Conseil d'État
N° 439821
ECLI:FR:CEORD:2020:439821.20200408
Mentionné aux tables du recueil Lebon
Juge des référés
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats
Lecture du mercredi 8 avril 2020
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 et 31 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance, a demandé au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'enjoindre au Premier ministre et aux ministres compétents de prendre, dans un délai de 48 heures, à compter du prononcé de l'ordonnance, les mesures propres à assurer une protection suffisante des personnels pénitentiaires à l'égard des risques de contamination par le covid-19 et en particulier, en premier lieu, de mettre à disposition des personnels des établissements pénitentiaires des masques " FFP2 " ou s'en rapprochant, gants et gel hydro-alcoolique en quantité suffisante pour assurer leur protection au moins jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire, en deuxième lieu, de maintenir jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire les mesures restrictives figurant dans la note de la direction de l'administration pénitentiaire du 17 mars 2020, en troisième lieu, de suspendre le régime de détention " portes ouvertes " au sein des établissements où il est pratiqué, jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire et, en dernier lieu, d'édicter des consignes générales à l'intention des chefs d'établissement pour la mise en place d'une organisation des promenades garantissant le respect des restrictions imposées par la crise sanitaire ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie, eu égard au risque sanitaire élevé qui rejaillit sur l'ensemble du personnel et résulte, d'une part, de la rapidité de propagation du virus et, d'autre part, de la situation de surpopulation carcérale ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé, rappelé notamment par l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'absence de mise en oeuvre par les autorités administratives, et en particulier par le Premier ministre, le ministre des solidarités et de la santé et la garde des sceaux, ministre de la justice, des pouvoirs d'organisation du service, notamment issus des dispositions des articles L. 3131-15, L. 3131-1 et L. 3131-16 du code de la santé publique, aux fins d'édicter les mesures propres à préserver la santé des surveillants pénitentiaires constitue une carence qui porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé ;
- les mesures prises à ce jour sont très insuffisantes dès lors que, en premier lieu, le régime de détention " portes ouvertes " est maintenu, en contradiction avec le confinement imposé au reste de la population par le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, en deuxième lieu, les dispositifs de protection, tels que les masques, les gants et le gel hydro-alcoolique, ne sont pas suffisamment mis à disposition du personnel pénitentiaire étant réservés au seul personnel en contact avec des détenus dont la contamination au virus covid-19 a été confirmée par un test de dépistage, en troisième lieu, les promenades ne sont pas encadrées et, en dernier lieu, le personnel ayant été en contact avec des sujets contaminés n'est plus placé en " quatorzaine " depuis le 23 mars 2020 ;
Par deux interventions, enregistrés le 30 mars 2020, le Syndicat national force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion et de probation et le Syndicat national pénitentiaire des personnels techniques déclarent intervenir au soutien de la requête le Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés le 31 mars 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Elle soutient qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n'est caractérisée.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé, qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance, le Syndicat national force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion et de probation et le Syndicat national pénitentiaire des personnels techniques - Force ouvrière et, d'autre part, le Premier ministre, la garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre des solidarités et de la santé ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 1er avril 2020, à 10 heures :
- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance et avocat du Syndicat national force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion et de probation et du Syndicat national pénitentiaire des personnels techniques - Force ouvrière ;
- le représentant du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance, du Syndicat national force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion et de probation et du Syndicat national pénitentiaire des personnels techniques - Force ouvrière ;
- les représentants de la garde des sceaux, ministre de la justice ;
- le représentant du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de l'audience le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".
Sur les interventions :
2. Le Syndicat national Force ouvrière pénitentiaire des personnels techniques ainsi que le Syndicat national Force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance. Leurs interventions sont, par suite, recevables.
Sur le cadre juridique du litige, l'office du juge des référés et les libertés fondamentales en jeu :
3. Dans l'actuelle période d'état d'urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes, en particulier au Premier ministre, de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l'épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l'exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent.
4. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai. Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Sur le fondement de l'article L. 521-2, le juge des référés peut ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, des mesures d'organisation des services placés sous son autorité, dès lors qu'il s'agit de mesures d'urgence qui lui apparaissent nécessaires pour sauvegarder, à très bref délai, la liberté fondamentale à laquelle il est gravement, et de façon manifestement illégale, porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l'atteinte doit s'apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.
5. Pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de cet article.
6. Les autorités administratives ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de leurs agents, eu égard aux missions qui leur sont assignées. Lorsque la carence d'une autorité administrative dans l'usage des pouvoirs qu'elle détient pour satisfaire cette obligation crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes placées sous son autorité portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale énoncée au point précédent, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire, dans les conditions et les limites définies au point 4, les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.
Sur les circonstances :
7. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des plusieurs arrêtés successifs.
8. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés par décret du 27 mars 2020.
Sur la demande en référé :
9. Par sa requête, le syndicat requérant demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner, dans le contexte de l'épidémie causée par la propagation du virus covid-19, que soient prises différentes mesures propres à assurer une protection suffisante des personnels pénitentiaires à l'égard des risques de contamination par ce virus.
10. Il résulte de l'instruction que, depuis que l'épidémie de covid-19 a atteint la France et au fur et à mesure de l'évolution des stades 1, 2 et 3 de l'épidémie, le ministre de la justice a édicté, au moyen de plusieurs instructions adressées aux services compétents, un certain nombre de mesures visant à prévenir le risque de propagation du virus au sein des établissements pénitentiaires. Dès le 27 février 2020, il a ainsi été décidé de limiter les circulations humaines entre intérieur et extérieur ainsi que les mouvements internes en détention et demandé qu'il soit strictement veillé au respect des règles de sécurité sanitaire. Le 17 mars 2020 étaient décidées la suspension des activités socio-culturelles et d'enseignement, du sport en espace confiné, des cultes, de la formation professionnelle, du travail ainsi que la suspension des visites aux parloirs, parloirs familiaux et unités de vie familiale et des entretiens avec les visiteurs de prison. Ces instructions définissent des orientations générales et arrêtent des mesures d'organisation du service public pénitentiaire qu'il revient aux chefs des 187 établissements pénitentiaires de mettre en oeuvre et d'appliquer sous l'autorité des directions interrégionales des services pénitentiaires. Il appartient aux chefs d'établissements pénitentiaires, responsables de l'ordre et de la sécurité au sein de ceux-ci, de s'assurer du respect des consignes données pour lutter contre la propagation du virus et de prendre, dans le champ de leurs compétences, toute mesure propre à garantir le respect effectif des libertés fondamentales des détenus et des personnes y travaillant ou y intervenant.
11. Il résulte de l'instruction que le nombre de personnes détenues dans les établissements pénitentiaires diminue régulièrement depuis le 17 mars 2020, sous l'effet conjugué de la baisse du nombre d'écrous et de l'application des dispositifs de libération des personnes détenues prévues par l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale. Alors que le nombre de détenus s'élevait, au 16 mars 2020, à 72 575 dont 22 606 en maisons d'arrêt, il est, au 2 avril 2020 de 65 757 dont 19 930 en maisons d'arrêt. S'agissant de la contamination par le virus Covid-19, on recense, parmi les personnes détenues, le 6 avril 2020, 63 cas confirmés et 697 confinements sanitaires correspondant aux cas symptomatiques et aux personnes placées en quatorzaine. Parmi les agents du service public pénitentiaire qui sont environ au nombre de 35 000, étaient recensés, à la même date, 377 cas confirmés et 1 512 cas symptomatiques.
En ce qui concerne le prolongement des mesures prescrites par la note du 17 mars 2020 :
13. Si le syndicat requérant demandait la prolongation, jusqu'au terme de l'état d'urgence sanitaire, des mesures générales prescrites par l'instruction ministérielle du 17 mars 2020, il résulte des échanges au cours de l'audience publique qu'il a pris acte de la décision, qui résulte d'une note du 30 mars 2020, de prolonger ces mesures jusqu'au 24 mai 2020 et qu'il a considéré que sa demande était satisfaite sur ce point.
En ce qui concerne la distribution de masques, de gants et de gel hydro-alcoolique :
14. Le syndicat requérant demande que soit ordonnée la mise à disposition des personnels des établissements pénitentiaires de masques de protection, gants et gel hydro-alcoolique en quantité suffisante pour assurer leur protection au moins jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire.
S'agissant de la distribution de masques :
15. D'une part, il résulte de l'instruction que la ministre de la justice a décidé, en complément des " mesures barrière " déjà mises en place (approvisionnement en produits permettant un lavage régulier des mains, limitation stricte des contacts physiques, respect de la distanciation sociale, nettoyage renforcé et aération régulière des locaux), d'organiser un " anneau sanitaire " en imposant le port d'un masque de protection à certaines catégories du personnel pénitentiaire. Par une instruction ministérielle en date du 31 mars 2020, il a ainsi été décidé d'imposer le port d'un masque chirurgical à l'ensemble des agents se trouvant en contact à la fois direct et prolongé avec les personnes détenues. Il résulte de l'instruction qu'à la date de la présente ordonnance, un stock de 260 000 masques chirurgicaux a été alloué à l'administration pénitentiaire à cet effet. Le ministère de la justice s'est en outre engagé à assurer, sans rupture, l'approvisionnement en masques chirurgicaux de façon à satisfaire l'ensemble des besoins journaliers qu'il évalue, à raison de deux masques par agent pour chaque jour de présence au travail, à environ 17 600.
16. D'autre part, il résulte des termes de la note du 31 mars 2020 ainsi que des explications données par le représentant du ministère de la justice au cours de l'audience publique que la liste des 19 catégories d'agents dits " de contact " qui y figure n'est pas exhaustive et qu'il appartient à chaque chef d'établissement de l'adapter en fonction des modalités concrètes de l'organisation du travail au sein de sa structure afin de permettre à chaque agent appelé à se trouver, même occasionnellement, en contact direct et prolongé avec des personnes détenues, d'être doté d'un masque de protection. Eu égard à la nécessité de développer, de manière particulièrement accrue pendant l'état d'urgence sanitaire, la polyvalence entre agents et au recours à la redistribution des tâches entre agents que préconise la note du 31 mars 2020 afin de confier, à titre temporaire, à une proportion des personnels moins importante qu'en temps normal, l'ensemble des fonctions impliquant un contact avec les personnes détenues, il incombe aux chefs d'établissement de veiller à ce que la dotation en masques de protection se fasse non seulement à l'occasion de la prise de fonctions mais aussi, le cas échéant, en cours de journée, au moment d'un changement de poste ou d'une intervention impliquant nécessairement un contact direct et prolongé avec une personne détenue.
17. Il s'ensuit qu'il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, qu'eu égard à la stratégie de gestion et d'utilisation maîtrisée des masques mise en place à l'échelle nationale, en l'état du nombre de masques de protection actuellement disponibles, l'instruction concernant la distribution et l'utilisation de masques chirurgicaux par les personnels pénitentiaires révèlerait une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale invoquée.
S'agissant de la distribution de gants et de gel hydro-alcoolique :
18. En premier lieu, il résulte de l'instruction et, en particulier, des déclarations du représentant du ministère de la justice au cours de l'audience publique, que consigne sera donnée aux chefs d'établissement de doter les personnels pénitentiaires d'un nombre suffisant de gants à usage unique pour permettre à chaque agent de s'en trouver muni dès lors qu'il procède à une intervention impliquant un contact direct avec une personne détenue, à une fouille avec palpation ou à une fouille de cellules. Au demeurant, le syndicat requérant en a pris acte, au cours de l'audience publique et a considéré que sa demande était satisfaite sur ce point.
19. En second lieu, il résulte de l'instruction que, le 26 mars 2020, 2 020 litres de gel hydro-alcoolique ont été livrés aux directions interrégionales des services pénitentiaires et que le ministère de la justice s'est engagé à en livrer, à destination des personnels pénitentiaires, 2 500 litres par semaine. Au demeurant, le syndicat requérant en a pris acte, au cours de l'audience publique et a considéré que sa demande était également satisfaite sur ce point.
20. Il s'ensuit qu'il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, de carence, en ce qui concerne la mise à disposition de gants et de gel hydro-alcoolique, susceptible de porter, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie des personnels pénitentiaires.
En ce qui concerne la suspension du régime " Portes ouvertes " et la définition de consignes relatives au déroulement des promenades :
21. Le syndicat requérant, qui invoque notamment l'absence de respect, par certaines personnes détenues, des " gestes barrières ", soutient que les mesures restrictives décidées par l'instruction du 17 mars 2020 rappelées au point 10 sont manifestement insuffisantes pour éviter les risques de contamination croisée entre détenus et personnels pénitentiaires et pour lutter efficacement contre la propagation du virus en milieu carcéral.
S'agissant de la suspension du régime " Portes ouvertes " :
22. En premier lieu, le syndicat requérant demande que soit ordonnée la suspension générale du régime de détention " Portes ouvertes " qui consiste, en centre de détention, à laisser les portes des cellules ouvertes une partie de la journée afin de permettre la circulation au sein de l'unité d'hébergement. Le ministère de la justice, qui fait valoir que moins de 10 % des incidents collectifs recensés depuis le 17 mars dernier concernent des établissements ou des quartiers en régime " Portes ouvertes ", soutient qu'une telle mesure générale serait de nature à susciter des tensions et des risques de troubles au sein des établissements excessifs au regard de l'objectif de sécurité sanitaire qu'elle est supposée poursuivre.
23. D'une part, les mesures d'ordre général décidées par le ministre de la justice dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire doivent ménager un équilibre entre la nécessité d'assurer, dans toute la mesure du possible, la sécurité sanitaire des personnes travaillant et intervenant au sein des établissements pénitentiaires et des personnes détenues et l'obligation de garantir l'ordre et la sécurité au sein de ceux-ci, dans le respect des droits des détenus. Il ne résulte pas de l'instruction qu'en ayant décidé de ne pas ajouter aux autres mesures générales de suspension arrêtées dans sa note du 17 mars 2020 la suspension du régime " Portes ouvertes ", le ministre de la justice aurait manifestement rompu cet équilibre. D'autre part, ainsi que le fait valoir le ministre de la justice en défense, c'est au chef d'établissement qu'il revient d'apprécier, en application de l'article 717-1 du code de procédure pénale, s'il y a lieu ou non, au vu de la situation de son établissement et des circonstances qui y prévalent, de suspendre, à titre temporaire, le régime de détention " Portes ouvertes ". Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, que l'absence de mesure générale de suspension du régime de détention " Portes ouvertes " constituerait en soi un facteur d'évolution de l'épidémie susceptible de traduire une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale invoquée.
S'agissant de la définition de consignes relatives au déroulement des promenades :
24. En second lieu, le syndicat requérant demande que soient définies, à l'échelle nationale, des règles encadrant, de manière plus stricte, l'organisation et le déroulement des promenades.
25. Il résulte des instructions des 16 et 17 mars 2020 que la consigne générale a été donnée d'assurer à chaque détenu le bénéfice d'une promenade quotidienne à l'air libre d'une heure au moins, ainsi que le prévoit le code de procédure pénale, en constituant des groupes réduits toujours composés des mêmes personnes afin de limiter les risques de contamination et en veillant à adapter localement le nombre de personnes présentes simultanément sur une cour. Il revient au chef d'établissement d'adapter, dans le champ de ses compétences, cette consigne générale aux particularités de son établissement en tenant compte, notamment, du nombre de personnes détenues, de la superficie et du nombre des cours de promenade afin de concilier la nécessité de respecter les règles de sécurité sanitaire, en particulier en ce qui concerne la distance minimale entre les personnes, et le maintien du droit au bénéfice d'une promenade quotidienne d'au moins une heure. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, que devraient être définies, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale invoquée, des règles plus strictes par une instruction de portée générale.
26. En l'absence, en l'état de l'instruction, d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, la demande présentée au juge des référés ne peut être accueillie.
27. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, la requête du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejetée.
O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions du Syndicat national Force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion et de probation et du Syndicat national pénitentiaire des personnels techniques - Force ouvrière sont admises.
Article 2 : La requête du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance, à la garde des sceaux, ministre de la justice, au Syndicat national force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion et de probation et au Syndicat national pénitentiaire des personnels techniques - Force ouvrière.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé.
N° 439821
ECLI:FR:CEORD:2020:439821.20200408
Mentionné aux tables du recueil Lebon
Juge des référés
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats
Lecture du mercredi 8 avril 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 et 31 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance, a demandé au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'enjoindre au Premier ministre et aux ministres compétents de prendre, dans un délai de 48 heures, à compter du prononcé de l'ordonnance, les mesures propres à assurer une protection suffisante des personnels pénitentiaires à l'égard des risques de contamination par le covid-19 et en particulier, en premier lieu, de mettre à disposition des personnels des établissements pénitentiaires des masques " FFP2 " ou s'en rapprochant, gants et gel hydro-alcoolique en quantité suffisante pour assurer leur protection au moins jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire, en deuxième lieu, de maintenir jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire les mesures restrictives figurant dans la note de la direction de l'administration pénitentiaire du 17 mars 2020, en troisième lieu, de suspendre le régime de détention " portes ouvertes " au sein des établissements où il est pratiqué, jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire et, en dernier lieu, d'édicter des consignes générales à l'intention des chefs d'établissement pour la mise en place d'une organisation des promenades garantissant le respect des restrictions imposées par la crise sanitaire ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie, eu égard au risque sanitaire élevé qui rejaillit sur l'ensemble du personnel et résulte, d'une part, de la rapidité de propagation du virus et, d'autre part, de la situation de surpopulation carcérale ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé, rappelé notamment par l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'absence de mise en oeuvre par les autorités administratives, et en particulier par le Premier ministre, le ministre des solidarités et de la santé et la garde des sceaux, ministre de la justice, des pouvoirs d'organisation du service, notamment issus des dispositions des articles L. 3131-15, L. 3131-1 et L. 3131-16 du code de la santé publique, aux fins d'édicter les mesures propres à préserver la santé des surveillants pénitentiaires constitue une carence qui porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé ;
- les mesures prises à ce jour sont très insuffisantes dès lors que, en premier lieu, le régime de détention " portes ouvertes " est maintenu, en contradiction avec le confinement imposé au reste de la population par le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, en deuxième lieu, les dispositifs de protection, tels que les masques, les gants et le gel hydro-alcoolique, ne sont pas suffisamment mis à disposition du personnel pénitentiaire étant réservés au seul personnel en contact avec des détenus dont la contamination au virus covid-19 a été confirmée par un test de dépistage, en troisième lieu, les promenades ne sont pas encadrées et, en dernier lieu, le personnel ayant été en contact avec des sujets contaminés n'est plus placé en " quatorzaine " depuis le 23 mars 2020 ;
Par deux interventions, enregistrés le 30 mars 2020, le Syndicat national force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion et de probation et le Syndicat national pénitentiaire des personnels techniques déclarent intervenir au soutien de la requête le Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés le 31 mars 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Elle soutient qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n'est caractérisée.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé, qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance, le Syndicat national force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion et de probation et le Syndicat national pénitentiaire des personnels techniques - Force ouvrière et, d'autre part, le Premier ministre, la garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre des solidarités et de la santé ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 1er avril 2020, à 10 heures :
- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance et avocat du Syndicat national force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion et de probation et du Syndicat national pénitentiaire des personnels techniques - Force ouvrière ;
- le représentant du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance, du Syndicat national force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion et de probation et du Syndicat national pénitentiaire des personnels techniques - Force ouvrière ;
- les représentants de la garde des sceaux, ministre de la justice ;
- le représentant du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de l'audience le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".
Sur les interventions :
2. Le Syndicat national Force ouvrière pénitentiaire des personnels techniques ainsi que le Syndicat national Force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance. Leurs interventions sont, par suite, recevables.
Sur le cadre juridique du litige, l'office du juge des référés et les libertés fondamentales en jeu :
3. Dans l'actuelle période d'état d'urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes, en particulier au Premier ministre, de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l'épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l'exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent.
4. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai. Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Sur le fondement de l'article L. 521-2, le juge des référés peut ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, des mesures d'organisation des services placés sous son autorité, dès lors qu'il s'agit de mesures d'urgence qui lui apparaissent nécessaires pour sauvegarder, à très bref délai, la liberté fondamentale à laquelle il est gravement, et de façon manifestement illégale, porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l'atteinte doit s'apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.
5. Pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de cet article.
6. Les autorités administratives ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de leurs agents, eu égard aux missions qui leur sont assignées. Lorsque la carence d'une autorité administrative dans l'usage des pouvoirs qu'elle détient pour satisfaire cette obligation crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes placées sous son autorité portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale énoncée au point précédent, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire, dans les conditions et les limites définies au point 4, les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.
Sur les circonstances :
7. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des plusieurs arrêtés successifs.
8. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés par décret du 27 mars 2020.
Sur la demande en référé :
9. Par sa requête, le syndicat requérant demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner, dans le contexte de l'épidémie causée par la propagation du virus covid-19, que soient prises différentes mesures propres à assurer une protection suffisante des personnels pénitentiaires à l'égard des risques de contamination par ce virus.
10. Il résulte de l'instruction que, depuis que l'épidémie de covid-19 a atteint la France et au fur et à mesure de l'évolution des stades 1, 2 et 3 de l'épidémie, le ministre de la justice a édicté, au moyen de plusieurs instructions adressées aux services compétents, un certain nombre de mesures visant à prévenir le risque de propagation du virus au sein des établissements pénitentiaires. Dès le 27 février 2020, il a ainsi été décidé de limiter les circulations humaines entre intérieur et extérieur ainsi que les mouvements internes en détention et demandé qu'il soit strictement veillé au respect des règles de sécurité sanitaire. Le 17 mars 2020 étaient décidées la suspension des activités socio-culturelles et d'enseignement, du sport en espace confiné, des cultes, de la formation professionnelle, du travail ainsi que la suspension des visites aux parloirs, parloirs familiaux et unités de vie familiale et des entretiens avec les visiteurs de prison. Ces instructions définissent des orientations générales et arrêtent des mesures d'organisation du service public pénitentiaire qu'il revient aux chefs des 187 établissements pénitentiaires de mettre en oeuvre et d'appliquer sous l'autorité des directions interrégionales des services pénitentiaires. Il appartient aux chefs d'établissements pénitentiaires, responsables de l'ordre et de la sécurité au sein de ceux-ci, de s'assurer du respect des consignes données pour lutter contre la propagation du virus et de prendre, dans le champ de leurs compétences, toute mesure propre à garantir le respect effectif des libertés fondamentales des détenus et des personnes y travaillant ou y intervenant.
11. Il résulte de l'instruction que le nombre de personnes détenues dans les établissements pénitentiaires diminue régulièrement depuis le 17 mars 2020, sous l'effet conjugué de la baisse du nombre d'écrous et de l'application des dispositifs de libération des personnes détenues prévues par l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale. Alors que le nombre de détenus s'élevait, au 16 mars 2020, à 72 575 dont 22 606 en maisons d'arrêt, il est, au 2 avril 2020 de 65 757 dont 19 930 en maisons d'arrêt. S'agissant de la contamination par le virus Covid-19, on recense, parmi les personnes détenues, le 6 avril 2020, 63 cas confirmés et 697 confinements sanitaires correspondant aux cas symptomatiques et aux personnes placées en quatorzaine. Parmi les agents du service public pénitentiaire qui sont environ au nombre de 35 000, étaient recensés, à la même date, 377 cas confirmés et 1 512 cas symptomatiques.
En ce qui concerne le prolongement des mesures prescrites par la note du 17 mars 2020 :
13. Si le syndicat requérant demandait la prolongation, jusqu'au terme de l'état d'urgence sanitaire, des mesures générales prescrites par l'instruction ministérielle du 17 mars 2020, il résulte des échanges au cours de l'audience publique qu'il a pris acte de la décision, qui résulte d'une note du 30 mars 2020, de prolonger ces mesures jusqu'au 24 mai 2020 et qu'il a considéré que sa demande était satisfaite sur ce point.
En ce qui concerne la distribution de masques, de gants et de gel hydro-alcoolique :
14. Le syndicat requérant demande que soit ordonnée la mise à disposition des personnels des établissements pénitentiaires de masques de protection, gants et gel hydro-alcoolique en quantité suffisante pour assurer leur protection au moins jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire.
S'agissant de la distribution de masques :
15. D'une part, il résulte de l'instruction que la ministre de la justice a décidé, en complément des " mesures barrière " déjà mises en place (approvisionnement en produits permettant un lavage régulier des mains, limitation stricte des contacts physiques, respect de la distanciation sociale, nettoyage renforcé et aération régulière des locaux), d'organiser un " anneau sanitaire " en imposant le port d'un masque de protection à certaines catégories du personnel pénitentiaire. Par une instruction ministérielle en date du 31 mars 2020, il a ainsi été décidé d'imposer le port d'un masque chirurgical à l'ensemble des agents se trouvant en contact à la fois direct et prolongé avec les personnes détenues. Il résulte de l'instruction qu'à la date de la présente ordonnance, un stock de 260 000 masques chirurgicaux a été alloué à l'administration pénitentiaire à cet effet. Le ministère de la justice s'est en outre engagé à assurer, sans rupture, l'approvisionnement en masques chirurgicaux de façon à satisfaire l'ensemble des besoins journaliers qu'il évalue, à raison de deux masques par agent pour chaque jour de présence au travail, à environ 17 600.
16. D'autre part, il résulte des termes de la note du 31 mars 2020 ainsi que des explications données par le représentant du ministère de la justice au cours de l'audience publique que la liste des 19 catégories d'agents dits " de contact " qui y figure n'est pas exhaustive et qu'il appartient à chaque chef d'établissement de l'adapter en fonction des modalités concrètes de l'organisation du travail au sein de sa structure afin de permettre à chaque agent appelé à se trouver, même occasionnellement, en contact direct et prolongé avec des personnes détenues, d'être doté d'un masque de protection. Eu égard à la nécessité de développer, de manière particulièrement accrue pendant l'état d'urgence sanitaire, la polyvalence entre agents et au recours à la redistribution des tâches entre agents que préconise la note du 31 mars 2020 afin de confier, à titre temporaire, à une proportion des personnels moins importante qu'en temps normal, l'ensemble des fonctions impliquant un contact avec les personnes détenues, il incombe aux chefs d'établissement de veiller à ce que la dotation en masques de protection se fasse non seulement à l'occasion de la prise de fonctions mais aussi, le cas échéant, en cours de journée, au moment d'un changement de poste ou d'une intervention impliquant nécessairement un contact direct et prolongé avec une personne détenue.
17. Il s'ensuit qu'il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, qu'eu égard à la stratégie de gestion et d'utilisation maîtrisée des masques mise en place à l'échelle nationale, en l'état du nombre de masques de protection actuellement disponibles, l'instruction concernant la distribution et l'utilisation de masques chirurgicaux par les personnels pénitentiaires révèlerait une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale invoquée.
S'agissant de la distribution de gants et de gel hydro-alcoolique :
18. En premier lieu, il résulte de l'instruction et, en particulier, des déclarations du représentant du ministère de la justice au cours de l'audience publique, que consigne sera donnée aux chefs d'établissement de doter les personnels pénitentiaires d'un nombre suffisant de gants à usage unique pour permettre à chaque agent de s'en trouver muni dès lors qu'il procède à une intervention impliquant un contact direct avec une personne détenue, à une fouille avec palpation ou à une fouille de cellules. Au demeurant, le syndicat requérant en a pris acte, au cours de l'audience publique et a considéré que sa demande était satisfaite sur ce point.
19. En second lieu, il résulte de l'instruction que, le 26 mars 2020, 2 020 litres de gel hydro-alcoolique ont été livrés aux directions interrégionales des services pénitentiaires et que le ministère de la justice s'est engagé à en livrer, à destination des personnels pénitentiaires, 2 500 litres par semaine. Au demeurant, le syndicat requérant en a pris acte, au cours de l'audience publique et a considéré que sa demande était également satisfaite sur ce point.
20. Il s'ensuit qu'il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, de carence, en ce qui concerne la mise à disposition de gants et de gel hydro-alcoolique, susceptible de porter, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie des personnels pénitentiaires.
En ce qui concerne la suspension du régime " Portes ouvertes " et la définition de consignes relatives au déroulement des promenades :
21. Le syndicat requérant, qui invoque notamment l'absence de respect, par certaines personnes détenues, des " gestes barrières ", soutient que les mesures restrictives décidées par l'instruction du 17 mars 2020 rappelées au point 10 sont manifestement insuffisantes pour éviter les risques de contamination croisée entre détenus et personnels pénitentiaires et pour lutter efficacement contre la propagation du virus en milieu carcéral.
S'agissant de la suspension du régime " Portes ouvertes " :
22. En premier lieu, le syndicat requérant demande que soit ordonnée la suspension générale du régime de détention " Portes ouvertes " qui consiste, en centre de détention, à laisser les portes des cellules ouvertes une partie de la journée afin de permettre la circulation au sein de l'unité d'hébergement. Le ministère de la justice, qui fait valoir que moins de 10 % des incidents collectifs recensés depuis le 17 mars dernier concernent des établissements ou des quartiers en régime " Portes ouvertes ", soutient qu'une telle mesure générale serait de nature à susciter des tensions et des risques de troubles au sein des établissements excessifs au regard de l'objectif de sécurité sanitaire qu'elle est supposée poursuivre.
23. D'une part, les mesures d'ordre général décidées par le ministre de la justice dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire doivent ménager un équilibre entre la nécessité d'assurer, dans toute la mesure du possible, la sécurité sanitaire des personnes travaillant et intervenant au sein des établissements pénitentiaires et des personnes détenues et l'obligation de garantir l'ordre et la sécurité au sein de ceux-ci, dans le respect des droits des détenus. Il ne résulte pas de l'instruction qu'en ayant décidé de ne pas ajouter aux autres mesures générales de suspension arrêtées dans sa note du 17 mars 2020 la suspension du régime " Portes ouvertes ", le ministre de la justice aurait manifestement rompu cet équilibre. D'autre part, ainsi que le fait valoir le ministre de la justice en défense, c'est au chef d'établissement qu'il revient d'apprécier, en application de l'article 717-1 du code de procédure pénale, s'il y a lieu ou non, au vu de la situation de son établissement et des circonstances qui y prévalent, de suspendre, à titre temporaire, le régime de détention " Portes ouvertes ". Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, que l'absence de mesure générale de suspension du régime de détention " Portes ouvertes " constituerait en soi un facteur d'évolution de l'épidémie susceptible de traduire une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale invoquée.
S'agissant de la définition de consignes relatives au déroulement des promenades :
24. En second lieu, le syndicat requérant demande que soient définies, à l'échelle nationale, des règles encadrant, de manière plus stricte, l'organisation et le déroulement des promenades.
25. Il résulte des instructions des 16 et 17 mars 2020 que la consigne générale a été donnée d'assurer à chaque détenu le bénéfice d'une promenade quotidienne à l'air libre d'une heure au moins, ainsi que le prévoit le code de procédure pénale, en constituant des groupes réduits toujours composés des mêmes personnes afin de limiter les risques de contamination et en veillant à adapter localement le nombre de personnes présentes simultanément sur une cour. Il revient au chef d'établissement d'adapter, dans le champ de ses compétences, cette consigne générale aux particularités de son établissement en tenant compte, notamment, du nombre de personnes détenues, de la superficie et du nombre des cours de promenade afin de concilier la nécessité de respecter les règles de sécurité sanitaire, en particulier en ce qui concerne la distance minimale entre les personnes, et le maintien du droit au bénéfice d'une promenade quotidienne d'au moins une heure. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, que devraient être définies, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale invoquée, des règles plus strictes par une instruction de portée générale.
26. En l'absence, en l'état de l'instruction, d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, la demande présentée au juge des référés ne peut être accueillie.
27. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, la requête du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejetée.
O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions du Syndicat national Force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion et de probation et du Syndicat national pénitentiaire des personnels techniques - Force ouvrière sont admises.
Article 2 : La requête du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance, à la garde des sceaux, ministre de la justice, au Syndicat national force ouvrière des personnels pénitentiaires d'insertion et de probation et au Syndicat national pénitentiaire des personnels techniques - Force ouvrière.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé.