Conseil d'État
N° 427216
ECLI:FR:CECHR:2020:427216.20200710
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP COLIN-STOCLET ; SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES, avocats
Lecture du vendredi 10 juillet 2020
Vu la procédure suivante :
La société de manutention et d'entreposage de grains (société SMEG) a demandé au tribunal administratif de Rouen, sous le n° 1404527, de condamner l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) à lui verser la somme de 2 969 269,20 euros, augmentée des intérêts moratoires, en réparation du préjudice financier résultant de la mauvaise exécution de l'avenant au marché d'entreposage de farines animales sur le site de Rogerville, et, sous le n° 1503290, de condamner FranceAgriMer à lui verser la somme de 1 654 116,30 euros, actualisée en application des clauses de l'avenant n° 2 au marché conclu entre FranceAgriMer et la société Carrard, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande indemnitaire. Par un jugement n°s 1404527, 1503290 du 5 juillet 2016, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ces demandes.
Par un arrêt n° 16DA01606 du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société SMEG contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 janvier et 23 avril 2019 et 27 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SMEG demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code du domaine de l'Etat ;
- l'ordonnance n°2009-325 du 25 mars 2009 ;
- le décret n°2006-878 du 13 juillet 2006 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Sirinelli, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société de manutention et d'entreposage de grains et à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le contexte de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'Etat a confié à la société de manutention et d'entreposage de grains (société SMEG), au cours des années 2001 et 2002, plusieurs marchés par lesquels la société s'engageait à entreposer des farines animales, dans l'attente de leur élimination, sur le site qu'elle exploitait à Rogerville dans l'enceinte du Port autonome du Havre. Ces marchés ont été remplacés par un marché global, signé le 24 janvier 2006, comportant des prestation d'entreposage et de nettoyage et de désinfection du site. Le 24 avril 2008, l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions, dit " Office de l'élevage ", substitué à l'Etat en vertu du décret du 13 juillet 2006 pris pour l'application de l'article L.226-8 du code rural, a notifié à la société SMEG un avenant ayant pour objet de " préciser les conditions pratiques et les délais d'exécution des prestations de manutention et de chargement des farines animales " et de " supprimer la prestation de nettoyage et de désinfection du site " confiée à une entreprise tierce. Estimant que cette prestation n'avait pas été régulièrement réalisée, la société SMEG a facturé à FranceAgriMer, lui-même substitué à l'Office de l'élevage en vertu de l'ordonnance du 25 mars 2009 qui a procédé à la création de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer, des loyers d'un montant total de 2 969 269,20 euros au titre de la période du 8 octobre 2010 au 31 janvier 2011 du fait de l'indisponibilité de son site. La société SMEG a, en outre, demandé à FranceAgriMer de lui verser la somme de 1 654 116,30 euros correspondant au montant du marché de nettoyage et de désinfection, actualisée en fonction des stipulations de ce marché. Par un jugement du 5 juillet 2016, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes. Par un arrêt du 20 novembre 2018, contre lequel la société se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société SMEG contre ce jugement.
2. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.
3. La circonstance que le titulaire d'un contrat n'ayant pas pour objet l'occupation du domaine public mais dont le lieu de réalisation se situe sur une dépendance du domaine public ne dispose pas d'un titre l'autorisant à occuper cette dépendance n'a pas pour effet de rendre illicite le contenu du contrat et d'entacher ce dernier d'une irrégularité de nature à justifier que soit écartée, dans le cadre d'un litige entre les parties, l'application des stipulations contractuelles qui les lient.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir relevé que le contrat conclu le 24 janvier 2006 entre la société SMEG et l'Etat avait pour objet l'entreposage et la manutention de farines animales dans un silo exploité par la société SMEG sur le domaine portuaire du port autonome du Havre, la cour administrative d'appel de Douai a jugé que la cause de ce contrat était illicite faute pour la société SMEG de disposer d'un titre l'autorisant à occuper le domaine public portuaire. Elle en a déduit que le contenu du contrat était illicite pour en écarter l'application dans le litige opposant la société SMEG à FranceAgriMer. En statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société SMEG est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 3 000 euros à verser à la société SMEG au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société SMEG qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 20 novembre 2018 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : FranceAgriMer versera à la société SMEG une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par FranceAgriMer sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société de manutention et d'entreposage de grains et à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer.
N° 427216
ECLI:FR:CECHR:2020:427216.20200710
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP COLIN-STOCLET ; SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES, avocats
Lecture du vendredi 10 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société de manutention et d'entreposage de grains (société SMEG) a demandé au tribunal administratif de Rouen, sous le n° 1404527, de condamner l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) à lui verser la somme de 2 969 269,20 euros, augmentée des intérêts moratoires, en réparation du préjudice financier résultant de la mauvaise exécution de l'avenant au marché d'entreposage de farines animales sur le site de Rogerville, et, sous le n° 1503290, de condamner FranceAgriMer à lui verser la somme de 1 654 116,30 euros, actualisée en application des clauses de l'avenant n° 2 au marché conclu entre FranceAgriMer et la société Carrard, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande indemnitaire. Par un jugement n°s 1404527, 1503290 du 5 juillet 2016, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ces demandes.
Par un arrêt n° 16DA01606 du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société SMEG contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 janvier et 23 avril 2019 et 27 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SMEG demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code du domaine de l'Etat ;
- l'ordonnance n°2009-325 du 25 mars 2009 ;
- le décret n°2006-878 du 13 juillet 2006 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Sirinelli, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société de manutention et d'entreposage de grains et à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le contexte de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'Etat a confié à la société de manutention et d'entreposage de grains (société SMEG), au cours des années 2001 et 2002, plusieurs marchés par lesquels la société s'engageait à entreposer des farines animales, dans l'attente de leur élimination, sur le site qu'elle exploitait à Rogerville dans l'enceinte du Port autonome du Havre. Ces marchés ont été remplacés par un marché global, signé le 24 janvier 2006, comportant des prestation d'entreposage et de nettoyage et de désinfection du site. Le 24 avril 2008, l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions, dit " Office de l'élevage ", substitué à l'Etat en vertu du décret du 13 juillet 2006 pris pour l'application de l'article L.226-8 du code rural, a notifié à la société SMEG un avenant ayant pour objet de " préciser les conditions pratiques et les délais d'exécution des prestations de manutention et de chargement des farines animales " et de " supprimer la prestation de nettoyage et de désinfection du site " confiée à une entreprise tierce. Estimant que cette prestation n'avait pas été régulièrement réalisée, la société SMEG a facturé à FranceAgriMer, lui-même substitué à l'Office de l'élevage en vertu de l'ordonnance du 25 mars 2009 qui a procédé à la création de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer, des loyers d'un montant total de 2 969 269,20 euros au titre de la période du 8 octobre 2010 au 31 janvier 2011 du fait de l'indisponibilité de son site. La société SMEG a, en outre, demandé à FranceAgriMer de lui verser la somme de 1 654 116,30 euros correspondant au montant du marché de nettoyage et de désinfection, actualisée en fonction des stipulations de ce marché. Par un jugement du 5 juillet 2016, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes. Par un arrêt du 20 novembre 2018, contre lequel la société se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société SMEG contre ce jugement.
2. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.
3. La circonstance que le titulaire d'un contrat n'ayant pas pour objet l'occupation du domaine public mais dont le lieu de réalisation se situe sur une dépendance du domaine public ne dispose pas d'un titre l'autorisant à occuper cette dépendance n'a pas pour effet de rendre illicite le contenu du contrat et d'entacher ce dernier d'une irrégularité de nature à justifier que soit écartée, dans le cadre d'un litige entre les parties, l'application des stipulations contractuelles qui les lient.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir relevé que le contrat conclu le 24 janvier 2006 entre la société SMEG et l'Etat avait pour objet l'entreposage et la manutention de farines animales dans un silo exploité par la société SMEG sur le domaine portuaire du port autonome du Havre, la cour administrative d'appel de Douai a jugé que la cause de ce contrat était illicite faute pour la société SMEG de disposer d'un titre l'autorisant à occuper le domaine public portuaire. Elle en a déduit que le contenu du contrat était illicite pour en écarter l'application dans le litige opposant la société SMEG à FranceAgriMer. En statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société SMEG est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 3 000 euros à verser à la société SMEG au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société SMEG qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 20 novembre 2018 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : FranceAgriMer versera à la société SMEG une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par FranceAgriMer sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société de manutention et d'entreposage de grains et à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer.