Conseil d'État
N° 434521
ECLI:FR:CECHR:2020:434521.20200629
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Guillaume de LA TAILLE LOLAINVILLE, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du lundi 29 juin 2020
La société anonyme (SA) Electricité de France (EDF) a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie dans les rôles de la commune de Saint-Vulbas (Ain) à raison de la centrale nucléaire du Bugey au titre des années 2015, 2016 et 2017 à concurrence respectivement de 160 068 euros, 981 421 euros et 589 799 euros. Par un jugement n°s 1706650, 1901050 du 16 juillet 2019, la magistrate désignée par le président de ce tribunal, à l'article 1er, a prononcé les réductions demandées, d'une part, à concurrence de 80 034 euros au titre de l'année 2015, d'autre part, intégralement au titre des années 2016 et 2017, et à l'article 2, a rejeté le surplus des conclusions des demandes.
Par un pourvoi, enregistré le 11 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler l'article 1er de ce jugement.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société EDF ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 juin 2020, présentée par la société EDF ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 1380 du code général des impôts : " La taxe foncière est établie annuellement sur les propriétés bâties sises en France à l'exception de celles qui en sont expressément exonérées par les dispositions du présent code. " Toutefois, selon le I de l'article 1389 du même code : " Les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de la taxe foncière en cas (...) d'inexploitation d'un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage (...) industriel, à partir du premier jour du mois suivant celui du début (...) de l'inexploitation jusqu'au dernier jour du mois au cours duquel (...) l'inexploitation a pris fin. / Le dégrèvement est subordonné à la triple condition que (...) l'inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, qu'elle ait une durée de trois mois au moins et qu'elle affecte soit la totalité de l'immeuble, soit une partie susceptible (...) d'exploitation séparée. "
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société EDF a été assujettie, au titre de chacune des années 2015, 2016 et 2017, dans les rôles de la commune de Saint-Vulbas (département de l'Ain), à la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison notamment de la tranche n° 5 de la centrale nucléaire du Bugey. Le réacteur ayant été mis à l'arrêt du 1er décembre 2015 au 23 juillet 2017, la société EDF a réclamé à l'administration le dégrèvement partiel de ces impositions en application des dispositions précitées de l'article 1389 du code général des impôts. Ses réclamations ont été rejetées mais, par l'article 1er d'un jugement du 16 juillet 2019 contre lequel le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lyon a prononcé l'essentiel des réductions de taxe demandées.
3. Les dispositions du I de l'article 1389 du code général des impôts subordonnent le dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties qu'elles prévoient à la condition, notamment, que l'inexploitation de l'immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage industriel soit indépendante de la volonté du propriétaire. A cet égard, des circonstances inhérentes à l'immeuble lui-même, tenant en particulier à des défauts dont il se trouverait affecté et, par conséquent, à des décisions administratives faisant obstacle à son exploitation prises en raison de ces défauts ne sauraient suffire à caractériser le caractère contraint de l'inexploitation.
4. Pour juger qu'en l'espèce, l'inexploitation de la tranche n° 5 de la centrale nucléaire du Bugey avait été indépendante de la volonté de son propriétaire, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif a souverainement estimé que cette inexploitation résultait d'une décision de l'Autorité de sûreté nucléaire, prise le 1er décembre 2015 en vue de permettre la réalisation de travaux de réparation de la dégradation du revêtement métallique à la base de l'enceinte de confinement du réacteur. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus au point 3 qu'en déduisant de la seule intervention d'une telle décision l'existence d'une contrainte indépendante de la volonté du propriétaire, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif a commis une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation de l'article 1er du jugement qu'il attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. En premier lieu, il résulte de la lettre même des dispositions du I de l'article 1389 du code général des impôts qu'en toute hypothèse, un contribuable assujetti à la taxe foncière à raison d'un immeuble dont il fait un usage industriel ne saurait, sur leur fondement, prétendre à un dégrèvement que pour la période débutant le premier jour du mois suivant celui du début de l'inexploitation. Dès lors, la société EDF ne peut utilement se prévaloir, pour prétendre à un dégrèvement de taxe foncière au titre de l'année 2015 sur le fondement de ces dispositions, de son inexploitation de la tranche n° 5 de la centrale du Bugey à compter seulement du 1er décembre 2015. Il en résulte qu'elle n'est pas fondée à demander une réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie à raison de cette partie d'immeuble au titre de l'année 2015.
8. En second lieu, il résulte de l'instruction que le maintien à l'arrêt de la tranche n° 5 de la centrale nucléaire du Bugey au cours des années 2016 et 2017, sur décision de l'Autorité de sûreté nucléaire, procède d'un défaut d'étanchéité évolutif apparu dans l'enceinte de confinement du circuit primaire, en contrariété avec les prescriptions techniques dont avait été assortie l'autorisation de créer cette installation et que le redémarrage du réacteur a été subordonné à la condition qu'il y soit remédié d'une manière adéquate, préalablement approuvée par l'Autorité. Dans ces conditions, et eu égard à ce qui a été dit au point 3 ci-dessus, l'interruption au cours de ces années de la production industrielle d'électricité à laquelle cette partie d'immeuble était affectée ne peut être regardée comme indépendante de la volonté du contribuable pour l'application du I de l'article 1389 du code général des impôts. Il en résulte que la société EDF n'est pas fondée à demander la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie, à raison de cette partie d'immeuble, au titre des années 2016 et 2017.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1706650-1901050 du 16 juillet 2019 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les conclusions des demandes de la société EDF sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société EDF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics et à la société anonyme Electricité de France.
N° 434521
ECLI:FR:CECHR:2020:434521.20200629
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Guillaume de LA TAILLE LOLAINVILLE, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du lundi 29 juin 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
La société anonyme (SA) Electricité de France (EDF) a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie dans les rôles de la commune de Saint-Vulbas (Ain) à raison de la centrale nucléaire du Bugey au titre des années 2015, 2016 et 2017 à concurrence respectivement de 160 068 euros, 981 421 euros et 589 799 euros. Par un jugement n°s 1706650, 1901050 du 16 juillet 2019, la magistrate désignée par le président de ce tribunal, à l'article 1er, a prononcé les réductions demandées, d'une part, à concurrence de 80 034 euros au titre de l'année 2015, d'autre part, intégralement au titre des années 2016 et 2017, et à l'article 2, a rejeté le surplus des conclusions des demandes.
Par un pourvoi, enregistré le 11 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler l'article 1er de ce jugement.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société EDF ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 juin 2020, présentée par la société EDF ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 1380 du code général des impôts : " La taxe foncière est établie annuellement sur les propriétés bâties sises en France à l'exception de celles qui en sont expressément exonérées par les dispositions du présent code. " Toutefois, selon le I de l'article 1389 du même code : " Les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de la taxe foncière en cas (...) d'inexploitation d'un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage (...) industriel, à partir du premier jour du mois suivant celui du début (...) de l'inexploitation jusqu'au dernier jour du mois au cours duquel (...) l'inexploitation a pris fin. / Le dégrèvement est subordonné à la triple condition que (...) l'inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, qu'elle ait une durée de trois mois au moins et qu'elle affecte soit la totalité de l'immeuble, soit une partie susceptible (...) d'exploitation séparée. "
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société EDF a été assujettie, au titre de chacune des années 2015, 2016 et 2017, dans les rôles de la commune de Saint-Vulbas (département de l'Ain), à la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison notamment de la tranche n° 5 de la centrale nucléaire du Bugey. Le réacteur ayant été mis à l'arrêt du 1er décembre 2015 au 23 juillet 2017, la société EDF a réclamé à l'administration le dégrèvement partiel de ces impositions en application des dispositions précitées de l'article 1389 du code général des impôts. Ses réclamations ont été rejetées mais, par l'article 1er d'un jugement du 16 juillet 2019 contre lequel le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lyon a prononcé l'essentiel des réductions de taxe demandées.
3. Les dispositions du I de l'article 1389 du code général des impôts subordonnent le dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties qu'elles prévoient à la condition, notamment, que l'inexploitation de l'immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage industriel soit indépendante de la volonté du propriétaire. A cet égard, des circonstances inhérentes à l'immeuble lui-même, tenant en particulier à des défauts dont il se trouverait affecté et, par conséquent, à des décisions administratives faisant obstacle à son exploitation prises en raison de ces défauts ne sauraient suffire à caractériser le caractère contraint de l'inexploitation.
4. Pour juger qu'en l'espèce, l'inexploitation de la tranche n° 5 de la centrale nucléaire du Bugey avait été indépendante de la volonté de son propriétaire, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif a souverainement estimé que cette inexploitation résultait d'une décision de l'Autorité de sûreté nucléaire, prise le 1er décembre 2015 en vue de permettre la réalisation de travaux de réparation de la dégradation du revêtement métallique à la base de l'enceinte de confinement du réacteur. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus au point 3 qu'en déduisant de la seule intervention d'une telle décision l'existence d'une contrainte indépendante de la volonté du propriétaire, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif a commis une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation de l'article 1er du jugement qu'il attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. En premier lieu, il résulte de la lettre même des dispositions du I de l'article 1389 du code général des impôts qu'en toute hypothèse, un contribuable assujetti à la taxe foncière à raison d'un immeuble dont il fait un usage industriel ne saurait, sur leur fondement, prétendre à un dégrèvement que pour la période débutant le premier jour du mois suivant celui du début de l'inexploitation. Dès lors, la société EDF ne peut utilement se prévaloir, pour prétendre à un dégrèvement de taxe foncière au titre de l'année 2015 sur le fondement de ces dispositions, de son inexploitation de la tranche n° 5 de la centrale du Bugey à compter seulement du 1er décembre 2015. Il en résulte qu'elle n'est pas fondée à demander une réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie à raison de cette partie d'immeuble au titre de l'année 2015.
8. En second lieu, il résulte de l'instruction que le maintien à l'arrêt de la tranche n° 5 de la centrale nucléaire du Bugey au cours des années 2016 et 2017, sur décision de l'Autorité de sûreté nucléaire, procède d'un défaut d'étanchéité évolutif apparu dans l'enceinte de confinement du circuit primaire, en contrariété avec les prescriptions techniques dont avait été assortie l'autorisation de créer cette installation et que le redémarrage du réacteur a été subordonné à la condition qu'il y soit remédié d'une manière adéquate, préalablement approuvée par l'Autorité. Dans ces conditions, et eu égard à ce qui a été dit au point 3 ci-dessus, l'interruption au cours de ces années de la production industrielle d'électricité à laquelle cette partie d'immeuble était affectée ne peut être regardée comme indépendante de la volonté du contribuable pour l'application du I de l'article 1389 du code général des impôts. Il en résulte que la société EDF n'est pas fondée à demander la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie, à raison de cette partie d'immeuble, au titre des années 2016 et 2017.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1706650-1901050 du 16 juillet 2019 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les conclusions des demandes de la société EDF sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société EDF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics et à la société anonyme Electricité de France.