Conseil d'État
N° 439895
ECLI:FR:CEORD:2020:439895.20200409
Mentionné aux tables du recueil Lebon
Lecture du jeudi 9 avril 2020
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er et 8 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Mouvement citoyen Tous Migrants, l'association Soutien Réseau Hospitalité, l'association Chemins Pluriels et l'association Utopia 56 demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre, dans l'attente de l'édiction de règles spécifiques uniformes sur l'ensemble du territoire national, les mesures transitoires suivantes dans un délai de huit jours :
- dépistage systématique des personnes en situation de précarité et des bénévoles s'occupant de ces personnes, et mise à leur disposition de matériels et équipements de protection individuelle contre le Covid-19 ;
- mise à l'abri des personnes en grande précarité dans des locaux adaptés à leurs besoins et permettant de satisfaire aux obligations découlant de l'état d'urgence sanitaire, si nécessaire par le recours à la réquisition de lieux d'hébergement ;
- mise en place d'une procédure dématérialisée permettant l'enregistrement des demandes d'asile et l'ouverture des droits aux conditions matérielles d'accueil et à l'assurance maladie ;
- mise en place d'un plan national d'aide à toutes les personnes démunies pour répondre à leurs besoins de première nécessité, notamment en produits et en soins ;
- mise en place au bénéfice des personnes démunies d'un service téléphonique et d'un accès à internet gratuit jusqu'à la fin du confinement ;
- mise à disposition des associations des ressources nécessaires au maintien de leurs activités dans des conditions adaptées à la situation ;
- ouverture anticipée des droits à une couverture maladie de toutes les personnes se trouvant en France au cours de l'épidémie ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'autoriser les déplacements des personnes en situation de précarité nécessaires pour bénéficier de ces aides spécifiques ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- elles justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard à l'ampleur de l'épidémie et à la nécessité de prendre sans délai des mesures protectrices pour les personnes démunies et les bénévoles qui leur portent assistance ;
- la carence de l'Etat à mettre en oeuvre les mesures adéquates au bénéfice des personnes démunies porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie, au droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, au droit à la protection de la santé, au droit à l'hébergement d'urgence, à la liberté d'aller et venir, au droit d'asile et au droit aux conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile et au droit à l'éducation ;
- il existe un risque grave et imminent de contamination des bénévoles et des personnes démunies, en raison du manque de moyens de protection adéquats et des conditions d'hébergement dans des lieux inadaptés et surpeuplés ;
- il est nécessaire de procéder à la réquisition de lieux habitables pour héberger les personnes en situation de précarité ;
- la continuité des aides apportées dans tous les domaines aux personnes démunies n'est pas assurée, notamment en raison de la fermeture de locaux d'associations, de la suspension de nombreuses distributions alimentaires, de l'obligation de confinement total des bénévoles de plus de 70 ans ou de la dégradation des conditions d'accès aux soins ;
- les personnes souhaitant déposer une demande d'asile ne le peuvent plus depuis le 17 mars 2020 en raison de la suspension des enregistrements en préfecture, et ils ne peuvent par suite plus accéder à leurs droits en termes d'allocation, d'hébergement et d'assurance maladie ;
- l'article 3 du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ne prévoit pas de dérogation spécifique aux déplacements des personnes en situation de précarité pour accéder à l'ensemble des aides auxquelles elles ont droit, à l'exception de cas limitativement énumérés, et la limite de durée de déplacement ne devrait pas s'appliquer aux déplacements liés aux besoins et services de nécessité ;
- l'absence de mesures suffisantes pour garantir la continuité pédagogique porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'éducation ;
- les mesures prises par le gouvernement sont inadaptées à la situation.
Par un mémoire distinct et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er et 7 avril 2020, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, les associations requérantes demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur requête, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique.
Elles soutiennent que ces dispositions, applicables au litige, restreignent les déplacements en dehors du domicile sans prévoir aucune mesure tenant compte de la situation particulière des personnes en situation de précarité, de sorte qu'elles sont entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant la sauvegarde de la dignité de la personne et le principe de fraternité.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 6 avril 2020, l'association Emmaüs France demande au juge des référés du Conseil d'Etat de déclarer son intervention recevable et de faire droit aux conclusions des associations requérantes, y compris pour ce qui est de la question prioritaire de constitutionnalité.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 6 avril 2020, l'association Darwin Climax Coalitions demande au juge des référés du Conseil d'Etat de déclarer son intervention recevable et de faire droit aux conclusions des associations requérantes, y compris pour ce qui est de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que, compte tenu des circonstances exceptionnelles liées à l'épidémie de covid-19 et des mesures prises par le gouvernement, aucune atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par les associations requérantes n'est caractérisée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
L'Office français de l'immigration et de l'intégration a présenté des observations, enregistrées le 8 avril 2020. Il soutient que l'Office a mis en place toutes les mesures susceptibles de garantir la continuité des missions de service public dont il a la charge.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre de l'intérieur qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-312 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction était fixée au 9 avril à 12 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article L. 521-2 de ce code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
Sur les interventions :
2. L'association Emmaüs France justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête. Son intervention doit par suite être admise. En revanche, l'association Darwin Climax Coalitions, dont l'objet est de défendre les droits des personnes, notamment vulnérables, contre le dérèglement climatique et les atteintes aux éco-systèmes, ne justifie pas d'un intérêt la rendant recevable à intervenir à l'appui de la requête. Son intervention est, par suite, irrecevable.
Sur les circonstances :
3. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des plusieurs arrêtés successifs.
4. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures qu'il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés par décret du 27 mars 2020.
Sur l'objet de la demande en référé :
5. Les associations requérantes soutiennent que les mesures prises dans le contexte de l'épidémie de covid-19 pour préserver les droits des personnes en situation de précarité sont insuffisantes pour assurer leur protection, ainsi que celle des bénévoles qui les accompagnent, au regard du risque de contamination et pour leur garantir l'accès aux droits fondamentaux qui leur sont reconnus. Ils demandent au juge des référés du Conseil d'Etat d'enjoindre au Premier ministre de faire procéder au dépistage systématique des personnes en situation de précarité et des bénévoles s'occupant de ces personnes, de mettre à leur disposition des équipements de protection individuelle contre le covid-19, de prendre les mesures pour mettre à l'abri ces personnes dans des locaux adaptés, si nécessaire par le recours à la réquisition de lieux d'hébergement, de mettre en place une procédure dématérialisée permettant l'enregistrement des demandes d'asile et l'ouverture au bénéfice des demandeurs des droits afférents, d'organiser un plan national d'aide à toutes les personnes démunies pour répondre à leurs besoins, notamment en termes de produits, de soins et de moyens de communication, de mettre à disposition des associations les ressources nécessaires au maintien de leurs activités dans des conditions adaptées à la situation, d'ouvrir les droits à une couverture maladie à toutes les personnes se trouvant en France au cours de l'épidémie, ainsi que d'autoriser les déplacements des personnes en situation de précarité nécessaires pour accéder aux aides dont elles ont besoin. A l'appui de ce cette demande en référé, ces associations demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique.
Sur l'office du juge des référés :
6. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu'il est possible de prendre utilement de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l'atteinte doit s'apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.
7. Par ailleurs, aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, dans la rédaction que lui a donnée la loi organique du 10 décembre 2009 : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. L'article 23-3 de cette ordonnance prévoit qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité " peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires " et qu'elle peut statuer " sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions organiques avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant, en première instance ou en appel, sur le fondement de l'article L. 521-2 de ce code. Le juge des référés peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant lui, rejeter une requête qui lui est soumise pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence. S'il ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour l'un de ces motifs, il lui appartient de se prononcer, en l'état de l'instruction, sur la transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité ou, pour le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel. Même s'il décide de renvoyer la question, il peut, s'il estime que les conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
8. La loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a introduit au code de la santé publique un article L. 3131-15 aux termes duquel : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (...) 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; (...). / Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".
9. Les associations requérantes, qui estiment que les limitations aux déplacements en dehors du domicile édictées, sur la base du 2° de l'article L. 3131-15, par le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire entravent la liberté de déplacement des personnes en situation de précarité dans une mesure qui leur interdit d'avoir un accès effectif aux aides auxquelles elles peuvent prétendre, soutiennent qu'en n'intégrant pas dans l'article L. 3131-15 des dispositions spécifiques garantissant à ces personnes une liberté de mouvement suffisante pour faire valoir leurs droits le législateur a entaché cet article d'une incompétence négative affectant la dignité de la personne et le principe de fraternité.
10. Cependant les dispositions de l'article L. 3131-15 définissent avec une précision suffisante les interdictions qui peuvent être décidées par le Premier ministre, précisent que ces interdictions ne peuvent être édictées qu'" aux seules fins de garantir la santé publique ", qu'elles doivent être " strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ", enfin qu' "il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". Il s'ensuit que ces dispositions, à l'occasion de l'édiction desquelles il n'incombait pas au législateur de prescrire des mesures spécifiques à certaines catégories de la population, ne sont en tout état de cause pas entachées d'incompétence négative.
11. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité, qui n'est pas nouvelle, ne peut être regardée comme présentant un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Sur les mesures demandées :
En ce qui concerne les libertés fondamentales en jeu :
12. Pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie, le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, le droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé, le droit à l'hébergement d'urgence, la liberté d'aller et venir, le droit d'asile et le droit à l'égal accès à l'instruction constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.
En ce qui concerne le dépistage systématique des personnes en situation de précarité et des bénévoles s'occupant de ces personnes, et la mise à leur disposition d'équipements de protection individuelle contre le covid-19 :
13. D'une part, s'agissant de la distribution de masques de protection, il résulte de l'instruction qu'une stratégie de gestion et d'utilisation maîtrisée des masques a été mise en place à l'échelle nationale et a fait l'objet d'adaptations en fonction de l'évolution de l'épidémie, visant à assurer en priorité, dans un contexte de forte tension, la fourniture des masques disponibles aux établissements de santé, aux EHPAD, aux établissements médico-sociaux, aux services d'aide et de soins à domicile et aux transports sanitaires, ainsi qu'il résulte en dernier lieu de l'instruction du 26 mars 2020. En revanche, ainsi que le reconnaît l'administration, les travailleurs sociaux ne sont pas couverts par ces mesures de distribution. Par ailleurs, l'utilisation de masques chirurgicaux dans la population non malade n'est pas retenue en l'état actuel des données scientifiques et des stocks disponibles. Le ministre des solidarités et de la santé fait cependant valoir que le secteur associatif a la possibilité, avec l'appui de l'Etat et des collectivités territoriales, de se pourvoir en masques de protection, y compris en recourant à l'importation et qu'il a initié une politique visant à faire émerger une offre nationale de masques à usage non sanitaire validés quant à leur efficacité, représentant à ce jour 85 solutions proposées par 45 entreprises. Dans ces conditions, l'absence de distribution systématique à toutes les personnes en situation de précarité et aux bénévoles et salariés des associations qui leur viennent en aide ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit au respect de leur vie.
14. D'autre part, s'agissant de la mise en place d'un dépistage systématique des personnes en situation de précarité et des bénévoles et salariés des associations qui leur viennent en aide, il résulte de l'instruction que les autorités ont pris les dispositions nécessaires pour augmenter ces capacités dans les meilleurs délais dans la perspective de la sortie du confinement, tant quantitativement que qualitativement, et que, en attendant, les tests sont pratiqués selon des critères de priorité constamment ajustés et fixés, en tenant compte de l'avis du Haut Conseil de la santé publique. Dans ces conditions, et alors au demeurant que le ministre des solidarités et de la santé fait valoir qu'une politique de dépistage systématique pratiquée aujourd'hui contrarierait la stratégie de dépistage en cours de préparation pour la sortie de crise, les conclusions aux fins d'injonction tendant à ce qu'il soit procédé à un dépistage systématique de toutes les personnes en situation de précarité et des bénévoles et salariés des associations qui leur viennent en aide ne peuvent, en tout état de cause, en l'état de l'instruction et eu égard aux pouvoirs que le juge des référés tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, qu'être rejetées.
En ce qui concerne l'hébergement des personnes en situation de précarité :
15. Il résulte de l'instruction que, par différentes mesures, notamment le report jusqu'au 31 mai de la trêve hivernale et de la fermeture des places d'hébergement ouvertes pendant l'hiver, le recours à des nuitées d'hôtel et à des structures d'hébergement touristique par la passation d'accords avec des professionnels de ces secteurs, l'utilisation de structures d'accueil provisoires telles que des gymnases ou des salles polyvalentes ainsi que par la réquisition d'immeubles vacants, les capacités d'hébergement pour les personnes sans domicile s'élevaient à la fin du mois de mars à près de 170 000 places contre 157 000 avant la présente crise, auxquelles s'ajoutent près de 200 000 places en logement adapté. L'administration fait valoir qu'elle poursuit ses efforts pour les accroître encore, notamment par des négociations avec les professionnels des secteurs de l'hôtellerie et des centres de vacances afin d'identifier les disponibilités supplémentaires, sans exclure de recourir à des réquisitions si cela s'avérait nécessaire.
16. S'agissant des structures d'accueil existantes, tels que les centres d'hébergement, l'administration fait valoir qu'y ont été diffusées des instructions précises relatives à la prévention du covid-19 prescrivant l'observation des mesures d'hygiène. Par ailleurs 73 sites spécialisés dans l'accueil de personnes présentant des symptômes mais ne relevant pas d'une hospitalisation ont été mises en place, représentant un total de plus de 2 800 places, et l'administration indique que cet effort va se poursuivre.
17. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, de carence justifiant que soit ordonnée, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'hébergement d'urgence et au respect de la vie, de prendre les mesures pour mettre à l'abri les personnes en situation de précarité dans des locaux adaptés, si nécessaire par le recours à la réquisition de lieux d'hébergement.
En ce qui concerne l'enregistrement des demandes d'asile :
18. En application des dispositions transposant la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, l'autorité compétente qui, sur sa demande d'admission au bénéfice du statut de réfugié doit mettre le demandeur d'asile en possession d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il ait été statué sur cette demande, doit également, aussi longtemps qu'il est admis à se maintenir sur le territoire en qualité de demandeur d'asile et quelle que soit la procédure d'examen de sa demande, lui assurer, selon ses besoins et ses ressources, des conditions d'accueil lui permettant de satisfaire à ses besoins. Les associations requérantes font valoir que les demandeurs n'ont plus accès depuis le 17 mars dernier aux guichets uniques pour demandeurs d'asile (GUDA) des préfectures, ce qui, en outre, les prive de l'accès aux droits attachés à la qualité de demandeur d'asile, et qu'il en résulte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile.
19. Il résulte de l'instruction que si les GUDA ont dû en raison de l'épidémie en cours réduire très sensiblement leur activité, pour des motifs tenant à l'impossibilité de respecter les " gestes barrière " lors de l'enregistrement des demandes d'asile, ces enregistrements se poursuivent, sous la responsabilité des préfectures et en liaison avec les associations, dans les cas relevant d'une urgence particulière et que ces restrictions des enregistrements touchent l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne. L'administration fait valoir en défense qu'il n'est pas possible de mettre en oeuvre une procédure entièrement dématérialisée, notamment pour ce qui est du relevé d'empreintes digitales, mais que des mesures ont été prises pour assurer que tous les migrants qui le souhaitent bénéficient d'un hébergement et de " chèques services ", et qu'aucun migrant n'est susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement dès lors qu'il déclare qu'il n'a pas été en mesure de déposer sa demande d'asile. Par ailleurs, les préfectures doivent procéder, en lien avec les associations, au recensement des personnes qui avait pré-enregistré une demande d'asile dans une structure de premier accueil pour demandeurs d'asile (SPADA) ou qui ont d'une façon ou d'une autre manifesté l'intention d'en présenter une. Enfin, l'Office français de l'immigration et de l'intégration assure des permanences d'accueil dans ses directions territoriales, ainsi qu'une permanence téléphonique, et poursuit son activité d'appui à l'hébergement et de soutien aux demandeurs d'asile et aux personnes vulnérables relevant de la procédure d'enregistrement prioritaire.
20. Dans ces conditions, et compte tenu en outre des moyens dont dispose l'administration, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, de carence justifiant que soit ordonnée la mise en oeuvre d'un enregistrement dématérialisé des demandes d'asile.
En ce qui concerne la mise en place d'un plan national d'aide à toutes les personnes démunies et la mise à disposition des associations des ressources nécessaires au maintien de leurs activités dans des conditions adaptées à la situation :
21. Il résulte de l'instruction que la Direction générale de la cohésion sociale a mis en place une cellule de crise destinée à piloter et coordonner les actions en faveur des personnes en situation de précarité pendant la durée de la crise sanitaire actuelle, que des instructions ont été adressées aux préfets pour aider à la poursuite de ces actions, notamment en termes de distribution de produits alimentaires et d'accès à l'eau, aux installations sanitaires et aux biens essentiels à l'hygiène, que l'Etat a créé un dispositif de distribution de " chèques services " au bénéfice des personnes n'ayant pas accès à une offre alimentaire, dont 60 000 personnes bénéficient déjà, qu'une plateforme numérique a été mise en place en lien avec le monde associatif pour permettre à des bénévoles de se manifester, ainsi qu'une mobilisation des étudiants en travail social, que l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prolongation de droits sociaux a prolongé le bénéfice effectif du RSA pour éviter les ruptures de droits des bénéficiaires qui ne pourraient se manifester en raison de la situation sanitaire ou des bénéficiaires étrangers titulaires de titres de séjour, dont la validité a en outre été prolongée de 90 jours. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, et en tout état de cause, de carence justifiant que soit ordonnée la mise en oeuvre d'un " plan national d'aide inconditionnelle accessible à toutes les personnes démunies ", dont les contours ne sont au demeurant pas davantage précisés par les associations requérantes. Il en est de même, compte tenu en outre des moyens dont dispose l'administration, de leur demande tendant à ce qu'il soit enjoint la mise en place d'un service téléphonique et d'accès à internet gratuit, notamment pour l'accès aux services éducatifs en ligne, jusqu'à la fin du confinement au bénéfice des personnes démunies.
En ce qui concerne l'ouverture de droits à une couverture maladie à toutes les personnes se trouvant en France au cours de l'épidémie :
22. Il résulte de l'instruction que l'Etat a pris depuis le début de l'épidémie un certain nombre de mesures visant à assurer l'accès aux soins : l'ouverture des droits à la protection maladie universelle (PUMA) reste possible, les droits à la protection complémentaire en matière de santé ont été prolongés par l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prolongation de droits sociaux, lorsque ces droits expirent entre le 12 mars et le 31 juillet 2020, les conditions d'accès à l'aide médicale d'Etat (AME) ont été assouplies pendant la période d'urgence sanitaire, le bénéfice de cette aide a été prorogé, et la prise en charge des soins urgents pour les personnes ne bénéficiant ni de l'AME ni de la PUMA a été également élargie et simplifiée. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, et en tout état de cause, de carence justifiant que soit ordonné, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé, de prendre les mesures sollicitées par les associations requérantes.
En ce qui concerne les autorisations de déplacement des personnes en situation de précarité :
23. Le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dans sa version modifiée par le décret du 27 mars 2020, autorise, par le 1° de son article 3, les déplacements pour motifs professionnels, et, par le 4° de cet article, les déplacements pour l'assistance des personnes vulnérables, de sorte que ces dérogations couvrent les déplacements des salariés et bénévoles des associations d'aide aux personnes en situation de précarité. Par ailleurs, ces personnes peuvent, ainsi qu'il ressort du mémoire en défense présenté par le ministre des solidarités et de la santé, pour leurs déplacements nécessaires à l'accès à des distributions de denrées alimentaires ou de produits essentiels, et pour percevoir les prestations qui leur sont réservées, utiliser la dérogation prévue au 2° de ce même article. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les préfets ont reçu instruction de faire preuve de discernement lors des contrôles des mesures de confinement, et particulièrement de ne procéder à aucune verbalisation des personnes sans domicile fixe. Par suite, il n'apparaît pas que les mesures restreignant les déplacements dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire porteraient une atteinte grave et manifestement illégale au droit des personnes vulnérables de se déplacer pour bénéficier de l'assistance à laquelle ils ont droit et au droit des salariés et bénévoles des associations de se déplacer pour leur porter cette assistance.
24. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, la requête doit être rejetée, ainsi que les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de l'association Emmaüs France est admise.
Article 2 : L'intervention de l'association Darwin Climax Coalitions n'est pas admise.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
Article 4 : La requête de l'association Mouvement citoyen Tous Migrants, l'association Soutien Réseau Hospitalité, l'association Chemins Pluriels et l'association Utopia 56 est rejetée.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Mouvement citoyen Tous migrants, première requérante dénommée, au ministre des solidarités et de la santé, à l'association Emmaüs France, à l'association Darwin Climax Coalitions et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et au Premier ministre.
N° 439895
ECLI:FR:CEORD:2020:439895.20200409
Mentionné aux tables du recueil Lebon
Lecture du jeudi 9 avril 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er et 8 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Mouvement citoyen Tous Migrants, l'association Soutien Réseau Hospitalité, l'association Chemins Pluriels et l'association Utopia 56 demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre, dans l'attente de l'édiction de règles spécifiques uniformes sur l'ensemble du territoire national, les mesures transitoires suivantes dans un délai de huit jours :
- dépistage systématique des personnes en situation de précarité et des bénévoles s'occupant de ces personnes, et mise à leur disposition de matériels et équipements de protection individuelle contre le Covid-19 ;
- mise à l'abri des personnes en grande précarité dans des locaux adaptés à leurs besoins et permettant de satisfaire aux obligations découlant de l'état d'urgence sanitaire, si nécessaire par le recours à la réquisition de lieux d'hébergement ;
- mise en place d'une procédure dématérialisée permettant l'enregistrement des demandes d'asile et l'ouverture des droits aux conditions matérielles d'accueil et à l'assurance maladie ;
- mise en place d'un plan national d'aide à toutes les personnes démunies pour répondre à leurs besoins de première nécessité, notamment en produits et en soins ;
- mise en place au bénéfice des personnes démunies d'un service téléphonique et d'un accès à internet gratuit jusqu'à la fin du confinement ;
- mise à disposition des associations des ressources nécessaires au maintien de leurs activités dans des conditions adaptées à la situation ;
- ouverture anticipée des droits à une couverture maladie de toutes les personnes se trouvant en France au cours de l'épidémie ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'autoriser les déplacements des personnes en situation de précarité nécessaires pour bénéficier de ces aides spécifiques ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- elles justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard à l'ampleur de l'épidémie et à la nécessité de prendre sans délai des mesures protectrices pour les personnes démunies et les bénévoles qui leur portent assistance ;
- la carence de l'Etat à mettre en oeuvre les mesures adéquates au bénéfice des personnes démunies porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie, au droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, au droit à la protection de la santé, au droit à l'hébergement d'urgence, à la liberté d'aller et venir, au droit d'asile et au droit aux conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile et au droit à l'éducation ;
- il existe un risque grave et imminent de contamination des bénévoles et des personnes démunies, en raison du manque de moyens de protection adéquats et des conditions d'hébergement dans des lieux inadaptés et surpeuplés ;
- il est nécessaire de procéder à la réquisition de lieux habitables pour héberger les personnes en situation de précarité ;
- la continuité des aides apportées dans tous les domaines aux personnes démunies n'est pas assurée, notamment en raison de la fermeture de locaux d'associations, de la suspension de nombreuses distributions alimentaires, de l'obligation de confinement total des bénévoles de plus de 70 ans ou de la dégradation des conditions d'accès aux soins ;
- les personnes souhaitant déposer une demande d'asile ne le peuvent plus depuis le 17 mars 2020 en raison de la suspension des enregistrements en préfecture, et ils ne peuvent par suite plus accéder à leurs droits en termes d'allocation, d'hébergement et d'assurance maladie ;
- l'article 3 du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ne prévoit pas de dérogation spécifique aux déplacements des personnes en situation de précarité pour accéder à l'ensemble des aides auxquelles elles ont droit, à l'exception de cas limitativement énumérés, et la limite de durée de déplacement ne devrait pas s'appliquer aux déplacements liés aux besoins et services de nécessité ;
- l'absence de mesures suffisantes pour garantir la continuité pédagogique porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'éducation ;
- les mesures prises par le gouvernement sont inadaptées à la situation.
Par un mémoire distinct et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er et 7 avril 2020, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, les associations requérantes demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur requête, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique.
Elles soutiennent que ces dispositions, applicables au litige, restreignent les déplacements en dehors du domicile sans prévoir aucune mesure tenant compte de la situation particulière des personnes en situation de précarité, de sorte qu'elles sont entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant la sauvegarde de la dignité de la personne et le principe de fraternité.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 6 avril 2020, l'association Emmaüs France demande au juge des référés du Conseil d'Etat de déclarer son intervention recevable et de faire droit aux conclusions des associations requérantes, y compris pour ce qui est de la question prioritaire de constitutionnalité.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 6 avril 2020, l'association Darwin Climax Coalitions demande au juge des référés du Conseil d'Etat de déclarer son intervention recevable et de faire droit aux conclusions des associations requérantes, y compris pour ce qui est de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que, compte tenu des circonstances exceptionnelles liées à l'épidémie de covid-19 et des mesures prises par le gouvernement, aucune atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par les associations requérantes n'est caractérisée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
L'Office français de l'immigration et de l'intégration a présenté des observations, enregistrées le 8 avril 2020. Il soutient que l'Office a mis en place toutes les mesures susceptibles de garantir la continuité des missions de service public dont il a la charge.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre de l'intérieur qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-312 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction était fixée au 9 avril à 12 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article L. 521-2 de ce code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
Sur les interventions :
2. L'association Emmaüs France justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête. Son intervention doit par suite être admise. En revanche, l'association Darwin Climax Coalitions, dont l'objet est de défendre les droits des personnes, notamment vulnérables, contre le dérèglement climatique et les atteintes aux éco-systèmes, ne justifie pas d'un intérêt la rendant recevable à intervenir à l'appui de la requête. Son intervention est, par suite, irrecevable.
Sur les circonstances :
3. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des plusieurs arrêtés successifs.
4. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures qu'il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés par décret du 27 mars 2020.
Sur l'objet de la demande en référé :
5. Les associations requérantes soutiennent que les mesures prises dans le contexte de l'épidémie de covid-19 pour préserver les droits des personnes en situation de précarité sont insuffisantes pour assurer leur protection, ainsi que celle des bénévoles qui les accompagnent, au regard du risque de contamination et pour leur garantir l'accès aux droits fondamentaux qui leur sont reconnus. Ils demandent au juge des référés du Conseil d'Etat d'enjoindre au Premier ministre de faire procéder au dépistage systématique des personnes en situation de précarité et des bénévoles s'occupant de ces personnes, de mettre à leur disposition des équipements de protection individuelle contre le covid-19, de prendre les mesures pour mettre à l'abri ces personnes dans des locaux adaptés, si nécessaire par le recours à la réquisition de lieux d'hébergement, de mettre en place une procédure dématérialisée permettant l'enregistrement des demandes d'asile et l'ouverture au bénéfice des demandeurs des droits afférents, d'organiser un plan national d'aide à toutes les personnes démunies pour répondre à leurs besoins, notamment en termes de produits, de soins et de moyens de communication, de mettre à disposition des associations les ressources nécessaires au maintien de leurs activités dans des conditions adaptées à la situation, d'ouvrir les droits à une couverture maladie à toutes les personnes se trouvant en France au cours de l'épidémie, ainsi que d'autoriser les déplacements des personnes en situation de précarité nécessaires pour accéder aux aides dont elles ont besoin. A l'appui de ce cette demande en référé, ces associations demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique.
Sur l'office du juge des référés :
6. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu'il est possible de prendre utilement de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l'atteinte doit s'apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.
7. Par ailleurs, aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, dans la rédaction que lui a donnée la loi organique du 10 décembre 2009 : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. L'article 23-3 de cette ordonnance prévoit qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité " peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires " et qu'elle peut statuer " sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions organiques avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant, en première instance ou en appel, sur le fondement de l'article L. 521-2 de ce code. Le juge des référés peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant lui, rejeter une requête qui lui est soumise pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence. S'il ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour l'un de ces motifs, il lui appartient de se prononcer, en l'état de l'instruction, sur la transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité ou, pour le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel. Même s'il décide de renvoyer la question, il peut, s'il estime que les conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
8. La loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a introduit au code de la santé publique un article L. 3131-15 aux termes duquel : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (...) 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; (...). / Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".
9. Les associations requérantes, qui estiment que les limitations aux déplacements en dehors du domicile édictées, sur la base du 2° de l'article L. 3131-15, par le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire entravent la liberté de déplacement des personnes en situation de précarité dans une mesure qui leur interdit d'avoir un accès effectif aux aides auxquelles elles peuvent prétendre, soutiennent qu'en n'intégrant pas dans l'article L. 3131-15 des dispositions spécifiques garantissant à ces personnes une liberté de mouvement suffisante pour faire valoir leurs droits le législateur a entaché cet article d'une incompétence négative affectant la dignité de la personne et le principe de fraternité.
10. Cependant les dispositions de l'article L. 3131-15 définissent avec une précision suffisante les interdictions qui peuvent être décidées par le Premier ministre, précisent que ces interdictions ne peuvent être édictées qu'" aux seules fins de garantir la santé publique ", qu'elles doivent être " strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ", enfin qu' "il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". Il s'ensuit que ces dispositions, à l'occasion de l'édiction desquelles il n'incombait pas au législateur de prescrire des mesures spécifiques à certaines catégories de la population, ne sont en tout état de cause pas entachées d'incompétence négative.
11. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité, qui n'est pas nouvelle, ne peut être regardée comme présentant un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Sur les mesures demandées :
En ce qui concerne les libertés fondamentales en jeu :
12. Pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie, le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, le droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé, le droit à l'hébergement d'urgence, la liberté d'aller et venir, le droit d'asile et le droit à l'égal accès à l'instruction constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.
En ce qui concerne le dépistage systématique des personnes en situation de précarité et des bénévoles s'occupant de ces personnes, et la mise à leur disposition d'équipements de protection individuelle contre le covid-19 :
13. D'une part, s'agissant de la distribution de masques de protection, il résulte de l'instruction qu'une stratégie de gestion et d'utilisation maîtrisée des masques a été mise en place à l'échelle nationale et a fait l'objet d'adaptations en fonction de l'évolution de l'épidémie, visant à assurer en priorité, dans un contexte de forte tension, la fourniture des masques disponibles aux établissements de santé, aux EHPAD, aux établissements médico-sociaux, aux services d'aide et de soins à domicile et aux transports sanitaires, ainsi qu'il résulte en dernier lieu de l'instruction du 26 mars 2020. En revanche, ainsi que le reconnaît l'administration, les travailleurs sociaux ne sont pas couverts par ces mesures de distribution. Par ailleurs, l'utilisation de masques chirurgicaux dans la population non malade n'est pas retenue en l'état actuel des données scientifiques et des stocks disponibles. Le ministre des solidarités et de la santé fait cependant valoir que le secteur associatif a la possibilité, avec l'appui de l'Etat et des collectivités territoriales, de se pourvoir en masques de protection, y compris en recourant à l'importation et qu'il a initié une politique visant à faire émerger une offre nationale de masques à usage non sanitaire validés quant à leur efficacité, représentant à ce jour 85 solutions proposées par 45 entreprises. Dans ces conditions, l'absence de distribution systématique à toutes les personnes en situation de précarité et aux bénévoles et salariés des associations qui leur viennent en aide ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit au respect de leur vie.
14. D'autre part, s'agissant de la mise en place d'un dépistage systématique des personnes en situation de précarité et des bénévoles et salariés des associations qui leur viennent en aide, il résulte de l'instruction que les autorités ont pris les dispositions nécessaires pour augmenter ces capacités dans les meilleurs délais dans la perspective de la sortie du confinement, tant quantitativement que qualitativement, et que, en attendant, les tests sont pratiqués selon des critères de priorité constamment ajustés et fixés, en tenant compte de l'avis du Haut Conseil de la santé publique. Dans ces conditions, et alors au demeurant que le ministre des solidarités et de la santé fait valoir qu'une politique de dépistage systématique pratiquée aujourd'hui contrarierait la stratégie de dépistage en cours de préparation pour la sortie de crise, les conclusions aux fins d'injonction tendant à ce qu'il soit procédé à un dépistage systématique de toutes les personnes en situation de précarité et des bénévoles et salariés des associations qui leur viennent en aide ne peuvent, en tout état de cause, en l'état de l'instruction et eu égard aux pouvoirs que le juge des référés tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, qu'être rejetées.
En ce qui concerne l'hébergement des personnes en situation de précarité :
15. Il résulte de l'instruction que, par différentes mesures, notamment le report jusqu'au 31 mai de la trêve hivernale et de la fermeture des places d'hébergement ouvertes pendant l'hiver, le recours à des nuitées d'hôtel et à des structures d'hébergement touristique par la passation d'accords avec des professionnels de ces secteurs, l'utilisation de structures d'accueil provisoires telles que des gymnases ou des salles polyvalentes ainsi que par la réquisition d'immeubles vacants, les capacités d'hébergement pour les personnes sans domicile s'élevaient à la fin du mois de mars à près de 170 000 places contre 157 000 avant la présente crise, auxquelles s'ajoutent près de 200 000 places en logement adapté. L'administration fait valoir qu'elle poursuit ses efforts pour les accroître encore, notamment par des négociations avec les professionnels des secteurs de l'hôtellerie et des centres de vacances afin d'identifier les disponibilités supplémentaires, sans exclure de recourir à des réquisitions si cela s'avérait nécessaire.
16. S'agissant des structures d'accueil existantes, tels que les centres d'hébergement, l'administration fait valoir qu'y ont été diffusées des instructions précises relatives à la prévention du covid-19 prescrivant l'observation des mesures d'hygiène. Par ailleurs 73 sites spécialisés dans l'accueil de personnes présentant des symptômes mais ne relevant pas d'une hospitalisation ont été mises en place, représentant un total de plus de 2 800 places, et l'administration indique que cet effort va se poursuivre.
17. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, de carence justifiant que soit ordonnée, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'hébergement d'urgence et au respect de la vie, de prendre les mesures pour mettre à l'abri les personnes en situation de précarité dans des locaux adaptés, si nécessaire par le recours à la réquisition de lieux d'hébergement.
En ce qui concerne l'enregistrement des demandes d'asile :
18. En application des dispositions transposant la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, l'autorité compétente qui, sur sa demande d'admission au bénéfice du statut de réfugié doit mettre le demandeur d'asile en possession d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il ait été statué sur cette demande, doit également, aussi longtemps qu'il est admis à se maintenir sur le territoire en qualité de demandeur d'asile et quelle que soit la procédure d'examen de sa demande, lui assurer, selon ses besoins et ses ressources, des conditions d'accueil lui permettant de satisfaire à ses besoins. Les associations requérantes font valoir que les demandeurs n'ont plus accès depuis le 17 mars dernier aux guichets uniques pour demandeurs d'asile (GUDA) des préfectures, ce qui, en outre, les prive de l'accès aux droits attachés à la qualité de demandeur d'asile, et qu'il en résulte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile.
19. Il résulte de l'instruction que si les GUDA ont dû en raison de l'épidémie en cours réduire très sensiblement leur activité, pour des motifs tenant à l'impossibilité de respecter les " gestes barrière " lors de l'enregistrement des demandes d'asile, ces enregistrements se poursuivent, sous la responsabilité des préfectures et en liaison avec les associations, dans les cas relevant d'une urgence particulière et que ces restrictions des enregistrements touchent l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne. L'administration fait valoir en défense qu'il n'est pas possible de mettre en oeuvre une procédure entièrement dématérialisée, notamment pour ce qui est du relevé d'empreintes digitales, mais que des mesures ont été prises pour assurer que tous les migrants qui le souhaitent bénéficient d'un hébergement et de " chèques services ", et qu'aucun migrant n'est susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement dès lors qu'il déclare qu'il n'a pas été en mesure de déposer sa demande d'asile. Par ailleurs, les préfectures doivent procéder, en lien avec les associations, au recensement des personnes qui avait pré-enregistré une demande d'asile dans une structure de premier accueil pour demandeurs d'asile (SPADA) ou qui ont d'une façon ou d'une autre manifesté l'intention d'en présenter une. Enfin, l'Office français de l'immigration et de l'intégration assure des permanences d'accueil dans ses directions territoriales, ainsi qu'une permanence téléphonique, et poursuit son activité d'appui à l'hébergement et de soutien aux demandeurs d'asile et aux personnes vulnérables relevant de la procédure d'enregistrement prioritaire.
20. Dans ces conditions, et compte tenu en outre des moyens dont dispose l'administration, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, de carence justifiant que soit ordonnée la mise en oeuvre d'un enregistrement dématérialisé des demandes d'asile.
En ce qui concerne la mise en place d'un plan national d'aide à toutes les personnes démunies et la mise à disposition des associations des ressources nécessaires au maintien de leurs activités dans des conditions adaptées à la situation :
21. Il résulte de l'instruction que la Direction générale de la cohésion sociale a mis en place une cellule de crise destinée à piloter et coordonner les actions en faveur des personnes en situation de précarité pendant la durée de la crise sanitaire actuelle, que des instructions ont été adressées aux préfets pour aider à la poursuite de ces actions, notamment en termes de distribution de produits alimentaires et d'accès à l'eau, aux installations sanitaires et aux biens essentiels à l'hygiène, que l'Etat a créé un dispositif de distribution de " chèques services " au bénéfice des personnes n'ayant pas accès à une offre alimentaire, dont 60 000 personnes bénéficient déjà, qu'une plateforme numérique a été mise en place en lien avec le monde associatif pour permettre à des bénévoles de se manifester, ainsi qu'une mobilisation des étudiants en travail social, que l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prolongation de droits sociaux a prolongé le bénéfice effectif du RSA pour éviter les ruptures de droits des bénéficiaires qui ne pourraient se manifester en raison de la situation sanitaire ou des bénéficiaires étrangers titulaires de titres de séjour, dont la validité a en outre été prolongée de 90 jours. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, et en tout état de cause, de carence justifiant que soit ordonnée la mise en oeuvre d'un " plan national d'aide inconditionnelle accessible à toutes les personnes démunies ", dont les contours ne sont au demeurant pas davantage précisés par les associations requérantes. Il en est de même, compte tenu en outre des moyens dont dispose l'administration, de leur demande tendant à ce qu'il soit enjoint la mise en place d'un service téléphonique et d'accès à internet gratuit, notamment pour l'accès aux services éducatifs en ligne, jusqu'à la fin du confinement au bénéfice des personnes démunies.
En ce qui concerne l'ouverture de droits à une couverture maladie à toutes les personnes se trouvant en France au cours de l'épidémie :
22. Il résulte de l'instruction que l'Etat a pris depuis le début de l'épidémie un certain nombre de mesures visant à assurer l'accès aux soins : l'ouverture des droits à la protection maladie universelle (PUMA) reste possible, les droits à la protection complémentaire en matière de santé ont été prolongés par l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prolongation de droits sociaux, lorsque ces droits expirent entre le 12 mars et le 31 juillet 2020, les conditions d'accès à l'aide médicale d'Etat (AME) ont été assouplies pendant la période d'urgence sanitaire, le bénéfice de cette aide a été prorogé, et la prise en charge des soins urgents pour les personnes ne bénéficiant ni de l'AME ni de la PUMA a été également élargie et simplifiée. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, et en tout état de cause, de carence justifiant que soit ordonné, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé, de prendre les mesures sollicitées par les associations requérantes.
En ce qui concerne les autorisations de déplacement des personnes en situation de précarité :
23. Le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dans sa version modifiée par le décret du 27 mars 2020, autorise, par le 1° de son article 3, les déplacements pour motifs professionnels, et, par le 4° de cet article, les déplacements pour l'assistance des personnes vulnérables, de sorte que ces dérogations couvrent les déplacements des salariés et bénévoles des associations d'aide aux personnes en situation de précarité. Par ailleurs, ces personnes peuvent, ainsi qu'il ressort du mémoire en défense présenté par le ministre des solidarités et de la santé, pour leurs déplacements nécessaires à l'accès à des distributions de denrées alimentaires ou de produits essentiels, et pour percevoir les prestations qui leur sont réservées, utiliser la dérogation prévue au 2° de ce même article. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les préfets ont reçu instruction de faire preuve de discernement lors des contrôles des mesures de confinement, et particulièrement de ne procéder à aucune verbalisation des personnes sans domicile fixe. Par suite, il n'apparaît pas que les mesures restreignant les déplacements dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire porteraient une atteinte grave et manifestement illégale au droit des personnes vulnérables de se déplacer pour bénéficier de l'assistance à laquelle ils ont droit et au droit des salariés et bénévoles des associations de se déplacer pour leur porter cette assistance.
24. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, la requête doit être rejetée, ainsi que les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de l'association Emmaüs France est admise.
Article 2 : L'intervention de l'association Darwin Climax Coalitions n'est pas admise.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
Article 4 : La requête de l'association Mouvement citoyen Tous Migrants, l'association Soutien Réseau Hospitalité, l'association Chemins Pluriels et l'association Utopia 56 est rejetée.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Mouvement citoyen Tous migrants, première requérante dénommée, au ministre des solidarités et de la santé, à l'association Emmaüs France, à l'association Darwin Climax Coalitions et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et au Premier ministre.