Conseil d'État
N° 441559
ECLI:FR:CEORD:2020:441559.20200709
Inédit au recueil Lebon
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP ROUSSEAU, TAPIE ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du jeudi 9 juillet 2020
Vu la procédure suivante :
I. Sous le n° 441559, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juillet et 8 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société anonyme sportive professionnelle (SASP) Amiens Sporting Club Football demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 26 juin 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel en tant qu'elle a prononcé la relégation en Ligue 2 pour la saison 2020-2021 des clubs classés 19ème et 20ème du classement de Ligue 1 et confirmé l'accession en Ligue 1 pour cette même saison des clubs classés premier et deuxième de Ligue 2 ;
2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 30 avril 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel en tant qu'elle a prononcé l'accession en Ligue 1 pour la saison 2020-2021 des clubs classés premier et deuxième du classement de Ligue 2 ;
3°) de mettre à la charge de la Ligue de football professionnel la somme de 10 000 euros à verser à la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre des décisions contestées ;
- sa requête est recevable ;
- sa requête relève de la compétence de premier ressort du Conseil d'Etat ;
- la condition d'urgence est remplie, les décisions attaquées préjudiciant de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation et aux intérêts qu'elle entend défendre en ce que, en premier lieu, elle se trouve dans l'incapacité de concourir, pour la saison 2020-2021, en Ligue 1, alors même que ses résultats sportifs rendaient possible un maintien dans ce championnat, en deuxième lieu, l'imminence de la prochaine saison sportive, débutant au plus tard les 21, 22 et 23 août 2020, implique la nécessité de connaître le championnat dans lequel elle évoluera dès lors notamment que la gestion des effectifs et la politique de recrutement en dépendent, en troisième lieu, une relégation en Ligue 2 signifierait la perte des meilleurs joueurs et espoirs de l'équipe et, en dernier lieu, les catégories de compétition disputées ont un impact financier, économique et social immédiat, en particulier sur les ressources des clubs et sur les décisions à venir relatives aux investissements, notamment humains ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées ;
- la délibération du 26 juin est entachée d'illégalité externe en ce qu'elle est intervenue au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'est pas établi que deux membres du conseil d'administration avec voix consultative auraient été convoqués à cette réunion et que le procès-verbal indique simplement que d'autres membres avec voix consultative ont assisté à la réunion ;
- elles sont entachées d'illégalité dès lors que, d'une part, la convention entre la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel, sur le fondement de laquelle elles ont été prises, est irrégulière en ce qu'elle n'a pas été approuvée par la ministre des sports et, d'autre part, elles pourront être frappées d'illégalité par voie de conséquence, eu égard aux recours en annulation et suspension dirigés contre les décisions prises par l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel du 23 juin 2020 et par l'assemblée fédérale du 26 juin 2020 ;
- elles méconnaissent le principe d'égalité et d'équité sportive dès lors que, d'une part, elles procèdent à la relégation en Ligue 2 des deux derniers du classement de Ligue 1 alors que tous les participants à ce championnat n'avaient pas disposé des mêmes chances et, d'autre part, elles ont pour effet d'autoriser l'accession en Ligue 1 de clubs ayant une simple chance d'accéder à cette division supérieure et de pénaliser les clubs de Ligue 1 alors qu'ils disposaient d'une possibilité de se maintenir dans ce même championnat ;
- elles portent une atteinte disproportionnée au principe de sécurité juridique et de non-rétroactivité des actes administratifs en ce que, en premier lieu, elles modifient en cours de saison et sans aucune disposition transitoire les conditions d'accession et de rétrogradation, en second lieu, elles ne sont pas justifiées par des circonstances exceptionnelles, dès lors notamment qu'elles ne sont pas directement et limitativement liées à l'objectif de lutte contre l'épidémie du virus covid-19 et, enfin, l'existence de circonstances exceptionnelles n'excluait pas tout système avec montée et sans descente ou une saison blanche ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que la Ligue de football professionnel a fait application des dispositions de l'article 519 du règlement des compétitions de la Ligue de football professionnel, en ce que :
- en première lieu, la décision de procéder à un classement n'excluait pas la possibilité de ne procéder ni à des relégations, ni à des accessions, eu égard notamment à l'absence de dispositions introduisant une obligation d'adoption de règles uniformes en la matière entre les championnats amateurs et professionnels ;
- en deuxième lieu, une telle absence de relégation était la plus conforme aux exigences d'égalité et d'équité ;
- en troisième lieu, l'annulation de dix journées de championnat constituant un vice substantiel pour la saison 2019-2020, une absence de relégation et, par voie de conséquences, d'accession, à l'instar de celle décidée dans d'autres pays ou fédérations françaises, était justifiée ;
- en tout état de cause, la Ligue de football professionnel devait faire application des dispositions de l'article 520 du règlement précité, dès lors notamment que le principe d'équité sportive implique d'accorder une priorité au club évoluant dans la division supérieure en cas de repêchage ;
- en quatrième lieu, elles portent atteinte à l'intérêt général du football ;
- en cinquième lieu, le choix de prononcer des relégations avant le terme d'un championnat méconnaît les deux seules hypothèses dans lesquelles une telle mesure peut être prise.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 3 juillet 2020, la communauté d'agglomération Amiens Métropole demande au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit à la requête de la société Amiens Sporting Club Football. Elle soutient que :
- son intervention est recevable ;
- la condition d'urgence est remplie, au regard des incidences de la décision attaquée pour le club et pour la communauté d'agglomération elle-même ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ;
- la décision du 26 juin 2020 est intervenue au terme d'une procédure irrégulière dès lors que les membres du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel n'ont pas été régulièrement convoqués ;
- les décisions des 30 avril et 26 juin 2020 méconnaissent le principe d'égalité dès lors qu'elles conduisent à appliquer un traitement différent à des clubs placés dans la même situation ;
- elles méconnaissent les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité des actes administratifs ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, car elles sont à la fois injustes et incohérentes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2020, la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la SASP Amiens Sporting Club de Football au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elles soutiennent que la compétence du Conseil d'Etat est incertaine, que le requérant n'a pas intérêt pour agir et n'est pas recevable faute d'avoir saisi au préalable le comité national olympique, que l'urgence n'est pas établie et que les moyens ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 8 juillet 2020, la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football concluent au rejet de l'intervention par les mêmes moyens que ceux développés dans son mémoire en défense et par le moyen que la convocation à la réunion du 26 juin a été régulière.
II. Sous le n° 441585, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 juillet et 8 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société anonyme sportive professionnelle (SASP) Amiens Sporting Club Football demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision de l'assemblée fédérale de la Fédération française de football du 26 juin 2020 refusant un format de Ligue 1 à 22 clubs pour la saison 2020-2021, se prononçant en faveur d'un format à 20 clubs pour la saison 2020-2021 de la Ligue 1 et adoptant la convention conclue entre la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel pour la période 2020-2024 ;
2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 23 juin 2020 de l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel refusant un format de Ligue 1 à 22 clubs pour la saison 2020-2021 et se prononçant en faveur d'un format à 20 clubs pour la saison 2020-2021 de la Ligue 1 ;
3°) d'enjoindre à la Ligue de football professionnel et à la Fédération française de football de réintégrer le club de l'Amiens SC dans le championnat de France de Ligue 1 pour la saison 2020-2021 ;
4°) de mettre à la charge de la Ligue de football professionnel et de la Fédération française de football la somme de 10 000 euros à verser à la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre des décisions contestées ;
- sa requête est recevable ;
- la condition d'urgence est remplie, les décisions attaquées préjudiciant de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation et aux intérêts qu'elle entend défendre en ce que, en premier lieu, elle se trouve dans l'incapacité de concourir, pour la saison 2020-2021, en Ligue 1, alors même que ses résultats sportifs rendaient possible un maintien dans ce championnat, en deuxième lieu, l'imminence de la prochaine saison sportive, débutant au plus tard les 21, 22 et 23 août 2020, implique la nécessité de connaître le championnat dans lequel elle évoluera dès lors notamment que la gestion des effectifs et la politique de recrutement en dépendent, en troisième lieu, une relégation en Ligue 2 signifierait la perte des meilleurs joueurs et espoirs de l'équipe et, en dernier lieu, les catégories de compétition disputées ont un impact financier, économique et social immédiat, en particulier sur les ressources des clubs et sur les décisions à venir relatives aux investissements, notamment humains ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées ;
- les décisions attaquées sont entachées d'illégalité externe en ce qu'elles sont intervenues au terme d'une procédure irrégulière, l'ensemble des membres de l'assemblée fédérale de la Fédération française de football et de l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel n'ayant pas été régulièrement convoqué ;
- elles méconnaissent l'injonction du juge des référés du Conseil d'Etat prescrivant à la Ligue de football professionnel de réexaminer la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020-2021 dans le respect des principes d'impartialité, d'objectivité et de sincérité compte tenu notamment de l'absence d'objectivité des débats portant sur l'opportunité d'un championnat de Ligue 1 à 22 clubs, du refus de détacher la question du nombre de clubs participants du cas des relégations des clubs d'Amiens SC et de Toulouse FC, de l'opposition par principe à toute modification du calendrier et à toute reprise du championnat avant la fin du mois d'août 2020 et de la possibilité, à titre exceptionnel, de jouer à 21 clubs, par dérogation aux dispositions de la convention conclue entre la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football ;
- elles méconnaissent le principe d'égalité et d'équité sportive dès lors qu'elles confirment la relégation en Ligue 2 des deux derniers du classement de Ligue 1 alors que tous les participants à ce championnat n'avaient pas disposé des mêmes chances ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que :
- en premier lieu, la décision de ne pas procéder à des relégations, et donc de permettre à 22 clubs de participer au championnat de Ligue 1, était la plus conforme aux exigences d'égalité et d'équité ;
- en deuxième lieu, elles portent atteinte à l'intérêt supérieur du football, compte tenu notamment des répercussions économiques liées à la participation à un championnat de catégorie supérieure ;
- en troisième lieu, il existe plusieurs hypothèses de calendrier rendant possible l'organisation d'un championnat de 42 journées ;
- en quatrième lieu, ni la modification des probabilités de se maintenir ou d'être relégué ni les conséquences, largement hypothétiques, sur les autres championnats ne font obstacle au passage à un championnat de 22 clubs ;
- en cinquième lieu, les conséquences financières, liées en particulier à la réduction des revenus inhérents au partage des droits TV, ne sont pas sérieusement établies et, en tout état de cause, elles seront compensées par l'apport de revenus commerciaux complémentaires attachés au passage à un championnat de 22 clubs ;
- en sixième lieu, la diffusion des 82 nouveaux matchs induits par le nouveau format de la Ligue 1 est possible, soit dans le cadre d'une commercialisation de ce nouveau lot, soit dans le cadre d'une diffusion assurée par la Ligue de football professionnel elle-même ;
- en septième lieu, le motif tiré d'un risque pour la santé des joueurs n'est pas pertinent.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 7 juillet 2020, la communauté d'agglomération Amiens Métropole demande au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit à la requête de la société Amiens Sporting Club Football. Elle développe les mêmes moyens que sous le n° 441559.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2020, la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la SASP Amiens Sporting Club de Football au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elles soutiennent que la compétence du Conseil d'Etat est incertaine, que le requérant n'a pas intérêt pour agir et n'est pas recevable faute d'avoir saisir au préalable le comité national olympique, que l'urgence n'est pas établie et que les moyens ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 8 juillet 2020, la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football concluent au rejet de l'intervention par les mêmes moyens que ceux développés dans son mémoire en défense et par le moyen que la convocation à la réunion du 26 juin a été régulière.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code du sport ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le règlement administratif de la Ligue de football professionnel 2019/2020 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;
Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 8 juillet 2020 à 17 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : "Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur les circonstances dans lesquelles sont intervenues les décisions contestées :
2. En raison de l'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et de sa propagation sur le territoire français, le ministre des solidarités et de la santé, par plusieurs arrêtés successifs pris à compter du 4 mars 2020, a interdit, de façon de plus en plus stricte, les rassemblements, réunions ou activités mettant en présence de manière simultanée un certain nombre de personnes, et a décidé la fermeture d'un nombre croissant de catégories d'établissements recevant du public. Par un décret du 16 mars 2020, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile à l'exception des déplacements pour des motifs limitativement énumérés. La loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, terme ultérieurement reporté au 10 juillet 2020 par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire. Le Premier ministre, par un décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, a réitéré le principe de l'interdiction des déplacements, la prohibition de tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert et la fermeture de la plupart des établissements accueillant du public, notamment les établissements sportifs couverts et les établissements de plein air, ainsi que les établissements dans lesquels sont pratiquées des activités physiques ou sportives.
3. A partir de l'intervention du décret du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, les déplacements ont été autorisés dans un rayon de cent kilomètres ; a été maintenue l'interdiction de tout rassemblement, réunion ou activité à un titre autre que professionnel sur la voie publique ou dans un lieu public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes ; les établissements sportifs couverts sont demeurés fermés ; les établissements sportifs de plein air ont pu organiser la pratique de certaines activités physiques et sportives, mais pas celle des sports collectifs. Le décret du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire a maintenu ce régime juridique, sauf pour l'interdiction des déplacements, dans les départements classés en zone orange ; dans ceux classés en zone verte, la pratique des sports collectifs a été rendue possible pour les sportifs de haut niveau et les sportifs professionnels, à l'exception de toute pratique compétitive, cette dernière réserve n'ayant été levée que par un décret du 21 juin 2020. Par ailleurs, aucun événement réunissant plus de 5 000 personnes ne peut se dérouler sur le territoire de la République jusqu'au 31 août 2020.
4. Dès le 13 mars 2020, le conseil d'administration de la Ligue professionnelle de football a décidé de suspendre les compétitions organisées par la Ligue, avec effet immédiat. Au cours des semaines suivantes, un groupe de travail constitué à cette fin en son sein s'est attaché à élaborer les conditions d'une éventuelle reprise des compétitions. Le scénario envisagé au début du mois d'avril se fondait sur l'hypothèse d'une reprise des compétitions au début du mois de juin et d'une fin des championnats le 2 août au plus tard, compte tenu de la nécessaire articulation du calendrier national avec celui des compétitions organisées par l'Union des associations européennes de football, avec un démarrage de la saison 2020-2021 les 22 et 23 août. Le 16 avril 2020, à la suite de l'annonce par le Président de la République, quelques jours plus tôt, d'une prolongation du confinement jusqu'au 11 mai, le comité exécutif de la Fédération française de football a pris la décision de prononcer la fin des compétitions pour le football amateur, à l'exception de la D1 féminine et du Championnat National 1. Le 28 avril 2020, lors de sa déclaration à l'Assemblée Nationale relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de covid-19, le Premier ministre a tenu les propos suivants : " Pour donner de la visibilité aux organisateurs d'événements, je précise que les grandes manifestations sportives ou culturelles - notamment les festivals -, les grands salons professionnels et tous les événements qui regroupent plus de 5 000 participants et font à ce titre l'objet d'une déclaration en préfecture, événements qui doivent être organisés longtemps à l'avance, ne pourront se tenir avant le mois de septembre. La saison 2019-2020 de sport professionnel, notamment celle de football, ne pourra pas reprendre ". Lors de sa réunion téléphonique du 30 avril 2020, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a décidé :
- de prononcer l'arrêt définitif des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 pour la saison 2019/2020 ;
- pour la Ligue 1, de tirer les conséquences du fait que toutes les rencontres de la 28ème journée n'avaient pas pu avoir lieu en arrêtant un classement définitif sur la base d'un indice de performance défini comme le quotient issu du rapport entre le nombre de points marqués et le nombre de matchs disputés ;
- pour la Ligue 2, d'arrêter un classement définitif sur la base de celui existant à l'issue de la 28ème journée ;
- d'enregistrer en conséquences les classements de la Ligue 1 et de la Ligue 2 ;
- d'attribuer le titre de champion de France de Ligue 1 au Paris-Saint-Germain et celui de champion de France de Ligue 2 au FC Lorient ;
- de ne pas organiser, contrairement aux règles normalement applicables, de matchs de " play-offs " entre les clubs ayant terminé 3ème, 4ème et 5ème de Ligue 2 non plus que le match de barrage devant normalement opposer le vainqueur de ces " play-offs " au 18ème de Ligue 1 et, par suite, de prononcer l'accession en Ligue 1 des clubs classés en première et deuxième position de Ligue 2 (FC Lorient et RC Lens) et de prononcer la relégation en Ligue 2 des clubs classés en dix-neuvième et vingtième position de Ligue 1 (Amiens SC et Toulouse FC) ;
- de renvoyer à l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel la question du format du championnat de Ligue 2 pour la saison 2020/2021.
5. Par ordonnance du 9 juin 2020, sur demande des SASP Amiens Sporting club de football et Toulouse football club, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de la décision du 30 avril 2020 par laquelle le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a relégué en Ligue 2 les deux clubs arrivés en dix-neuvième et vingtième position du classement 2019-2020 de Ligue 1 au motif que cette décision était fondée sur les dispositions d'une convention qui ne sera plus applicable pour la saison 2020-2021. Par la même ordonnance, le juge des référés a enjoint à la Ligue, en lien avec les instances compétentes de la Fédération française de football, de réexaminer d'ici au 30 juin 2020 la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020-2021, au vu de l'ensemble des éléments disponibles à la date de ce réexamen et relatifs aux conditions dans lesquelles cette saison est susceptible de se dérouler, et d'en tirer les conséquences quant au principe des relégations.
6. En exécution de cette ordonnance, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel s'est réuni le 19 juin 2020 et a réitéré le choix du maintien de la Ligue 1 à 20 clubs, de la relégation en Ligue 2 des clubs d'Amiens et de Toulouse et le refus du passage de la Ligue 1 à 21 ou à 22 clubs pour la saison 2020-2021. Le 23 juin suivant, l'assemblée générale de la Ligue a confirmé ce choix du maintien de la Ligue 1 à 20 clubs pour la saison 2020-2021. Le 26 juin 2020, l'assemblée fédérale de la Fédération française de football a adopté la nouvelle convention la liant à la Ligue pour les quatre prochaines saisons, laquelle prévoit un maintien de la Ligue 1 à 20 clubs. Le même jour, sur le fondement de cette nouvelle convention, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a décidé, en premier lieu, d'abroger sa décision du 30 avril 2020 en tant qu'elle a maintenu la règle de relégation en Ligue 2 pour la saison 2020/2021 des deux clubs classés 19ème et 20ème du classement de Ligue 1 et prononcé en conséquence la relégation d'Amiens SC et de Toulouse FC, en deuxième lieu, de confirmer sa décision du 30 avril 2020 en ce qu'elle a prononcé l'accession en Ligue 1 pour la saison 2020-2021 des clubs classés premier et deuxième du classement de Ligue 2 ( FC Lorient et RC Lens), sous réserve des dispositions prévues au Titre 1 de son règlement administratif, et enfin, de reléguer en Ligue 2 pour la saison 2020-2021 les deux clubs classés 19ème et 20ème du classement de Ligue 1 (Amiens SC et Toulouse FC) sous réserve là aussi des dispositions prévues au Titre 1 de son règlement administratif. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, la SASP Amiens Sporting Club Football (Amiens SC) demande au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution, d'une part, de la décision du 23 juin 2020 de l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel ainsi que de la décision de l'assemblée fédérale de la Fédération française de football du 26 juin, d'autre part, de la décision du 26 juin 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel et de la décision du 30 avril 2020 du conseil d'administration de la Ligue en tant qu'elle a prononcé l'accession en Ligue 1 pour la saison 2020-2021 des clubs classés premier et deuxième de la Ligue 2.
Sur les interventions de la communauté d'Amiens métropole sous les n°s 441559 et 441585 :
7. Eu égard aux incidences économiques d'une relégation du club en Ligue 2, la communauté d'agglomération Amiens Métropole justifie, dans les circonstances de l'espèce, d'un intérêt suffisant à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la SASP Amiens Sporting Club présentées sous les n°s 441559 et 441585.
Sur le cadre juridique :
8. Aux termes de l'article L. 131-14 du code du sport : " Dans chaque discipline sportive et pour une durée déterminée, une seule fédération agréée reçoit délégation du ministre chargé des sports. " Aux termes de l'article L. 131-15 du même code : " Les fédérations délégataires : 1° Organisent les compétitions sportives à l'issue desquelles sont délivrés les titres internationaux, nationaux, régionaux ou départementaux (...). " Aux termes de l'article L. 131-16 du même code : " Les fédérations délégataires édictent : 1° Les règles techniques propres à leur discipline ainsi que les règles ayant pour objet de contrôler leur application et de sanctionner leur non-respect par les acteurs des compétitions sportives (...). " Aux termes de l'article R. 131-32 du même code : " Les règles techniques édictées par les fédérations sportives délégataires comprennent :1° Les règles du jeu applicables à la discipline sportive concernée ; / 2° Les règles d'établissement d'un classement national, régional, départemental ou autre, des sportifs, individuellement ou par équipe ; / 3° Les règles d'organisation et de déroulement des compétitions ou épreuves aboutissant à un tel classement ; / 4° Les règles d'accès et de participation des sportifs, individuellement ou par équipe, à ces compétitions et épreuves. " Aux termes de l'article L. 132-1 du même code : " Les fédérations sportives délégataires peuvent créer une ligue professionnelle, pour la représentation, la gestion et la coordination des activités sportives à caractère professionnel des associations qui leur sont affiliées et des sociétés sportives (...). " Aux termes de l'article R. 132-1 du même code, une fédération sportive délégataire peut créer une ligue professionnelle dotée de la personnalité morale soit pour organiser les compétitions sportives qu'elle définit, soit pour fixer, pour les compétitions sportives qu'elle définit, leurs conditions d'organisation et celles de la participation des sportifs. En application de l'article R. 132-12 du même code, la réglementation et la gestion des compétitions mentionnées à l'article R. 132-1 relèvent de la compétence de la ligue professionnelle, sous réserve des compétences propres de la fédération et des compétences exercées en commun par la fédération et par la ligue mentionnées aux articles R. 132-10 et R. 132-11. Les relations entre la fédération délégataire et la ligue qu'elle crée sont, en vertu de l'article R. 132-9, fixées par une convention qui, selon l'article R. 132-15, " précise les conditions dans lesquelles l'instance dirigeante de la fédération peut réformer les décisions arrêtées par les organes de la ligue professionnelle qui sont contraires aux statuts ou aux règlements de la fédération ". Par une convention conclue entre la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel en application de l'article R. 132-9 du code du sport, la gestion du football professionnel a été déléguée à la Ligue de football professionnel, notamment chargée d'organiser, de gérer et de réglementer le championnat de Ligue 1 et le championnat de Ligue 2. Aux termes de l'article 5 de cette convention : " A l'exception des décisions d'ordre disciplinaire le Comité Exécutif peut se saisir, conformément à l'article 13 du Règlement Intérieur de la F.F.F., pour éventuellement les réformer, de toutes les décisions prises par l'Assemblée et par les instances élues ou nommées de la L.F.P., qu'il jugerait contraires à l'intérêt supérieur du football ou aux statuts et règlements. "
Sur la décision de l'assemblée générale de la Ligue de Football professionnel du 23 juin 2020 et de l'assemblée fédérale de la Fédération française de football du 26 juin 2020 maintenant un format de 20 clubs en Ligue 1 respectivement pour la saison 2020-2021 et pour la période 2020-2024 :
9. En premier lieu, le moyen tiré de ce que les décisions contestées auraient été entachées d'irrégularité n'est pas assorti de précision suffisante permettant d'en apprécier le bien-fondé.
10. En deuxième lieu, par ordonnance n° 440809, 440813 et 440824 du 9 juin 2020, le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L 521-1 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de la décision du 30 avril 2020 par laquelle le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a prononcé la relégation en Ligue 2 des deux clubs arrivés en dix-neuvième et vingtième position du classement 2019-2020 de Ligue 1 et a enjoint à la Ligue de football professionnel, en lien avec les instances compétentes de la Fédération française de football, de réexaminer, d'ici au 30 juin 2020 la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020/2021, au vu de l'ensemble des éléments disponibles à la date de ce réexamen et relatifs aux conditions dans lesquelles cette saison est susceptible de se dérouler, et d'en tirer les conséquences quant au principe des relégations. Les décisions contestées ont précisément été prises en exécution de cette ordonnance en statuant sur le format de la Ligue 1 pour la saison 2020/2021 et sur les relégations consécutives en Ligue 2. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions litigieuses méconnaîtraient la force exécutoire s'attachant à l'ordonnance du 9 juin 2020 n'est pas de nature à créer un doute sérieux sur leur légalité, quel que soit le bien fondé des allégations de la requérante sur la régularité de la procédure ayant conduit à leur adoption.
11. En troisième lieu, si la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel auraient pu opter, après l'arrêt du championnat, pour un choix différent en maintenant les montées en Ligue 1 des premier et second du classement de la Ligue 2 tout en renonçant à une descente en Ligue 2 des 19ème et 20ème de la Ligue 1, portant ainsi à 22 le nombre de clubs en Ligue 1 pour la saison 2020-2021, elles pouvaient légalement opter pour un maintien de 20 clubs en Ligue 1 pour cette saison, sans méconnaître les principes d'égalité ni l'équité sportive, compte tenu de ce que plus de 73% des rencontres avaient eu lieu et eu égard aux aléas et incertitudes inhérents au déroulement d'un championnat. Les circonstances tenant notamment aux conséquences économiques et sportives pour le club requérant et ses joueurs ne permettent pas de regarder, en l'état de l'instruction, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, comme de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de ces décisions contestées.
12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin de suspension de la décision de l'assemblée générale de la Ligue de Football professionnel du 23 juin 2020 et de l'assemblée fédérale de la Fédération française de football du 26 juin 2020 maintenant un format de 20 clubs en Ligue 1 respectivement pour la saison 2020-2021 et pour la période 2020-2024 ne peuvent, en l'état de l'instruction, qu'être rejetées.
Sur les décisions du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel des 30 avril et 26 juin 2020 portant sur l'accession en Ligue 1 pour la saison 2020-2021 du premier et deuxième de la Ligue 2 et sur la relégation en Ligue 2 des clubs classés 19ème et 20ème de la Ligue 1 :
13. En premier lieu, d'une part, la circonstance que deux membres de droit avec voix consultative n'ont pas assisté au conseil d'administration du 26 juin n'établit pas qu'ils n'ont pas été régulièrement convoqués à cette réunion. D'autre part, il ressort du procès-verbal de cette réunion que MM D..., C... et A... B... ont assisté régulièrement à la séance en leurs qualités respectives de directeurs de Première Ligue et de directeur général de l'Union des clubs professionnels de football, membres avec voix consultative du conseil d'administration conformément aux dispositions de l'article 18 des statuts de la Ligue. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la convocation à cette réunion aurait été irrégulière. Il s'ensuit que les moyens tirés de l'irrégularité de la délibération du 26 juin 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel ne sont pas de nature à faire naître un doute sérieux sur sa légalité.
14. En deuxième lieu, il appartenait au conseil d'administration de la Ligue, de déterminer, dans le cadre de son pouvoir réglementaire, les conséquences à tirer de l'interruption des championnats. S'il lui était loisible de décider que les compétitions de Ligue 1 et de Ligue 2 ne donneraient pas lieu à un classement en 2019/2020, il pouvait légalement faire le choix d'arrêter le principe d'un tel classement, malgré la circonstance que les championnats n'aient pas pu aller jusqu'à leur terme, de fixer les règles permettant d'y procéder et décider de la relégation des clubs classés 19ème et 20ème .Dès lors qu'elle ne conduit pas à modifier les résultats des rencontres qui se sont antérieurement déroulées, l'application à des compétitions en cours qui ont été interrompues de règles nouvelles dont le seul objet est de permettre le classement des clubs concernés, en dérogeant aux règles qui prévoient que ce classement est arrêté à l'issue des championnats, ne saurait être regardé comme affectant une situation juridique définitivement constituée et ne revêt donc pas un caractère rétroactif. Il ne saurait être davantage soutenu qu'aurait été méconnu, en l'espèce, le principe de sécurité juridique, au motif que les règles nouvelles sont immédiatement applicables, alors que l'interruption des championnats rendait précisément nécessaire qu'elles le soient. Enfin, la Ligue a définitivement arrêté ce choix par sa décision du 26 juin sur le fondement de la nouvelle convention conclue avec la Fédération sans commettre ce faisant d'erreur de droit.
15. En troisième lieu, compte tenu de ce que plus de 73% des rencontres avaient eu lieu lorsque le championnat a été interrompu, des aléas inhérents au déroulement d'une compétition sportive et de l'impossibilité de déterminer les résultats qui auraient été obtenus par le club si ce championnat avait pu aller à son terme, les moyens tirés d'une part, de ce que le principe d'égalité et l'équité sportive auraient été méconnus et, d'autre part, de l'erreur manifeste d'appréciation, ne sont pas susceptibles, en l'état de l'instruction, de faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel.
16. Enfin, il résulte de ce qui a été dit au point 12 que les moyens tirés de ce que les décisions attaquées devraient être suspendues par voie de conséquence de la suspension de la décision de l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel du 23 juin 2020 maintenant un format de 20 clubs en Ligue 1 pour la saison 2020-2021 et de l'assemblée fédérale de la Fédération française de football du 26 juin 2020 maintenant un format de 20 clubs en Ligue 1 pour la période 2020-2024 doivent être écartés.
17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, que les conclusions des requêtes doivent être rejetées, ensemble leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SASP Amiens Sporting Club la somme globale de 6 000 euros à verser à la Ligue de football professionnel et à la Fédération française de football en application de ces mêmes dispositions.
O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions de la communauté d'agglomération Amiens Métropole sont admises.
Article 2 : Les requêtes n°s 441559 et 441585 de la SASP Amiens Sporting Club sont rejetées.
Article 3 : La SASP Amiens Sporting Club versera la somme globale de 6 000 euros à la Ligue de football professionnel et à la Fédération française de football au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la SASP Amiens Sporting Club Football, à la Ligue de football professionnel, à la Fédération française de football et à la communauté d'agglomération Amiens Métropole.
N° 441559
ECLI:FR:CEORD:2020:441559.20200709
Inédit au recueil Lebon
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP ROUSSEAU, TAPIE ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du jeudi 9 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
I. Sous le n° 441559, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juillet et 8 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société anonyme sportive professionnelle (SASP) Amiens Sporting Club Football demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 26 juin 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel en tant qu'elle a prononcé la relégation en Ligue 2 pour la saison 2020-2021 des clubs classés 19ème et 20ème du classement de Ligue 1 et confirmé l'accession en Ligue 1 pour cette même saison des clubs classés premier et deuxième de Ligue 2 ;
2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 30 avril 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel en tant qu'elle a prononcé l'accession en Ligue 1 pour la saison 2020-2021 des clubs classés premier et deuxième du classement de Ligue 2 ;
3°) de mettre à la charge de la Ligue de football professionnel la somme de 10 000 euros à verser à la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre des décisions contestées ;
- sa requête est recevable ;
- sa requête relève de la compétence de premier ressort du Conseil d'Etat ;
- la condition d'urgence est remplie, les décisions attaquées préjudiciant de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation et aux intérêts qu'elle entend défendre en ce que, en premier lieu, elle se trouve dans l'incapacité de concourir, pour la saison 2020-2021, en Ligue 1, alors même que ses résultats sportifs rendaient possible un maintien dans ce championnat, en deuxième lieu, l'imminence de la prochaine saison sportive, débutant au plus tard les 21, 22 et 23 août 2020, implique la nécessité de connaître le championnat dans lequel elle évoluera dès lors notamment que la gestion des effectifs et la politique de recrutement en dépendent, en troisième lieu, une relégation en Ligue 2 signifierait la perte des meilleurs joueurs et espoirs de l'équipe et, en dernier lieu, les catégories de compétition disputées ont un impact financier, économique et social immédiat, en particulier sur les ressources des clubs et sur les décisions à venir relatives aux investissements, notamment humains ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées ;
- la délibération du 26 juin est entachée d'illégalité externe en ce qu'elle est intervenue au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'est pas établi que deux membres du conseil d'administration avec voix consultative auraient été convoqués à cette réunion et que le procès-verbal indique simplement que d'autres membres avec voix consultative ont assisté à la réunion ;
- elles sont entachées d'illégalité dès lors que, d'une part, la convention entre la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel, sur le fondement de laquelle elles ont été prises, est irrégulière en ce qu'elle n'a pas été approuvée par la ministre des sports et, d'autre part, elles pourront être frappées d'illégalité par voie de conséquence, eu égard aux recours en annulation et suspension dirigés contre les décisions prises par l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel du 23 juin 2020 et par l'assemblée fédérale du 26 juin 2020 ;
- elles méconnaissent le principe d'égalité et d'équité sportive dès lors que, d'une part, elles procèdent à la relégation en Ligue 2 des deux derniers du classement de Ligue 1 alors que tous les participants à ce championnat n'avaient pas disposé des mêmes chances et, d'autre part, elles ont pour effet d'autoriser l'accession en Ligue 1 de clubs ayant une simple chance d'accéder à cette division supérieure et de pénaliser les clubs de Ligue 1 alors qu'ils disposaient d'une possibilité de se maintenir dans ce même championnat ;
- elles portent une atteinte disproportionnée au principe de sécurité juridique et de non-rétroactivité des actes administratifs en ce que, en premier lieu, elles modifient en cours de saison et sans aucune disposition transitoire les conditions d'accession et de rétrogradation, en second lieu, elles ne sont pas justifiées par des circonstances exceptionnelles, dès lors notamment qu'elles ne sont pas directement et limitativement liées à l'objectif de lutte contre l'épidémie du virus covid-19 et, enfin, l'existence de circonstances exceptionnelles n'excluait pas tout système avec montée et sans descente ou une saison blanche ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que la Ligue de football professionnel a fait application des dispositions de l'article 519 du règlement des compétitions de la Ligue de football professionnel, en ce que :
- en première lieu, la décision de procéder à un classement n'excluait pas la possibilité de ne procéder ni à des relégations, ni à des accessions, eu égard notamment à l'absence de dispositions introduisant une obligation d'adoption de règles uniformes en la matière entre les championnats amateurs et professionnels ;
- en deuxième lieu, une telle absence de relégation était la plus conforme aux exigences d'égalité et d'équité ;
- en troisième lieu, l'annulation de dix journées de championnat constituant un vice substantiel pour la saison 2019-2020, une absence de relégation et, par voie de conséquences, d'accession, à l'instar de celle décidée dans d'autres pays ou fédérations françaises, était justifiée ;
- en tout état de cause, la Ligue de football professionnel devait faire application des dispositions de l'article 520 du règlement précité, dès lors notamment que le principe d'équité sportive implique d'accorder une priorité au club évoluant dans la division supérieure en cas de repêchage ;
- en quatrième lieu, elles portent atteinte à l'intérêt général du football ;
- en cinquième lieu, le choix de prononcer des relégations avant le terme d'un championnat méconnaît les deux seules hypothèses dans lesquelles une telle mesure peut être prise.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 3 juillet 2020, la communauté d'agglomération Amiens Métropole demande au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit à la requête de la société Amiens Sporting Club Football. Elle soutient que :
- son intervention est recevable ;
- la condition d'urgence est remplie, au regard des incidences de la décision attaquée pour le club et pour la communauté d'agglomération elle-même ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ;
- la décision du 26 juin 2020 est intervenue au terme d'une procédure irrégulière dès lors que les membres du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel n'ont pas été régulièrement convoqués ;
- les décisions des 30 avril et 26 juin 2020 méconnaissent le principe d'égalité dès lors qu'elles conduisent à appliquer un traitement différent à des clubs placés dans la même situation ;
- elles méconnaissent les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité des actes administratifs ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, car elles sont à la fois injustes et incohérentes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2020, la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la SASP Amiens Sporting Club de Football au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elles soutiennent que la compétence du Conseil d'Etat est incertaine, que le requérant n'a pas intérêt pour agir et n'est pas recevable faute d'avoir saisi au préalable le comité national olympique, que l'urgence n'est pas établie et que les moyens ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 8 juillet 2020, la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football concluent au rejet de l'intervention par les mêmes moyens que ceux développés dans son mémoire en défense et par le moyen que la convocation à la réunion du 26 juin a été régulière.
II. Sous le n° 441585, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 juillet et 8 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société anonyme sportive professionnelle (SASP) Amiens Sporting Club Football demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision de l'assemblée fédérale de la Fédération française de football du 26 juin 2020 refusant un format de Ligue 1 à 22 clubs pour la saison 2020-2021, se prononçant en faveur d'un format à 20 clubs pour la saison 2020-2021 de la Ligue 1 et adoptant la convention conclue entre la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel pour la période 2020-2024 ;
2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 23 juin 2020 de l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel refusant un format de Ligue 1 à 22 clubs pour la saison 2020-2021 et se prononçant en faveur d'un format à 20 clubs pour la saison 2020-2021 de la Ligue 1 ;
3°) d'enjoindre à la Ligue de football professionnel et à la Fédération française de football de réintégrer le club de l'Amiens SC dans le championnat de France de Ligue 1 pour la saison 2020-2021 ;
4°) de mettre à la charge de la Ligue de football professionnel et de la Fédération française de football la somme de 10 000 euros à verser à la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre des décisions contestées ;
- sa requête est recevable ;
- la condition d'urgence est remplie, les décisions attaquées préjudiciant de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation et aux intérêts qu'elle entend défendre en ce que, en premier lieu, elle se trouve dans l'incapacité de concourir, pour la saison 2020-2021, en Ligue 1, alors même que ses résultats sportifs rendaient possible un maintien dans ce championnat, en deuxième lieu, l'imminence de la prochaine saison sportive, débutant au plus tard les 21, 22 et 23 août 2020, implique la nécessité de connaître le championnat dans lequel elle évoluera dès lors notamment que la gestion des effectifs et la politique de recrutement en dépendent, en troisième lieu, une relégation en Ligue 2 signifierait la perte des meilleurs joueurs et espoirs de l'équipe et, en dernier lieu, les catégories de compétition disputées ont un impact financier, économique et social immédiat, en particulier sur les ressources des clubs et sur les décisions à venir relatives aux investissements, notamment humains ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées ;
- les décisions attaquées sont entachées d'illégalité externe en ce qu'elles sont intervenues au terme d'une procédure irrégulière, l'ensemble des membres de l'assemblée fédérale de la Fédération française de football et de l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel n'ayant pas été régulièrement convoqué ;
- elles méconnaissent l'injonction du juge des référés du Conseil d'Etat prescrivant à la Ligue de football professionnel de réexaminer la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020-2021 dans le respect des principes d'impartialité, d'objectivité et de sincérité compte tenu notamment de l'absence d'objectivité des débats portant sur l'opportunité d'un championnat de Ligue 1 à 22 clubs, du refus de détacher la question du nombre de clubs participants du cas des relégations des clubs d'Amiens SC et de Toulouse FC, de l'opposition par principe à toute modification du calendrier et à toute reprise du championnat avant la fin du mois d'août 2020 et de la possibilité, à titre exceptionnel, de jouer à 21 clubs, par dérogation aux dispositions de la convention conclue entre la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football ;
- elles méconnaissent le principe d'égalité et d'équité sportive dès lors qu'elles confirment la relégation en Ligue 2 des deux derniers du classement de Ligue 1 alors que tous les participants à ce championnat n'avaient pas disposé des mêmes chances ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que :
- en premier lieu, la décision de ne pas procéder à des relégations, et donc de permettre à 22 clubs de participer au championnat de Ligue 1, était la plus conforme aux exigences d'égalité et d'équité ;
- en deuxième lieu, elles portent atteinte à l'intérêt supérieur du football, compte tenu notamment des répercussions économiques liées à la participation à un championnat de catégorie supérieure ;
- en troisième lieu, il existe plusieurs hypothèses de calendrier rendant possible l'organisation d'un championnat de 42 journées ;
- en quatrième lieu, ni la modification des probabilités de se maintenir ou d'être relégué ni les conséquences, largement hypothétiques, sur les autres championnats ne font obstacle au passage à un championnat de 22 clubs ;
- en cinquième lieu, les conséquences financières, liées en particulier à la réduction des revenus inhérents au partage des droits TV, ne sont pas sérieusement établies et, en tout état de cause, elles seront compensées par l'apport de revenus commerciaux complémentaires attachés au passage à un championnat de 22 clubs ;
- en sixième lieu, la diffusion des 82 nouveaux matchs induits par le nouveau format de la Ligue 1 est possible, soit dans le cadre d'une commercialisation de ce nouveau lot, soit dans le cadre d'une diffusion assurée par la Ligue de football professionnel elle-même ;
- en septième lieu, le motif tiré d'un risque pour la santé des joueurs n'est pas pertinent.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 7 juillet 2020, la communauté d'agglomération Amiens Métropole demande au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit à la requête de la société Amiens Sporting Club Football. Elle développe les mêmes moyens que sous le n° 441559.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2020, la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la SASP Amiens Sporting Club de Football au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elles soutiennent que la compétence du Conseil d'Etat est incertaine, que le requérant n'a pas intérêt pour agir et n'est pas recevable faute d'avoir saisir au préalable le comité national olympique, que l'urgence n'est pas établie et que les moyens ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 8 juillet 2020, la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football concluent au rejet de l'intervention par les mêmes moyens que ceux développés dans son mémoire en défense et par le moyen que la convocation à la réunion du 26 juin a été régulière.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code du sport ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le règlement administratif de la Ligue de football professionnel 2019/2020 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;
Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 8 juillet 2020 à 17 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : "Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur les circonstances dans lesquelles sont intervenues les décisions contestées :
2. En raison de l'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et de sa propagation sur le territoire français, le ministre des solidarités et de la santé, par plusieurs arrêtés successifs pris à compter du 4 mars 2020, a interdit, de façon de plus en plus stricte, les rassemblements, réunions ou activités mettant en présence de manière simultanée un certain nombre de personnes, et a décidé la fermeture d'un nombre croissant de catégories d'établissements recevant du public. Par un décret du 16 mars 2020, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile à l'exception des déplacements pour des motifs limitativement énumérés. La loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, terme ultérieurement reporté au 10 juillet 2020 par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire. Le Premier ministre, par un décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, a réitéré le principe de l'interdiction des déplacements, la prohibition de tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert et la fermeture de la plupart des établissements accueillant du public, notamment les établissements sportifs couverts et les établissements de plein air, ainsi que les établissements dans lesquels sont pratiquées des activités physiques ou sportives.
3. A partir de l'intervention du décret du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, les déplacements ont été autorisés dans un rayon de cent kilomètres ; a été maintenue l'interdiction de tout rassemblement, réunion ou activité à un titre autre que professionnel sur la voie publique ou dans un lieu public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes ; les établissements sportifs couverts sont demeurés fermés ; les établissements sportifs de plein air ont pu organiser la pratique de certaines activités physiques et sportives, mais pas celle des sports collectifs. Le décret du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire a maintenu ce régime juridique, sauf pour l'interdiction des déplacements, dans les départements classés en zone orange ; dans ceux classés en zone verte, la pratique des sports collectifs a été rendue possible pour les sportifs de haut niveau et les sportifs professionnels, à l'exception de toute pratique compétitive, cette dernière réserve n'ayant été levée que par un décret du 21 juin 2020. Par ailleurs, aucun événement réunissant plus de 5 000 personnes ne peut se dérouler sur le territoire de la République jusqu'au 31 août 2020.
4. Dès le 13 mars 2020, le conseil d'administration de la Ligue professionnelle de football a décidé de suspendre les compétitions organisées par la Ligue, avec effet immédiat. Au cours des semaines suivantes, un groupe de travail constitué à cette fin en son sein s'est attaché à élaborer les conditions d'une éventuelle reprise des compétitions. Le scénario envisagé au début du mois d'avril se fondait sur l'hypothèse d'une reprise des compétitions au début du mois de juin et d'une fin des championnats le 2 août au plus tard, compte tenu de la nécessaire articulation du calendrier national avec celui des compétitions organisées par l'Union des associations européennes de football, avec un démarrage de la saison 2020-2021 les 22 et 23 août. Le 16 avril 2020, à la suite de l'annonce par le Président de la République, quelques jours plus tôt, d'une prolongation du confinement jusqu'au 11 mai, le comité exécutif de la Fédération française de football a pris la décision de prononcer la fin des compétitions pour le football amateur, à l'exception de la D1 féminine et du Championnat National 1. Le 28 avril 2020, lors de sa déclaration à l'Assemblée Nationale relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de covid-19, le Premier ministre a tenu les propos suivants : " Pour donner de la visibilité aux organisateurs d'événements, je précise que les grandes manifestations sportives ou culturelles - notamment les festivals -, les grands salons professionnels et tous les événements qui regroupent plus de 5 000 participants et font à ce titre l'objet d'une déclaration en préfecture, événements qui doivent être organisés longtemps à l'avance, ne pourront se tenir avant le mois de septembre. La saison 2019-2020 de sport professionnel, notamment celle de football, ne pourra pas reprendre ". Lors de sa réunion téléphonique du 30 avril 2020, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a décidé :
- de prononcer l'arrêt définitif des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 pour la saison 2019/2020 ;
- pour la Ligue 1, de tirer les conséquences du fait que toutes les rencontres de la 28ème journée n'avaient pas pu avoir lieu en arrêtant un classement définitif sur la base d'un indice de performance défini comme le quotient issu du rapport entre le nombre de points marqués et le nombre de matchs disputés ;
- pour la Ligue 2, d'arrêter un classement définitif sur la base de celui existant à l'issue de la 28ème journée ;
- d'enregistrer en conséquences les classements de la Ligue 1 et de la Ligue 2 ;
- d'attribuer le titre de champion de France de Ligue 1 au Paris-Saint-Germain et celui de champion de France de Ligue 2 au FC Lorient ;
- de ne pas organiser, contrairement aux règles normalement applicables, de matchs de " play-offs " entre les clubs ayant terminé 3ème, 4ème et 5ème de Ligue 2 non plus que le match de barrage devant normalement opposer le vainqueur de ces " play-offs " au 18ème de Ligue 1 et, par suite, de prononcer l'accession en Ligue 1 des clubs classés en première et deuxième position de Ligue 2 (FC Lorient et RC Lens) et de prononcer la relégation en Ligue 2 des clubs classés en dix-neuvième et vingtième position de Ligue 1 (Amiens SC et Toulouse FC) ;
- de renvoyer à l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel la question du format du championnat de Ligue 2 pour la saison 2020/2021.
5. Par ordonnance du 9 juin 2020, sur demande des SASP Amiens Sporting club de football et Toulouse football club, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de la décision du 30 avril 2020 par laquelle le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a relégué en Ligue 2 les deux clubs arrivés en dix-neuvième et vingtième position du classement 2019-2020 de Ligue 1 au motif que cette décision était fondée sur les dispositions d'une convention qui ne sera plus applicable pour la saison 2020-2021. Par la même ordonnance, le juge des référés a enjoint à la Ligue, en lien avec les instances compétentes de la Fédération française de football, de réexaminer d'ici au 30 juin 2020 la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020-2021, au vu de l'ensemble des éléments disponibles à la date de ce réexamen et relatifs aux conditions dans lesquelles cette saison est susceptible de se dérouler, et d'en tirer les conséquences quant au principe des relégations.
6. En exécution de cette ordonnance, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel s'est réuni le 19 juin 2020 et a réitéré le choix du maintien de la Ligue 1 à 20 clubs, de la relégation en Ligue 2 des clubs d'Amiens et de Toulouse et le refus du passage de la Ligue 1 à 21 ou à 22 clubs pour la saison 2020-2021. Le 23 juin suivant, l'assemblée générale de la Ligue a confirmé ce choix du maintien de la Ligue 1 à 20 clubs pour la saison 2020-2021. Le 26 juin 2020, l'assemblée fédérale de la Fédération française de football a adopté la nouvelle convention la liant à la Ligue pour les quatre prochaines saisons, laquelle prévoit un maintien de la Ligue 1 à 20 clubs. Le même jour, sur le fondement de cette nouvelle convention, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a décidé, en premier lieu, d'abroger sa décision du 30 avril 2020 en tant qu'elle a maintenu la règle de relégation en Ligue 2 pour la saison 2020/2021 des deux clubs classés 19ème et 20ème du classement de Ligue 1 et prononcé en conséquence la relégation d'Amiens SC et de Toulouse FC, en deuxième lieu, de confirmer sa décision du 30 avril 2020 en ce qu'elle a prononcé l'accession en Ligue 1 pour la saison 2020-2021 des clubs classés premier et deuxième du classement de Ligue 2 ( FC Lorient et RC Lens), sous réserve des dispositions prévues au Titre 1 de son règlement administratif, et enfin, de reléguer en Ligue 2 pour la saison 2020-2021 les deux clubs classés 19ème et 20ème du classement de Ligue 1 (Amiens SC et Toulouse FC) sous réserve là aussi des dispositions prévues au Titre 1 de son règlement administratif. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, la SASP Amiens Sporting Club Football (Amiens SC) demande au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution, d'une part, de la décision du 23 juin 2020 de l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel ainsi que de la décision de l'assemblée fédérale de la Fédération française de football du 26 juin, d'autre part, de la décision du 26 juin 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel et de la décision du 30 avril 2020 du conseil d'administration de la Ligue en tant qu'elle a prononcé l'accession en Ligue 1 pour la saison 2020-2021 des clubs classés premier et deuxième de la Ligue 2.
Sur les interventions de la communauté d'Amiens métropole sous les n°s 441559 et 441585 :
7. Eu égard aux incidences économiques d'une relégation du club en Ligue 2, la communauté d'agglomération Amiens Métropole justifie, dans les circonstances de l'espèce, d'un intérêt suffisant à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la SASP Amiens Sporting Club présentées sous les n°s 441559 et 441585.
Sur le cadre juridique :
8. Aux termes de l'article L. 131-14 du code du sport : " Dans chaque discipline sportive et pour une durée déterminée, une seule fédération agréée reçoit délégation du ministre chargé des sports. " Aux termes de l'article L. 131-15 du même code : " Les fédérations délégataires : 1° Organisent les compétitions sportives à l'issue desquelles sont délivrés les titres internationaux, nationaux, régionaux ou départementaux (...). " Aux termes de l'article L. 131-16 du même code : " Les fédérations délégataires édictent : 1° Les règles techniques propres à leur discipline ainsi que les règles ayant pour objet de contrôler leur application et de sanctionner leur non-respect par les acteurs des compétitions sportives (...). " Aux termes de l'article R. 131-32 du même code : " Les règles techniques édictées par les fédérations sportives délégataires comprennent :1° Les règles du jeu applicables à la discipline sportive concernée ; / 2° Les règles d'établissement d'un classement national, régional, départemental ou autre, des sportifs, individuellement ou par équipe ; / 3° Les règles d'organisation et de déroulement des compétitions ou épreuves aboutissant à un tel classement ; / 4° Les règles d'accès et de participation des sportifs, individuellement ou par équipe, à ces compétitions et épreuves. " Aux termes de l'article L. 132-1 du même code : " Les fédérations sportives délégataires peuvent créer une ligue professionnelle, pour la représentation, la gestion et la coordination des activités sportives à caractère professionnel des associations qui leur sont affiliées et des sociétés sportives (...). " Aux termes de l'article R. 132-1 du même code, une fédération sportive délégataire peut créer une ligue professionnelle dotée de la personnalité morale soit pour organiser les compétitions sportives qu'elle définit, soit pour fixer, pour les compétitions sportives qu'elle définit, leurs conditions d'organisation et celles de la participation des sportifs. En application de l'article R. 132-12 du même code, la réglementation et la gestion des compétitions mentionnées à l'article R. 132-1 relèvent de la compétence de la ligue professionnelle, sous réserve des compétences propres de la fédération et des compétences exercées en commun par la fédération et par la ligue mentionnées aux articles R. 132-10 et R. 132-11. Les relations entre la fédération délégataire et la ligue qu'elle crée sont, en vertu de l'article R. 132-9, fixées par une convention qui, selon l'article R. 132-15, " précise les conditions dans lesquelles l'instance dirigeante de la fédération peut réformer les décisions arrêtées par les organes de la ligue professionnelle qui sont contraires aux statuts ou aux règlements de la fédération ". Par une convention conclue entre la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel en application de l'article R. 132-9 du code du sport, la gestion du football professionnel a été déléguée à la Ligue de football professionnel, notamment chargée d'organiser, de gérer et de réglementer le championnat de Ligue 1 et le championnat de Ligue 2. Aux termes de l'article 5 de cette convention : " A l'exception des décisions d'ordre disciplinaire le Comité Exécutif peut se saisir, conformément à l'article 13 du Règlement Intérieur de la F.F.F., pour éventuellement les réformer, de toutes les décisions prises par l'Assemblée et par les instances élues ou nommées de la L.F.P., qu'il jugerait contraires à l'intérêt supérieur du football ou aux statuts et règlements. "
Sur la décision de l'assemblée générale de la Ligue de Football professionnel du 23 juin 2020 et de l'assemblée fédérale de la Fédération française de football du 26 juin 2020 maintenant un format de 20 clubs en Ligue 1 respectivement pour la saison 2020-2021 et pour la période 2020-2024 :
9. En premier lieu, le moyen tiré de ce que les décisions contestées auraient été entachées d'irrégularité n'est pas assorti de précision suffisante permettant d'en apprécier le bien-fondé.
10. En deuxième lieu, par ordonnance n° 440809, 440813 et 440824 du 9 juin 2020, le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L 521-1 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de la décision du 30 avril 2020 par laquelle le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a prononcé la relégation en Ligue 2 des deux clubs arrivés en dix-neuvième et vingtième position du classement 2019-2020 de Ligue 1 et a enjoint à la Ligue de football professionnel, en lien avec les instances compétentes de la Fédération française de football, de réexaminer, d'ici au 30 juin 2020 la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020/2021, au vu de l'ensemble des éléments disponibles à la date de ce réexamen et relatifs aux conditions dans lesquelles cette saison est susceptible de se dérouler, et d'en tirer les conséquences quant au principe des relégations. Les décisions contestées ont précisément été prises en exécution de cette ordonnance en statuant sur le format de la Ligue 1 pour la saison 2020/2021 et sur les relégations consécutives en Ligue 2. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions litigieuses méconnaîtraient la force exécutoire s'attachant à l'ordonnance du 9 juin 2020 n'est pas de nature à créer un doute sérieux sur leur légalité, quel que soit le bien fondé des allégations de la requérante sur la régularité de la procédure ayant conduit à leur adoption.
11. En troisième lieu, si la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel auraient pu opter, après l'arrêt du championnat, pour un choix différent en maintenant les montées en Ligue 1 des premier et second du classement de la Ligue 2 tout en renonçant à une descente en Ligue 2 des 19ème et 20ème de la Ligue 1, portant ainsi à 22 le nombre de clubs en Ligue 1 pour la saison 2020-2021, elles pouvaient légalement opter pour un maintien de 20 clubs en Ligue 1 pour cette saison, sans méconnaître les principes d'égalité ni l'équité sportive, compte tenu de ce que plus de 73% des rencontres avaient eu lieu et eu égard aux aléas et incertitudes inhérents au déroulement d'un championnat. Les circonstances tenant notamment aux conséquences économiques et sportives pour le club requérant et ses joueurs ne permettent pas de regarder, en l'état de l'instruction, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, comme de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de ces décisions contestées.
12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin de suspension de la décision de l'assemblée générale de la Ligue de Football professionnel du 23 juin 2020 et de l'assemblée fédérale de la Fédération française de football du 26 juin 2020 maintenant un format de 20 clubs en Ligue 1 respectivement pour la saison 2020-2021 et pour la période 2020-2024 ne peuvent, en l'état de l'instruction, qu'être rejetées.
Sur les décisions du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel des 30 avril et 26 juin 2020 portant sur l'accession en Ligue 1 pour la saison 2020-2021 du premier et deuxième de la Ligue 2 et sur la relégation en Ligue 2 des clubs classés 19ème et 20ème de la Ligue 1 :
13. En premier lieu, d'une part, la circonstance que deux membres de droit avec voix consultative n'ont pas assisté au conseil d'administration du 26 juin n'établit pas qu'ils n'ont pas été régulièrement convoqués à cette réunion. D'autre part, il ressort du procès-verbal de cette réunion que MM D..., C... et A... B... ont assisté régulièrement à la séance en leurs qualités respectives de directeurs de Première Ligue et de directeur général de l'Union des clubs professionnels de football, membres avec voix consultative du conseil d'administration conformément aux dispositions de l'article 18 des statuts de la Ligue. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la convocation à cette réunion aurait été irrégulière. Il s'ensuit que les moyens tirés de l'irrégularité de la délibération du 26 juin 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel ne sont pas de nature à faire naître un doute sérieux sur sa légalité.
14. En deuxième lieu, il appartenait au conseil d'administration de la Ligue, de déterminer, dans le cadre de son pouvoir réglementaire, les conséquences à tirer de l'interruption des championnats. S'il lui était loisible de décider que les compétitions de Ligue 1 et de Ligue 2 ne donneraient pas lieu à un classement en 2019/2020, il pouvait légalement faire le choix d'arrêter le principe d'un tel classement, malgré la circonstance que les championnats n'aient pas pu aller jusqu'à leur terme, de fixer les règles permettant d'y procéder et décider de la relégation des clubs classés 19ème et 20ème .Dès lors qu'elle ne conduit pas à modifier les résultats des rencontres qui se sont antérieurement déroulées, l'application à des compétitions en cours qui ont été interrompues de règles nouvelles dont le seul objet est de permettre le classement des clubs concernés, en dérogeant aux règles qui prévoient que ce classement est arrêté à l'issue des championnats, ne saurait être regardé comme affectant une situation juridique définitivement constituée et ne revêt donc pas un caractère rétroactif. Il ne saurait être davantage soutenu qu'aurait été méconnu, en l'espèce, le principe de sécurité juridique, au motif que les règles nouvelles sont immédiatement applicables, alors que l'interruption des championnats rendait précisément nécessaire qu'elles le soient. Enfin, la Ligue a définitivement arrêté ce choix par sa décision du 26 juin sur le fondement de la nouvelle convention conclue avec la Fédération sans commettre ce faisant d'erreur de droit.
15. En troisième lieu, compte tenu de ce que plus de 73% des rencontres avaient eu lieu lorsque le championnat a été interrompu, des aléas inhérents au déroulement d'une compétition sportive et de l'impossibilité de déterminer les résultats qui auraient été obtenus par le club si ce championnat avait pu aller à son terme, les moyens tirés d'une part, de ce que le principe d'égalité et l'équité sportive auraient été méconnus et, d'autre part, de l'erreur manifeste d'appréciation, ne sont pas susceptibles, en l'état de l'instruction, de faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel.
16. Enfin, il résulte de ce qui a été dit au point 12 que les moyens tirés de ce que les décisions attaquées devraient être suspendues par voie de conséquence de la suspension de la décision de l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel du 23 juin 2020 maintenant un format de 20 clubs en Ligue 1 pour la saison 2020-2021 et de l'assemblée fédérale de la Fédération française de football du 26 juin 2020 maintenant un format de 20 clubs en Ligue 1 pour la période 2020-2024 doivent être écartés.
17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, que les conclusions des requêtes doivent être rejetées, ensemble leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SASP Amiens Sporting Club la somme globale de 6 000 euros à verser à la Ligue de football professionnel et à la Fédération française de football en application de ces mêmes dispositions.
O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions de la communauté d'agglomération Amiens Métropole sont admises.
Article 2 : Les requêtes n°s 441559 et 441585 de la SASP Amiens Sporting Club sont rejetées.
Article 3 : La SASP Amiens Sporting Club versera la somme globale de 6 000 euros à la Ligue de football professionnel et à la Fédération française de football au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la SASP Amiens Sporting Club Football, à la Ligue de football professionnel, à la Fédération française de football et à la communauté d'agglomération Amiens Métropole.