombre de personnes détenues diagnostiquées positives à la covid-19 dans l'établissement et de la doctrine du ministère des solidarités et de la santé ;
- que des masques sont déjà mis à disposition des personnes détenues dans la majeure partie des locaux mentionnés dans l'ordonnance ;
- que, s'agissant des salles d'attente, leur superficie permet de respecter la distanciation physique ;
- qu'il en va de même dans les cours de promenade, compte tenu de leur superficie et de l'organisation mise en en place ;
- qu'au regard de l'ensemble des mesures mises en oeuvre par le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie des détenus, à leur droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants et à leur droit de recevoir les traitements et les soins nécessités par leur état de santé ne peut être caractérisée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 septembre 2020, MM. AA..., K..., R..., I..., P..., Q... et Z... concluent à l'admission des défendeurs au bénéfice de l'aide juridictionnelle, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat le versement à la SCP G. Thouvenin, O. Coudray et M. F... d'une somme de 4 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Ils soutiennent qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 septembre 2020, MM. E...,
A... G..., T..., B..., N..., H... et AB... et AD... des avocats de France concluent, d'une part, à l'admission des défendeurs au bénéfice de l'aide juridictionnelle et au rejet de la requête, d'autre part, par la voie de l'appel incident, à ce qu'il soit enjoint au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses de fournir des masques aux détenus dans la zone de promenade sans que cette mise à disposition soit subordonnée à l'existence d'un doute quant à la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique entre les personnes détenues, et, enfin, à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet d'une somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi que le versement au Syndicat des avocats de France d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du même code. Ils soutiennent qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et que la mise à disposition de masques dans les cours de promenade ne doit pas être soumise à la condition d'un doute sur la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique dès lors qu'il n'est pas garanti, en premier lieu, que le taux de fréquentation de ces cours permette une surface de 4 m² par personne, en deuxième lieu, que les détenus demeurent au sein de leur groupe préconstitué et, en toute hypothèse, que des détenus imposent des contacts rapprochés à d'autres.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 25 septembre 2020, l'Association de défense des droits des détenus conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de l'appel incident de MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H... et AB... et AC... des avocats de France. Elle soutient que son intervention est recevable et reprend à son compte les moyens de l'appel incident.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le garde des sceaux, ministre de la justice, et, d'autre part, MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H... et AB... et AD... des avocats de France, MM. AA..., K..., R..., I..., P..., Q... et Z..., et l'Association pour la défense des droits des détenus :
Ont été entendus lors de l'audience publique du 28 septembre 2020 à 10 heures 30 :
- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;
- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de MM. AA..., K..., R..., I..., P..., Q... et Z... ;
- Me Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H... et AB..., AC... des avocats de France et de l'Association pour la défense des droits des détenus ;
- les représentants de MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H..., AB..., AA..., K..., M..., I..., P..., Q... et Z... ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 29 septembre 2020 à 13 heures, puis au 30 septembre à 10 heures, puis a rouvert l'instruction le
5 octobre 2020 jusqu'au 6 octobre 2020 à 13 heures ;
Vu les nouveaux mémoires, enregistrés le 29 septembre et 5 octobre 2020, présentés par le garde des sceaux, ministre de la justice ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 30 septembre 2020, présenté par MM. AA..., K..., R..., I..., P..., Q... et Z... ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 30 septembre 2020, présenté par MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H... et AB... et AD... des avocats de France ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-2 du même code de justice : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".
2. MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H..., AB..., AA..., K..., M..., I..., P..., Q... et Z... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au centre pénitentiaire de
Toulouse-Seysses, en premier lieu, de mettre à disposition des détenus des masques de protection contre la covid-19 dans les zones d'attente, les postes de travail et d'activité, le bâtiment socio-éducatif et notamment les salles de visio-conférence, ainsi que dans les cours de promenade et, en second lieu, de procéder à une campagne de dépistage du virus SARS-CoV-2 au sein de la population des détenus sur la base du volontariat et dans le respect du secret médical. Par une ordonnance en date du 4 septembre 2020, dont le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel, le juge des référés a enjoint au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses d'organiser une campagne de dépistage du virus au sein de son établissement et de mettre à disposition des détenus des masques dans tous les locaux clos et partagés que sont les zones d'attente, les postes de travail et d'activité, les salles de
visio-conférence, notamment lors des audiences, et, dès lors qu'il y a un doute sur la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique, dans la zone de promenade. MM. E..., A... G..., T..., B..., N..., H... et AB... et AD... des avocats de France présentent des conclusions d'appel incident tendant à ce qu'il soit enjoint au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses de fournir des masques aux détenus dans la zone de promenade sans que cette mise à disposition soit subordonnée à l'existence d'un doute quant à la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique entre les personnes détenues.
Sur l'intervention de l'Association pour la défense des droits des détenus :
3. L'Association pour la défense des droits des détenus a intérêt au rejet de la requête du garde des sceaux, ministre de la justice, et à l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle subordonne la mise à disposition des détenus de masques dans les cours de promenade à l'existence d'un doute quant à la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique entre les personnes détenues. Son intervention est, par suite, recevable.
Sur le cadre juridique du litige, l'office du juge des référés et les libertés fondamentales en jeu :
4. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai. Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Sur le fondement de l'article L. 521-2, le juge des référés peut ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, des mesures d'organisation des services placés sous son autorité, dès lors qu'il s'agit de mesures d'urgence qui lui apparaissent nécessaires pour sauvegarder, à très bref délai, la liberté fondamentale à laquelle il est gravement, et de façon manifestement illégale, porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l'atteinte doit s'apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.
5. Pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie et le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.
6. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment au garde des sceaux, ministre de la justice, et aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des libertés fondamentales énoncées au point précédent. Lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant ou conduit à ce qu'elles soient privées, de manière caractérisée, des traitements et des soins appropriés à leur état de santé portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire, dans les conditions et les limites définies au point 4, les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.
Sur la demande en référé :
En ce qui concerne le port du masque dans les espaces clos :
7. Il résulte de l'instruction que la doctrine relative au port du masque dans les établissements pénitentiaires repose sur la notion d'" anneau sanitaire ", destiné à protéger, dans toute la mesure du possible, les personnes détenues du risque d'exposition au virus SARS-CoV-2 véhiculé par des intervenants extérieurs. Les personnes détenues arrivant dans l'établissement font ainsi l'objet, depuis le 20 mai 2020, d'un dépistage systématique deux jours après leur arrivée, puis au neuvième jour de leur détention, et sont placées à l'isolement dans une zone spécifique de l'établissement. Elles ne sont affectées en détention qu'à l'issue d'une période de sept jours à compter de la réception d'un résultat négatif au test virologique RT-PCR. D'autres mesures ont été prises afin de renforcer la sécurité sanitaire, telles que la ventilation et le nettoyage régulier des locaux ou la fourniture de gel hydro-alcoolique, ainsi que la répartition des détenus dans des groupes préconstitués réduits et constants, afin de limiter les interactions entre eux. Dans cette logique, est prévue, depuis le mois de mai 2020, la mise à disposition des personnes détenues de masques " grand public " à usage unique à chaque occasion de contact avec des personnes extérieures au centre pénitentiaire, elles-mêmes également soumises à l'obligation de port du masque. En revanche, de tels masques ne sont pas mis à disposition pour les activités sans contact avec l'extérieur.
8. L'ordonnance attaquée doit être regardée comme imposant au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses de mettre des masques à disposition des détenus dans tous les locaux clos et partagés, que les activités qui s'y déroulent impliquent ou non la présence d'intervenants extérieurs.
9. En premier lieu, le garde des sceaux, ministre de la justice, fait valoir que des masques sont effectivement mis à disposition des détenus dès lors qu'ils sont amenés à rencontrer des intervenants extérieurs sur leurs lieux de travail et d'activité, dans les ateliers de concession, les salles où se déroulent les activités socio-éducatives et culturelles, les locaux de visio-conférence, les salles de parloir et les locaux destinés aux entretiens, ainsi que les salles qui y donnent accès. Il en déduit qu'en tant qu'elle concerne les salles de visio-conférence, les postes de travail et d'activité dans des locaux accueillant des intervenants extérieurs, ainsi que les salles d'attente dans lesquelles sont placés les détenus avant l'accès aux parloirs, l'injonction porte sur des mesures qui sont d'ores et déjà mises en oeuvre et ne constitue qu'un rappel de ce qui se pratique au sein de l'établissement. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment des attestations produites par les défendeurs et des débats à l'audience, qu'il existe une incertitude quant à l'application constante et systématique des mesures en cause. Dès lors, le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas fondé à soutenir que l'ordonnance devrait être infirmée sur ce point.
10. En deuxième lieu, en ce qui concerne les activités sans contact avec l'extérieur, le garde des sceaux, ministre de la justice, soutient que le port de masque par les personnes détenues ne présente pas d'utilité, dès lors que les personnels pénitentiaires sont porteurs d'un tel masque et que ces activités se déroulent avec un nombre limité de personnes détenues, afin d'assurer la distanciation physique. Il relève que seuls deux détenus ont été diagnostiqués positifs à la covid-19 depuis le début de l'épidémie, et qu'il s'agissait de détenus arrivants, ce qui démontre, selon lui, l'efficacité de l'" anneau sanitaire ". Il soutient également que, pour les mêmes raisons, le port du masque ne présente pas d'utilité dans les salles d'attente permettant d'accéder à des activités ou à des audiences sans contact avec l'extérieur. Il indique que le port du masque généralisé n'est prescrit que dans les établissements où se situent des foyers de contagion, ainsi que dans ceux situés en zone d'alerte maximale, ce qui n'est pas le cas, à ce stade, du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses. Les défendeurs et l'Association pour la défense des droits des détenus font valoir, pour leur part, que, dans ces locaux, peuvent se trouver simultanément des détenus sans considération de leur appartenance à un groupe préconstitué déterminé et qu'il est souvent impossible, compte tenu de leur exiguïté et de la densité de leur occupation, d'y faire respecter les gestes barrière, notamment la distanciation physique. Selon eux, seul le port du masque dans toutes les circonstances où les personnes détenues sont amenées à en croiser d'autres est de nature à garantir une protection appropriée.
11. Compte tenu des mesures mises en oeuvre par l'administration pénitentiaire pour assurer la protection des personnes détenues et des personnels contre un risque de contamination extérieure, notamment de celles mentionnées au point 7, de la situation au sein du centre pénitentiaire de Toulouse, qui ne présente aucun cas avéré ou suspecté de détenu infecté par le virus à la date de la présente ordonnance et qui n'est pas placé en zone d'alerte maximale, et, enfin, des contraintes en termes de sécurité auxquelles est assujetti le fonctionnement des établissements pénitentiaires, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que l'absence de mise à disposition des personnes détenues de masques de protection dans les locaux clos et partagés n'impliquant aucun contact avec des personnes extérieures à l'établissement révèlerait, à la date de la présente ordonnance, une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
12. Il s'ensuit que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à demander que l'ordonnance attaquée soit réformée sur ce point.
En ce qui concerne le port du masque dans les cours de promenade :
13. Il résulte de l'instruction qu'a été mise en place, en vue de prévenir le risque de contamination au virus SARS-CoV-2, une organisation des promenades impliquant un seul tour de promenade quotidien d'une heure trente par détenu et cinq tours de promenade pour chacun des deux bâtiments, en incluant celui des détenus qui travaillent. Dans le cadre de cette organisation, pour la cour du bâtiment MAH1, d'une superficie de 980 m2, la moyenne des personnes détenues par tour de promenade au cours de la période récente se situe, selon les éléments fournis par l'administration à 32, avec un maximum constaté à 76 ; pour la cour du bâtiment MAH2, d'une superficie de 1 050 m2, la moyenne est de 37 et le maximum constaté de 83. Si les défendeurs font valoir que ces chiffres seraient incohérents avec le nombre de détenus incarcérés, soit 352 dans le bâtiment MAH1 et 385 dans le bâtiment MAH2, puisqu'ils signifieraient que la moitié des détenus ne sortiraient pas en promenade, il n'en demeure pas moins que les capacités des cours de promenade, à supposer même que tous les détenus y soient présents chaque jour, permettent d'organiser des tours de promenade avec des effectifs permettant un ratio d'au moins 10 m2 par détenu.
14. S'agissant du secteur de quatorzaine, il résulte des écritures du garde des sceaux, ministre de la justice, qu'est mise en place, à compter du 6 octobre, afin de renforcer l'" anneau sanitaire ", une obligation du port du masque pour tous les nouveaux arrivants dès la sortie de cellule, quel que soit le motif, y compris en cour de promenade.
15. Compte tenu de ces éléments et pour les motifs mentionnés au point 11, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que l'absence de mise à disposition des personnes détenues de masques de protection dans les cours de promenade autres que celles réservées aux nouveaux arrivants révèlerait, à la date de la présente ordonnance, une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
16. Il s'ensuit que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à demander que l'ordonnance attaquée soit réformée en tant qu'elle enjoint à l'administration pénitentiaire de mettre à disposition des détenus des masques dans les cours de promenade, dès lorsqu'il y a un doute sur la possibilité d'organiser ou de faire respecter la distance physique. Les conclusions d'appel en incident de M. E... et autres doivent, en revanche, être rejetées.
En ce qui concerne le dépistage du virus :
17. Il résulte de l'instruction que toute personne détenue manifestant des symptômes susceptibles d'être liés au virus SARS-CoV-2 est appelée à se signaler immédiatement au personnel pénitentiaire, puis est isolée en cellule individuelle dans l'une des zones de l'établissement réservée au confinement sanitaire, immédiatement testée et maintenue en observation sous surveillance médicale jusqu'au résultat du test. Si le test est négatif, la période de confinement peut néanmoins se poursuivre sous surveillance médicale. Si le test est positif, le détenu concerné fait l'objet d'une évaluation médicale pour déterminer le mode de prise en charge. Il fait ensuite l'objet de trois tests successifs sur une période de seize jours et son isolement est prolongé tant que le résultat ne redevient pas négatif. Une procédure de traçage des cas contacts est immédiatement mise en oeuvre. A l'issue de l'enquête de traçage, et en fonction de ses résultats, une campagne de dépistage est organisée en lien avec la préfecture et l'Agence régionale de santé. Les deux diagnostics de personnes contaminées survenus depuis le début de l'épidémie ont ainsi donné lieu à deux campagnes de dépistage qui ont concerné au total
179 personnes.
18. En l'état actuel de la doctrine sanitaire du ministère des solidarités et de la santé, le dépistage général de l'ensemble des détenus et des personnels d'un établissement pénitentiaire n'est estimé pertinent que dans la seule hypothèse où au moins trois personnes se révèlent contaminées, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle. La dégradation de la situation sanitaire dans le département de la Haute-Garonne n'implique pas nécessairement par elle-même, à ce stade, un dépistage massif des personnes détenues. Les requérants, s'ils soutiennent que l'" anneau sanitaire " mis en place ne serait pas hermétique, ne font pas état d'autres éléments avérés qui rendraient indispensable un tel dépistage. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, que l'absence de dépistage systématique de l'ensemble des personnes détenues au centre pénitentiaire Toulouse-Seysses révèlerait une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
19. Il s'ensuit que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à demander que l'ordonnance attaquée soit réformée en tant qu'elle enjoint à l'administration pénitentiaire d'organiser une campagne de dépistage du virus SARS-CoV-2 au sein du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses.
20. Les dispositions de l'article L. 761 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées à ce titre par les défendeurs, qu'il y a lieu d'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'intervention de l'Association pour la défense des droits des détenus est admise.
Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse est annulée en tant qu'elle enjoint à l'administration pénitentiaire de mettre à la disposition des personnes détenues des masques de protection dans les locaux clos et partagés n'impliquant aucun contact avec des personnes extérieures à l'établissement ainsi que dans les cours de promenade et d'organiser une campagne de dépistage du virus au sein de l'établissement.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du garde des sceaux, ministre de la justice, l'appel incident de M. E... et autres et les conclusions des défendeurs tendant à l'application des articles L. 761 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetés.
Article 4 : Les personnes physiques défenderesses sont admises au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, à MM. C... AA... et S... E..., premiers défendeurs dénommés, au syndicat des avocats de France et à l'Association pour la défense des droits des détenus.