Conseil d'État
N° 433662
ECLI:FR:CECHR:2020:433662.20200629
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Guillaume de LA TAILLE LOLAINVILLE, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP DIDIER, PINET, avocats
Lecture du lundi 29 juin 2020
Vu les procédures suivantes :
Le syndicat des copropriétaires de La Campanella, la société civile immobilière (SCI) de la Salinette, M. K... J..., Mme M... J..., Mme H... J..., M. I... J..., M. D... J..., Mme L... P..., M. C... P..., M. B... P..., M. et Mme A... et Blandine P..., M. G... N..., M. E... N..., M. F... N... et M. et Mme B...-Q... et Jacqueline N... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 février 2015 par lequel le préfet de la région Bretagne, préfet d'Ille-et-Vilaine, a approuvé l'établissement de la servitude de passage des piétons le long du littoral sur le territoire de la commune de Saint-Briac-sur-Mer. Par un jugement n° 1501554 du 15 décembre 2017, ce tribunal a annulé cet arrêté en tant qu'il concerne les parcelles cadastrées section BA n° 121, 122, 129 et 130 et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par un arrêt n° 18NT00688 du 18 juin 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur l'appel de la société de la Salinette, M. K... J..., Mme M... J..., Mme H... J..., M. I... J..., M. D... J..., Mme L... P..., M. C... P..., M. B... P..., M. et Mme A... et Blandine P..., M. G... N..., M. E... N..., M. F... N... et Mme O... N..., annulé l'arrêté du 4 février 2015 en tant qu'il concerne également les parcelles cadastrées section BA n° 51, 52 et 53 et réformé le jugement en ce qu'il avait de contraire, puis rejeté le surplus des conclusions de la requête.
1° Sous le n° 433662, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 août et 19 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. K... J..., Mme M... J..., Mme H... J..., M. I... J... et M. D... J... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article 5 de cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 433665, par un pourvoi, enregistré le 19 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 2, 3 et 4 du même arrêt.
....................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat des consorts J..., à la SCP Gaschignard, avocat de la société de la Salinette ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 mai 2020, présentée par la société de la Salinette ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme, dont les dispositions ont depuis lors été transférées aux articles L. 121-31 à L. 121-33 du même code : " Les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de trois mètres de largeur d'une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons. / L'autorité administrative peut, par décision motivée prise après avis du ou des conseils municipaux intéressés et au vu du résultat d'une enquête publique effectuée comme en matière d'expropriation : / a) Modifier le tracé ou les caractéristiques de la servitude, afin, d'une part, d'assurer, compte tenu notamment de la présence d'obstacles de toute nature, la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, d'autre part, de tenir compte des chemins ou règles locales préexistants ; le tracé modifié peut grever exceptionnellement des propriétés non riveraines du domaine public maritime ; / b) A titre exceptionnel, la suspendre. / Sauf dans le cas où l'institution de la servitude est le seul moyen d'assurer la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, la servitude instituée aux alinéas 1 et 2 ci-dessus ne peut grever les terrains situés à moins de quinze mètres des bâtiments à usage d'habitation édifiés avant le 1er janvier 1976, ni grever des terrains attenants à des maisons d'habitation et clos de murs au 1er janvier 1976. "
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 4 février 2015, le préfet de la région Bretagne, préfet d'Ille-et-Vilaine, a approuvé l'établissement de la servitude de passage longitudinale instituée au bénéfice des piétons le long du littoral dans la commune de Saint-Briac-sur-Mer. Accueillant partiellement la demande que lui avaient soumise plusieurs propriétaires riverains, le tribunal administratif de Rennes a, par l'article 2, devenu définitif, d'un jugement n° 1501554 du 15 décembre 2017, annulé cet arrêté pour excès de pouvoir en tant seulement qu'il approuve l'établissement de la servitude sur les parcelles cadastrées section BA n° 121, 122, 129 et 130. Sur l'appel de certains des mêmes propriétaires, dont la société de la Salinette et les consorts J..., la cour administrative d'appel de Nantes, réformant l'article 3 de ce jugement, a, par les articles 2, 3 et 4 d'un arrêt n° 18NT00688 du 18 juin 2019, d'une part, annulé cet arrêté également en tant qu'il aurait approuvé l'établissement de la servitude sur les parcelles cadastrées section BA n° 51, 52 et 53, d'autre part, mis à la charge de l'Etat le versement aux requérants d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Sous le n° 433662, les consorts J... se pourvoient en cassation contre l'article 5 de cet arrêt, qui rejette le surplus des conclusions de leur requête. Sous le n° 433665, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales se pourvoit contre les articles 2, 3 et 4 de l'arrêt. Ces pourvois étant dirigés contre un même arrêt, il y a lieu de les joindre et de statuer par une seule décision.
Sur le pourvoi des consorts J... :
3. L'article L. 160-6 du code de l'urbanisme institue de plein droit, au profit des piétons, une servitude de passage de trois mètres de largeur sur les propriétés riveraines du littoral. L'article R. 160-8 du même code, dont les dispositions sont désormais codifiées à l'article R. 121-9, prévoit que cette bande de trois mètres de largeur doit en principe être calculée à compter de la limite du domaine public maritime.
4. Prévue par le a) de l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme, la faculté de modifier le tracé et les caractéristiques de cette servitude sur les propriétés riveraines du domaine public maritime voire d'en grever, exceptionnellement, des propriétés qui n'en sont pas riveraines, n'est ouverte à l'administration que dans la stricte mesure nécessaire au respect des objectifs fixés par la loi. Les deux premiers alinéas de l'article R. 160-11 du code, dont la teneur a depuis lors été reprise à l'article R. 121-12, disposent à cet égard que : " I.- Le tracé ainsi que les caractéristiques de la servitude de passage instituée par l'article L. 160-6 peuvent être modifiés notamment pour tenir compte de l'évolution prévisible du rivage afin d'assurer la pérennité du sentier permettant le cheminement des piétons. / II.- Le tracé ainsi que les caractéristiques de la servitude de passage sont modifiés dans les conditions définies par les articles R. 160-13 à R. 160-15 et R. 160-17 à R. 160-22. " Aux termes de l'article R. 160-14 du même code, dont les dispositions sont désormais codifiées à l'article R. 121-16 : " En vue de la modification, par application des alinéas 2 et 3 de l'article L. 160-6, du tracé ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques de la servitude, le chef du service maritime adresse au préfet, pour être soumis à enquête, un dossier qui comprend ; / a) Une notice explicative exposant l'objet de l'opération prévue ; / b) Le plan parcellaire des terrains sur lesquels le transfert de la servitude est envisagé, avec l'indication du tracé à établir et celle de la largeur du passage ; / c) La liste par communes des propriétaires concernés par le transfert de la servitude, dressée à l'aide d'extraits des documents cadastraux délivrés par le service du cadastre ou à l'aide des renseignements délivrés par le conservateur des hypothèques au vu du fichier immobilier, ou par tous autres moyens ; / d) L'indication des parties de territoire où il est envisagé de suspendre l'application de la servitude, notamment dans les cas visés à l'article R. 160-12, ainsi que les motifs de cette suspension, et celle des parties de territoire où le tracé de la servitude a été modifié par arrêté préfectoral en application du II de l'article R. 160-11. "
5. Il résulte de ces dispositions que le dossier qu'il appartient au chef du service maritime, en application de l'article R. 160-14 du code de l'urbanisme, de constituer pour être soumis à enquête publique, doit permettre à la population de connaître les motifs des projets de modification du tracé ou des caractéristiques de la servitude de passage longitudinale. A cette fin, il doit notamment indiquer la nature et la localisation des obstacles qui justifient la modification du tracé.
6. Pour écarter le moyen tiré de ce que le dossier soumis à enquête publique avait été constitué en méconnaissance de l'article R. 160-14 du code de l'urbanisme, la cour a jugé, après avoir relevé que ce dossier se bornait, pour de nombreuses sections du tracé de la servitude en litige, à indiquer que les modifications projetées visaient à " tenir compte des obstacles de toute nature dus à la configuration des lieux ", que le respect de ces dispositions n'imposait pas que le dossier indique la localisation et la nature des obstacles en cause. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 ci-dessus qu'elle a commis une erreur de droit.
7. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, les consorts J... sont fondés à demander l'annulation de l'article 5 de l'arrêt attaqué. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser aux consorts J... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le pourvoi de la ministre :
En ce qui concerne la parcelle cadastrée section BA n° 52 :
8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'arrêté du 4 février 2015 du préfet d'Ille-et-Vilaine ne concerne pas la parcelle cadastrée section BA n° 52. Dès lors, dans la mesure où ils statuent sur l'approbation de l'établissement d'une servitude sur cette parcelle, les articles 2 et 3 de l'arrêt attaqué procèdent d'une méprise sur la portée de la décision en litige et doivent être annulés, sans qu'il y ait lieu à renvoi à cet égard.
En ce qui concerne les parcelles cadastrées section BA n° 51 et 53 :
9. Prises sur le fondement du b) de l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme cité au point 1 ci-dessus, les dispositions de l'article R. 160-12 du code, désormais codifiées à l'article R. 121-13, prévoient que : " A titre exceptionnel, la servitude instituée par l'article L. 160-6 peut être suspendue, notamment dans les cas suivants : / (...) e) Si le maintien de la servitude de passage est de nature à compromettre soit la conservation d'un site à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou archéologique, soit la stabilité des sols ". Le dernier alinéa du même article précise que cette suspension est prononcée " dans les conditions définies par les articles R. 160-14, R. 160-15 et R. 160-17 à R. 160-22 ", c'est-à-dire, comme en cas de modification du tracé ou des caractéristiques de la servitude, après enquête publique et consultation des conseils municipaux des communes intéressées.
10. Ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, les dispositions de l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme instituent un droit de passage le long du littoral au profit des piétons. Dès lors, ainsi qu'il résulte d'ailleurs des termes mêmes du b) de cet article, la suspension de la servitude de passage sur certaines portions du littoral ne saurait être qu'exceptionnelle. Dans l'hypothèse prévue par les dispositions précitées du e) de l'article R. 160-12 du code de l'urbanisme, l'administration ne peut légalement décider de suspendre, jusqu'à nouvel ordre, la servitude, que si elle justifie que ni la définition de la servitude dans les conditions prévues par l'article R. 160-8 du code, ni une modification de son tracé ou de ses caractéristiques dans les conditions et limites prévues par la loi, ne peuvent, même après la réalisation des travaux qu'implique la mise en état du site pour assurer le libre passage et la sécurité des piétons mentionnés à l'article R. 160-25 du code, garantir la conservation d'un site à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou archéologique, ou, dans l'intérêt tant de la sécurité publique que de la préservation des équilibres naturels et écologiques, la stabilité des sols.
11. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé l'arrêté du 4 février 2015 du préfet d'Ille-et-Vilaine en tant qu'il approuve l'établissement de la servitude sur les parcelles cadastrées section BA n° 51 et 53 au motif que l'autorité administrative n'aurait eu légalement d'autre choix, compte tenu de la menace que faisait peser son maintien sur la stabilité des sols, que de faire usage de la possibilité, prévue par le e) de l'article R. 160-12 du code de l'urbanisme, de suspendre cette servitude. Il résulte de ce qui a été dit au point 10 ci-dessus qu'en se fondant sur la seule instabilité du terrain d'assiette du tracé retenu pour la servitude litigieuse pour juger que le préfet était tenu de suspendre celle-ci, la cour a commis une erreur de droit.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la ministre est fondée à demander l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt attaqué en tant également qu'ils statuent sur l'approbation de la servitude sur les parcelles cadastrées section BA n° 51 et 53, ainsi que l'annulation de son article 4.
13. Les dispositions de l'article L. 761 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les articles 2, 3, 4 et 5 de l'arrêt du 18 juin 2019 de la cour administrative d'appel de Nantes sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, sauf en ce qui concerne les conclusions dirigées contre l'approbation de la servitude sur la parcelle cadastrée section BA n° 52, à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la société de la Salinette sont rejetées.
Article 4 : l'Etat versera aux consorts J... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. K... J..., premier dénommé, à la société civile immobilière de la Salinette, à Mme L... P..., à M. C... P..., à M. B... P..., à M. et Mme A... et Blandine P..., à M. G... N..., à M. E... N..., à M. F... N..., à Mme O... N... et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
N° 433662
ECLI:FR:CECHR:2020:433662.20200629
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Guillaume de LA TAILLE LOLAINVILLE, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP DIDIER, PINET, avocats
Lecture du lundi 29 juin 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
Le syndicat des copropriétaires de La Campanella, la société civile immobilière (SCI) de la Salinette, M. K... J..., Mme M... J..., Mme H... J..., M. I... J..., M. D... J..., Mme L... P..., M. C... P..., M. B... P..., M. et Mme A... et Blandine P..., M. G... N..., M. E... N..., M. F... N... et M. et Mme B...-Q... et Jacqueline N... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 février 2015 par lequel le préfet de la région Bretagne, préfet d'Ille-et-Vilaine, a approuvé l'établissement de la servitude de passage des piétons le long du littoral sur le territoire de la commune de Saint-Briac-sur-Mer. Par un jugement n° 1501554 du 15 décembre 2017, ce tribunal a annulé cet arrêté en tant qu'il concerne les parcelles cadastrées section BA n° 121, 122, 129 et 130 et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par un arrêt n° 18NT00688 du 18 juin 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur l'appel de la société de la Salinette, M. K... J..., Mme M... J..., Mme H... J..., M. I... J..., M. D... J..., Mme L... P..., M. C... P..., M. B... P..., M. et Mme A... et Blandine P..., M. G... N..., M. E... N..., M. F... N... et Mme O... N..., annulé l'arrêté du 4 février 2015 en tant qu'il concerne également les parcelles cadastrées section BA n° 51, 52 et 53 et réformé le jugement en ce qu'il avait de contraire, puis rejeté le surplus des conclusions de la requête.
1° Sous le n° 433662, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 août et 19 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. K... J..., Mme M... J..., Mme H... J..., M. I... J... et M. D... J... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article 5 de cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 433665, par un pourvoi, enregistré le 19 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 2, 3 et 4 du même arrêt.
....................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat des consorts J..., à la SCP Gaschignard, avocat de la société de la Salinette ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 mai 2020, présentée par la société de la Salinette ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme, dont les dispositions ont depuis lors été transférées aux articles L. 121-31 à L. 121-33 du même code : " Les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de trois mètres de largeur d'une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons. / L'autorité administrative peut, par décision motivée prise après avis du ou des conseils municipaux intéressés et au vu du résultat d'une enquête publique effectuée comme en matière d'expropriation : / a) Modifier le tracé ou les caractéristiques de la servitude, afin, d'une part, d'assurer, compte tenu notamment de la présence d'obstacles de toute nature, la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, d'autre part, de tenir compte des chemins ou règles locales préexistants ; le tracé modifié peut grever exceptionnellement des propriétés non riveraines du domaine public maritime ; / b) A titre exceptionnel, la suspendre. / Sauf dans le cas où l'institution de la servitude est le seul moyen d'assurer la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, la servitude instituée aux alinéas 1 et 2 ci-dessus ne peut grever les terrains situés à moins de quinze mètres des bâtiments à usage d'habitation édifiés avant le 1er janvier 1976, ni grever des terrains attenants à des maisons d'habitation et clos de murs au 1er janvier 1976. "
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 4 février 2015, le préfet de la région Bretagne, préfet d'Ille-et-Vilaine, a approuvé l'établissement de la servitude de passage longitudinale instituée au bénéfice des piétons le long du littoral dans la commune de Saint-Briac-sur-Mer. Accueillant partiellement la demande que lui avaient soumise plusieurs propriétaires riverains, le tribunal administratif de Rennes a, par l'article 2, devenu définitif, d'un jugement n° 1501554 du 15 décembre 2017, annulé cet arrêté pour excès de pouvoir en tant seulement qu'il approuve l'établissement de la servitude sur les parcelles cadastrées section BA n° 121, 122, 129 et 130. Sur l'appel de certains des mêmes propriétaires, dont la société de la Salinette et les consorts J..., la cour administrative d'appel de Nantes, réformant l'article 3 de ce jugement, a, par les articles 2, 3 et 4 d'un arrêt n° 18NT00688 du 18 juin 2019, d'une part, annulé cet arrêté également en tant qu'il aurait approuvé l'établissement de la servitude sur les parcelles cadastrées section BA n° 51, 52 et 53, d'autre part, mis à la charge de l'Etat le versement aux requérants d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Sous le n° 433662, les consorts J... se pourvoient en cassation contre l'article 5 de cet arrêt, qui rejette le surplus des conclusions de leur requête. Sous le n° 433665, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales se pourvoit contre les articles 2, 3 et 4 de l'arrêt. Ces pourvois étant dirigés contre un même arrêt, il y a lieu de les joindre et de statuer par une seule décision.
Sur le pourvoi des consorts J... :
3. L'article L. 160-6 du code de l'urbanisme institue de plein droit, au profit des piétons, une servitude de passage de trois mètres de largeur sur les propriétés riveraines du littoral. L'article R. 160-8 du même code, dont les dispositions sont désormais codifiées à l'article R. 121-9, prévoit que cette bande de trois mètres de largeur doit en principe être calculée à compter de la limite du domaine public maritime.
4. Prévue par le a) de l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme, la faculté de modifier le tracé et les caractéristiques de cette servitude sur les propriétés riveraines du domaine public maritime voire d'en grever, exceptionnellement, des propriétés qui n'en sont pas riveraines, n'est ouverte à l'administration que dans la stricte mesure nécessaire au respect des objectifs fixés par la loi. Les deux premiers alinéas de l'article R. 160-11 du code, dont la teneur a depuis lors été reprise à l'article R. 121-12, disposent à cet égard que : " I.- Le tracé ainsi que les caractéristiques de la servitude de passage instituée par l'article L. 160-6 peuvent être modifiés notamment pour tenir compte de l'évolution prévisible du rivage afin d'assurer la pérennité du sentier permettant le cheminement des piétons. / II.- Le tracé ainsi que les caractéristiques de la servitude de passage sont modifiés dans les conditions définies par les articles R. 160-13 à R. 160-15 et R. 160-17 à R. 160-22. " Aux termes de l'article R. 160-14 du même code, dont les dispositions sont désormais codifiées à l'article R. 121-16 : " En vue de la modification, par application des alinéas 2 et 3 de l'article L. 160-6, du tracé ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques de la servitude, le chef du service maritime adresse au préfet, pour être soumis à enquête, un dossier qui comprend ; / a) Une notice explicative exposant l'objet de l'opération prévue ; / b) Le plan parcellaire des terrains sur lesquels le transfert de la servitude est envisagé, avec l'indication du tracé à établir et celle de la largeur du passage ; / c) La liste par communes des propriétaires concernés par le transfert de la servitude, dressée à l'aide d'extraits des documents cadastraux délivrés par le service du cadastre ou à l'aide des renseignements délivrés par le conservateur des hypothèques au vu du fichier immobilier, ou par tous autres moyens ; / d) L'indication des parties de territoire où il est envisagé de suspendre l'application de la servitude, notamment dans les cas visés à l'article R. 160-12, ainsi que les motifs de cette suspension, et celle des parties de territoire où le tracé de la servitude a été modifié par arrêté préfectoral en application du II de l'article R. 160-11. "
5. Il résulte de ces dispositions que le dossier qu'il appartient au chef du service maritime, en application de l'article R. 160-14 du code de l'urbanisme, de constituer pour être soumis à enquête publique, doit permettre à la population de connaître les motifs des projets de modification du tracé ou des caractéristiques de la servitude de passage longitudinale. A cette fin, il doit notamment indiquer la nature et la localisation des obstacles qui justifient la modification du tracé.
6. Pour écarter le moyen tiré de ce que le dossier soumis à enquête publique avait été constitué en méconnaissance de l'article R. 160-14 du code de l'urbanisme, la cour a jugé, après avoir relevé que ce dossier se bornait, pour de nombreuses sections du tracé de la servitude en litige, à indiquer que les modifications projetées visaient à " tenir compte des obstacles de toute nature dus à la configuration des lieux ", que le respect de ces dispositions n'imposait pas que le dossier indique la localisation et la nature des obstacles en cause. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 ci-dessus qu'elle a commis une erreur de droit.
7. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, les consorts J... sont fondés à demander l'annulation de l'article 5 de l'arrêt attaqué. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser aux consorts J... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le pourvoi de la ministre :
En ce qui concerne la parcelle cadastrée section BA n° 52 :
8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'arrêté du 4 février 2015 du préfet d'Ille-et-Vilaine ne concerne pas la parcelle cadastrée section BA n° 52. Dès lors, dans la mesure où ils statuent sur l'approbation de l'établissement d'une servitude sur cette parcelle, les articles 2 et 3 de l'arrêt attaqué procèdent d'une méprise sur la portée de la décision en litige et doivent être annulés, sans qu'il y ait lieu à renvoi à cet égard.
En ce qui concerne les parcelles cadastrées section BA n° 51 et 53 :
9. Prises sur le fondement du b) de l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme cité au point 1 ci-dessus, les dispositions de l'article R. 160-12 du code, désormais codifiées à l'article R. 121-13, prévoient que : " A titre exceptionnel, la servitude instituée par l'article L. 160-6 peut être suspendue, notamment dans les cas suivants : / (...) e) Si le maintien de la servitude de passage est de nature à compromettre soit la conservation d'un site à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou archéologique, soit la stabilité des sols ". Le dernier alinéa du même article précise que cette suspension est prononcée " dans les conditions définies par les articles R. 160-14, R. 160-15 et R. 160-17 à R. 160-22 ", c'est-à-dire, comme en cas de modification du tracé ou des caractéristiques de la servitude, après enquête publique et consultation des conseils municipaux des communes intéressées.
10. Ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, les dispositions de l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme instituent un droit de passage le long du littoral au profit des piétons. Dès lors, ainsi qu'il résulte d'ailleurs des termes mêmes du b) de cet article, la suspension de la servitude de passage sur certaines portions du littoral ne saurait être qu'exceptionnelle. Dans l'hypothèse prévue par les dispositions précitées du e) de l'article R. 160-12 du code de l'urbanisme, l'administration ne peut légalement décider de suspendre, jusqu'à nouvel ordre, la servitude, que si elle justifie que ni la définition de la servitude dans les conditions prévues par l'article R. 160-8 du code, ni une modification de son tracé ou de ses caractéristiques dans les conditions et limites prévues par la loi, ne peuvent, même après la réalisation des travaux qu'implique la mise en état du site pour assurer le libre passage et la sécurité des piétons mentionnés à l'article R. 160-25 du code, garantir la conservation d'un site à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou archéologique, ou, dans l'intérêt tant de la sécurité publique que de la préservation des équilibres naturels et écologiques, la stabilité des sols.
11. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé l'arrêté du 4 février 2015 du préfet d'Ille-et-Vilaine en tant qu'il approuve l'établissement de la servitude sur les parcelles cadastrées section BA n° 51 et 53 au motif que l'autorité administrative n'aurait eu légalement d'autre choix, compte tenu de la menace que faisait peser son maintien sur la stabilité des sols, que de faire usage de la possibilité, prévue par le e) de l'article R. 160-12 du code de l'urbanisme, de suspendre cette servitude. Il résulte de ce qui a été dit au point 10 ci-dessus qu'en se fondant sur la seule instabilité du terrain d'assiette du tracé retenu pour la servitude litigieuse pour juger que le préfet était tenu de suspendre celle-ci, la cour a commis une erreur de droit.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la ministre est fondée à demander l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt attaqué en tant également qu'ils statuent sur l'approbation de la servitude sur les parcelles cadastrées section BA n° 51 et 53, ainsi que l'annulation de son article 4.
13. Les dispositions de l'article L. 761 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2, 3, 4 et 5 de l'arrêt du 18 juin 2019 de la cour administrative d'appel de Nantes sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, sauf en ce qui concerne les conclusions dirigées contre l'approbation de la servitude sur la parcelle cadastrée section BA n° 52, à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la société de la Salinette sont rejetées.
Article 4 : l'Etat versera aux consorts J... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. K... J..., premier dénommé, à la société civile immobilière de la Salinette, à Mme L... P..., à M. C... P..., à M. B... P..., à M. et Mme A... et Blandine P..., à M. G... N..., à M. E... N..., à M. F... N..., à Mme O... N... et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.